Jalons |
Les
Présocratiques
La première période
de la philosophie grecque s'ouvre avec les écoles
Ionienne et Italique. Les Ioniens
ont pour plus ancien représentant connu Thalès de
Milet ;
après lui on cite Anaximandre, Anaximène,
et d'autres moins célèbres. Dans cette période, la philosophie
se donne pour tâche d'expliquer le monde physique, les phénomènes
qui tombent sous l'observation sensible.
Plein d'une confiance dans ses forces, l'esprit
ne songe pas alors à se demander si le problème n'est pas au-dessus de
sa portée, et s'il possède les facultés nécessaires pour le résoudre
: il se met directement à l'oeuvre sans douter du succès : d'où le nom
de dogmatisme physique, donné par Zeller.
L'école ionienne.
Les premiers philosophes
se demandent de quoi les choses sont faites, quel est le principe
de l'être, et les anciens Ioniens
font à cette question des réponses diverses, Thalès
croyant trouver ce principe dans l'eau, Anaximandre
dans la matière infinie (apeiron), Anaximène
dans l'air. Le principal caractère de l'école Ionnienne est d'avoir conçu
le premier principe uniquement comme matériel,
sans tenir aucun compte des choses incorporelles, et de n'avoir pas déterminé
le principe du mouvement ( La
Matière dans l'Antiquité ).
Ne s'attachant qu'aux phénomènes, elle n'admettait que l'évidence
donnée par les sens. A cette solution toute physique
du problème s'oppose bientôt celle d'Anaxagore,
puis la solution mathématique des Pythagoriciens
(Ecole Italique) qui expliquent toutes
choses par les nombres.
Anaxagore.
Anaxagore
se distingue des philosophes ioniens en
ce qu'il introduit l'intelligence comme
principe
d'ordre, sans toutefois ôter à l'école son caractère
sensualiste.
Il ramenait la matière à un nombre infini
de parties élémentaires semblables, dont le mélange donne naissance
aux divers corps, et qui portent dans l'histoire de la philosophie
le nom d'homéoméries. Mais, au-dessus de
cette infinie pluralité de la nature, de cette dissémination de l'être,
il plaçait une unité souveraine, l'intelligence (Noûs). La matière ,
disait-il, est incapable de se mouvoir elle-même; le noûs est
le principe du mouvement qui l'anime et de l'ordre qu'elle tend à réaliser.
L'intelligence est simple, indivisible, sans mélange d'aucune autre chose;
elle a deux attributs fondamentaux, la connaissance
et le mouvement; elle a ordonné les révolutions des astres; elle préside
à la circulation universelle; elle enveloppe et domine le monde.
L'école Italique.
L'école
italique (ou pythagoricienne), au contraire,
au lieu de s'arrêter aux phénomènes, ne
considère que leurs rapports; de lÃ
son double caractère mathématique et astronomique. Aussi fut-elle entièrement
spiritualiste
pour elle les nombres
étaient les principes des choses, c.-à -d. des causes.
Il est probable, car il ne reste rien des premiers philosophes de l'école,
qu'en disant que le monde s'était formé à l'imitation
des nombres, les Pythagoriciens voulaient dire, que tout est sorti de la
substance
primitive comme les nombres naissent de l'unité
en s'ajoutant sans cesse à elle-même.
Dieu étant
l'unité, la perfection consiste à s'en rapprocher; aussi l'âme
est un nombre, elle est immortelle et soumise à la métempsycose.
L'école d'Italie
se démarque aussi de celle d'Ionie
par sa manière d'expliquer le système du monde
(elle admettait que le Soleil
est fixe au milieu des planètes ),
et par sa morale, qui suppose une sanction après
cette vie . Elle eut pour fondateur supposé Pythagore;
les plus renommés après lui furent Empédocle,
qui, le premier, admit plusieurs éléments ;
Epicharme;
Archytas
de Tarente ,
célèbre aussi comme mathématicien.
L'Ecole Eléatique.
L'école
éléatique peut être vue comme un développement de l'Ecole
pythagoricienne; en effet, Xénophane,
et surtout Parménide et Zénon
d'Élée ,
en vinrent à nier toute réalité matérielle,
toute variété, et à ne plus admettre que l'unité absolue. Les Eléates
proposent ainsi une solution toute métaphysique,
et inventent la dialectique. Ils affirment
la réalité de l'être éternel, un et immuable
(que ce soit l'étendue ou l'être abstrait);
ils introduisent dans la philosophie
ce principe qui n'en sortira plus : rien
ne naît de rien; l'être, au vrai sens du mot,
ne commence ni ne finit. Dès lors, ce n'est plus l'être même qu'il s'agit
d'expliquer, mais le devenir, le changement,
le multiple que les Eléates, conséquents avec eux-mêmes, ont commencé
par nier.
Héraclite.
Héraclite
d'Ephèse, qui se rattache aux philosophes
ioniens, se plaçant à un point de vue diamétralement opposé, soutient
que rien dans le monde ne subsiste un instant identique à soi-même. La
matière
vivante est, d'après lui, le feu; mais il est moins frappé de la substance
des choses que de leur devenir : « Rien n'est, tout devient. »
Tout se meurt, tout s'écoule, tout devient tout, tout est tout.
Tout change sans cesse, passant d'un contraire à l'autre, et la seule
chose qui soit immuable c'est la loi de cette éternelle
métamorphose. Telles sont les principales affirmations de la philosophie
d'Héraclite, qui l'opposent très nettement à celle de Parménide,
qui soutenait l'unité et l'immutabilité de l'être.
Si tout devient tout, chaque chose contient en elle ce qui la nie; la loi
du devenir n'est plus autre que celle de l'identité des contraires. Ce
changement constant ne se fait pas au hasard.
«
Héraclite
est le premier, dit Eduard Zeller, qui ait affirmé
énergiquement, d'une part, la vitalité absolue de la nature,
la transformation incessante des
substances,
la mutabilité et l'instabilité de tout ce qui est individuel; d'autre
part, l'uniformité immuable des
rapports généraux,
l'existence d'une loi raisonnable, absolue,
qui régit le cours de toute la nature. »
La philosophie d'Héraclite
a exercé dans la philosophie grecque ultérieure une influence considérable.
Le panthéisme
/stoïcien recueillit
sa théorie du feu divin, principe
de toute existence et de toute raison.
L'Ecole Atomistique ,
Platon
et Aristote eux-mêmes, s'efforcèrent de concilier
l'affirmation héraclitéenne de l'éternel devenir avec la définition
que Parménide donnait de l'être. Mais avant
eux, les Sophistes exploitèrent un certain
nombre de idées héraclitéennes sur la valeur de la connaissance
humaine.
-
La recherche
de l'Archè
Pouvant
d'abord se caractériser comme une enquête sur le premier principe des
choses (l'archè) la philosophie présocratique, dispose après
Héraclite
de tous les concepts qu'elle pouvait produire.
Désormais les physiologues (nouveaux Ioniens)
essayent ainsi de concilier les thèses contraires de Parménide
et d'Héraclite, c.-à -d. l'être et le devenir,
également réclamés par la raison et par l'expérience.
Ils admettent des principes, des éléments éternels et indestructibles,
comme l'être des Eléates : et se combinant
diversement par le mouvement, ces éléments rendront compte de la formation
de tous les corps. Rien ne commence ni ne finit, puisque les éléments
sont éternels et indestructibles : Parménide a raison, disent-ils. Cependant
Héraclite n'a pas tort, car les êtres composés naissent et meurent :
la naissance et la mort ne sont que réunion ou séparation.
L'archè,
le principe des choses, est conçu diversement par les philosophes : c'est,
pour Empédocle, les quatre éléments, terre,
eau, air, feu; pour Anaximandre l'apeiron, pour Anaxagore,
comme on l'a vu, les homéoméries, particules
de matière très ténues, qualitativement différentes les unes des autres,
et mélangées à l'infini; pour Démocrite,
les atomes ,
tous semblables, différents seulement par leurs propriétés géométriques,
la grandeur et la forme. Reste à expliquer la
cause
du mouvement qui rapproche les éléments; pour Empédocle, c'est l'amour
et la haine; pour Anaxagore, on la vu aussi, c'est le noûs, l'intelligence
distincte du monde, qui lui donne la première impulsion : pour la première
fois on voit apparaître l'esprit dans ces explications de l'univers; pour
Démocrite, le mouvement n'a pas de cause : il est éternel. |
Les Sophistes.
Avec les Sophistes
enfin, on voit apparaître des préoccupations d'un tout autre ordre. Renonçant
à l'explication des phénomènes
physiques, qu'on regarde comme impossible, on s'attache uniquement à des
questions pratiques on cherche les moyens de réussir dans la vie, par
l'instruction, par l'éloquence, par l'habileté dans tous les arts et
dans la conduite des affaires humaines. Les conseils que donnent à ce
point de vue un Protagoras, un Gorgias,
un Prodicus de Céos sont d'ailleurs purement
empiriques,
sans principe supérieur qui les inspire, sans
règle qui les détermine. Tous ces philosophes, prenant les systèmes
construits par leurs prédécesseurs, démêlant avec sagacité leurs côtés
négatifs et leurs endroits faibles, les opposant l'un à l'autre, arrivèrent
par la confusion et la contradiction à une sorte de négation
universelle, dont Socrate, qui est d'une certaine
façon le dernier des Sophistes, allait bientôt savoir tirer tout le profit
de cet embrouillamini.
L'âge
classique de la philosophie grecque
Socrate.
Avec Socrate
commence la deuxième période. II détourna les esprits des hypothèses
physiques et astronomiques, matérialistes
et idéalistes de l'âge précédent. Il assigna
pour point de départ à la philosophie
la connaissance de soi-même; de là le
caractère essentiellement moral et humain de sa doctrine.
Il introduisit dans la philosophie un élément nouveau : l'idée générale,
ou le concept. Préoccupé comme les Sophistes
des choses pratiques et morales, il veut y introduire des principes sûrs
et des règles invariables; il veut, en un mot, appliquer à la morale
l'idée de la science que les premiers physiciens n'avaient appliquée
qu'à la nature. Or cette fixité, cette stabilité
que réclame la science ne se trouve pas dans les phénomènes
particuliers mais seulement dans l'universel; de là cette maxime célèbre
: Il n'y a de science que du général; et à l'aide d'une méthode
nouvelle fondée sur l'induction, la définition,
la division, Socrate essaye donc de constituer toute la morale. Enfin il
donne une méthode à la philosophie, et prépare ainsi son brillant avenir.
On vit naître après
Socrate
plusieurs écoles : celle de Mégare, qui
se borna à déterminer le bien en général, et à montrer que le fini
ne pouvait être le vrai; celle de Cyrène ,
qui se rattache à l'Epicurisme, et celle
des Cyniques, qui alla se fondre dans celle
du Portique (Stoïcisme). Mais les véritables
écoles socratiques furent celles de Platon et
d'Aristote. Fidèles à sa doctrine, mais transportant
de nouveau à l'explication de l'univers le principe que Socrate n'avait
appliqué qu'à la morale, Platon et Aristote
construisirent deux grands systèmes métaphysiques.
Platon et l'Académie.
Platon,
fondateur de l'Académie, embrassa à la fois la dialectique,
la physique et la morale,
en s'attachant surtout aux données de la raison.
Les notions particulières
ne sont pour lui qu'un point de départ d'où il s'élève, par la dialectique,
jusqu'aux idées en elles-mêmes, types éternels
dont la réalité en ce monde n'est qu'une infidèle
image. Les idées, c.-à -d. les concepts réalisés,
devenus des hypostases,
en dehors de l'esprit et des choses sensibles,
sont
pour Platon la véritable réalité. Par suite,
la dialectique est la méthode par excellence.
Une idée suprême, l'idée du bien, c.-à -d. de Dieu,
domine et éclaire toutes les autres. Un monde intelligible,
accessible à la seule raison, s'élève au-dessus du monde sensible et
en contient l'explication. Platon considère ainsi
la philosophie
comme la connaissance des choses quant Ã
leur notion essentielle, c.-à -d. quant à leur véritable existence,
comme dans l'objet infini et universel des conceptions
de la raison. Au contraire, les notions que nous avons des choses d'après
la perception sensible et les simples phénomènes
de l'expérience sont des notions trompeuses.
Cette théorie, appuyée sur la réminiscence,
supposait une vie antérieure où l'âme avait vu
de plus près ces exemplaires en Dieu. Comme pour Socrate,
Dieu est une Providence, organisateur et roi
du monde; mais Platon ne va pas jusqu'à l'unité
absolue des Éléates.
Platon
n'est pas idéaliste; mais ses successeurs
immédiats Speusippe, Xénocrate,
Polémon,
Cratès
et
Crantor conduisent l'Académie à l'idéalisme
et au pythagorisme. Après eux, Arcésilas,
développant les germes de scepticisme cachés
dans la doctrine platonicienne, fonda la Moyenne
Académie, dont le principe était que la vérité
ne doit être considérée que comme une simple conviction personnelle,
une vraisemblance, en sorte que l'humain est pour ainsi dire condamné
à ne rien savoir. Carnéade, en mitigeant un
peu cette proposition, prétendit qu'il n'y a aucun critérium
de la vérité; la pensée, modifiant l'objet,
ne le laisse pas arriver jusqu'à nous tel qu'il est. Carnéade fut le
chef de la Nouvelle Académie. On en compte une quatrième, sous la conduite
de Clitomaque, qui proclama hautement l'impuissance
de rien comprendre. Peu après sous Philon d'Alexandrie
et Antiochus d'Ascalon ,
elle revint au dogmatisme.
Aristote et le
Lycée.
Avec Platon,
la philosophie grecque avait fait d'immenses progrès, surtout au point
de vue moral; il en fut de même avec Aristote,
le fondateur du Lycée
( L'Ecole
Péripatéticienne), sous le rapport scientifique. Si Aristote est
un grand métaphysicien, il est aussi un
grand physicien; avec lui l'esprit
humain trouve et formule les lois du raisonnement
déductif. Il en est de même de la poétique de l'éloquence et de la
politique. Avec lui la philosophie
devient réellement la science des causes et des
premiers principes. L'idée
qu'il s'est faite de la philosophie suffit pour montrer qu'il n'est pas
sensualiste.
Elle est surtout la science de l'essence (ousia),
la connaissance du but ou de la fin, et
ce but, c'est le meilleur en chaque chose; mais pour lui ce même but est
quelque chose de réel de concret, par opposition à l'idée de Platon.
Aristote refuse aux idées une existence séparée
et distincte. Pour lui, les êtres individuels seuls
existent vraiment. Mais en eux se trouvent réalisées, actualisées, les
essences ou idées immuables, tandis qu'ils sont changeants, éternelles,
alors qu'ils sont périssables. L'acte, avec la
puissance qui lui correspond, se substitue ainsi à l'idée. Tous ces actes
ou formes sont disposés d'ailleurs selon un ordre hiérarchique, qui va
du moins parfait au plus parfait, et s'explique en dernière analyse par
un acte indéfectible et toujours présent, l'acte de la pensée qui se
pense elle-même et qui est Dieu. Ce Dieu, étranger
au monde, le meut sans le connaître, à titre de cause
finale par l'attrait de sa souveraine perfection. Développant et appliquant
ses principes, Aristote construit le système
le plus vaste et le plus complet qui ait peut-être jamais été conçu,
et qui devait exercer sur toute l'histoire de l'esprit humain une si profonde
et si durable influence.
Aristote
n'est pas sensualiste; mais son Dieu
sans Providence, l'âme
dont la personnalité ne survit pas au corps, la préférence qu'il donne
au particulier et au contingent, devaient
conduire au sensualisme; c'est ce qu'on vit chez ses disciples Théophraste,
Dicéarque,
Aristoxène,
Straton
de Lampsaque .
Avec eux, comme avec les descendants de Platon,
les grands systèmes se transforment et font place à l'Epicurisme
et au Stoïcisme, environ 300
ans av. J.-C.
Les
développements tardifs de la philosophie grecque
Le trait qui distingue
la troisième période, la plus longue de toutes, c'est qu'on commence
par renoncer aux concepts : toute connaissance
est considérée comme d'origine sensible : le nominalisme
triomphe. En même temps, on abandonne la métaphysique
: il n'y a plus de réalité immatérielle que
la raison puisse atteindre. Rien n'existe qui
ne soit corporel. Dès lors, l'objet véritable de la philosophie
n'est plus l'explication de l'univers; les préoccupations
morales prennent le pas sur toutes les autres : le problème capital est
de découvrir le moyen d'être heureux. Le sujet, sans pourtant se séparer
complètement de l'objet, se prend lui-même pour but de son étude : de
là le nom de subjectivité abstraite par lequel Zeller
avait proposé de désigner cette période.
Le Stoïcisme
Il y a bien dans
le Stoïcisme une logique
et une physique : mais l'une et l'autre sont
subordonnées à la morale. La logique a pour
but de résoudre, au point de vue sensualiste,
le problème de la certitude, parce que, pour
fonder la morale, il faut une règle sûre de vérité.
De même la physique matérialiste et fataliste
des Stoïciens proclame l'unité de la nature,
l'ordre du monde, son identité avec le Dieu
qui le pénètre et l'anime, afin que cette raison universelle, présente
à toutes choses, serve de modèle à la conduite humaine. Ainsi s'explique
cette maxime d'où découle toute la morale stoïcienne : il faut vivre
conformément à la nature. Ni le plaisir n'est un bien, ni la douleur
un mal. Le seul bien est la vertu, conforme à la raison universelle; le
sage n'a d'autre idéal que de vouloir ce que veut la pensée qui dirige
le monde : et il devra être comme elle exempt de trouble et impassible.
L'Epicurisme
L'Epicurisme
remplace la logique par la canonique,
parce qu'il renonce à connaître la vérité nécessaire et déduite a
priori : mais il reste aussi fermement dogmatique
que le Stoïcisme, et les règles qu'il donne
pour atteindre la vérité sont aussi absolues que celles d'Aristote
ou de Chrysippe. S'il emprunte à Démocrite,
en la modifiant profondément, la théorie des atomes ,
c'est afin de pouvoir nier l'action de la providence
dans le monde, et de débarrasser l'humanité des plus grands maux dont
elle souffre, la crainte de la mort et celle des dieux. La morale prescrit
la recherche du plaisir, mais du plaisir en repos, par où il faut entendre
la satisfaction des désirs naturels et nécessaires, c.-à -d. la vie tranquille
et sobre, exempte du trouble des passions, des vains désirs et des vaines
craintes.
Le Scepticisme.
Adversaire acharné
du dogmatisme, aussi bien stoïcien
qu'épicurien, le Scepticisme,
sous ses formes diverses, apparaît en même temps comme un résultat du
conflit des systèmes antérieurs. Déjà il s'était annoncé avec Pyrrhon
(340 av. J.- C.),
mais c'était trop tôt. Le vrai Scepticisme s'établit avec toute sa puissance
dans la personne d'Aenésidème, qui en fit
un système régulier, en lui donnant des principes et une méthode. Par
là il mit en question toute croyance et toute
réalité. Ce système fut continué, à Rome ,
par Agrippa, qui porta la doctrine à son apogée,
et Sextus Empiricus. Le procédé général de
l'école consistait à opposer les idées sensibles aux conceptions de
la raison, pour arriver au doute par la contradiction. De là cette formule
qui résume tout le Scepticisme pratique de l'Antiquité
: "Pas plus l'un que l'autre". Pyrrhon, Aenésidème, et Carnéade
ruinèrent la théorie de la certitude fondée
sur le seul témoignage des sens.
Ils contestaient la valeur de l'idée de cause;
niaient qu'aucune preuve soit possible, en un mot, ruinaient la science
sous toutes ses formes. Mais pour la vie pratique, ils recommandaient de
se conformer soit au sens commun, soit à la vraisemblance, et c'est en
fin de compte, comme leurs rivaux, dans l'ataraxie ou l'apathie
qu'ils font consister le souverain bien.
La philosophie
alexandrine.
Tel était,deux
siècles après J.-C., l'état de la philosophie
grecque. Alexandrie avait succédé Ã
Athènes;
elle était devenue le foyer des sciences et des lettres. Les différents
systèmes de philosophie
s'y rencontrèrent et étaient devenus une cause de Scepticisme;
mais ce dernier système ne pouvait pas satisfaire l'esprit humain; de
là naquit l'école d'Alexandrie.
Son premier caractère fut l'éclectisme,
ou plutôt le syncrétisme, où se retrouvent
synthétisées, avec des éléments venus de l'Orient, toutes les grandes
conceptions de la philosophie grecque. Selon les Eclectiques, tout est
en Dieu et par Dieu, et pourtant Dieu ne se confond
pas avec le monde. Après l'éclectisme, un second caractère vint
dominer la philosophie alexandrine, ce fut le mysticisme
: expliquer la nature divine et la manière dont elle se manifeste, s'élever
par l'extase au-dessus des données de la raison,
tel était l'objet principal de la nouvelle école, qu'on appela aussi
Néoplatonicienne.
L'école
Néoplatonicienne d'Alexandrie accomplit
la dernière tentative dans laquelle s'est lancé l'effort speculatif des
Grecs
pour résoudre les grands problèmes de la philosophie .
Le Scepticisme ayant victorieusement combattu
le dogmatisme sensualiste, et prouvé que
l'esprit humain ne peut découvrir la vérité ni en lui-même ni dans
les choses, c'est hors de lui-même et du monde sensible qu'il devra la
chercher : il la trouvera dans une communication directe et mystique
avec l'absolu c'est ce qu'on appelle l'extase.
En dehors et au-dessus des apparences sensibles,
il y a, selon Plotin et ses disciples, des idées
qui sont les modèles des choses, comme l'avait dit Platon.
Ces idées sont réalisées dans le monde par l'intermédiaire d'un principe
actif, d'une âme du monde, d'un esprit universel
vivant au sein des choses, et identique au Dieu des Stoïciens.
Cet esprit lui-même, auquel seul on doit attribuer la véritable existence,
car il est éternel et les êtres particuliers sont éphémères, se rattache
à un principe, à une hypostase supérieure,
la pure intelligence, telle que l'avait définie Aristote.
Comme cette intelligence implique encore la dualité
de l'intelligible et de l'intelligence, on doit reconnaître au-dessus
d'elle une réalité encore supérieure, dernier
terme de la trinité alexandrine, l'unité absolue, principe ineffable
et, vraiment divin, duquel on ne doit affirmer aucun attribut
particulier parce qu'il les possède tous. C'est de ce principe un et supérieur
à l'essence, comme l'appelait déjà Platon, que tout émane par degrés
successifs. Et l'idée nouvelle, empruntée peut-être à la philosophie
orientale, qui domine tout ce système, c'est que l'être peut se donner
sans se perdre, se répandre dans les choses sans cesser d'être lui-même,
à peu près comme les rayons du Soleil demeurent au centre, tout en se
répandant à travers l'univers.
Avec Plotin
et Porphyre l'école Néoplatonicienne
était restée dans les limites d'un mysticisme
qui prenait ses distances avec la philosophie proprement dite, mais qui
n'avait encore rien d'extravagant; mais avec Jamblique
et ceux qui viennent après lui, elle tomba du mysticisme dans la théurgie,
elle pratiqua l'évocation, elle fit des miracles.
Avant de perdre le droit de parler au nom du paganisme, la philosophie
grecque revint aux lieux où elle avait longtemps brillé, et jeta un vif
et dernier éclat à Athènes dans la personne
de Proclus. Bientôt les portes de l'école furent
fermées par un édit de Justinien, en 529.
Les derniers philosophes grecs durent se réfugier à la cour de Khosroès,
roi de Perse .
(V.
Brochard / G.L. et D.P.). |
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