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Le
sens commun considère comme corps tous les objets
qui affectent nos sens par quelques propriétés;
il ne cherche pas à pénétrer leur nature intime,
et, sur la foi des perceptions sensibles,
se tient pour assuré de leur existence. Mais
les philosophes se sont demandé si tous les corps ne sont pas formés
d'une substance unique ou d'un petit nombre
de substances. Les plus anciens métaphysiciens grecs ont fait de l'air,
de l'eau ou du feu, des quatre éléments, des homéoméries
ou des atomes, les
principes universels, la
matière première
de toutes choses. La physique moderne, sous
l'influence des mêmes idées, mais en substituant
l'analyse et l'observation
à la divination et aux hypothèses gratuites,
a établi expérimentalement que tous
les corps connus sont formés d'un nombre assez restreint de substances,
que l'on considère comme simples, tant qu'on n'a pas pu les réduire,
et qui se présentent tantôt isolées, tantôt combinées deux à deux,
trois à trois, etc., en proportions diverses.
Ces substances
sont dites corps simples, ou éléments chimiques. Chaque corps simple,
est lui même formé d'un assemblage d'un même type de particules (protons,
neutrons et électrons) en nombre restreint. Les protons et les neutrons
sont eux-mêmes formés de quarks . Ainsi les électrons et les quarks
représentent-ils, dans l'état actuel des connaissances, les constituants
ultimes des corps. Peut-on aller plus loin? La théorie des supercordes
donne une réponse affirmative : les particules de matières, mais aussi
celles qui véhiculent les interactions, pourraient en définitive se ramener
à un seul type d'objet, la supercorde, dont les différents modes de vibrations
justifierait des propriétés variées de toutes les particules connues
(et à découvrir).
Mais, quand même on
viendrait à montrer qu'effectivement tous les corps sont formés d'une
substance unique, cette substance agissant sur nos sens,
non par elle-même, mais par ses propriétés, les corps seraient toujours
pour nous l'assemblage indissoluble de la substance matérielle et des
différents modes ou qualités par lesquelles elle fait impression sur
nos sens. Selon Descartes et les purs Cartésiens,
la substance des corps consisterait dans l'étendue,
comme la substance des âmes dans la pensée.
Ainsi tout corps serait de l'étendue modifiée, c.-à -d. que Descartes
prend pour la substance même des corps uns de leurs
qualités-essentielles.
Spinoza
dit que tout corps est un mode de l'étendue; mais l'étendue n'étant
qu'un attribut de la substance absolue ou de
Dieu, tout corps est donc Dieu dans un de ses développements
nécessaires. C'est, suivant une définition textuelle de l'Ethique
(Part. II, déf. 1),
" un mode
qui exprime d'une certaine façon déterminée l'essence de Dieu, en tant
que l'on considère Dieu comme chose étendue. "
Suivant Leibniz,
" les corps
sont des composés de monadesdont chacune est
une substance simple, active, vivante. Ainsi toute la nature
est pleine de vie... Chaque portion de la matière peut être conçue comme
un jardin plein de plantes, et comme un étang plein de poissons. Mais
chaque rameau de la plante, chaque membre de l'animal, chaque goutte de
ses humeurs est encore un tel jardin ou un tel étang. ". (Monadologie
et Principes de la Nature et de la Grâce, passim).
Il faut dire,
avec Reid, que des parties sans étendue ni forme,
telles que sont les monades, en quelque nombre qu'on les ajoute, ne sauraient
composer un tout étendu et figuré comme les corps.
Locke
prouve bien contre Descartes que les corps
ne sont pas la même chose que l'étendue; mais son système,
poussé dans ses conséquences, tendrait à rendre
leur existence plus que douteuse. Et, effet, sur cette autre question :
"Existe-t-il réellement des corps?" on peut être amené par différentes
voies au doute et à la négative. D'abord, en
considérant toute substance comme une simple collection du qualités,
ce qui parait être le fond de l'opinion de Locke, et bien décidément
l'opinion de Condillac. Le véritable soutien
des qualités s'évanouissant, la collection de celles-ci se résout dans
une abstraction sans réalité.
On peut encore conclure la non-existence des corps de toutes les théories
qui interposent entre eux et l'esprit un intermédiaire quelconque.
L'esprit
ne percevant pas directement les corps, mais seulement cet intermédiaire,
de quelque nom qu'on l'appelle, idée, image,
espèce,
etc., ne sait rien des corps; donc on peut conclure, avec Berkeley
et Hume, qu'il n'y a pas de corps dans l'univers
Hume ajoute qu'il n'y a pas plus d'esprits que de corps, qu'il n'y a que
des impressions et des idées. La même conséquence dérive du principe
de Condillac, que nous ne connaissons rien que par nos sensations;
car les sensations, bien que différant en beaucoup de points des idées,
leur ressemblent, en ce qu'elles sont comme elles et encore plus qu'elles
des phénomènes subjectifs, de pures modifications
du moi, dont on ne peut en aucune façon conclure
la réalité du non-moi, condition indispensable
de l'existence des corps. (B-E.). |
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