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David Hume
est un écrivain qui a brillé dans bien des genres, essayiste, historien,
économiste de renom, mais qui dut surtout à ses écrits philosophiques
de compter comme un des esprits les plus ingénieux et les plus aiguisés
des temps modernes. Né à Édimbourg le
26 avril 1711, de parents sans fortune, il put cependant parcourir avec
fruit, dans l'université de cette ville, le cycle des études classiques
et, plus tard, ses écrits, même quand ils traiteront des plus subtiles
matières, retiendront l'aisance, la limpidité des purs modèles auxquels
il s'était de bonne heure complu. Il est vrai qu'à d'autres égards cette
éducation ne laissa pas d'être courte et un peu desséchée. Les grandes
émotions de l'art lui étaient étrangères. Peinture,
sculpture,
architecture
le laisseront indifférent. La musique n'est
que « du bruit et rien de plus ». Nulle aspiration vers un idéal ne
l'emportait par delà l'étroit horizon d'une pensée
claire, précise et distincte, occupée à s'explorer sans trêve elle-même.
Il n'avait que seize ans, une lettre qu'il adressait à son ami Michael
Ramsay et où il se livre à une sorte d'examen de conscience
révèle déjà le sage qu'il sera plus tard :
« Ma paix
spirituelle n'est pas suffisamment assurée par la philosophie
pour soutenir les coups de la fortune. Cette grandeur et cette élévation
de l'âme ne se peut trouver que dans l'étude et la contemplation. »
Une autre lettre écrite quelques années
plus tard à un médecin dont il réclamait les conseils est plus instructive
encore. On ne peut imaginer une épreuve d'auto-anatomie (que l'on
nous passe ce barbarisme), conduite avec plus de méthode,
plus de sang-froid et mettant mieux à nu les dispositions et les contradictions
d'une âme en quête de ses voies. L'auteur avoue
concevoir de grandes ambitions littéraires, mais il se défie de ses talents.
Il voudrait, déclare-t-il,
« plutôt
vivre et mourir dans l'obscurité que de faire paraître [ses] pensées
dans un état de mutilation et d'inachèvement ».
Même découragement, quand il songe à ses
beaux projets de perfectionnement moral, De guerre lasse, et tout en se
rendant compte qu'il ne saurait renoncer à toujours mieux s'instruire
sans renoncer du même coup à l'existence, il a résolu d'interrompre
momentanément cette vie de méditation et de s'essayer dans une carrière
active et extérieure. Ce fut aux affaires commerciales que s'arrêta son
choix. L'expérience qu'il fit à Bristol
de cette profession fut de courte durée; elle lui suffit pour le désabuser.
Quelques mois après, il partait pour la France ,
dans l'intention de s'y chercher une studieuse retraite. La Flèche fut
son séjour de prédilection : il y passa deux années. Rapprochement curieux
: dans cette ville où le fondateur de la philosophie
moderne, Descartes, avait été élevé, fut
composé le livre qui allait imprimer, et pour longtemps, à la pensée
spéculative, plus encore que n'avait fait l'Essai
de Locke, une direction toute contraire : je veux
dire le Traité sur la nature humaine. Cet ouvrage, paru en 1739-1740,
passe justement pour le chef-d'oeuvre de Hume, et c'est celui où son enquête
critique, menée avec une ardeur entraînante, paraît aboutir au scepticisme
le plus désespérant. Il est incroyable que la publication n'en ait eu
aucun retentissement. L'accueil fait au livre fut des plus froids, et Hume
en garda à ce premier essai de sa plume une sorte de rancune, à ce point
que plus tard il eût tout fait pour en amener la disparition et pour que
l'on ignorât qu'il en fut l'auteur. Ce fut là sa grande faiblesse et
la marque d'une excessive adoration du succès. Il sera bien plus heureux
avec les Essais moraux et politiques, dont les deux premiers volumes
furent publiés en 1741 et 1742.
Nous ne ferons que mentionner la position
qu'il occupa, peu de temps, auprès du bizarre marquis d'Annandale. En
1746, il accompagne Saint-Clair, comme secrétaire, dans son incursion
sur la côte française. En 1748 paraissent ses Essais sur l'Entendement
humain, qui ne sont que la reprise comme pâlie de son traité de jeunesse
et auxquels s'attacha très promptement la faveur du grand public. En 1751,
il achève l'Enquête sur les Principes de la morale, son livre
de prédilection. Bientôt il aborde un nouveau genre, qui devait lui valoir
une grande célébrité, en même temps qu'il lui apporterait la fortune.
Il entreprend une Histoire d'Angleterre ;
le premier volume fut donné au public en 1754; le second en 1756. Cette
publication compte comme l'un des plus grands succès de librairie du XVIIIe
siècle. Dans l'intervalle, il avait publié ses Quatre Dissertations.
Tandis qu'il travaillait à l'achèvement et à la révision de son oeuvre
historique, dont la réputation allait toujours grandissant, un grand changement
se préparait dans sa vie.
En 1763, après la conclusion du traité
de Paris, l'ambassadeur d'Angleterre ,
marquis de Hertford, lui faisait accepter le poste de secrétaire à son
ambassade et l'emmenait en France .
Arrivé à Paris, il put jouir de toutes les douceurs de la gloire; il
y fut fêté, recherché, choyé; l'empressement auprès de lui alla jusqu'Ã
l'adulation. C'est ainsi qu'Ã Versailles,
les trois enfants du dauphin, les futurs Louis XVI,
Louis
XVIII et Charles X, vinrent lui débiter
un petit compliment tout bourré d'éloges hyperboliques à son adresse.
On peut lire également, dans les Mémoires
de Mme d'Epinay, le récit bien amusant d'une petite fête mondaine en
son honneur, mais où sa gaucherie d'étranger et de « gros homme » causa
quelque déception. Il se fit, comme l'on devine, de nombreuses amitiés
dans le monde littéraire et philosophique. Parmi ces relations, il en
est dont il eut peu à se louer par la suite : celles qu'il contracta avec
le pauvre J. J. Rousseau, déjà tout à sa
manie de persécution, allant lui causer quelques déboires. Hume l'emmène
en Angleterre, où il s'ingéniera à lui rendre le séjour facile et plaisant
: des reproches acerbes, l'accusation de traîtrise et d'imposture seront
sa récompense. En 1766, Hume revient en Écosse ,
où il remplit pendant un an la charge de sous-secrétaire d'État. Il
meurt à Édimbourg le 25 août 1776.
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David
Hume, par Allan Ramsay.
Pour bien comprendre ce que fut la position
philosophique originale de David Hume, il est indispensable de le rapprocher
et de Locke, son devancier en empirisme,
et de Berkeley, idéaliste
comme lui. Au premier, il emprunte sa méthode,
exclusivement d'analyse introspective, grâce
à laquelle, écartant toute ingérence des facultés métaphysiques,
l'observation par la conscience
relève, aligne, classe, subordonne mutuellement les données mentales,
exactement comme fait l'expérience sensible
pour les phénomènes du monde physique : de
la sorte, la première tâche du philosophe est de dresser en quelque sorte
l'inventaire de ses états internes, idées, sentiments,
volitions,
sauf à les organiser ensuite, si faire se peut, selon les règles du procédé
inductif.
Au second (pour lequel nous voyons, par une note des Essais, combien
était vive son admiration), il dut cette aversion, ce dédain systématique
pour les idées abstraites qui avait fourni
à l'auteur des Principes de la connaissance humaine son argument
le plus péremptoire en faveur de l'immatérialisme.
Ce point, qui trop souvent a passé inaperçu,
demande à être mis en pleine lumière. Oui, Locke
avait reconnu à l'esprit humain la faculté de
forger des idées abstraites, ainsi, celle
du triangle en général, triangle qui ne serait ni isocèle, ni scalène,
ni équilatéral, précisément parce qu'il est à la fois tout cela. Or,
c'est contre cette prétention que Berkeley
s'inscrivit. D'idée semblable, je ne puis en imaginer
d'aucune manière, déclare-t-il, et tout lecteur sincère devra s'en avouer
tout aussi incapable que moi. Or, comme l'idée abstraite par excellence
lui paraissait être l'idée de matière, il
la rejeta ainsi qu'une entité sans valeur, sans consistance, simple nom
qui synthétise des états de conscience déterminés.
Il ne laisse subsister dans le monde qu'esprits et idées, l'esprit par
excellence, créateur, moteur et Providence,
étant Dieu lui-même.
David Hume accepte, sans y rien changer,
la théorie berkeleyenne de l'abstraction;
il bannit, à son exemple, de la sphère de la réalité
toute notion d'un abstrait et d'une généralité, quelle qu'elle soit;
mais il prétend pousser plus avant encore que n'avait fait l'évêque
de Cloyne et suivre jusqu'au bout les conséquences
qui, selon lui, découlaient de cette négation
des abstraits. La matière s'est dissipée, fort
bien; mais il n'y a nulle raison, soutient l'auteur du traité de la
Nature humaine, pour que l'esprit résiste
mieux à l'analyse du nominaliste,
car ce mot d'esprit, par lequel la philosophie
régnante prétend nommer une substance simple,
désigne un abstrait sans réalité. Même sort doit être réservé Ã
cet abstrait supérieur, l'Esprit par excellence,
c.-Ã -d. Dieu. Avec la croyance
en la matière, la foi spiritualiste, la
foi en Dieu doivent s'écrouler.
Ces conclusions
destructrices du dogmatisme séculaire qui,
par une piquante ironie, se donnaient comme une simple extension des idées
tenues par un philosophe religieux, s'appuyaient sur une théorie
de la connaissance qui les rendrait singulièrement
redoutables. Cette théorie célèbre qui, au témoignage renouvelé de
Kant,
devait réveiller de son sommeil dogmatique le futur auteur des trois Critiques,
peut se résumer dans les articles suivants : tout ce qu'enferme soit notre
conscience,
soit notre réflexion, ne consiste qu'en impressions
et en idées, ces dernières n'étant elles-mêmes que des impressions
affaiblies et comme éteintes. A ces éléments derniers, il faut qu'en
dernier ressort se réduisent nos pensées les
plus complexes, comme nos conceptions les
plus hautes, sous peine de constituer de purs
abstraits, c.-à -d. de n'être rien du tout. Or, nos idées, qui sont toute
la traîne de notre vie intellectuelle, sont à l'égard les unes des autres
dans une condition d'absolue discontinuité. Nul lien ni interne ni externe
ne les peut mutuellement unir, car que serait un tel lien et comment l'analyse
en rendrait-elle compte? A fortiori, la prétendue nécessité,
inventée par les métaphysiciens pour investir
certaines idées d'un caractère privilégié, est-elle imaginaire et toute
due à une illusion de la pensée.
-
Extraits des
oeuvres philosophiques de Hume
L'idée de cause
réduite à celle de succession
et l'induction
ramenée à l'habitude
« Nous ne sommes
jamais capables, sur un seul exemple, de dé couvrir quelque puissance
ou connexion nécessaire, quelque qualité qui lie l'effet à la cause
et qui fasse de l'un une infaillible conséquence de l'autre. Nous trouvons
seulement qu'en fait l'un suit actuellement l'autre. L'impulsion d'une
bille de billard est accompagnée par le mouvement de la seconde bille.
Voilà tout ce qui apparaît aux sens externes.
Un nombre quelconque
d'exemples, supposés exactement similaires, ne renferme rien qui diffère
de chaque exemple pris à part; seulement, après une certaine répétition
d'exemples similaires, l'esprit est entraîné par l'habitude à attendre,
sur l'apparition d'un événement, ce qui l'accompagne ordinairement, ou
à croire que cela se produira. Cet enchaînement, par conséquent, senti
dans notre esprit, ce passage accoutumé de l'imagination d'un objet Ã
ce qui l'accompagne d'ordinaire, est le sentiment ou l'impression par laquelle
nous formons l'idée de puissance ou de connexion nécessaire.
Une cause est un
objet qui en précède un autre, qui lui est contigu dans le temps, et
lui est uni de telle sorte que l'idée de l'un détermine l'esprit à se
former l'idée de l'autre.
La nécessité n'est
autre chose qu'une impression intime de l'esprit, ou une détermination
à conduire nos pensées d'un objet à un autre. » ( Hume,
Essais,
II, 77, 89. Nature humaine, 299).
Harmonie des idées
et des choses
« Il existe une
sorte d'harmonie préétablie entre le cours de la nature et la succession
de nos idées; et quoique les puissances et les forces par lesquelles la
première est gouvernée nous soient pleinement inconnues, nos pensées
et nos conceptions ne laissent pas, en définitive, d'avoir toujours suivi
la même marche que les autres ouvrages de la nature. L'habitude est le
principe par lequel cette correspondance a été effectuée [...]. Comme
la nature nous a enseigné l'usage de nos membres, sans nous donner la
connaissance des muscles et des nerfs par lesquels ces mouvements sont
accomplis, de même elle a implanté en nous un instinct qui entraîne
la pensée en avant, suivant un cours correspondant à celui qu'elle a
établi parmi les objets extérieurs [..:]. Que nous attachions de toutes
nos forces notre attention sur nous-mêmes, que nous portions notre imagination
jusqu'aux cieux ou jusqu'aux derniers confins de l'univers, nous ne faisons
point un seul pas hors de nous-mêmes, et nous ne concevons d'autre, existence
que les perceptions qui nous sont apparues dans ces étroites limites.
C'est là l'univers de l'imagination, et nous n'avons point d'autre idée
que ce qui s'y produit. » (Hume, Essais, II, 89,
69).
Sur l'existence
du monde extérieur
« Un instinct naturel
semble porter les hommes à croire leurs sens indépendamment de la raison
et même avant l'usage de la raison. Nous supposons un univers extérieur
et indépendant de nos perceptions. Les animaux font la même supposition.
Cependant la philosophie nous enseigne que ce qui est présent à l'âme,
ce n'est pas l'objet lui-même, mais sa représentation, son image. A mesure
que nous nous éloignons d'un objet, nous le voyons diminuer de grandeur,
et cependant l'objet réel ne souffre aucun changement; ce qui se présentait
à notre esprit n'était donc qu'une image. Le raisonnement nous force
d'abandonner ou de contredire les premiers instincts de la nature. Comment
prouvera-t-on jamais que les représentations soient produites par des
objets extérieurs qui diffèrent essentiellement de ces représentations?
Celles-ci ne pourraient-elles pas résulter d'une force propre à l'âme
ou de l'action de quelque esprit invisible ou inconnu? [...]. On accorde
déjà qu'un grand nombre de ces représentations ne viennent pas du dehors,
comme dans les songes, la folie, etc. [...] comment d'ailleurs les corps
pourraient-ils envoyer ces représentations? Nous ne pouvons savoir si
ces représentations sont produites par les objets extérieurs, car nous
ne voyons que ces représentations et point les objets eux-mêmes. On a
recours à la véracité de Dieu pour prouver sa véracité de nos sens;
mais si nous doutons du monde externe, où trouverons-nous des arguments
pour prouver l'existence de Dieu? On reconnaît généralement aujourd'hui
que ce qu'on appelle les qualités secondes, la couleur, la résistance,
le son, l'odeur et la saveur, n'existent pas dans la matière et ne sont
que des impressions de l'âme, sans modèle extérieur; mais comme nous
ne connaissons les qualités
premières, l'étendue,
la forme, la solidité, que par les secondes, qui peut nous assurer de
l'existence des qualités premières? » (Hume, Oeuvres
philosophiques).
Contre l'identité
de l'âme
« L'esprit est une
espèce de théâtre où chaque perception fait son apparition, passe et
repasse, dans un continuel changement [...]. Et que cette métaphore de
théâtre ne nous abuse pas; c'est la succession de nos perceptions qui
constitue notre esprit, et nous n'avons aucune idée, même éloignée
et confuse, du théâtre où ces scènes sont représentées.
Le fondement de notre
croyance à l'identité personnelle est dans cette liaison et ce passage
facile de nos idées produit par les principes d'association, de causalité,
de contiguïté, de ressemblance.
Nous observons la
succession de nos pensées, la mémoire nous les rappelle et les lie. Plusieurs
pensées étant rappelées et liées entre elles, leur liaison intime porte
l'esprit à les considérer comme un tout. La mémoire ne découvre pas
seulement le moi identique, elle produit son identité en produisant le
rapport de ressemblance entre nos perceptions.
L'esprit humain doit
être considéré comme un système de différentes perceptions, liées
entre elles par la relation de cause et d'effet, et qui se produisent mutuellement,
se détruisent ou se modifient l'une l'autre. Ces perceptions donnent naissance
à des idées qui leur correspondent, et ces idées produisent à leur
tour des perceptions. Une pensée en engendre une autre, laquelle fait
place à une troisième, qu'une nouvelle chasse à son tour. Sous ce rapport
je ne puis mieux comparer l'âme qu'à une république, à un gouvernement
dont les membres sont amovibles Et se renouvellent sans cesse, dont les
lois mêmes peuvent changer sans que l'unité et l'indivisibilité de la
république soient détruites. Ainsi l'esprit change ses habitudes, ses
dispositions, ses idées et ses perceptions, sans perdre son identité.
Comme la mémoire
produit la continuité de la succession de nos perceptions, elle paraît
la source de notre identité personnelle : point de mémoire, point de
notion de cause, point de notion de cette succession de causes qui constitue
notre moi, et réciproquement. » (Hume, De la nature
humaine, VI, 6).
L'âme n'est qu'une
série de phénomènes
« ll y a des philosophes
qui s'imaginent qu'à chaque instant nous avons la conscience entière
de ce que nous appelons notre moi, our self; qu'ils sentent son existence
et la continuité de cette existence . [...] Malheureusement toutes ces
assertions sont gratuites, car il n'y a aucune idée de ce moi prétendu.
En effet, quelle impression pourrait nous avoir donné cette idée? A cette
question, il n'y a pas de réponse possible.
Si nous devons avoir
du moi une idée claire et intelligible,
c'est qu'il y en a quelque impression qui doit donner naissance à toute
idée réelle, to every real idea, c'est-à -dire à toute idée qui a un
objet réel. Mais le moi ou la personne n'est pas une im pression (ni,
par conséquent, une idée), mais ce qui est supposé soutenir nos impressions
et nos idées. Si quelque impression donne naissance à cette idée du
moi, cette impression doit persister la même dans tout le cours de notre
vie. Mais il n'y a nulle impression constante et invariable. Nul plaisir
ou nulle douleur, nulle passion, nulle sensation ne dure. Ce n'est donc
d'aucune de ces impressions, ni d'aucune autre, que l'idée du moi peut
venir; donc une telle idée n'est pas.
Pour mon compte,
quand j'entre dans un examen attentif de ce que j'appelle moi, je tombe
toujours sur quelque perception [perception ici est synonyme de sensation,
d'impression et d'idée ; il y a bien quelques légères nuances, qu'il
est inutile de faire remarquer]; je rencontre toujours quelque perception
de chaud, de froid, de bien, de mal, de peine, de plaisir; je ne me trouve
jamais vide de perceptions, et je ne puis rien observer que des perceptions.
Quand mes perceptions m'abandonnent, comme il arrive quelquefois dans un
profond sommeil , je ne me sens plus, et on peut dire avec vérité que
je n'existe point. [...] Si quelqu'un réfléchissant sur lui-même sérieusement
et sans préjugés, trouve qu'il a de lui-même une notion différente,
je dois confesser qu'il m'est impossible de raisonner avec lui. Il peut
avoir raison; il peut trouver en lui quelque chose de simple et d'identique
qu'il appelle lui-même, mais je suis certain qu'il n'y a rien de tel en
moi. » (Ibid.). |
Les seuls rapports
réels entre nos idées sont des rapports de concomitance
et de succession; la seule union dont elles soient susceptibles résulte
d'associations plus ou moins étroites, selon la fréquence des simultanéités
et des répétitions. Une association constante, que l'observation
n'a jamais démentie, la nécessité dite a priori
n'a pas d'autre provenance. Enfin, concevons qu'entre d'innombrables conséquents
et des antécédents déterminés le rapport
de succession ne se soit jamais démenti; que de la constatation sans cesse
renouvelée de ce rapport soit née en nous une tendance, dès qu'un nouveau
fait se produira, Ã lui supposer un rapport semblable avec quelque fait
passé; qu'enfin cette tendance ait toujours été confirmée par l'événement
: cette tendance qui n'est en nous qu'une habitude,
par conséquent, une disposition subjective,
de valeur toute contingente, acquerra la force
et comme la majesté d'un principe nécessaire.
Ce principe est précisément celui de causalité.
« Une cause,
déclare-t-il en propres termes, est un objet antécédent
et contigu à un autre et ainsi uni avec lui que l'idée
de l'un détermine l'esprit à former l'idée
de l'autre et l'impression de l'un à former une plus vive idée de l'autre.
»
Cette dissolvante théorie
entraînait, non seulement l'idéalité du monde extérieur, mais la subjectivité
et la relativité
de toute science de la nature.
Le principe causal, qui est comme le nerf de
cette science, ne possédait plus dès lors qu'un caractère contingent
et une
essence composite. Le système
des vérités dites établies ne demeure vrai
que sous bénéfice d'inventaire et moyennant que nos associations coutumières
tiennent bon. Enfin, le plus grave est que cette méthode
d'émiettement n'épargne pas plus ce petit monde qui est nous-même que
le monde extérieur en relation avec nous. Le moi,
pas plus que le non-moi, n'a de continuité véritable ; la substantiabilité
n'est pas moins proscrite de l'un que de l'autre. Et si l'on me demande
ce qu'est ce je qui s'oppose à la multiplicité des choses, il
faut répondre : un assemblage (a heap, a bundle), un faisceau
de sensations. Telle est la négation dernière
qui couronne cette dialectique pyrrhonienne
( Scepticisme,
Pyrrhon)
dont les résultats jetèrent l'auteur dans une sorte de découragement
spéculatif, qu'il a exprimé avec éloquence dans les dernières pages
du premier livre de son Traité de la Nature humaine :
«
Quand nous ramenons l'entendement humain
à ses premiers principes, nous trouvons qu'il
nous conduit à des sentiments qui semblent
tourner en ridicule toutes nos peines, toute notre industrie passée et
nous découragent de futures recherches. »
Pourtant, chose remarquable, ce ne sont ni
les travaux historiques de David Hume, ni ses études morales,
ingénieuses, certes, mais bien dépassées par l'utilitarisme
de ses successeurs, qui ont fait durable sa renommée; ç'a été sa philosophie
de la connaissance, en dépit de son scepticisme
et des inquiétudes qu'elle provoque chez le savant. C'est qu'elle mit
à nu les « points malades » des doctrines traditionnelles
que transmettait, sans les raffermir, l'indolence des écoles. Elle porta
à sa perfection la méthode de l'analyse
intérieure et pénétra à des profondeurs que Locke
n'avait pas soupçonnées. Elle devint le stimulant par excellence du génie
métaphysique; elle interdit la douce torpeur de la croyance paresseuse
et mit la pensée spéculative en demeure d'accomplir
des prodiges sous peine de déchéance. (Georges Lyon).
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Marianne
Groulez, Le
scepticisme de Hume (dialogues sur la religion naturelle),
PUF, 2005.
Éditions
anciennes - Son Histoire d'Angleterre
à été condamnée à Rome, ainsi que ses Essais philosophiques.
Les oeuvres philosophiques de Hume ont été pour la 1re
fois réunies en 1826, à Édimbourg; son Histoire a été plusieurs
fois réimprimée, notamment en 1826, à Oxford 13 v. in-8, avec la continuation
de Smollett. Ses oeuvres philosophiques ont été traduites en français,
en 7 v. in-12, Londres, 1788 (trad. encore incomplète); son Histoire
d'Angleterre, traduite d'abord partiellement par l'abbé
Prévost, par Octavie Belot, etc., a été
publiée en entier à Paris, de 1819 à 1822,
en 22 vol. in-8, avec un Essai sur la vie et les écrits de l'auteur,
par Campenon. Hume a laissé des Mémoires
et une Correspondance, qui ont été publiés à Édimbourg en 1847,
par H. Burton. |
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