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On prête souvent
au mot matérialisme dans l'usage courant, une signification assez
vague par laquelle on désigne toute inclination à considérer comme importants
les besoins ou les plaisirs du corps et à se complaire dans leur satisfaction,
en un mot toute domination de la chair sur l'esprit. C'est en ce sens que
Molière parle d'une «-âme
enfoncée dans la matière ». C'est en un sens plus ou moins dérivé
de celui-ci qu'on accuse parfois d'un grossier matérialisme les doctrines
qui reconnaissent à la nature une légitime puissance et une réalité
égale à celle de l'esprit, ou bien qui accordent
quelque considération à l'utilité matérielle ou morale, ou au rôle
des données des
sens dans la connaissance.
Il en résulte souvent une véritable confusion du matérialisme proprement
dit avec des systèmes tels que le naturalisme, l'utilitarisme,
le sensualisme, le mécanisme
ou le panthéisme. Le meilleur moyen de la
dissiper est d'indiquer rapidement les principaux traits qui caractérisent
essentiellement le matérialisme en tant que système philosophique.
A ce point de vue, le matérialisme se
présente comme la conception métaphysique
qui tend à ramener la véritable réalité de
toutes choses à cette substance étendue Ã
trois dimensions, que nous percevons comme constituant notre corps et les
corps extérieurs, et que nous appelons matière.
Le point de départ de cette doctrine semble donc, être le raisonnement
fondamental que les stoïciens plaçaient Ã
la base de leur physique : tout ce qui est
agit; or ce qui agit est corps (toute action s'exerçant par contact)
donc tout ce qui existe est corps. Cette réduction
de l'être à un seul principe matériel s'oppose
donc, comme l'idéalisme, bien qu'en un sens
inverse, Ã la conception dualiste qui explique
l'univers par l'opposition de deux principes inégaux sans doute en dignité,
mais également réels, la matière et l'esprit. Le matérialisme, à le
prendre en ce sens, a donc son origine dans une des tendances les plus
naturelles de la raison humaine, le besoin de
réduire à leur minimum, c.-à -d. à l'unité,
les principes d'explication.
Cette conception, dont on peut voir les
premiers germes dans l'hylozoïsme des anciens
Ioniens, se retrouve à des degrés divers
et avec des sens notablement, différents dans un assez grand nombre de
systèmes. Le premier qui lui ait donné une expression vraiment scientifique
est Démocrite d'Abdère, le fondateur de l'atomisme.
Les épicuriens adoptèrent la plus grande
partie de ses idées, tandis que les stoïciens revenaient à un matérialisme
plus voisin de l'hylozoïsme ionien. Un système analogue fut développé
en Inde par le Vaiçéshika
de Kânâdâ.
Oublié pendant le Moyen
âge ,
à part de très rares exceptions, le matérialisme n'est pas complètement
absent du panthéisme de Giordano
Bruno; il s'accuse davantage à l'avènement de la science moderne
dans l'atomisme de Gassendi, le mécanisme de
Hobbes, la physique mathématique de Newton.
Mais, dans la plupart de ces systèmes, si l'esprit
est conçu en relation très étroite avec la matière,
on ne peut pas dire qu'il lui soit subordonné.
Ce sont les philosophes français du XVIIe
siècle, La Mettrie, Helvétius,
d'Holbach, qui les premiers ont affirmé cette
dépendance en faisant de la conscience et
de la pensée un résultat de l'exercice mécanique
des organes et en particulier du cerveau. Fortifiée
par les progrès de la physiologie avec Cabanis,
Gall, Broussais, la
théorie de la production du moral par le physique devint l'article essentiel
du matérialisme moderne. Au XIXe siècle,
l'Allemagne vit se dresser, en opposition
aux excès de la métaphysique ou, comme
l'on disait, de la « jonglerie » hégélienne,
une célèbre et puissante école matérialiste K. Vogt, Moleschott, Büchner,
etc., reprenant les vues des philosophes français, les présentèrent
avec une rigueur plus systématique, prétendant les confirmer par les
découvertes et les conclusions les plus récentes des sciences de la nature.
Sous la forme que lui ont donnée ses représentants
modernes, la doctrine matérialiste peut se ramener aux thèses principales
suivantes. Elle pose d'abord l'union intime à tous les degrés de la matière
et de la force. « Point de force sans matière,
point de matière sans force », répètent à l'envi Moleschott
et Büchner. La matière n'est donc plus pour
eux cette étendue inerte et dépourvue de qualités qu'admettait le mécanisme
cartésien, et c'est là un point qu'il
est important de noter. Cette matière-force est éternelle, car il est
impossible que quelque chose dérive du néant,
et la chimie d'ailleurs a démontré que rien ne se crée. Le mouvement
lui aussi est éternel et ses lois sont immuables en tant que dérivant
d'une force éternelle et exprimant la nature d'une matière toujours identique
à elle-même. Selon ces lois, les éléments derniers
de la matière se combinent en des groupements de plus en plus complexes,
et des variations de la nature de la force accompagnent les différents
modes de groupement des éléments matériels. Les forces se transforment
donc les unes dans les autres; l'électricité devient lumière, celle-ci
chaleur et ainsi de suite selon la différence des mouvements matériels.
La vie et la pensée enfin, qui appartiennent
aux composés matériels les plus compexes, c.-à -d, aux animaux
supérieurs, ne sont comme les propriétés précédemment énumérées
qu'un cas de la transformation universelle des forces, un produit du mouvement.
Toute liberté et toute finalité se trouvent
naturellement exclues d'un univers matériel dont la pensée est l'effet
et non la cause. Il serait donc absurde de poser
en face de l'Absolu-matière un autre Absolu conçu comme esprit pur. Ajoutons
que, sous cette forme, le matérialisme se don ne comme la seule méthode
légitime et la conclusion nécessaire des sciences
expérimentales.
Les plus remarquables exposés du matérialisme
sont le De Natura rerum de Lucrèce, le
Système de la Nature de d'Holbach, et
Kraft und Stoff (Force et Matière) de Büchner
(Leipzig, 1894, 18e éd.). (GE).
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