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Dugald Stewart

Dugald Stewart est un philosophe, né à Édimbourg le 22 novembre 1753, mort à Édimbourg le 14 juin 1828. Fils du docteur Matthew Stewart, d'abord pasteur à Roseneath, puis successeur de MacLaurin dans la chaire de mathématiques d'Édimbourg, il était dans son enfance d'une constitution faible et délicate. Entré à treize ans au collège d'Édimbourg, il vint en 1771 à Glasgow où il entendit Thomas Reid. Dans l'automne de 1772, nous le trouvons, âgé de dix-neuf ans, dans la chaire de mathématiques d'Édimbourg, suppléant son père dont il devient le successeur en 1778. En 1785, il remplace Ferguson dans la chaire de philosophie morale de l'Université, où il devait avoir pour élèves Lord Brougham, Lord Palmerston, Walter Scott, Sydney Smith, Thomas Brown son successeur et James Mill. En 1809, Dugald Stewart se fait suppléer par Th. Brown; à la mort de ce dernier, en 1820, il propose sa succession à sir James Mackintosh; Mackintosh ayant refusé, il fait la même proposition à sir William Hamilton; mais le professeur Wilson est élu, très propre à l'enseignement des belles-lettres, peu qualifié pour celui de la philosophie. Dugald Stewart mourut chez un ami qu'il visitait. Il succomba à une paralysie dont il avait subi déjà deux atteintes. 

Dugald Stewart a publié : en 1792, le premier volume des Eléments de la Philosophie de l'esprit humain; en 1793, les Esquisses de philosophie morale; en 1793, 1796 et 1802, ses études biographiques sur Adam Smith, Robertson et Reid en 1810, un volume de Philosophical Essays; en 1844, le second volume des Eléments; en 1815, la première partie d'une Dissertation sur les progrès de la Philosophie métaphysique et morale; en 1824, la fin de cette Dissertation; en 1827, le troisième volume des Eléments; en 1828, la Philosophie des facultés actives. Les Lectures sur l'Economie politique ne furent publiées qu'en 1856 d'après des notes manuscrites de l'auteur ou de ses élèves. Hamilton et Veitch ont publié, en dix volumes, une édition des oeuvres complètes de Dugald Stewart. Ont été traduits en français : les Eléments, une première fois par Prevost (Genève, 1808, 2 vol. in-8) et par Farcy (Paris, 1825, in-8). Cette traduction a été revue, continuée et complétée par Louis Peisse (Paris, 1843, 3 vol. in-12). En 1820, Buchon traduisit en trois volumes les Considérations générales sur les Progrès de la métaphysique. En 1828, Jouffroy fit paraître une traduction des Esquisses de philosophie morale avec une mémorable préface. En 1828, parurent la traduction des Essais philosophiques par Ch. Huret; la Philosophie des facultés actives et morales (2 vol. in-8) fut traduite en 1843 par  L. Simon. En tête de sa traduction des oouvres de Reid, Jouffroy a traduit la biographie de Reid par Dugald Stewart.

Le renom de Dugald Stewart s'est maintenu longtemps en France, grâce aux enseignements de Victor Cousin et de Jouffroy. La longue étude de Victor Cousin (dans les Fragments philosophiques : Philosophie contemporaine) sur les Esquisses de philosophie morale de ce philosophe, montre l'accueil fait en France à ce livre, dont on peut bien dire qu'à l'heure actuelle l'intérêt est tout historique. Certains regretteront cependant de ne pas le voir plus souvent aux mains des élèves de l'enseignement secondaire, en raison de la clarté de la langue, de la finesse (peut-être trop vantée) des analyses. Si, pour illustrer certains passages de l'Esquisse, on recourt aux ouvrages plus développés, on sera bien près de penser, croyons-nous, qu'en D. Stewart les qualités et les défauts de  l'École Ecossaise ont été portés au plus haut point. Même les admirateurs du "génie métaphysique" de Thomas Reid. - et quand Cousin se range au nombre de ces admirateurs, sa sincérité ne peut être suspectée - s'accordent à regretter que Reid ait multiplié les principes premiers de la connaissance et qu'il ait doté l'âme humaine d'un nombre exagéré de facultés : c'est qu'il était sans doute plus frappé des différences spécifiques que des rapports génériques et que l'esprit de synthèse - dont on peut dire que là où manque la vigueur de pensée, là il manque - faisait défaut au maître de Dugald Stewart.

Cet esprit fait aussi défaut au disciple, et l'on s'en aperçoit si l'on parcourt les trois volumes des Eléments de la philosophie de l'esprit humain. Comparé aux Essais de Reid, cet ouvrage est de beaucoup inférieur par l'entente générale du sujet dont l'auteur ne sait pas embrasser l'ensemble. Peu de définitions précises et encore moins de formules saisissantes; le philosophe est pressé d'en finir avec les grands problèmes. Il ne lui paraît pas qu'en ces problèmes, Reid ait laissé à ajouter ni à reprendre. Dans les chapitres consacrés à la perception externe, Dugald Stewart juge la réalité du monde extérieur mise hors de toute contestation par la ruine de la théorie représentative; et comme les idées représentatives ont été pour toujours mises en fuite par Reid, l'idéalisme est désormais - ainsi Dugald Stewart en juge-t-il - certain de ne pas survivre à cette déroute. Par instants, Dugald Stewart semble pressentir que, dans la partie affirmative de sa théorie, Reid a laissé subsister quelques équivoques, mais ce n'est point là ce qui l'occupe. 

D'autres parties de la science de l'esprit humain l'attirent, et, pour parler la langue courante, il est plus intéressé par les opérations de l'esprit que par les facultés intellectuelles. Nul n'a plus étudié l'abstraction, l'attention, le raisonnement, et cependant on peut, dans un cours, aborder l'un ou l'autre de ces problèmes, sans avoir à citer notre philosophe. C'est qu'en effet on se tromperait à croire qu'il ait sur chacune de ces questions des vues générales personnelles. II n'en a ni ne se préoccupe d'en avoir : le détail des faits seul l'intéresse. C'est un observateur de cas particuliers, né psychologue, exclusivement psychologue, et à tel point que, si l'on voulait accentuer les contrastes entre l'esprit philosophique proprement dit et « l'esprit psychologique », Dugald Stewart serait sans contredit l'un des meilleurs exemples à citer. Et peut-être cet exemple servirait-il à démontrer que l'esprit de psychologie reste à peu près stérile lorsque l'esprit philosophique ne le dirige pas.

Ce goût de l'observation des détails, par intérêt pour les détails  eux-mêmes, disposait vraisemblablement notre philosophe à la « psychologie appliquée », celle qui sert de base à l'art de l'éducation. En effet, Dugald Stewart traite avec abondance des problèmes de méthodologie, qui sont, à beaucoup d'égards, problèmes de pédagogie, et, dans le troisième volume des Eléments, il ébauche une psychologie du métaphysicien et du mathématicien. Il est regrettable que les nécessités de l'enseignement l'aient détourné de ses aptitudes et l'aient empêché de donner suite à cette psychologie des types intellectuels, qui exige pour être menée à bonne fin ce goût du détail, dominant chez Stewart, pas au point cependant de se confondre avec le goût de l'exceptionnel ou de l'inédit.
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 Influence de l'association des idées sur l'esprit. 
Les hommes d'esprit et les hommes de génie

« Parmi les relations sur lesquelles se fondent les associations d'idées, les unes s'offrent d'elles-mêmes à l'esprit, tandis que d'autres exigent au contraire, pour être aperçues, un effort d'attention. Du premier genre sont les relations de ressemblance et d'analogie, de contrariété, de voisinage, soit de temps, soit de lieu, et celles qui naissent de la coïncidence accidentelle des sons de différents mots. Ces relations lient entre elles nos pensées, lorsque nous les laissons suivre leur mouvement naturel, sans effort ou presque sans aucun effort de notre part. Du second genre sont les relations de cause et d'effet, de moyens et de fin, de prémisses et de conclusions, et quelques autres qui règlent la suite des pensées d'un philosophe, livré à une recherche qui l'occupe fortement.

Un esprit sur lequel les associations fortuites de temps et de lieu font une impression durable n'a pas les mêmes motifs pour conduire philosophiquement sa pensée que ceux chez lesquels les faits se lient principalement par les relations de cause et d'effet, ou de prémisses et de conséquence. J'ai entendu dire que les hommes de loi les plus éminents avaient marqué d'abord une sorte d'aversion pour l'étude. La raison en est probablement qu'un esprit avide de principes généraux se dégoûte d'une étude qui ne lui offre au premier aspect qu'un chaos de faits en apparence isolés et sans liaison. Mais ce goût pour l'ordre philosophique surmonte bientôt, quand il est joint à la persévérance dans le travail, les difficultés qui semblaient les plus invincibles; il introduit la règle dans ce qui n'offrait au premier coup d'oeil qu'une masse indigeste et confuse, et transforme les détails arides des lois en un système intéressant et lumineux.

[...]

En général, je pense qu'on peut établir comme une règle sûre, que les hommes qui ont une très grande masse de connaissances toujours à leur disposition, ou qui se sont rendu leurs propres découvertes assez familières pour être toujours prêts à les exposer sans être obligés de se recueillir et de travailler avec quelque peine sur leur mémoire, sont rarement doués de beaucoup d'es-

prit d'invention, rarement même d'une grande vivacité de conception. Un homme d'un génie original, avide d'exercer sur toutes choses la faculté de raisonner dont il est doué, qui ne peut se résoudre à répéter les idées d'autrui, ou même à reproduire machinalement des pensées qu'il n'a acquises qu'à l'aide de beaucoup de réflexion, parait souvent aux observateurs superficiels s'abaisser au-dessous du niveau des esprits médiocres; et souvent, au contraire, un esprit qui n'a ni vivacité, ni capacité d'invention, fait admirer la promptitude de ses décisions, quoiqu'elle soit l'effet de sa médiocrité même. »
 

(Dugald Stewart. Eléments de la philosophie de l'esprit humain).

Sur Dugald Stewart on lira avec profit l'étude si consciencieuse et si finement exacte que lui consacre James Mac Cosh dans son beau livre The Scottish Philosophy (Londres, 1875). Aussi bien, comme rien dans les écrits de ce philosophe ne soulève de difficultés d'interprétation, il n'y a pas, pour le mieux comprendre, de commentaire à étudier ou à tenter. Tout ce qu'il a publié se lit couramment, sans qu'il y ait à lire entre les lignes. En France, en perdant le goût des observations superficielles, on s'est désaccoutumé de la philosophie écossaise; et si l'on ouvre rarement un volume de Thomas Reid, les occasions de consulter Dugald Stewart sont encore beaucoup moins fréquentes. L'influence de cet exact et fin psychologue, naguère si grande, a tout à fait cessé. (Lionel Dauriac).

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