Jalons |
L'Antiquité
Ce fut trop longtemps
un lieu commun littéraire de célébrer la Grèce
comme ayant été la créatrice de la philosophie. C'est pousser un peu
loin l'idolâtrie de l'hellénisme. Indépendamment de la Grèce, et bien
antérieurement à elle, le monde oriental a connu des foyers philosophiques
distincts (Chine, Inde ,
Iran ,
etc.). Ce qui est vrai, du moins, c'est que la Grèce a été la première
éducatrice et qu'elle demeure le guide incomparable de la pensée philosophique
européenne, et que son esprit anime encore la spéculation contemporaine.
Philosophie
grecque et philosophie moderne sont comme les deux bouts d'une chaîne,
parfois brisée, toujours renouée, que l'on ne saurait omettre de remonter,
sous peine de perdre le sens des progrès mêmes de l'esprit humain.
Les Présocratiques,
Socrate.
La question des
origines de cette philosophie, et notamment de ses sources orientales,
a donné lieu à de nombreux débats. Un problème moins vaste, mais qui
a ses délicatesses, est celui qui consisterait à déterminer les virtualités
doctrinales que recelèrent divers cycles poétiques, d'ailleurs bien incomplètement
connus de nous et qui précédèrent ce que l'on peut appeler l'âge officiel
de la grande philosophie grecque ( Poèmes
Orphiques ).
L'école
ionienne.
Les historiens s'accordent
à considérer cet âge comme inauguré par Thalès
de Milet ,
que suivirent Anaximandre, Héraclite,
Anaximène,
Diogène
d'Apollonie .
Ces philosophes, dont le plus profond fut Héraclite, ce théoricien de
l'universel devenir et du principe de l'identité
des contraires, que l'on a pu avec quelque apparence
désigner comme un précurseur de Hegel, composèrent ce que l'on a appelé
l'école ionienne, bien que le nom d'école
offre ici quelque impropriété. Les penseurs qu'elle comprend ne furent
en rien unis par le lien de maîtres et de disciples; mais ils ont une
commune manière de se poser et de résoudre le problème
de l'existence; chacun dérive d'un élément
fluide, indéfiniment expansible, apte a toutes les métamorphoses,
les êtres et les formes
sans nombre dont est faite la réalité.
L'école
Eléatique et les Pythagoriciens.
Et l'on peut admettre
encore, ainsi que l'a fait Aristote, que ce
point de vue est celui aussi de l'école Eléatique,
représentée par Xénophane, Parménide
et Zénon d'Elée ,
comme il est celui de l'école instituée par Pythagore
( Pythagorisme)
l'une et l'autre ont intellectualisé l'élément générateur des choses,
la première l'identifiant à l' « Être » et
la seconde au « Nombre ».
Empédocle,
Anaxagore.
En contraste avec
cette lignée de penseurs, on peut regarder comme s'étant placés à un
point de vue inverse des maîtres non moins réputés; pour eux les éléments
constitutifs de la réalité sont quantitativement
donnés, et les différences qui caractérisent
les choses ne tiennent qu'aux différences mêmes d'agrégation de ces
éléments. Ces éléments sont au nombre de quatre,
estime Empédocle, et la cause
qui les combine on les désagrège n'est autre que l'Amour et la Discorde.
Ils sont infinis en nombre comme sont infinis
les composés qu'ils forment et qui tirent d'eux leur nature; la cause
qui les meut et explique les vicissitudes du monde est le Noûs,
l'Esprit, force purement
mécanique : telle est la réponse donnée par Anaxagore
et dont Socrate dénoncera l'insuffisances.
L'école
atomistique.
Leucippe
et Démocrite, ce dernier, l'un des plus grands
noms de la philosophie présocratique, prennent un parti radical : il n'y
a qu'un élément, l'atome matériel, mais en quantité
infinie, élément partout homogène et qui ne peut présenter qu'une variété
géométrique. Ces atomes mus éternellement dans le vide sans limites
constituent par leurs rencontres des assemblages innombrables ; et c'est
là, par l'unique effet d'un mouvement nécessaire
et éternel, c'est là, disons-nous, toute l'origine
des mondes. Ce système est l'atomisme
dans lequel on peut dire que le matérialisme
atteignit sa forme la plus rigoureuse.
La
Sophistique.
Cette floraison
de doctrines fut suivie d'une phase de stagnation,
occupée par, un ensemble de personnalités de talent, habiles dialecticiens,
orateurs réputés, éducateurs exercés, auxquels leur scepticisme-métaphysique
et leur extrême utilitarisme moral valurent
un fâcheux renom. Ce sont les Sophistes, dont
quelques-uns, Gorgias et Protagoras,
par exemple, jetèrent le plus vif éclat.
Socrate.
Après eux apparaît
celui qui allait être l'initiateur incomparable de la plus riche période
philosophique que le monde ait connue, Socrate,
qui n'écrivit pas, ne s'adonna à aucune spéculation
métaphysique ou physiques, mais, par ses entretiens
familiers, réalisa la réforme logique et morale
d'où allait procéder tout le développement de la philosophie grecque,
qui a donné à la haute réflexion humaine
sa direction définitive. De Socrate, en effet, sont issues de petites
écoles, mégarique, cynique,
cyrénaïque,
qui contiennent en germe des systèmes dont l'influence
s'est prolongée jusqu'à nous.
Platon, Aristote
et leurs successeurs
Mais ces écoles
secondaires (appelées fréquemment du nom de « Petits Socratiques »)
furent éclipsées par l'apport admirable de Platon,
le disciple qui, dans une oeuvre où se mêlent les plus belles démonstrations
d'un dialecticien, d'un mythologue et d'un poète, oeuvre mise en quelque
sorte, sous le constant patronage de Socrate, créa I'idéalisme.
La philosophie idéaliste
inaugurée par Platon rencontra dans son disciple Aristote,
son égal, savant encyclopédique, physicien, logicien, sociologue, politique,
métaphysicien, « père de la métaphysique
», comme on l'a parfois nommé, qui refuse toute existence
à l'idéal à part du réel, le rival immortel
qui devait tenir à jamais sa doctrine en échec
: à ce point que l'on a pu dire que quiconque se mêlera de philosopher
procédera de l'un ou de l'autre et sera élève d'Aristote ou de Platon.
Chacun d'eux, au
reste, laisse une longue lignée :
• Platon,
l'école Académique, qui subira jusqu'à
cinq renouvellements, dont le plus imprévu est celui que lui imprimèrent
les philosophes dits acataleptiques ( Scepticisme);
Arcésilas
et Carnéade, ces redoutables ennemis de toute
théorie
dogmatique;
• Aristote, l'école
péripatéticienne, d'abord représentée par Théophraste,
puis par le matérialiste Straton de Lampsaque
et qui, plus on moins oublieuse de la vraie pensée du fondateur, n'en
aura pas moins une longue et brillante fortune, jusqu'à persister jusque
dans les Temps modernes.
Scepticisme, Epicurisme,
Stoïcisme.
En même temps que
le platonisme et l'aristotélisme étendaient
ainsi, non sans bien des altérations, leur influence, d'illustres écoles
s'élevaient qui, d'ailleurs, avaient emprunté à l'un et à l'autre plus
d'un élément.
• C'est
le Scepticisme radical avec Pyrrhon,
théoricien de l'époque ou systématique abstention du jugement;
• C'est le matérialisme
utilitaire d'Épicure, philosophie singulière,
aux aspects multiples, dont la psychologie est dominée par l'affirmation
du libre arbitre et dont la morale
hédoniste aboutit au culte de la plus pure vertu ( Épicurisme);
• C'est le Stoïcisme,
qui eut pour chef Zénon de Cittium et pour «
colonne » le fécond dialecticien Chrysippe
: ce système profondément panthéiste se
distingua surtout par une logique savante, compliquée,
dont les « broussailles » étaient légendaires, et par une morale
d'énergie et d'orgueil qui lui valut son long ascendant sur l'esprit romain.
Philosophie romaine.
A vrai dire, Rome
n'eut pas de philosophie propre, et c'est aux Grecs qu'elle emprunta les
enseignements dont s'inspirèrent ses écrivains. L'Épicurisme fit chez
elle de nombreux adeptes dont le plus illustre fut Lucrèce,
auteur du poème De la Nature .
La nouvelle Académie eut, alternativement avec l'Éclectisme, son principal
interprète en Cicéron, qui consacra les dernières
années
de sa vie à exposer en langue latine les spéculations de la pensée grecque.
Mais ce fut le Stoïcisme qui exerça à Rome, semble-t-il, l'action la
plus durable cette doctrine est partout présente aux écrits du généreux
et faible Sénèque; elle est portée sur le
trône par la grande figure de Marc-Aurèle.
L'école d'Alexandrie.
En outre de la Grèce
et de Rome son imitatrice, nous ne devons pas oublier un autre foyer d'activité
philosophique, cette école d'Alexandrie
où se joignirent et se composèrent les spéculations des théologiens
juifs
et les doctrines de la métaphysique grecque, celles-là du moins que patronnaient
les noms de Platon et d'Aristote ( L'Ecole
philosophique d'Alexandrie). Le premier représentant de cette union
paraît avoir été Aristobule dit le Péripatéticien,
qui vivait vers le milieu du IIe
siècle av. J.-C. Mais le nom le plus
considérable qui signale la naissance de cette philosophie mixte est sans
contredit celui de Philon le Juif, dont la naissance
eut lieu quelques années avant l'ère chrétienne : fécond écrivain,
exégète infatigable, il mit un grand art, un art sincère, à réaliser
l'alliance de l'idéalisme platonicien avec
les théories mosaïques ( Moïse,
Ancien
Testament ),
ces dernières renfermant, pour qui les interprète avec pénétration,
la plus complète sagesse.
Le Néoplatonisme.
Les Pères de l'Eglise.
Plus tard, enfin,
le Platonisme revivra encore une vie brillante
dans l'enseignement non d'une école, mais de toute une série d'écoles,
dont quelques-unes ne laisseront pas de faire aux théories aristotéliciennes
une très importante place. Ces écoles qui s'accorderont à professer
la transcendance de l'Un
divin, par-dessus même le monde des idées, constituent
dans leur ensemble ce que l'on appelle le Néoplatonisme,
dont Ammonius Saccas est considéré comme le
fondateur. Deux maîtres surtout réussirent à systématiser avec une
originalité compréhensive le Platonisme ainsi transformé, Plotin
et Proclus.
Nous ne saurions
suivre plus loin la courbe que décrit la pensée spéculative antique
sans nous engager dans l'histoire de l'Église
chrétienne en ses premiers âges et, à l'occasion des théories émises
par les Pères et les Docteurs, les uns apologistes,
les autres détracteurs résolus de la culture hellénique, nous jeter
dans le champ illimité des controverses théologiques. De plus en plus,
à mesure que nous descendons le cours du temps, le sens de la pure métaphysique
s'affaiblit, les partisans de doctrines si longtemps reçues par des générations
de disciples se font plus rares, l'enseignement des systèmes
est battu en brèche par les ministres du culte chrétien. On peut
considérer que la culture philosophique ancienne atteint son terme historique,
en 529,
lors de la fermeture des écoles par Justinien.
Le
Moyen âge et la Renaissance
Le terme consacré
pour désigner la philosophie du Moyen âge
en Occident est celui de scolastique, mot
qui proprement ne devrait dénommer que l'enseignement donné dans les
écoles, ou mieux encore l'enseignement de « l'Ecole », c'est-à-dire
l'Aristotélisme. Cette philosophie, qui a aussi une composante platonicienne,
et dont les historiens s'accordent à placer la naissance sous le règne
de Charlemagne, eut pour premier initiateur
Alcuin,
dont la pensée s'était nourrie de saint Augustin
et de Boèce. La scolastique s'appuya sur deux
colonnes : la Bible
et Aristote, du moins l'Aristote de l'Organon ,
car le Moyen âge n'aura qu'assez tardivement, et grâce, principalement,
aux Arabes, la connaissance plus complète
de la doctrine aristotélicienne, dans
sa richesse et sa profondeur. Peut-être si, dès l'origine, elle avait
eu de l'aristotélisme une notion
moins étroite, aurait-elle évité la longue méprise qui a fait, malgré
un tel labeur, sa stérilité : la méprise d'identifier la logique avec
la métaphysique.
Réalistes et
nominalistes.
Un problème se
pose devant la philosophie scolastique, dès sa naissance, et il continue
d'être agité jusqu'à la fin du Moyen âge : le problème dit des universaux.
Une phrase de Porphyre, traduite par Boèce,
en fut l'origine :
« Les genres
et les espèces sont d'une certaine manière
des choses et d'une autre manière des conceptions,
et en ce sens ils sont incorporels; mais, unis aux choses sensibles, ils
subsistent dans ces choses et on les conçoit hors des corps
comme subsistant par eux-mêmes. »
Cette phrase obscure,
non exempte d'ambiguïté, formulait la question relative à l'essence
et au rôle des idées générales, c.-à-d. qu'elle énonçait la difficulté
éternelle qui met aux prises les philosophes. Quelque gaucherie que les
écoles du Moyen âge aient pu apporter à la résoudre, comment n'y pas
reconnaître le constant objet sur lequel portent les méditations des
penseurs? D'ailleurs, il semble que ce soit la nature
elle-même qui, par le spectacle qu'elle offre de la permanence des types
constitutifs dans l'inépuisable multiplicité des individus
en qui ils se réalisent, nous mette en demeure de l'aborder. Cette difficulté,
les principaux spéculatifs de la première ère de la scolastique la tranchèrent
dans le sens platonicien ; c.-à-d. qu'ils hypostasièrent les notions
générales, leur assignèrent. indépendamment des individus, l'objectivité.
Telle est la réponse du Réalisme, qui trouve,
dès le IXe
siècle, un hardi métaphysicien pour
la soutenir : Jean Sot Erigène et, deux siècles
après, possède un protagoniste d'une autorité égale, dans un prélat
qui demeure l'une des gloires de l'Église, saint
Anselme.
Au Réalisme, doctrine
de la transcendance, allait s'opposer la
philosophie inverse qui, ne reconnaissant d'objectivité qu'aux êtres
individuels, réduisait les concepts généraux
au rôle de simples vocables n'ayant par eux-mêmes d'autre réalité que
celle des mots qui les constituent: ce fut le Nominalisme,
dont le premier représentant d'envergure fut, au XIe
siècle. Roscelin,
disputeur consommé, qui prêta des formes saisissantes et paradoxales
à une thèse qui fit grand scandale, thèse qui ne nous est guère connue
que par les témoignages de ceux qui la combattirent. L'enseignement de
Roscelin ne triompha point du reste, et le XIIe
siècle s'ouvre sur une reprise du réalisme
professé par un maître de renom, Guillaume de
Champeaux, de qui les théories ne nous sont
guère mieux connues que ne l'avaient été celles de Roscelin. Ce que
surtout nous savons d'elles, c'est qu'elles furent impitoyablement battues
en brèche par un brillant disciple de Guillaume de Champeaux, l'éloquent
et l'entraînant Abélard, sans que, du reste,
ce dernier ait montré plus d'indulgence pour les paradoxes
de Roscelin. Aussi a-t-on prêté à Abélard une position philosophique
intermédiaire à laquelle fut appliqué le nom peu clair de Conceptualisme.
L'âge d'or de
la scolastique.
Le XIIIe
siècle marque l'apogée de la scolastique.
Les Chrétiens d'Europe, mis en relation avec les savants et les philosophes
arabes, ont désormais accès à l'oeuvre entière d'Aristote,
à sa psychologie, à sa métaphysique,
et l'on peut dire que l'empire du Stagirite sur la pensée européenne
est désormais illimité. C'est la doctrine aristotélicienne que se flattent
de restaurer dans leur enseignement propre le savant hardi que fut Albert
le Grand, l'ingénieux psychologue et le pieux métaphysicien que fut
saint
Thomas. Seul, peut-être, fait exception à cette dévotion sans réserves,
cet esprit original, en qui l'esprit de chimère s'allia si curieusement
au sens droit et vivant de la méthode-expérimentale,
mathématicien,
astronome, physicien, pédagogue, ontologiste
à ses heures, ce Roger Bacon, que Humboldt
a appelé « la plus grande apparition du Moyen âge ».
Le dernier âge de
la scolastique n'en marque pas tout d'abord le déclin. Loin de là; un
métaphysicien, d'une extraordinaire profondeur, se rencontre, dont l'esprit
à la fois critique et constructif réforme la théologie naturelle, renouvelle
le Réalisme, fait l'intelligible
identique à l'être et semble avoir donné pour couronnement à ce haut
Idéalisme une philosophie de la volonté : ce
maître puissant fut Duns Scot qui laissa une
longue lignée de disciples. Tout son génie cependant ne réussit pas
à assurer au Réalisme le dernier mot.
Une grande
réaction Nominaliste va se produire qui dominera les dernières périodes
du Moyen âge
et pénétrera même la plupart des mystiques
de la Renaissance ;
réaction amenée par Guillaume d'Occam,
véritable précurseur de la philosophie criticiste,
que l'on peut sans paradoxe et en dépit de la forme surannée, purement
logique et dialectique de ses écrits, appeler
le père de l'Empirisme anglais. Après Occam,
le Nominalisme est à peu près partout en faveur, et la scolastique finissante
ne connaît pas le réveil de ces idées de transcendance
qui en avaient illustré l'origine.
La philosophie
de la Renaissance.
Si l'on veut caractériser
l'esprit philosophique de la Renaissance ,
on pourra noter les traits suivants, traits qui se réunissent plus on
moins complètement chez les plus illustres de ses représentants : indifférence
toujours croissante aux problèmes scolastiques dont la critique occamiste
avait réussi à faire ressortir la vanité; penchant au mysticisme
(une remarquable floraison de l'esprit mystique avait signalé la dernière
période du Moyen âge );
attrait vers le Dieu
ineffable, qui se révèle au coeur dans une intuition
d'où la raison logique est absente.
L'aristotélisme
perdant de son crédit et parmi ses partisans mêmes une sorte de schisme
se produisant : d'une part les Averroïstes ( Averroès),
qui tendaient, par leur interprétation du maître grec, à faire s'évanouir
la conscience de la personnalité et, d'autre
part, les Alexandristes ( Alexandre
d'Aphrodisie), bien moins suspects à l'Église et ayant adopté de
la doctrine aristotélicienne un sens beaucoup plus spiritualiste
.
Par contre, prédilection
générale pour Platon et les Néo-platoniciens,
philosophes précisément aimés pour avoir tenu que le monde des existences
et celui des idées ne sont que le voile de l'éternelle et immuable unité;
la philosophie entière devenue comme l'expression
supérieure de la physique, renonçant aux constructions de concepts
et s'efforçant de traduire la vie universelle dans son unité comme dans
son expansion infinie; enfin alliance de la philosophie
et de la science, alliance qui pour aucune des
deux n'est onéreuse, car c'est la philosophie elle-même qui favorise
l'affranchissement de la science à l'égard de la pure logique, préconise
l'étude directe de la nature et, en particulier,
le recours aux méthodes expérimentales.
La philosophie de
la Renaissance est ainsi remarquablement diverse et impersonnelle. On ne
rencontre pas chez elle de puissantes personnalités métaphysiques, d'esprits
spéculatifs comparables aux grands hommes de la scolastique. Fut-ce diplomatie?
Fut-ce éblouissement irrésistible devant la beauté de la pensée
antique? Toujours est-il que les maîtres de cet âge se flatteront de
faire revivre telle ou telle secte grecque fameuse dans l'enseignement
de laquelle il leur semblera retrouver leurs propres méditations.
Nicolas
de Cuse se réclame des Pythagoriciens
et, après avoir déclaré que la raison humaine
est inadéquate au réel,
professe avec eux que, par le nombre et au-dessus
du nombre par l'unité, se déploie la raison elle-même.
Sceptique
à la base, sa théorie aboutit à un monisme
mystique.
Au contraire, Pomponazzi
demeure fidèle à Aristote qu'il interprète,
habilement pour ses vues, dans un sens bien voisin de l'empirisme.
Telesio,
le fondateur de l'Académie de Cosenza,
maître jadis de grande renommée, un des précurseurs de la philosophie
naturelle, professa un hylozoïsme que ses disciples
exagérèrent encore et qu'un Campanella poussera
plus tard à son point extrême; or, lui aussi, Telesio adoptera pour patronner
sa physique une école de l'antique Grèce :
il choisira l'éléatisme.
Quant à Platon,
considérable sera le nombre de ses admirateurs passionnés : nous citerons
seulement l'un des plus célèbres, François Patrizzi.
Epicure
a lui aussi ses disciples, et l'on verra l'héroïque Thomas
More, dans son ingénieux roman
socialiste,
faire de la doctrine épicurienne la philosophie officielle de l'État
« d'Utopie
».
Sans doute la Renaissance
compta des esprits vigoureux qui surent s'affranchir du servage même de
l'admiration : par exemple, ce Giordano Bruno qui,
se détachant même de tout credo ecclésiastique, audace qu'il
expia par le martyre, se fit une conception hautement panthéiste
de l'univers. Le plus grand de tous ces libres génies fut sans contredit
Galilée,
penseur ennemi de toute autorité en matière de philosophie et de science,
attaché à peu près exclusivement aux problèmes du monde naturel, qui
non seulement formula les règles de la méthode expérimentale, mais établit
cette méthode à coups de découvertes.
Le
XVIIe siècle
Bacon et Descartes.
La philosophie des
Modernes s'annonce, en France
comme en Angleterre ,
par une sorte de déclaration des droits. Quel est l'axiome,
en effet, qui revient dans tous les écrits de Francis
Bacon? C'est qu'avant toute chose, l'esprit scientifique doit se libérer
du culte superstitieux de l'Antiquité
et que la meilleure manière d'honorer les Anciens, et en particulier Aristote,
consiste à ne pins tenter les voies dialectiques et a priori où ils s'engagèrent
et où personne désormais ne parviendra à les égaler. Et quel est le
principe que Descartes et ses continuateurs
ne cesseront d'opposer aux systématiques admirateurs du passé? C'est
que l'autorité, digne de toute obéissance en matière de foi ,
n'a point à trouver place en matière de philosophie et de science; c'est
qu'aux yeux de la raison, la vérité
n'a qu'un critère l'idée
claire et distincte. Au reste, ces deux penseurs, Bacon et Descartes, que
les historiens sont d'accord à considérer comme les initiateurs de la
pensée
moderne, eurent des démarches bien différentes; et ils préludèrent
à deux directions distinctes, pour ne pas dire contraires, entre lesquelles
aura à partager après eux la spéculation.
La philosophie
anglaise au XVIIe siècle.
Bacon, génie oratoire
et poétique, « sonne le clairon » de la méthode expérimentale, donne
de l'induction ou, comme il la nomme, « de
l'interprétation de la nature » la législation
définitive; savant médiocre, il a la passion de la science naturelle,
lui subordonne la métaphysique, déconseille
le pur raisonnement. Il est, en Angleterre,
le véritable précurseur de l'Empirisme.
Hobbes.
Son action, d'ailleurs,
ne se fera pas immédiatement sentir : Hobbes,
empiriste comme lui, ne lui sera que peu redevable; son esprit, éminemment
analytique et déductif, sera surtout attiré vers les problèmes de sociologie
et de politique, qu'il résoudra dans le sens de l'absolutisme;
Les
Platoniciens de Cambridge.
Matérialiste
et utilitariste, Hobbes provoquera contre
l'empirisme la grande réaction de l'école dite des platoniciens de Cambridge,
illustrée surtout par les talents de Ralph Cudworth
et de Henry More.
Locke.
A la fin du XVIIe
siècle Locke publie un livre dont la renommée
et l'influence ne sauraient être surfaites, fut l'Essai sur l'Entendement
humain (1690). Ouvrage d'un mérite intrinsèque bien inégal à sa
fortune, l'Essai passera longtemps pour le définitif chef-d'oeuvre
du Sensualisme. A certains égards, on peut
dire aussi qu'il inaugure vraiment chez les modernes la philosophie
critique. En affirmant et en établissant par de prolixes analyses
que toutes nos idées ont leur origine dans la sensation
(complétée, il est vrai, par « la réflexion
»), l'Essai posait devant la méditation moderne le problème dont
elle ne se détachera plus : celui de la connaissance.
La philosophie
française au XVIIe siècle.
Descartes, esprit
intuitif et déductif à la fois, créateur de la conception
mécanique ( Philosophie
mécanique) qui va régner en France dans la science, ne séparera
pas de la science la philosophie,
donnera à toutes deux la même garantie, savoir la véracité de l'Être
parfait mathématiquement démontré, à toutes deux le même enchaînement,
celui d'idées claires et distinctes, unies par
un lien continu.
La révolution cartésienne,
que ne parviennent pas à refouler des résistances individuelles, celle
du théologien empirique Gassendi, pas plus
que celle des Péripatéticiensencore en
crédit dans les écoles, s'étend sur le continent. Les universités du
nord de l'Europe sont promptement gagnées. En France, les Jansénistes
lui sont pour la plupart favorables. L'Angleterre elle-même n'est pas
sans en ressentir l'influence.
Les
Cartésianisme.
Après Descartes,
des directions imprévues entraînent des penseurs originaux qui s'étaient
d'abord inspirés de lui. Malebranche tire
du Cartésianisme, quelque peu combiné
avec les théories de saint Augustin, son système
de la vision en Dieu auquel il ne manque que d'écarter la barrière d'un
prétendu dogme religieux de la réalité des choses sensibles pour constituer
un idéalisme absolu. A Descartes également avait beaucoup emprunté le
philosophe solitaire, doux et pieux, qui, sur la pure idée de substance
et selon une méthode toute géométrique, édifia son Panthéisme,
l'auteur de «l'Éthique », Spinoza.
Le
Sensualisme.
A la fin du XVIIe
siècle, en France comme en Angleterre, la popularité du sensualisme de
Locke conquerra presque tous les penseurs de marque.
Le
XVIIIe siècle.
Le XVIIe
siècle, en dépit de Bacon,
avait été le siècle de la métaphysique
et du rationalisme constructif; le XVIIIe
siècle, en dépit de Leibniz,
sera celui de l'empirisme.
La philosophie
française au XVIIIe siècle.
En France, l'École,
dite philosophique, sera à peu près unanime à lui faire accueil : Diderot
comme Voltaire en seront des adeptes enthousiastes;
l'ingénieux et élégant Condillac lui-même
ne fera guère que renchérir sur la théorie de Locke. Il prétendit
ramener toutes les facultés actives de l'âme à la sensation ou à la
sensibilité, en posant ce principe, que toutes les facultés de l'humain
ne sont qu'une transformation variée d'une première sensation. Selon
lui encore, la formation et le perfectionnement du langage, auquel il donne
pour origine le plaisir et la peine, sont le moyen par lequet toute science
se développe. Condillac sera en France le chef d'une importante école
qui se prolongera, jusque dans les premières années du XIXe
siècle.
La philosophie
française au XVIIIe siècle.
En Angleterre,
le sensualisme de Locke
avait décrit une évolution inattendue qui a fait du XVIIIe
siècle l'âge le plus brillant de la
spéculation britannique. David Hume paraît ensuite,
qui de l'idéalisme berkeleyen accepte les bases et prétend seulement
dérouler jusqu'au bout les conséquences du système; sa critique aiguisée,
d'une incomparable pénétration, transforme l'idéalisme théologique
en phénoménisme
-sceptique. Quant à la morale, il la fonde,
ainsi que la plupart des penseurs anglais ses contemporains et ses disciples,
Adam
Smith, Bentham,
James
Mill, sur la notion d'utilité. Le humisme est peut-être l'attaque
la plus redoutable que le dogmatisme spiritualiste ait jamais reçue; et
ce ne sont pas les timides théories de Thomas Reid,
de Dugald-Stewart et des autres philosophes de
l'école
dite « Écossaise » qui étaient de nature à parer le coup. Cette
doctrine, en effet, remarquablement combinée par le génie de Berkeley
avec les théories de Malebranche, engendre
un idéalisme théologique, empiriste à l'origine et finalement tout pénétré
d'inspiration
platonicienne.
La philosophie
allemande au XVIIIe siècle.
A dire vrai, c'est
en Allemagne qu'au XVIIIe
siècle le sensualisme rencontrera des
adversaires de vigueur, adversaires qui, en fin de compte, l'ont ou ruiné
ou contraint de se transformer.
Leibniz.
Le premier est Leibniz,
dont les grands travaux mathématiques
n'épuisèrent pas, tant s'en faut, l'activité. Leibniz fait front à
Locke; en face de l'Essai, il donne les Nouveaux Essais
où il démontre, par une longue et patiente critique de l'écrivain anglais,
l'impuissance de la pure sensation à supplanter l'énergie de l'esprit.
Mais, s'il combat Locke, ce n'est pas pour se ranger docilement derrière
Descartes,
(moins encore derrière Spinoza).
Ni sur Dieu, ni sur
l'âme, ni sur la matière, ni sur le monde Leibniz ne pense comme Descartes.
Il nie le libre arbitre en l'humain et en Dieu. Il ramène la différence
de nature à la différence de degré; donc il supprime entre les genres
de substances toute distinction radicale. Enfin, il est bien près d'être
évolutionniste. Descartes, lui, croiyait au progrès indéfini, non de
la nature, mais de l'humain et de la science humaine. Leibniz n'est pas
dualiste,
et il n'entend pas être panthéiste. L'univers est conçu par lui comme
une hiérarchie de monades, dont chacune absolument
simple est représentatrice de toutes les autres, différentes d'elles,
exclusivement par le degré, et dont la plus parfaite, celle qui occupe
le sommet de la pyramide, est
Dieu.
Les théories de
Leibniz, non sans subir d'importantes modifications dues à l'influence
d'Aristote, sont organisées en un système compréhensif par Christian
Wolf, dont les doctrines allaient prédominer longtemps en Allemagne.
Enfin, de même que Locke avait été réfuté par Leibniz, le phénoménisme
sceptique de Hume provoque l'immortel assaut de Kant.
La
révolution kantienne.
C'est Kant
lui-même qui nous a appris comment la lecture de Hume l'avait réveillé
du sommeil dogmatique. Si les analyses humistes sont justes, la métaphysique
repose sur le vide, et la science n'a plus de base assurée. Ce sera donc
la tâche de l'auteur de la Critique de la raison pure de prouver
le droit de la pensée à atteindre par la connaissance
plus et mieux que des phénomènes, à tirer
légitimement d'elle-même le lien a priori qui
unit les intuitions de la sensibilité,
à user justement des concepts et des idées
pures, à professer l'existence des choses
en soi ou noumènes, existence dont la Critique
de la raison pratique nous acquerra, estime-t-il, la définitive certitude.
Immense aura été dans la spéculation philosophique
la portée de la révolution kantienne ( Criticisme,
Philosophie
transcendantale), et son auteur n'a nullement usé d'hyperbole en la
comparant, comme il fit, à la révolution opérée en astronomie par Copernic.
Le
XIXe siècle
Au point de vue philosophique
comme à beaucoup d'autres, le XIXe
siècle semble pouvoir se diviser en deux
périodes, dont la coupure plus ou moins brusque se produit, selon les
pays, de 1830
à 1848,
au moment où les doctrines positivistes,
détrônent un peu partout les métaphysiques a prioristes, La première
période avait été marquée par une réaction, entière ou partielle,
contre le XVIIIe siècle;
seule l'Allemagne semble y poursuivre un développement autonome.
Les répliques
au XVIIIe siècle.
Allemagne.
Le criticisme kantien
avait bien soulevé les protestations des dogmatiques de l'école de Wolf,
d'une part, et, de l'autre, des philosophes du sentiment et de l'intuition,
comme Herder, Jacobi,
Schleiermacher;
mais l'influence en fut pourtant prépondérante, et c'est en adoptant
ses principes et sa méthode
que Fichte, Schelling et Hegel en tirent l'idéalisme
absolu. Kant laissait subsister, à côté du phénomène,
la « chose en soi » inconnaissable; ses successeurs la suppriment, parce
qu'en tant qu'inconnaissable elle est inutile à la connaissance,
et de plus contradictoire, puisque l'affirmer seulement, c'est la connaître
déjà.
Selon Fichte
(1762-1844),
nous atteignons par la raison pratique le seul
noumène, qui est le moi volontaire et libre; cette
seule réalité du monde intérieur est aussi
la suprême et seule réalité qui crée les choses : c'est le moi lui-même
qui, pour se connaître, s'oppose un objet de connaissance, le non-moi,
la nature.
Mais Schelling
(1775-1854),
dans sa première philosophie, se demande de quel droit on ferait du moi
l'absolu : c'est bien l'absolu qui, par un double mouvement de production,
se manifeste dans ces séries parallèles de réalités qui sont la nature
et l'esprit, mais il n'est lui-même ni nature
ni esprit, ni moi ni non-moi; et ainsi, restant la source mystérieuse
d'où tout sort et que rien n'épuise, il laisse place encore à toutes
les effusions mystiques de la seconde philosophie de Schelling.
Chez Hegel
enfin (1770-1834),
l'absolu perd tout caractère transcendant
et mystique, pour devenir la raison immanente
au monde, exprimée tout entière par l'univers réel, nature et esprit,
et par suite tout entière intelligible : la création est vraiment alors
un panlogisme; l'être se pose d'abord, puis, de
par une nécessité interne, se nie lui-même,
pour se concilier ensuite avec sa propre négation
dans une synthèse supérieure; et tel est le
rythme universel des choses, qui nous permet d'établir d'abord la généalogie
des concepts-purs,
puis de construire a priori la philosophie
de la nature, et enfin la philosophie de l'esprit.
De là, dans l'hégélianisme, le dédain ou l'oubli de l'expérience,
que la pensée pure peut devancer ou suppléer;
et l'optimisme et le fatalisme
historiques, puisque, découvrant la raison logique
de tout ce qui est, a été ou sera, il le légitime par lui-même en tant
que nécessaire tout ensemble et rationnel.
L'influence de la métaphysique hégélienne
fut profonde et générale, et l'on peut la considérer comme triomphante
jusqu'aux environs de 1830.
Angleterre.
Pendant la même
période, l'Angleterre continue, en morale, le
développement de la doctrine utililitariste,
avec Bentham et les économistes de son école,
et, en psychologie, avec Hartley,
James
Mill, etc., de l'empirisme, qui, tendant
à expliquer toute la vie de l'esprit par une loi
unique, prend de plus en plus la forme de l'associationnisme. Mais en même
temps une réaction se dessinait contre les conséquences négatives de
cette philosophie l'école écossaise
prétendit rétablir, par l'observation intime
et le recours au sens commun, les vérités
métaphysiques et morales nécessaires à la vie pratique : et telle fit
l'oeuvre de Th. Reid, de Dugald
Stewart, d'Hamilton, qui dénie d'ailleurs
à la raison toute connaissance naturelle de l'absolu.
L'hégélianisme enfin pénètre, plus ou moins indirectement, en Angleterre,
par les essayistes ou les poètes, et anime d'un souffle plus large les
Wordsworth,
les Coleridge, les Shelley,
les Carlyle.
France.
La philosophie en
France, avec plus d'abondance et d'éclat, suit une marche analogue. C'est
d'abord la tradition du XVIIIe
siècle, le sensualisme
de Condillac, qui se perpétue sous le premier
Empire avec Cabanis, Destutt
de Tracy et les Idéologues. Ce sont encore
les principes économiques, politiques et sociaux de la Révolution française
qui se développent sous la Restaurationd'une
manière plus ou moins occulte, pour aboutir à des systèmes de liberté
intégrale, d'entière rénovation morale, sociale et religieuse, et trouver
leur forme commune dans le socialisme
: Fourier, Saint-Simon,
Pierre
Leroux, Proudhon sont les ouvriers de cette
oeuvre lente, mais profonde, dont les conséquences éclateront en 1848.
Mais en même temps,
avec un tout autre éclat apparent, la réaction contre le XVIIIe
siècle
semble triompher, sous une ferme intransigeante d'abord, avec l'école
théocratique, et
Chateaubriand, de
Maistre, de Bonald; sous une forme plus mesurée
et toute rationaliste et laïque, avec l'éclectisme
: comme l'école écossaise, ce dernier prétend restaurer les vérités
nécessaires ébranlées par les négations du XVIIIe
siècle, grâce à une sage méthode empruntée
aux sciences de la nature et qui, se fondant à la fois sur l'accord des
grands penseurs de toutes les écoles et sur l'observation
intime, s'élèverait à de prudentes inductions
métaphysiques que le bon sens autorise. Sous
l'influence de Hegel, l'éclectisme donna aussi une féconde impulsion
aux études d'histoire de la philosophie,
et ce fut par là peut-être qu'il servit le plus la pensée humaine; et
il resta, sous la haute autorité de Cousin et
de ses disciples, Jouffroy, P.
Janet, Jules Simon, la philosophie officielle
en France, jusque vers 1870,
sans que même des penseurs plus originaux ou plus indépendants, comme
Maine
de Biran, le philosophe de « l'effort
», ou à certains égards Lamennais, ou Ravaisson
et Vacherot, eussent complètement répudié
son timide spiritualisme. Mais depuis longtemps
il avait perdu toute action réelle sur les esprits.
Italie.
On pourrait retrouver
les mêmes tendances et les mêmes phases en Italie. Le sensualisme,
auquel se rattachent encore Romagnosi ou le
pessimisme,
de Leopardi, est combattu et éclipsé entre
1820
et
1848
par la réaction spiritualiste, ici profondément pénétrée d'hégélianisme,
et que représentent Galuppi, Mamiani et surtout
Rosmini
(1797-1855)
et Gioberti (1801-52).
La philosophie
à l'âge positiviste.
De 1830à
1848
commence une, période nouvelle, marquée par l'abandon et le dédain des
grandes constructions a priori et le triomphe
de l'esprit scientifique, qui n'est le plus souvent qu'un scientisme
et du positivisme.
Elle s'ouvre en Allemagne
par une réaction contre Hegel. et ses prétentions
de reconstruire la nature par les seules forces
de la logique. Herbart
(1776-1841)
revient à la position kantienne, prétend s'appuyer
sans cesse sur la science, et croit retrouver, en ruinant l'idéalisme,
des réalités indépendantes de la pensée,
à la fois multiples et absolues, inétendues
et unes, intermédiaires par là entre l'atome
des savants et la monade des leibniziens.
Beneke
et Lotze représentent des préoccupations analogues.
Enfin Schopenhauer (1788-1860)
affirme que l'essence des choses n'est rien moins
que logique ou rationnelle,
qu'elle est une tendance aveugle, un vouloir vivre, dont la penséemême,
avec ses lois, ses types et ses idées,
n'est qu'une forme secondaire et fugitive; et il en conclut la vanité
de l'être et l'éternité
de la douleur. Bien qu'écrite vers 1819,
son oeuvre principale ne se répand qu'avec la deuxième et la troisième
édition (1844
et 1859);
mais alors elle fait école, avec von Hartmann
par exemple, et c'est à elle qu'en peut encore rattacher l' «-aristocratisme
» de Nietzsche qui, sous l'influence, il est
vrai, des idées évolutionnistes, fait du sacrifice de la foule à l'élite,
de la douleur du plus grand nombre nécessaire à la production du « surhomme
», la loi même de la vie.
En France le positivisme,
bien que latent déjà dans tous les pays d'Europe et implicitement contenu
dans la philosophie du XVIIIe
siècle, vient se formuler et prendre
un nom, pour rayonner ensuite sur le monde entier. De 1839
à 1842,
dans son Cours de philosophie positive, Auguste
Comte (1789-1857)
déclare l'esprit humain inapte à la métaphysique;
ignorant sa force et ses limites, l'humain tente d'abord d'expliquer les
choses par des volontés analogues à la sienne,
puis par des entités abstraites, et ce n'est
que plus tard qu'il arrive à la phase positive, où il se contente de
connaître
les faits et leurs propriétés ou leur loi.
Toutes les sciences tour à tour arrivent ou
arriveront à ce dernier stade, et il est temps d'y amener la science sociale
elle-même, la sociologie. La doctrine
de Comte eut, après lui, pour représentants on France, Littré
et, dans une certaine mesure,
Taine et Renan.
En Angleterre, le
positivisme trouva sa seconde ou plutôt peut-être sa véritable et naturelle
patrie : Stuart Mill, (1806-1875),
Bain
et leur école y appuyèrent leurs minutieuses et précises analyses
de l'âme et de la pensée,
dont ils continuent à voir la loi essentielle dans l'association
des
idées et des sentiments
ils prétendent ainsi, par cette espèce de chimie mentale, expliquer l'origine
des idées dites innées comme des sentiments prétendus moraux. A la même
époque, la doctrine de Darwin (1809-82)
sur l'origine des espèces ,
leurs variations et leurs transformations l'une dans l'autre, par la triple
action du milieu, de l'hérédité et de la sélection, vient élargir
à l'infini le champ des explications positives
des choses humaines et sociales. Herbert Spencer,
tout en reconnaissant qu'un fond inconnaissable subsiste dans les choses,
restreint rigoureusement la connaissance
au monde des phénomènes, et croit en trouver
la loi suprême dans l'évolution, éternelle
et nécessaire, qui, en transformant sans cesse la matière
diffuse en matière intégrée, et l' homogène en hétérogène, crée
tour à tour, par une différenciation croissante, les astres et les corps
bruts, les formes vivantes et les formes sociales.
De même en Allemagne,
la tendance positiviste prend une importance de plus en plus grande à
mesure que le pessimisme de Schopenhauer
commence à paraître trop métaphysique encore. Il s'exprime, d'une part
par le matérialisme pur, qui se rattache
par Feuerbach à la gauche hégélienne et
prétend bientôt, avec Haeckel, interpréter
dans un sens exclusivement mécaniste
l'évolutionnisme de Darwin : Moleschott et
Büchner
en sont les représentants les plus connus. D'autre part, on peut y rattacher
encore les tentatives nouvelles pour étudier l'esprit et ses oeuvres selon
les méthodes et avec les instruments de la science
positive : c'est en Allemagne que prétendent se constituer en sciences
indépendantes et la psychophysique avec Weber
et Fechner, et la psychophysiologie avec Wundt;
par là la vieille conception de la psychologie
se trouve toute renouvelée; elle devient oeuvre de laboratoire, et cela,
en Amérique avec W. James, comme en France avec
Ribot,
ou en Italie. Enfin, en Allemagne encore, les études sociales, nées de
l'hégélianisme, prennent un caractère positif
et «-matérialiste
», lorsque Karl Marx, Engels
et Lasalle, transformant le socialisme français,
encore sentimental, en une doctrine à allure
et prétentions scientifiques, veulent découvrir dans le phénomène
économique la cause et l'origine
de toutes les évolutions historiques.
Même triomphe enfin
du positivisme en Italie, que représentent R. Ardigo
et son école, et même effort vers l'étude
expérimentale de la nature humaine, soit par la psycho-physiologie,
soit par la criminologie avec l'école de Lombroso,
soit par la sociologie.
La fin du XIXe
siècle.
A la fin du XIXe
siècle, l'on peut considérer le mouvement
philosophique comme européen plutôt que nomme national grâce à la diffusion
croissante des doctrines et à l'identité des circonstances, on retrouve
partout en présence les mêmes problèmes et les mêmes écoles. - C'est,
d'une part, le positivisme scientifique qui inspire le plus grand nombre
de travaux et s'essaye à appliquer les méthodes d'expérimentation,
de mesure et de statistique, tant aux phénomènes psychologiques qu'aux
phénomènes sociaux (Durkheim).
A cette époque,
l'évolutionnisme paraît en être souvent comme l'hypothèse directrice.
Mais, d'autre part, il a semblé aussi se manifester, après 1870,
une réaction nouvelle contre les excès du matérialisme ou les étroitesses
du positivisme : la métaphysique renaît de ses cendres, mais avec une
conscience plus nette aussi de son rôle et de sa puissance, fondée parfois
sur les sciences, elle ne prétend qu'à l'expliquer et à les légitimer
aux yeux de la raison.
Peut-être est-ce
en Allemagne que cette tendance est encore le moins visible; mais elle
s'est manifestée en France avant la fin du second Empire par le néo-criticisme
de Renouvier, dont l'idée centrale est celle
du primat de la raison pratique, et un peu partout en Europe par une renaissance
du dynamisme leibnizien d'un côté et de l'idéalisme de l'autre : On
peut rattacher à cette dernière orientation l'école de Ravaisson
et Lachelier en France et de Thomas
Green en Angleterre. (G.L. et D.P.).
Le
XXe siècle
Philosophie analytique.
La philosophie analytique,
initiée par George Edward Moore et principalement développée dans les
pays anglophones, met l'accent sur la clarté et la rigueur logique. Bertrand
Russell en a été une figure centrale, particulièrement avec son
travail sur la logique et la philosophie du langage. Son ouvrage Principia
Mathematica (coécrit avec Alfred North Whitehead) est une oeuvre majeure.
Ludwig
Wittgenstein, avec son Tractatus Logico-Philosophicus (1921)
et plus tard avec ses Investigations Philosophiques (publié posthumément
en 1953), a proposé que les limites de notre langage sont les limites
de notre monde. Willard Van Orman Quine a critiqué
le positivisme logique et la distinction analytique-synthétique dans Word
and Object (1960). Il est aussi connu pour sa critique du positivisme
logique et sa thèse de l'indétermination de la traduction. Saul Kripke,
avec des oeuvres comme Naming and Necessity (1980), a révolutionné
la philosophie du langage et la métaphysique en introduisant la notion
de désignation rigide. Hilary Putnam a
contribué à la philosophie de l'esprit, notamment avec sa théorie du
fonctionnalisme,
et à la philosophie des sciences.
Pragmatisme
Le pragmatisme,
né au XIXe siècle aux États-Unis, continue de s'y développer.
Ce courant se concentre sur l'expérience et l'action comme fondements
de la philosophie. John Dewey s'intéresse à l'éducation,
la démocratie et l'expérience
dans Démocratie et éducation (1916). Un peu plus tard, Putnam
abandonnera le fonctionnalisme pour rejoindre cette perspective, notamment
en matière de morale.
Phénoménologie
et existentialisme.
La phénoménologie
et l'existentialisme se développent principalement en Europe continentale
où ils dominent la scène. Ils mettent l'accent sur l'expérience vécue
et la condition humaine. Edmund Husserl,
considéré comme le fondateur de la phénoménologie,
analyse les structures de la conscience et
l'expérience vécue dans Les Méditations cartésiennes (1931).
Martin
Heidegger, un élève de Husserl, s'éloigne de son maître avec son
oeuvre majeure Être et Temps (1927), où il aborde la question
de l'être et la condition humaine. Jean-Paul Sartre, principal représentant
de l'existentialisme, questionne la liberté
individuelle et la responsabilité dans L'Être et le Néant (1943).
Dans la seconde partie du siècle, la phénoménologie se diversifie. Maurice
Merleau-Ponty, prolongeant les travaux de Husserl et Heidegger, étudie
la perception et le corps dans des oeuvres
comme Phénoménologie de la perception (1945). Hans-Georg Gadamer,
dans Vérité et méthode (1960), développe l'herméneutique
philosophique et met l'accent sur l'interprétation et la compréhension
historique.
Paul Ricoeur travaille sur sur la
phénoménologie de la mémoire, de l'identité
narrative et sur l'herméneutique.
Structuralisme
et post-structuralisme.
Ces courants étudient
les structures sous-jacentes aux phénomènes culturels et sociaux. Ils
sont particulièrement influents en France. Claude
Lévi-Strauss, fondateur de l'anthropologie structurale, applique les
idées structuralistes à l'étude des
mythes et des cultures dans Les Structures élémentaires de la parenté
(1949).
Michel
Foucault analyse les relations entre pouvoir, savoir et discours dans
Les
Mots et les Choses (1966) et Surveiller et punir (1975).
Jacques
Derrida, initiateur du concept de déconstruction,
critique les fondements de la métaphysique occidentale dans des oeuvres
comme De la grammatologie (1967).
Marxisme et École
de Francfort.
Le marxisme
et le néo-marxisme de l'École de
Francfort s'intéressent aux structures sociales et économiques. György
Lukács, dans Histoire et conscience de classe (1923) analyse le
rôle de la conscience de classe dans la transformation sociale. La
théorie critique promue par L'École de
Francfort a notamment pour représentants Theodor Adorno et Max Horkheimer.
Dans Dialectique de la Raison (1944), ils critiquent la modernité
et la rationalité instrumentale en soulignant les aspects oppressifs de
la culture de masse et du capitalisme. Herbert Marcuse, de son côté,
étudie les dimensions répressives de la société technologique dans
L'Homme
unidimensionnel (1964).
Philosophie politique
et éthique.
La seconde moitié
du XXe siècle voit une attention renouvelée
pour la philosophie politique et éthique. John Rawls,
dans Théorie de la justice (1971) propose une théorie de la justice
basée sur le voile d'ignorance et les principes de liberté et
d'égalité. Hannah Arendt étudie les origines
du totalitarisme et la nature de
l'action politique dans des oeuvres comme Les Origines du totalitarisme
(1951) et La Condition de l'homme moderne (1958). Raymond
Aron défend les valeurs libérales et démocratiques et rejette les
utopies idéologiques. Jürgen Habermas, philosophe
de l'École de Francfort, développe la théorie de l'agir communicationnel
et l'éthique du discours.
Féminisme et
philosophie du genre.
Le féminisme devient
lui aussi un mouvement philosophique majeur dans la seconde moitié du
XXe siècle. Il aborde les questions de
genre, de pouvoir et d'identité. Simone de Beauvoir,
avec Le Deuxième Sexe (1949) pose les bases de la philosophie féministe
contemporaine. Judith Butler, dans Trouble
dans le genre (1990) développe la théorie de la performativité
du genre, et influence profondément les études de genre et la théorie
queer.
Philosophie de
l'esprit et sciences cognitives
Les avancées en
neurosciences et en intelligence artificielle influencent la philosophie
de l'esprit. Gilbert Ryle critique le dualisme cartésien dans The Concept
of Mind
(1949). Daniel Dennett réfléchit sur la conscience et l'intelligence
artificielle, notamment dans Consciousness Explained (1991). John
Searle produit une critique de l'intelligence artificielle forte et propose
son argument de la chambre chinoise.
Philosophie en
Afrique.
Le mouvement de
la Négritude, avec des figures comme Léopold
Sédar Senghor et Aimé Césaire, a cherché
à valoriser les cultures africaines et à critiquer le colonialisme. Ce
mouvement a eu une influence durable sur la philosophie africaine. Des
penseurs comme Frantz Fanon ont analysé les effets psychologiques et culturels
de la colonisation, appelant à une libération
totale des peuples colonisés.
Des leaders comme
Julius Nyerere ont développé des philosophies politiques basées sur
les valeurs communautaires traditionnelles. Nyerere a promu l'Ujamaa
( = socialisme africain), qui mettait l'accent sur la coopération et la
solidarité. Des penseurs comme Kwame Nkrumah et Ngũgĩ wa Thiong'o ont
étudié les dynamiques postcoloniales,
en s'interrogeant sur l'identité africaine et les chemins vers le développement
autonome.
Un courant ethnophilosophique
est aussi apparu, représenté par des penseurs comme Placide Tempels,
qui a tenté de systématiser et de formaliser les pensées traditionnelles
africaines. Tempels, en particulier, a été controversé pour son approche
de la "philosophie bantoue". Dans une perspective
proche, une autre courant, initié par Henry Odera Oruka, a visé
à identifier et documenter les pensées des sages africains traditionnels,
en les reconnaissant comme des philosophes à part entière.
Philosophie en
Asie.
En Inde, la philosophie
a été profondément influencée par le mouvement de l'indépendance et
par la renaissance culturelle. Des figures comme Sri Aurobindo, Rabindranath
Tagore, et Mahatma Gandhi ont combiné des idées traditionnelles avec
des concepts modernes. Après l'indépendance en 1947, des philosophes
comme B. R. Ambedkar ont travaillé sur des questions de justice sociale
et de réforme des castes. Plus récemment, des penseurs comme Gayatri
Chakravorty Spivak ont contribué à la théorie postcoloniale, en réexaminant
les structures de pouvoir et d'oppression.
En Chine, s'est développée
une philosophie dominée par l'idéologie communiste, avec Mao Zedong jouant
un rôle central dans l'élaboration d'une philosophie politique basée
sur le marxisme-léninisme. Après la Révolution culturelle, la Chine
a vu une ouverture aux idées occidentales. Des philosophes comme Li Zehou
ont essayé de synthétiser la tradition confucéenne avec des concepts
marxistes et des idées des Lumières.
Au Japon,
l'École de Kyoto, avec des figures comme
Nishida Kitarō et Keiji Nishitani, a cherché à intégrer la philosophie
occidentale avec des traditions bouddhistes et shintoïstes. Ce courant
a eu une influence considérable sur la pensée japonaise contemporaine.
Après la Seconde Guerre mondiale,
des philosophes comme Watsuji Tetsurō ont réfléchi aux questions de
l'identité japonaise, de la culture et de l'éthique dans un monde globalisé.
Le
XXIe siècle
Depuis 2000, les
défis mondiaux tels que le changement
climatique, la montée des populismes,
les crises économiques, les avancées en biotechnologie et intelligence
artificielle, ainsi que les mouvements pour les droits sociaux et l'égalité
influencent profondément la réflexion philosophique. La mondialisation
et la digitalisation facilitent également une plus grande diffusion et
hybridation des idées philosophiques.
Philosophie analytique.
La philosophie analytique
continue son chemin avec des contributions importantes en métaphysique,
philosophie du langage, et épistémologie. Timothy Williamson développe
ses idées en épistémologie et en logique philosophique, notamment
dans Knowledge and Its Limits (2000). David Chalmers questionne
la nature de la conscience et des expériences subjectives, et poursuit
le débat sur le problème difficile
de la conscience dans The Conscious Mind (1996).
Philosophie continentale.
En Europe continentale,
la phénoménologie, le post-structuralisme et la déconstruction continuent
de se développer. Giorgio Agamben inscrit sa pensée dans le sillage
de celles de Walter Benjamin et, de Heidegger.
Alain
Badiou travaille sur l'ontologie, notamment L'Être et l'Événement
(1988)
et s'intéresse aux mathématiques comme fondement de la philosophie. Slavoj
Žižek combine la théorie critique avec la psychanalyse
lacanienne pour aborder des questions politiques et sociales contemporaines.
Des penseurs comme Jürgen Habermas, Nancy Fraser et Jacques Rancière
continuent à influencer les débats sur la démocratie, la justice sociale,
et la reconnaissance des identités. La théorie critique est aussi
renouvelée par des figures telles que Axel Honneth et Rahel Jaeggi. Quentin
Meillassoux vise à dépasser les limites du postmodernisme
et de la pensée critique traditionnelle, en réaffirmant la possibilité
de connaître une réalité indépendante de la perception humaine. Le
nouveau matérialisme se concentre sur la matière et les corps, en intégrant
les avancées des sciences naturelles et sociales. Karen Barad et Rosi
Braidotti abordent des questions liées à la biopolitique, à l'écologie
et au posthumanisme.
Philosophie politique
et éthique.
La philosophie politique
et éthique évolue pour répondre aux nouveaux défis mondiaux. Martha
Nussbaum développe une approche des capacités en philosophie politique
et éthique. Elle aborde les questions de la justice sociale et des droits
humains dans
Creating Capabilities
(2011). Amartya Sen, qui travaille sur la justice sociale et le développement
économique, propose une perspective basée sur les capacités humaines
dans The Idea of Justice (2009). En Chine, Tu Weiming travaille
à revitaliser le confucianisme, en mettant
l'accent sur les valeurs morales et l'éthique dans le contexte moderne.
Les philosophes continent
d'adresser les question posées par le post-colonialisme. Ils s'interrogent
aussi sur les effets de la mondialisation. Des penseuses comme Oyeronke
Oyewumi et Amina Mama travaillent sur les questions de genre et d'égalité,
critiquant les structures patriarcales héritées du colonialisme et de
la tradition. Des philosophes contemporains questionnent aussi les défis
posés par la mondialisation, les migrations et les transformations économiques.
Achille Mbembe, par exemple, analyse les questions de la postcolonie et
des nouvelles formes de pouvoir et de résistance.
Philosophie environnementale.
L'urgence climatique
et les questions écologiques ont engendré une réflexion philosophique
renouvelée, avec des philosophes comme Bruno
Latour et Timothy Morton qui abordent les implications philosophiques
de l'anthropocène. Timothy Morton, connu pour son concept d'hyperobjets,
analyse les implications philosophiques du changement climatique dans des
oeuvres comme Hyperobjects: Philosophy and Ecology after the End of
the World (2013). Donna Haraway développe des idées sur le
post-humanisme
et l'écoféminisme dans Staying with the Trouble: Making Kin in the
Chthulucene (2016).
Philosophie de
la technologie.
Les avancées technologiques
et intelligence artificielle
(IA) posent des questions philosophiques cruciales. Nick Bostrom, dans
Superintelligence:
Paths, Dangers, Strategies (2014) parcourt les implications éthiques
et existentielles de l'IA avancée. Luciano Floridi travaille sur la philosophie
de l'information et l'éthique numérique; il aborde des questions comme
la vie privée et la transparence dans The Fourth Revolution: How the
Infosphere is Reshaping Human Reality (2014). La philosophie se penche
aussi sur les questions posées par les avancées de la biologie, comme
la manipulation génétique, le clonage et les droits
des animaux. Des philosophes comme Peter Singer et Julian Savulescu
ont pris une part importante dans la réflexion bioéthique.
Études de genre
et théories critiques.
Les questions de
genre, de minorités et de pouvoir continuent d'être centrales. Judith
Butler continue à approfondir ses travaux en théorie
queer et sur la performativité du genre, elle aborde également les
questions de précarité et de résistance dans des oeuvres comme Notes
Toward a Performative Theory of Assembly (2015). Patricia Hill Collins
s'intéresse les intersections
de couleur de peau, genre et classe dans des contextes sociopolitiques,
notamment dans Black Feminist Thought (1990, révisé en 2000).
Philosophie de
l'esprit et neurosciences.
Le dialogue entre
la philosophie et les sciences cognitives
s'est intensifié, notamment autour des questions de la conscience, de
l'esprit et du cerveau. Des philosophes comme Daniel Dennett, Thomas Metzinger
et Patricia Churchland ont contribué à cette interface. Thomas Metzinger
travaille sur la conscience et l'ego, il propose une vision naturaliste
de l'esprit dans The Ego Tunnel: The Science of the Mind and the Myth
of the Self (2009). Andy Clark développe la théorie de l'esprit étendu
(extended mind),qui questionne la manière dont la cognition humaine
dépasse les frontières du cerveau dans Supersizing the Mind (2008). |
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