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Histoire de la philosophie
Histoire de la philosophie
La philosophie grecque
[La philosophie]

Aperçu
Pour beaucoup, la philosophie grecque est la philosophie par excellence. C'est chez les Grecs en effet que la philosophie s'est constituée à l'état de discipline autonome, distincte à la fois de la religion et des sciences positives. C'est chez eux qu'elle a peut-être été portée à son plus haut point d'achèvement. La philosophie grecque commence environ 600 ans av. J.-C., et finit dans le VIe siècle de notre ère. Antérieurement on avait eu les Sentences des Gnomiques, mais sans aucun caractère spéculatif. Dans son développement de 1200 ans, la philosophie grecque peut se diviser en trois grandes périodes : 
1° de Thalès jusqu'à Socrate (du VIe au IVe siècle av. J.-C.), période à laquelle  Eduard Zeller, dans le monument qu'il a élevé à la philosophie grecque (Die Philosophie der Griechen (Leipzig, 1876, 5 vol. in-8), donne le nom de dogmatisme physique. Un terme qui peut s'appliquer à une partie des Présocratiques, mais qui n'est plus indiqué pour parler des Sophistes.

2° de Socrate jusqu'à l'école d'Alexandrie (IVe siècle av. J.-C.), période dans laquelle Zeller voyait le temps de la philosophie des concepts. Elle naît avec Socrate, Platon et Aristote, et s'articule ensuite principalement autour de deux grandes écoles : l'Académie, fondée par Platon, et le Lycée formé par Aristote, qui cèderont bientôt la place à deux autres grands courants : l'Epicurisme et le Stoïcisme.

3° la philosophie alexandrine (du IVe siècle av. J.-C. au VIe siècle ap. J.-C.), pour laquelle Zeller parle de subjectivité abstraite. Cette philosophie se dévoloppe à Alexandrie, et dans l'espace culturel alexandrin. Elle est représenté par l'Eclectisme, qui s'essaie à une synthèse des doctrines antérieures, et le Néo-Platonisme, qui reprend les thèmes du platonisme dans le contexte du mysticisme.

La philosophie des âges suivants s'y rattache par les liens les plus étroits.
L'Epicurisme et le Stoïcisme, environ un siècle avant notre ère, introduisent la philosophie grecque à Rome; Cicéron y représenta l'Académie, Lucrèce l'Epicurisme, et Sénèque le Portique (Stoïcisme); à Rome, la philosophie fut classique comme la littérature. La philosophie du Moyen âge en reproduisit simplement les doctrines de Platon et d'Aristote (Scolastique); celle des Temps modernes, reprit les grands problèmes philosophiques précisément au point où les avaient laissés les Grecs, et continua ainsi l'oeuvre commencée par eux.

Si on essaye de marquer les caractères propres de cette philosophie, de dire en quoi elle se distingue des autres, on se trouve dans un assez grand embarras, précisément à cause des rapports étroits qui viennent d'être signalés si les autres philosophies ne sont guère que la reproduction ou la continuation de la philosophie grecque, elles poursuivent le même but, sont animées du même esprit, et il devient malaisé de signaler des différences. On peut cependant dire avec Eduard Zeller que le propre de la philosophie grecque est de considérer l'esprit humain et la nature (ou encore le sujet et l'objet) comme étroitement unis. Au Moyen âge, au contraire, l'esprit se déclare étranger et opposé à la nature, et, dans les Temps modernes, la pensée s'efforce de revenir de cette séparation à l'union avec la nature, mais sans perdre la conscience intime de la différence qui existe entre le spirituel et le corporel. A la vérité, à mesure que la pensée grecque se développe, et que les systèmes se succèdent, la distinction entre l'esprit et la nature, le sujet et l'objet, se marque avec plus de netteté : mais ils ne s'opposent jamais entièrement l'un à l'autre, et même au terme de la période hellénique, la séparation n'est pas consommée.


Jalons
Les Présocratiques

La première période de la philosophie grecque s'ouvre avec les écoles Ionienne et Italique. Les Ioniens ont pour plus ancien représentant connu Thalès de Milet; après lui on cite Anaximandre, Anaximène, et d'autres moins célèbres. Dans cette période, la philosophie se donne pour tâche d'expliquer le monde physique, les phénomènes qui tombent sous l'observation sensible. Plein d'une confiance dans ses forces, l'esprit ne songe pas alors à se demander si le problème n'est pas au-dessus de sa portée, et s'il possède les facultés nécessaires pour le résoudre : il se met directement à l'oeuvre sans douter du succès : d'où le nom de dogmatisme physique, donné par Zeller.

L'école ionienne.
Les premiers philosophes se demandent de quoi les choses sont faites, quel est le principe de l'être, et les anciens Ioniens font à cette question des réponses diverses, Thalès croyant trouver ce principe dans l'eau, Anaximandre dans la matière infinie (apeiron), Anaximène dans l'air. Le principal caractère de l'école Ionnienne est d'avoir conçu le premier principe uniquement comme matériel, sans tenir aucun compte des choses incorporelles, et de n'avoir pas déterminé le principe du mouvement  (La Matière dans l'Antiquité). Ne s'attachant qu'aux phénomènes, elle n'admettait que l'évidence donnée par les sens. A cette solution toute physique du problème s'oppose bientôt celle d'Anaxagore, puis la solution mathématique des Pythagoriciens (Ecole Italique) qui expliquent toutes choses par les nombres. 

Anaxagore.
Anaxagore se distingue des philosophes ioniens en ce qu'il introduit l'intelligence comme principe d'ordre, sans toutefois ôter à l'école son caractère sensualiste. Il ramenait la matière à un nombre infini de parties élémentaires semblables, dont le mélange donne naissance aux divers corps, et qui portent dans l'histoire de la philosophie le nom d'homoeoméries. Mais, au-dessus de cette infinie pluralité de la nature, de cette dissémination de l'être, il plaçait une unité souveraine, l'intelligence (Noûs). La matière, disait-il, est incapable de se mouvoir elle-même; le noûs est le principe du mouvement qui l'anime et de l'ordre qu'elle tend à réaliser. L'intelligence est simple, indivisible, sans mélange d'aucune autre chose; elle a deux attributs fondamentaux, la connaissance et le mouvement; elle a ordonné les révolutions des astres; elle préside à la circulation universelle; elle enveloppe et domine le monde. 

L'école Italique.
L'école italique (ou pythagoricienne), au contraire, au lieu de s'arrêter aux phénomènes, ne considère  que leurs rapports; de là son double caractère mathématique et astronomique. Aussi fut-elle entièrement spiritualiste pour elle les nombres étaient les principes des choses, c.-à-d. des causes. Il est probable, car il ne reste rien des premiers philosophes de l'école, qu'en disant que le monde s'était formé à l'imitation des nombres, les Pythagoriciens voulaient dire, que tout est sorti de la substance primitive comme les nombres naissent de l'unité en s'ajoutant sans cesse à elle-même. Dieu étant l'unité, la perfection consiste à s'en rapprocher; aussi l'âme est un nombre, elle est immortelle et soumise à la métempsycose. L'école d'Italie se démarque aussi de celle d'Ionie par sa manière d'expliquer le système du monde (elle admettait que le Soleil est fixe au milieu des planètes), et par sa morale, qui suppose une sanction après cette vie . Elle eut pour fondateur supposé Pythagore; les plus renommés après lui furent Empédocle, qui, le premier, admit plusieurs éléments; Epicharme; Archytas de Tarente, célèbre aussi comme mathématicien.

L'Ecole Eléatique.
L'école éléatique peut être vue comme un développement de l'Ecole pythagoricienne; en effet, Xénophane, et surtout Parménide et Zénon d'Élée, en vinrent à nier toute réalité matérielle, toute variété, et à ne plus admettre que l'unité absolue. Les Eléates proposent ainsi une solution toute métaphysique, et inventent la dialectique. Ils affirment la réalité de l'être éternel, un et immuable (que ce soit l'étendue ou l'être abstrait); ils introduisent dans la philosophie ce principe qui n'en sortira plus : rien ne naît de rien; l'être, au vrai sens du mot, ne commence ni ne finit. Dès lors, ce n'est plus l'être même qu'il s'agit d'expliquer, mais le devenir, le changement, le multiple que les Eléates, conséquents avec eux-mêmes, ont commencé par nier. 

Héraclite.
Héraclite d'Ephèse,  qui se rattache aux philosophes ioniens, se plaçant à un point de vue diamétralement opposé, soutient que rien dans le monde ne subsiste un instant identique à soi-même. La matière vivante est, d'après lui, le feu; mais il est moins frappé de la substance des choses que de leur devenir : « Rien n'est, tout devient. » Tout se meurt, tout s'écoule,  tout devient tout, tout est tout. Tout change sans cesse, passant d'un contraire à l'autre, et la seule chose qui soit immuable c'est la loi de cette éternelle métamorphose. Telles sont les principales affirmations de la philosophie d'Héraclite, qui l'opposent très nettement à celle de Parménide, qui soutenait l'unité et l'immutabilité de l'être. Si tout devient tout, chaque chose contient en elle ce qui la nie; la loi du devenir n'est plus autre que celle de l'identité des contraires. Ce changement constant ne se fait pas au hasard.

« Héraclite est le premier, dit Eduard Zeller, qui ait affirmé énergiquement, d'une part, la vitalité absolue de la nature, la transformation incessante des substances, la mutabilité et l'instabilité de tout ce qui est individuel; d'autre part, l'uniformité immuable des rapports généraux, l'existence d'une loi raisonnable, absolue, qui régit le cours de toute la nature. »
La philosophie d'Héraclite a exercé dans la philosophie grecque ultérieure une influence considérable. Le panthéisme /stoïcien recueillit sa théorie du feu divin, principe de toute existence et de toute raison. L'Ecole Atomistique, Platon et Aristote eux-mêmes, s'efforcèrent de concilier l'affirmation héraclitéenne de l'éternel devenir avec la définition que Parménide donnait de l'être. Mais avant eux, les Sophistes exploitèrent un certain nombre de idées héraclitéennes sur la valeur de la connaissance humaine. 
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La recherche de l'Archè

Pouvant d'abord se caractériser comme une enquête sur le premier principe des choses (l'archè) la philosophie présocratique, dispose après Héraclite de tous les concepts qu'elle pouvait produire. Désormais les physiologues (nouveaux Ioniens) essayent ainsi de concilier les thèses contraires de Parménide et d'Héraclite, c.-à-d. l'être et le devenir, également réclamés par la raison et par l'expérience. Ils admettent des principes, des éléments éternels et indestructibles, comme l'être des Eléates : et se combinant diversement par le mouvement, ces éléments rendront compte de la formation de tous les corps. Rien ne commence ni ne finit, puisque les éléments sont éternels et indestructibles : Parménide a raison, disent-ils. Cependant Héraclite n'a pas tort, car les êtres composés naissent et meurent : la naissance et la mort ne sont que réunion ou séparation. 

L'archè, le principe des choses, est conçu diversement par les philosophes : c'est, pour Empédocle, les quatre éléments, terre, eau, air, feu; pour Anaximandre l'apeiron, pour Anaxagore, comme on l'a vu, les homéoméries, particules de matière très ténues, qualitativement différentes les unes des autres, et mélangées à l'infini; pour Démocrite, les atomes, tous semblables, différents seulement par leurs propriétés géométriques, la grandeur et la forme. Reste à expliquer la cause du mouvement qui rapproche les éléments; pour Empédocle, c'est l'amour et la haine; pour Anaxagore, on la vu aussi, c'est le noûs, l'intelligence distincte du monde, qui lui donne la première impulsion : pour la première fois on voit apparaître l'esprit dans ces explications de l'univers; pour Démocrite, le mouvement n'a pas de cause : il est éternel. 

Les Sophistes.
Avec les Sophistes enfin, on voit apparaître des préoccupations d'un tout autre ordre. Renonçant à l'explication des phénomènes physiques, qu'on regarde comme impossible, on s'attache uniquement à des questions pratiques on cherche les moyens de réussir dans la vie, par l'instruction, par l'éloquence, par l'habileté dans tous les arts et dans la conduite des affaires humaines. Les conseils que donnent à ce point de vue un Protagoras, un Gorgias, un Prodicus de Céos sont d'ailleurs purement empiriques, sans principe supérieur qui les inspire, sans règle qui les détermine. Tous ces philosophes, prenant les systèmes construits par leurs prédécesseurs, démêlant avec sagacité leurs côtés négatifs et leurs endroits faibles, les opposant l'un à l'autre, arrivèrent par la confusion et la contradiction à une sorte de négation universelle, dont Socrate, qui est d'une certaine façon le dernier des Sophistes, allait bientôt savoir tirer tout le profit de cet embrouillamini. 

L'âge classique de la philosophie grecque

Socrate.
Avec Socrate commence la deuxième période. II détourna les esprits des hypothèses physiques et astronomiques, matérialistes et idéalistes de l'âge précédent. Il assigna pour point de départ à la philosophie la connaissance de soi-même; de là le caractère essentiellement moral et humain de sa doctrine. Il introduisit dans la philosophie un élément nouveau : l'idée générale, ou le concept. Préoccupé comme les Sophistes des choses pratiques et morales, il veut y introduire des principes sûrs et des règles invariables; il veut, en un mot, appliquer à la morale l'idée de la science que les premiers physiciens n'avaient appliquée qu'à la nature. Or cette fixité, cette stabilité que réclame la science ne se trouve pas dans les phénomènes particuliers mais seulement dans l'universel; de là cette maxime célèbre : Il n'y a de science que du général; et à l'aide d'une méthode nouvelle fondée sur l'induction, la définition, la division, Socrate essaye donc de constituer toute la morale. Enfin il donne une méthode à la philosophie, et prépare ainsi son brillant avenir.

On vit naître après Socrate plusieurs écoles : celle de Mégare, qui se borna à déterminer le bien en général, et à montrer que le fini ne pouvait être le vrai; celle de Cyrène, qui se rattache à l'Epicurisme, et celle des Cyniques, qui alla se fondre dans celle du Portique (Stoïcisme).  Mais les véritables écoles socratiques furent celles de Platon et d'Aristote. Fidèles à sa doctrine, mais transportant de nouveau à l'explication de l'univers le principe que Socrate n'avait appliqué qu'à la morale, Platon et Aristote construisirent deux grands systèmes métaphysiques.

Platon et l'Académie.
Platon, fondateur de l'Académie, embrassa à la fois la dialectique, la physique et la morale, en s'attachant surtout aux données de la raison. Les notions particulières ne sont pour lui qu'un point de départ d'où il s'élève, par la dialectique, jusqu'aux idées en elles-mêmes, types éternels dont la réalité en ce monde n'est qu'une infidèle image. Les idées, c.-à-d. les concepts réalisés, devenus des hypostases, en dehors de l'esprit et des choses sensibles, sont pour Platon la véritable réalité. Par suite, la dialectique est la méthode par excellence. Une idée suprême, l'idée du bien, c.-à-d. de Dieu, domine et éclaire toutes les autres. Un monde intelligible, accessible à la seule raison, s'élève au-dessus du monde sensible et en contient l'explication. Platon considère ainsi la philosophie comme la connaissance des choses quant à leur notion essentielle, c.-à-d. quant à leur véritable existence, comme dans l'objet infini et universel des conceptions de la raison. Au contraire, les notions que nous avons des choses d'après la perception sensible et les simples phénomènes de l'expérience sont des notions trompeuses. Cette théorie, appuyée sur la réminiscence, supposait une vie antérieure où l'âme avait vu de plus près ces exemplaires en Dieu. Comme pour Socrate, Dieu est une Providence, organisateur et roi du monde; mais Platon ne va pas jusqu'à l'unité absolue des Éléates.

Platon n'est pas idéaliste; mais ses successeurs immédiats Speusippe, Xénocrate, Polémon, Cratès et Crantor conduisent l'Académie à l'idéalisme et au pythagorisme. Après eux, Arcésilas, développant les germes de scepticisme cachés dans la doctrine platonicienne, fonda la Moyenne Académie, dont le principe était que la vérité ne doit être considérée que comme une simple conviction personnelle, une vraisemblance, en sorte que l'humain est pour ainsi dire condamné à ne rien savoir. Carnéade, en mitigeant un peu cette proposition, prétendit qu'il n'y a aucun critérium de la vérité; la pensée, modifiant l'objet, ne le laisse pas arriver jusqu'à nous tel qu'il est. Carnéade fut le chef de la Nouvelle Académie. On en compte une quatrième, sous la conduite de Clitomaque, qui proclama hautement l'impuissance de rien comprendre. Peu après sous Philon d'Alexandrie et Antiochus d'Ascalon, elle revint au dogmatisme.

Aristote et le Lycée.
Avec Platon, la philosophie grecque avait fait d'immenses progrès, surtout au point de vue moral; il en fut de même avec Aristote, le fondateur du Lycée (L'Ecole Péripatéticienne), sous le rapport scientifique. Si Aristote est un grand métaphysicien, il est aussi un grand physicien; avec lui l'esprit humain trouve et formule les lois du raisonnement déductif. Il en est de même de la poétique de l'éloquence et de la politique. Avec lui la philosophie devient réellement la science des causes et des premiers principes. L'idée qu'il s'est faite de la philosophie suffit pour montrer qu'il n'est pas sensualiste. Elle est surtout la science de l'essence (ousia), la connaissance du but ou de la fin, et ce but, c'est le meilleur en chaque chose; mais pour lui ce même but est quelque chose de réel  de concret, par opposition à l'idée de Platon. Aristote refuse aux idées une existence séparée et distincte. Pour lui, les êtres individuels seuls existent vraiment. Mais en eux se trouvent réalisées, actualisées, les essences ou idées immuables, tandis qu'ils sont changeants, éternelles, alors qu'ils sont périssables. L'acte, avec la puissance qui lui correspond, se substitue ainsi à l'idée. Tous ces actes ou formes sont disposés d'ailleurs selon un ordre hiérarchique, qui va du moins parfait au plus parfait, et s'explique en dernière analyse par un acte indéfectible et toujours présent, l'acte de la pensée qui se pense elle-même et qui est Dieu. Ce Dieu, étranger au monde, le meut sans le connaître, à titre de cause finale par l'attrait de sa souveraine perfection. Développant et appliquant ses principes, Aristote construit le système le plus vaste et le plus complet qui ait peut-être jamais été conçu, et qui devait exercer sur toute l'histoire de l'esprit humain une si profonde et si durable influence.

Aristote n'est pas sensualiste; mais son Dieu sans Providence, l'âme dont la personnalité ne survit pas au corps, la préférence qu'il donne au particulier et au contingent, devaient conduire au sensualisme; c'est ce qu'on vit chez ses disciples Théophraste, Dicéarque, Aristoxène, Straton de Lampsaque. Avec eux, comme avec les descendants de Platon, les grands systèmes se transforment et font place à l'Epicurisme et au Stoïcisme, environ 300 ans av. J.-C

Les développements tardifs de la philosophie grecque

Le trait qui distingue la troisième période, la plus longue de toutes, c'est qu'on commence par renoncer aux concepts : toute connaissance est considérée comme d'origine sensible : le nominalisme triomphe. En même temps, on abandonne la métaphysique : il n'y a plus de réalité immatérielle que la raison puisse atteindre. Rien n'existe qui ne soit corporel. Dès lors, l'objet véritable de la philosophie n'est plus l'explication de l'univers; les préoccupations morales prennent le pas sur toutes les autres : le problème capital est de découvrir le moyen d'être heureux. Le sujet, sans pourtant se séparer complètement de l'objet, se prend lui-même pour but de son étude : de là le nom de subjectivité abstraite par lequel Zeller avait proposé de désigner cette période.

Le Stoïcisme
Il y a bien dans le Stoïcisme une logique et une physique : mais l'une et l'autre sont subordonnées à la morale. La logique a pour but de résoudre, au point de vue sensualiste, le problème de la certitude, parce que, pour fonder la morale, il faut une règle sûre de vérité. De même la physique matérialiste et fataliste des Stoïciens proclame l'unité de la nature, l'ordre du monde, son identité avec le Dieu qui le pénètre et l'anime, afin que cette raison universelle, présente à toutes choses, serve de modèle à la conduite humaine. Ainsi s'explique cette maxime d'où découle toute la morale stoïcienne : il faut vivre conformément à la nature. Ni le plaisir n'est un bien, ni la douleur un mal. Le seul bien est la vertu, conforme à la raison universelle; le sage n'a d'autre idéal que de vouloir ce que veut la pensée qui dirige le monde : et il devra être comme elle exempt de trouble et impassible.

L'Epicurisme
L'Epicurisme remplace la logique par la canonique, parce qu'il renonce à connaître la vérité nécessaire et déduite a priori : mais il reste aussi fermement dogmatique que le Stoïcisme, et les règles qu'il donne pour atteindre la vérité sont aussi absolues que celles d'Aristote ou de Chrysippe. S'il emprunte à Démocrite, en la modifiant profondément, la théorie des atomes, c'est afin de pouvoir nier l'action de la providence dans le monde, et de débarrasser l'humanité des plus grands maux dont elle souffre, la crainte de la mort et celle des dieux. La morale prescrit la recherche du plaisir, mais du plaisir en repos, par où il faut entendre la satisfaction des désirs naturels et nécessaires, c.-à-d. la vie tranquille et sobre, exempte du trouble des passions, des vains désirs et des vaines craintes.

Le Scepticisme.
Adversaire acharné du dogmatisme, aussi bien stoïcien qu'épicurien, le Scepticisme, sous ses formes diverses, apparaît en même temps comme un résultat du conflit des systèmes antérieurs. Déjà il s'était annoncé avec Pyrrhon (340 av. J.- C.), mais c'était trop tôt. Le vrai Scepticisme s'établit avec toute sa puissance dans la personne d'Aenésidème, qui en fit un système régulier, en lui donnant des principes et une méthode. Par là il mit en question toute croyance et toute réalité. Ce système fut continué, à Rome, par Agrippa, qui porta la doctrine à son apogée, et Sextus Empiricus. Le procédé général de l'école consistait à opposer les idées sensibles aux conceptions de la raison, pour arriver au doute par la contradiction. De là cette formule qui résume tout le Scepticisme pratique de l'Antiquité : "Pas plus l'un que l'autre". Pyrrhon, Aenésidème, et Carnéade ruinèrent la théorie de la certitude fondée sur le seul témoignage des sens. Ils contestaient la valeur de l'idée de cause; niaient qu'aucune preuve soit possible, en un mot, ruinaient la science sous toutes ses formes. Mais pour la vie pratique, ils recommandaient de se conformer soit au sens commun, soit à la vraisemblance, et c'est en fin de compte, comme leurs rivaux, dans l'ataraxie ou l'apathie qu'ils font consister le souverain bien.

La philosophie alexandrine.
Tel était,deux siècles après J.-C., l'état de la philosophie grecque. Alexandrie avait succédé à Athènes; elle était devenue le foyer des sciences et des lettres. Les différents systèmes de philosophie s'y rencontrèrent et étaient devenus une cause de Scepticisme; mais ce dernier système ne pouvait pas satisfaire l'esprit humain; de là naquit l'école d'Alexandrie. Son premier caractère fut l'éclectisme, ou plutôt le syncrétisme, où se retrouvent synthétisées, avec des éléments venus de l'Orient, toutes les grandes conceptions de la philosophie grecque. Selon les Eclectiques, tout est en Dieu et par Dieu, et pourtant Dieu ne se confond pas avec le monde. Après l'éclectisme, un second caractère  vint dominer la philosophie alexandrine, ce fut le mysticisme : expliquer la nature divine et la manière dont elle se manifeste, s'élever par l'extase au-dessus des données de la raison, tel était l'objet principal de la nouvelle école, qu'on appela aussi Néoplatonicienne

L'école Néoplatonicienne d'Alexandrie accomplit la dernière tentative dans laquelle s'est lancé l'effort speculatif des Grecs pour résoudre les grands problèmes de la philosophie. Le Scepticisme ayant victorieusement combattu le dogmatisme sensualiste, et prouvé que l'esprit humain ne peut découvrir la vérité ni en lui-même ni dans les choses, c'est hors de lui-même et du monde sensible qu'il devra la chercher : il la trouvera dans une communication directe et mystique avec l'absolu c'est ce qu'on appelle l'extase. En dehors et au-dessus des apparences sensibles, il y a, selon Plotin et ses disciples, des idées qui sont les modèles des choses, comme l'avait dit Platon. Ces idées sont réalisées dans le monde par l'intermédiaire d'un principe actif, d'une âme du monde, d'un esprit universel vivant au sein des choses, et identique au Dieu des Stoïciens. Cet esprit lui-même, auquel seul on doit attribuer la véritable existence, car il est éternel et les êtres particuliers sont éphémères, se rattache à un principe, à une hypostase supérieure, la pure intelligence, telle que l'avait définie Aristote. Comme cette intelligence implique encore la dualité de l'intelligible et de l'intelligence, on doit reconnaître au-dessus d'elle une réalité encore supérieure, dernier terme de la trinité alexandrine, l'unité absolue, principe ineffable et, vraiment divin, duquel on ne doit affirmer aucun attribut particulier parce qu'il les possède tous. C'est de ce principe un et supérieur à l'essence, comme l'appelait déjà Platon, que tout émane par degrés successifs. Et l'idée nouvelle, empruntée peut-être à la philosophie orientale, qui domine tout ce système, c'est que l'être peut se donner sans se perdre, se répandre dans les choses sans cesser d'être lui-même, à peu près comme les rayons du Soleil demeurent au centre, tout en se répandant à travers l'univers.

Avec Plotin et Porphyre l'école Néoplatonicienne était restée dans les limites d'un mysticisme qui prenait ses distances avec la philosophie proprement dite, mais qui n'avait encore rien d'extravagant; mais avec Jamblique et ceux qui viennent après lui, elle tomba du mysticisme dans la théurgie, elle pratiqua l'évocation, elle fit des miracles. Avant de perdre le droit de parler au nom du paganisme, la philosophie grecque revint aux lieux où elle avait longtemps brillé, et jeta un vif et dernier éclat à Athènes dans la personne de Proclus. Bientôt les portes de l'école furent fermées par un édit de Justinien, en 529. Les derniers philosophes grecs durent se réfugier à la cour de Khosroès, roi de Perse. (V. Brochard / G.L. et D.P.).

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