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René Descartes,
Cartesius,
est un philosophe né le 31 mars 1596, à La Haye (auj. La Haye-Descartes)
en Touraine ,
et est mort à Stockholm ,
le 11 février 1650. Il suffirait presque de ces deux dates et de ces deux
indications de lieux à la biographie de Descartes. Sa vie est avant tout
celle d'un esprit; sa vraie biographie est l'histoire de ses pensées;
les événements extérieurs de son existence n'ont d'intérêt
que par le jour qu'ils peuvent jeter sur son oeuvre. Dès sa plus tendre
enfance, il se montrait méditatif et réfléchi, si bien que son père,
un gentilhomme de robe, fils d'un gentilhomme d'épée, l'appelait son
petit philosophe. Au collège de La Flèche ,
où il fut mis dès l'âge de huit ans, le petit philosophe étonnait ses
maîtres, les Jésuites, par la profondeur
et l'indépendance de son esprit et sa répugnance à se contenter des
opinions
reçues. A dix-sept ans, c.-à -d. à l'âge où l'on est encore écolier,
il avait fait le tour de tout ce qui s'enseignait de son temps, et il en
avait reconnu l'insuffisance ou la vanité.
« J'estimais
fort l'éloquence et j'étais amoureux de la poésie;
mais je pensais que l'une et l'autre étaient des dons de l'esprit plutôt
que des fruits de l'étude. Ceux qui ont le raisonnement
le plus fort, et qui digèrent le mieux leurs pensées afin de les rendre
claires et intelligibles,
peuvent toujours le mieux persuader ce qu'ils proposent, encore qu'ils
ne parlassent que bas breton et qu'ils n'eussent jamais appris de rhétorique
[...]. Je me plaisais surtout aux mathématiques,
à cause de la certitude et de l'évidence
de leurs raisons; mais je ne remarquais point encore leur vrai usage, et,
pensant qu'elles ne servaient qu'aux arts mécaniques, je m'étonnais de
ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n'avait rien
bâti dessus de plus relevé [...]. Je révérais notre théologie,
et prétendais autant qu'aucun autre à gagner le ciel; mais ayant appris,
comme chose très assurée, que le chemin n'en est pas moins ouvert aux
plus ignorants qu'aux plus doctes, et que les vérités révélées qui
y conduisent sont au-dessus de notre
intelligence;
je n'eusse osé les soumettre à la faiblesse de mes raisonnements [...]
Je ne dirai rien de la philosophie, sinon
que, voyant qu'elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui
aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s'y trouve
encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit
douteuse, je n'avais point assez de présomption pour espérer d'y rencontrer
mieux que les autres; et que, considérant combien il peut, y avoir de
diverses opinions touchant une même matière, qui soient soutenues par
des gens doctes, sans qu'il y en puisse avoir jamais plus d'une seule qui
soit vraie, je réputais pour faux tout ce qui n'était que vraisemblable.
Puis pour les autres sciences, d'autant qu'elles empruntent leurs principes
de la philosophie, je jugeais qu'on ne pouvait avoir rien bâti qui fût
solide sur des fondements si peu fermes; et ni l'honneur ni le gain qu'elles
promettent n'étaient suffisants pour me convier à les apprendre.-»
Descartes sortit donc du collège désabusé
des livres et de la science qu'ils enseignent. On peut dire qu'Ã ce moment
il est enclin à ne plus chercher la vérité
qu'en lui-même, dans sa raison. Toutefois, avant
de se résoudre définitivement à ce parti héroïque, il veut, par prudence,
tenter une dernière épreuve. Après avoir fermé les livres, il veut
ouvrir « le grand livre du monde », le parcourir, et chercher si la vérité
ne s'y trouve pas. Alors, pendant dix-sept ans, sa vie tient du roman.
Tantôt il se mêle à la société des humains, et tantôt il en disparaît
brusquement pour se cacher dans quelque retraite; tantôt il est en France ,
tantôt à l'étranger. Il parcourt l'Allemagne ,
l'Italie ,
la Hollande ;
pour voyager, il s'est fait soldat; il vit avec les soldats de Maurice
de Nassau aux Pays-Bas ,
puis avec ceux du duc de Bavière
en Allemagne; dans ses allées et venues, on pourrait dire dans ses aventures,
il se porte partout où un spectacle rare et intéressant l'attire; il
fréquente les savants du pays où il se trouve, étudie les humains et
les peuples, et une fois bien convaincu que « le grand livre du monde
» ne saurait plus que les autres lui révéler la vérité, il se retire
au fond de la Hollande, à Franeker, et là , sept ans de suite (1629 Ã
1636), seul avec lui-même, correspondant à peine avec quelques amis,
le P. Mersenne entre autres, il construit de
toutes pièces un vaste système, où tout se trouve, la nature et l'humain,
les sciences et la philosophie ,
le monde et Dieu.
René
Descartes, par Frans Hals.
L'ébranlement causé dans le petit monde
des savants et des penseurs par l'apparition du premier ouvrage de Descartes
fut immense. C'était une révolution. Cet ouvrage, publié à Leyde
en 1637, avait pour titre Discours de la Méthode
pour bien conduire sa raison et chercher la vérité
dans les sciences, plus la Dioptrique, les Météores et
la Géométrie ,
qui sont des essais de cette méthode. Par une innovation qui à elle seule
était déjà une révolution, il était écrit en français
et non en latin. (L'abbé Etienne de Courcelles
en donna en 1644 [Amsterdam] une traduction latine revue par Descartes,
sous ce titre Specimina philosophica). Il fut suivi des Meditanones
de prima philosophia in quibus Dei existentia et animae a corpore distinctio
demonstrantur; his adjunctaa sunt variae objectiones doctorum virorum,
cum responsionibus auctaris ,
c'est-à -dire des Méditations sur la philosophie première, qu'il
rédigea en latin, et qu'il dédia à la Sorbonne
(Paris, 1641; 2e édit., Amsterdam, 1642,
traduction en français par le duc de Luynes et Clerselier,
1647); des Principia philosophicae (Amsterdam, 1644); enfin du Traité
des passions de l'âme (Amsterdam, 1649). Ce sont là , avec un petit
écrit polémique, Epistola Renati Descartes ad Gisbertum Voëitum (Amsterdam,
1643), les seuls ouvrages que Descartes ait publiés lui-même; ce ne sont
pas les seuls qu'il ait écrits. Sans parler des ouvrages de sa jeunesse,
antérieurs au Discours de la Méthode, la Compendium musicae,
ou théorie mathématique de la musique, les Olympica et les Regulae
ad directionem ingenii, précieuse ébauche de la Méthode,
après sa mort, ses amis publièrent : De l'homme, avec les
Remarques de Louis de La Forge, et un Traité de la formation du foetus
(Paris, 1664); le Monde ou Traité de la lumière de Descartes ,
revu et corrigé par Clerselier (Paris, 1664), qui avait été le premier
fruit de ses travaux ( et dans lequel Descartes admettait, comme
Galilée,
le mouvement de la Terre
mais il avait supprimé prudemment cet ouvrage dès qu'il eût connu la
condamnation du philosophe italien (1633)); les Lettres (Paris,
1657-1667), et enfin les Opuscula posthuma, physica et mathematica
(Amsterdam,
1701).
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Entendement
et volonté
« Toutes les façons
de penser [La pensée, pour Descartes, est
synonyme de la conscience; les façons de penser sont les faits de conscience]
que nous remarquons en nous peuvent être rapportées à deux générales,
dont l'une consiste a apercevoir par l'entendement, et l'autre à se déterminer
par la volonté. Ainsi sentir, imaginer et même concevoir des choses purement
intelligibles, ne sont que des façons différentes d'apercevoir; mais
désirer, avoir de l'aversion, assurer, nier, douter, sont des façons
différentes de vouloir.
Lorsque nous apercevons
quelque chose, nous ne sommes point en danger de nous méprendre si nous
n'en jugeons en aucune façon; et, quand même nous en jugerions, pourvu
que nous ne donnions notre consentement qu'Ã ce que nous connaissons clairement
et distinctement devoir être compris en ce dont nous jugeons, nous ne
saurions non plus faillir; mais ce qui fait que nous nous trompons ordinairement
est que nous jugeons bien souvent, encore que nous n'ayons pas une connaissance
bien exacte de ce dont nous jugeons.
J'avoue que nous
ne saurions juger de rien, si notre entendement n'y intervient, parce qu'il
n'y a pas d'apparence que notre volonté se détermine sur ce que notre
entendement n'aperçoit en aucune façon; mais, comme la volonté est absolument
nécessaire afin que nous donnions notre consentement à ce que nous avons
aucunement aperçu, et qu'il n'est pas nécessaire pour faire un jugement
tel quel, que nous ayons une connaissance entière et parfaite; de lÃ
vient que bien souvent nous donnons notre consentement à des choses dont
nous n'avons jamais eu qu'une connaissance fort confuse.
De plus, l'entendement
ne s'étend qu'à ce peu d'objets qui se présentent à lui, et sa connaissance
est toujours fort limitée : au lieu que la volonté en quelque sens peut
sembler infinie, parce que nous n'apercevons rien qui puisse être l'objet
de quelque autre volonté, même de cette immense qui est en Dieu, à quoi
la nôtre ne puisse aussi s'étendre; ce qui est cause que nous la portons
ordinairement au delà de ce que nous connaissons clairement et distinctement;
et lorsque nous en abusons de la sorte, ce n'est pas merveille s'il nous
arrive de nous méprendre. »
(Descartes,
extrait des Principes de la Philosophie, I, 32.).
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Une fois son système paru; la vie de Descartes
se passe tout entière à le développer, à le propager, à le défendre.
Car, si ses ouvrages attirèrent à Descartes un grand nombre d'admirateurs,
ils lui suscitèrent aussi de vives contradictions et même des persécutions.
A la tête de ses adversaires se plaça un théologien d'Utrecht,
Gisbert Voët, qui l'accusa d'athéisme : peu s'en fallut que ses livres
ne fussent brûlés par la main du bourreau (1643); quelques-uns furent
mis à l'index à Rome ,
notamment les Méditations
(toutefois, la condamnation ne fut prononcée que longtemps après sa mort,
en 1663). Il eut aussi à répondre aux objections toutes philosophiques
de Hobbes, de Gassendi,
d'Arnauld et d'un grand nombre d'autres. Mais
ce méditatif avait l'âme d'un combattant. Doué d'une force de volonté
égale à l'étendue et à la profondeur de sa raison, Descartes ne laisse
passer aucune objection sans y répondre, et il y répond en homme assuré
de la supériorité de son génie.
De même il ne néglige aucune occasion
d'affermir dans leurs convictions les esprits gagnés à sa doctrine. Il
comptait ainsi d'illustres suffrages : ses principes étaient enseignés
dans plusieurs universités la princesse Élisabeth, fille de l'électeur
palatin Frédéric V, recherchait ses entretiens; Mazarin
lui accordait une pension de mille écus (1647). Les dernières années
de sa vie sont toutes de propagande et de réfutation, et l'accident qui
l'emporta eut pour occasion l'ardeur de son prosélytisme scientifique.
La reine Christine de Suède
avait désiré « le voir et s'entretenir avec lui sur la philosophie ».
Flatté de cette invitation, Descartes partit pour Stockholm
à la fin de 1649, mais au bout de peu de mois il fut atteint d'une
fluxion de poitrine qui l'enleva après quelques jours, le 11 février
1650. Il était âgé de prés de 54 ans. Ses restes furent rapportés
en France
en 1667, et déposés avec honneur à l'église'
Sainte-Geneviève
(Paris), mais il ne fut pas permis de prononcer
son oraison funèbre.
-
Christine,
reine de Suède, écoutant une démonstration de Descartes.
La
méthode
On fait dater d'ordinaire de Descartes l'esprit
de liberté et d'examen dans la science
et la philosophie .
C'est inexact. Avant lui, dès la Renaissance ,
de hardis penseurs, comme Campanella, Giordano
Bruno, Ramus, avaient, au milieu d'esprits
asservis à l'autorité, proclamé l'indépendance de la pensée,
et plus tard, l'astronomie
et les mathématiques s'étaient
renouvelées avec Copernic, Tycho
Brahé, Kepler, Cardan,
Viète
et Neper, la méthode expérimentale s'était fait
jour avec Galilée,
Rondelet,
Servet,
Aselli,
Harvey
et Bacon. La vérité, c'est que de ces découvertes
partielles ne s'étaient pas encore dégagées une vue distincte de l'unité
et du but de la science, une méthode applicable
à tous les ordres de recherches. Là est l'oeuvre de Descartes. Il a saisi
l'esprit humain en lui-même, et il l'a affranchi des entraves et des imaginations
qui l'emprisonnaient et l'obsédaient encore; il l'a fixé dans ses voies
naturelles; il a inauguré une façon de penser entièrement nouvelle,
comprenant tout ce qui peut être objet d'intelligence,
ralliant tout et reliant tout en un vaste système
dont le réseau s'étend aussi loin que la réalité
elle-même. C'est par là que Descartes dépasse ses devanciers, et est
vraiment l'initiateur de la pensée moderne.
Dans le système
de Descartes, tout se tient, tout est coordonné, comme les pièces
d'un organisme. On peut l'aborder par un point ou par un autre; une fois
qu'on y aura pénétré, on sera certain de le parcourir tout entier. Mais
si l'on veut en comprendre le développement, c'est dans son germe qu'il
faut le considérer d'abord. Ce germe, c'est la méthode.
Descartes a condensé sa méthode dans les quatre préceptes suivants :
« Le premier
était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse
évidemment être telle; c.-à -d. d'éviter soigneusement la précipitation
et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que
ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit
que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute. Le second, de diviser
chacune des difficultés que j'examinais en autant de parcelles qu'il se
pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. Le troisième,
de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus
simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme
par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant
même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les
uns les autres. Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers
et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.
» (Discours de la Méthode, II)
En leur brève teneur, ces préceptes ont
quelque chose d'obscur, comme les oracles antiques,
et ne peuvent se passer de commentaire. Ce qu'ils recèlent tout d'abord,
c'est l'unité de la science :
« Toutes
les sciences réunies ne sont rien autre chose que l'intelligence humaine,
toujours une, toujours la même, si variés que soient les sujets auxquels
elle s'applique. » (Regulae ad direct. ing., 1.)
Les sciences, en apparence les plus diverses,
ne sont donc au fond que les parties coordonnées d'un même
système.
Par suite, la méthode est universelle. Le but de la méthode est la constitution
de la
science, et par science il faut entendre
« un système de connaissances certaines
et évidentes ». (Reg., 2.) D'où le premier précepte. Mais Ã
quelles choses sont attachées l'évidence et
la certitude? Toutes les choses que nous pouvons
connaître ne se ressemblent pas; il en est de simples; il en est de composées;
il en est d'immédiates; il en est de dérivées; il en est d'absolues;
il en est de relatives. «-L'absolu, dit Descartes,
c'est tout ce qui contient en soi la nature pure et simple que l'on cherche.»
Le relatif, c'est tout ce qui participe de l'absolu et en dérive, et
« les choses relatives s'éloignent d'autant plus des choses absolues
qu'elles contiennent plus de rapports subordonnés les uns aux autres ».
(Reg., 6 et 12). Par suite, l'absolu c'est ce qui résiste à la
décomposition, ce dont « la connaissance est si claire et si distincte
que l'esprit ne le puisse diviser en un plus grand nombre d'autres choses
dont la connaissance soit encore plus distincte ». (Reg., 12.)
Tels sont par exemple, dans les choses
matérielles, la figure, l'étendue et le mouvement, et dans les choses
intellectuelles, le doute, l'ignorance, la connaissance.
Le relatif, au contraire, c'est ce qui peut être décomposé en un certain
nombre de ces éléments simples au delà desquels l'esprit
ne peut plus rien demander.
Ces natures simples sont claires. Nous
les voyons d'une vue directe, exempte d'illusion
et d'erreur (Reg., 3). De là le second
et le troisième précepte de la méthode. « Le secret de la méthode
consiste à chercher en tout ce qu'il y a de plus absolu », et à faire
voir distinctement comment ces éléments absolus concourent ensemble Ã
la composition des autres choses. La méthode est donc un double mouvement
de décomposition et de composition, d'analyse
et de synthèse. Elle décomposera les objets
complexes en leurs facteurs simples et absolus, puis elle les recomposera
à l'aide des mêmes facteurs. La méthode suppose donc deux procédés
distincts de connaissance l'intuition et le
raisonnement.
L'intuition, ou la vue immédiate de la vérité,
embrassant et comprenant, sans incertitude et sans obscurité, une notion,
une proposition tout entière, est en définitive l'unique source du savoir
certain.
Voir clair est le tout de la science. Le
raisonnement n'est qu'une série d'intuitions. C'est par l'intuition ou
l'évidence qu'il faut commencer; c'est à l'intuition ou à l'évidence
qu'il faut tout ramener, même les choses les plus obscures et les plus
composées. L'oeuvre de la méthode est donc
de ramener les rapports complexes à des rapports
simples, et, Ã l'aide de rapports simples, de former des rapports complexes.
Ainsi, qu'il s'agisse de la constitution d'une science ou de la solution
d'une question particulière, la méthode a pour base la certitude
immédiate, ou l'évidence des notions simples,
et pour procédés la réduction des choses composées aux éléments simples
et irréductibles qu'elles renferment, et la composition graduelle de ces
éléments en systèmes de plus en plus complexes,
suivant l'ordre même de la complexité des choses. Une en sa nature, toujours
identique à elle-même en ses procédés, la méthode est une en ses applications.
Elle ne sera pas différente, qu'il s'agisse des choses de l'esprit
ou des choses du corps. Seulement son unité n'implique pas nécessairement
l'unité fondamentale des choses. Loin de là . Si au terme de l'analyse
l'esprit se trouve en présence de notions simples, irréductibles les
unes aux autres, c'est qu'il sera vraiment en présence de choses irréductibles
et distinctes.
-
Morale de Descartes
Le souverain
bien est dans la bonne volonté
« Je ne vois rien
que nous devions estimer bien, sinon ce qui nous appartient en quelque
façon, et qui est tel que c'est perfection pour nous de l'avoir.
Le souverain bien
de tous les hommes ensemble est un amas ou un assemblage de tous les biens,
tant de l'âme que du corps et de la fortune, qui peuvent être en quelques
hommes; mais celui d'un chacun en particulier est tout autre chose, et
il ne consiste qu'en une ferme volonté de bien faire et au contentement
qu'elle produit : dont la raison est que je ne remarque aucun autre bien
qui me semble si grand, ni, qui soit entièrement au pouvoir d'un chacun.
Car pour les biens du corps et de la fortune, ils ne dépendent point absolument
de nous; et ceux de l'âme se rapportent tous à deux chefs, qui sont,
l'un de connaître et l'autre de vouloir ce qui est bon; mais la connaissance
est souvent au-delà de nos forces; c'est pourquoi il ne reste que notre
volonté dont nous puissions absolument disposer. Et je ne vois point qu'il
soit possible d'en disposer mieux que si l'on a toujours une ferme et constante
résolution de faire exactement toutes les choses que l'on jugera être
les meilleures, et d'employer toutes les forces de son esprit à les bien
connaître; c'est en cela que consistent toutes les vertus; c'est cela
seul qui, à proprement parler, mérite de la louange et de la gloire;
enfin, c'est de cela seul que résulte toujours le plus grand et le plus
solide contentement de la vie; ainsi j'estime que c'est en cela que consiste
le souverain bien.
Et par ce moyen,
je pense accorder les deux plus contraires et plus célèbres opinions
des anciens, à savoir celle de Zénon qui l'a mis en la vertu ou en l'honneur
[Honestum = l'honneur de la conscience], et celle d'Épicure qui
l'a mis au contentement, auquel il a donné le nom de volupté.
Je remarque que la
grandeur d'un bien à notre égard ne doit pas seulement être mesurée
par la valeur de la chose en quoi il consiste, mais principalement aussi
par la façon dont il se rapporte à nous; et qu'outre que le libre arbitre
est de soi la chose la plus noble qui puisse être en nous, d'autant qu'il
nous rend en quelque façon pareils à Dieu et semble nous exempter de
lui être sujets, et que par conséquent son bon usage est le plus grand
de tous nos biens, il est aussi celui qui est le plus proprement nôtre
et qui nous importe le plus; d'où il suit que ce n'est que de lui que
nos plus grands contentements peuvent procéder; aussi voit-on, par exemple,
que le repos d'esprit et la satisfaction intérieure que sentent en eux-mêmes
ceux qui savent qu'ils ne manquent jamais à faire leur mieux, tant pour
connaître le bien que pour l'acquérir, est un plaisir-sans comparaison
plus doux, plus durable et plus solide que tous ceux qui viennent d'ailleurs.
»
(Descartes,
Lettre
à la reine de Suède du 20 novembre 1647).
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Les
autres aspects de l'oeuvre de Descartes
Descartes est regardé en France
comme le rénovateur des sciences. Dans les travaux qu'il entreprit
pour opérer cette grande restauration, il faut distinguer le métaphysicien,
le mathématicien, le physicien et l'astronome.
En métaphysique
il prit pour point de départ ce célèbre enthymème,
Je
pense, donc je suis, et se servit de cette première vérité
pour établir et l'existence de l'âme, Ã
laquelle il donne pour essence la pensée,
et l'existence de Dieu, qu'il fonde sur l'idée
même que nous en avons, et celle des corps, qu'il fonde sur la véracité
de Dieu; Descartes distingua nettement l'esprit de la matière
(à laquelle il donne pour essence l'étendue),
mais sans expliquer l'action réciproque des deux substances;
préoccupé d'anatomie
et de physiologie, il plaça le siège de l'âme
dans la glande pinéale et lui donna pour agents
les esprits animaux; il réduisit les animaux
à n'être que de pures machines; enfin il admit des idées innées.
En mathématiques ,
Descartes fit faire un pas immense par l'invention d'un nouveau mode de
notation en algèbre, celui des exposants, et
par l'application de cette science à la géométrie
des courbes; ce qui lui permit de résoudre comme en se jouant les problèmes
regardés jusqu'alors comme insolubles.
Dans son Traité sur les Météores
(1637),
il expose le premier une théorie de l'arc-en-ciel ,
et dans sa Dioptrique (1637), les lois de la réfraction .
En astronomie ,
et en cosmologie, il imagina ce fameux système des tourbillons, suivant
lequel le Soleil
et les étoiles
fixes sont le centre d'autant de tourbillons de matière subtile qui font
circuler autour d'eux les planètes ;
mais, moins hardi ou moins franc que Copernic,
il ajoutait que tous ces tourbillons circulaient eux-mêmes autour de la
Terre .
Système
des tourbillons - Jusqu'au XVIIe s., les phénomènes célestes
et les lois des mouvements des astres ont été l'objet principal des études
des astronomes. La recherche du principe physique de ces mouvements, ébauchée
par les philosophes anciens et reprise par Kepler,
fut continuée par Descartes.
Dans ses
Principia Philosophiae (1644), Descartes explique les mouvements des
astres dans le système solaire
par l'intervention de forces, en supposant que chacun des astres est entouré
d'un tourbillon de matière subtile qui l'entraîne. Ce système est ingénieux,
mais le calcul ne peut pas lui être appliqué; aussi disparut-il quelque
temps après la découverte de Newton.
(Lebon, 1899).
Malgré l'opposition que la philosophie de
Descartes avait rencontrée à son début, elle ne laissa pas de se propager
dans toute l'Europe ,
et d'y obtenir, sous le nom de Cartésianisme,
un grand nombre de partisans, qui furent appelés Cartésiens. Parmi ceux-ci,
les uns, comme Delaforge, Clerselier,
Clauberg,
P.-Sylvain
Régis,
Jacques Rohault, se contentèrent
de reproduire la doctrine du maître, et de la commenter timidement; les
autres, comme Malebranche,
Spinoza,
Fardella,
en tirèrent des conséquences chacun à leur manière, et bâtirent des
systèmes qui s'en écartaient fort; d'autres enfin n'empruntèrent Ã
Descartes que son esprit et sa méthode, dont ils se servirent, tantôt
pour défendre, les vérités religieuses et morales
comme Arnauld, Bossuet,
Fénelon,
Nicole, et la plupart des Jansénistes de
Port-Royal;
tantôt, comme Bayle, pour battre en brèche toutes
les croyances. Après une vogue de plus d'un demi-siècle, le Cartésianisme
s'éclipsa rapidement devant la faveur qui s'attachait aux systèmes nouveaux
de Locke, de Newton, de
Leibniz;
cependant il continua d'être en France la philosophie dominante jusqu'Ã
Condillac.
Voltaire
lui porta les derniers coups.
Telles sont les grandes lignes de l'oeuvre
de Descartes. Ce que nous en avons dit suffit à en dégager le caractère
essentiel : c'est un système intellectualiste. La méthode dérive des
mathématiques,
et de la méthode sortent tour à tour la mathématique universelle, la
physique,
la psychologie et la métaphysique.
Le monde entier, celui des âmes aussi bien que celui des corps,
est un monde d'idées claires et distinctes, où
tout s'ordonne et se lie suivant des rapports
universels et nécessaires. La liberté est au
coeur du système; mais elle s'enchaîne elle-même
en agissant. La science se constitue sur la foi
de l'évidence intellectuelle; mais c'est aussi
sur la foi de l'évidence que se fait la métaphysique, dont le principal,
pour ne pas dire l'unique objet, est d'ériger en réalité la vérité
scientifique. C'est la
raison proclamée l'arbitre
unique de la connaissance. Par là Descartes, quelles qu'aient pu être
les destinées des diverses parties de son système, est bien le père
de la pensée moderne. (Louis Liard).
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Principaux
ouvrages : Les
ouvrages de Descartes, outre ceux que nous avons déjà cités, sont les
Passions
de l'âme, Amsterdam, 1649; le Monde ou Traité de la lumière,
1664 (posthume);
Traité de l'homme et de la formation du foetus,
1664, Compendium musicæ, 1650; la Mécanique, 1668; et de
nombreuses
Lettres, 1657.
Éditions
anciennes - Plusieurs de ses ouvrages,
qui avaient été écrits en latin, ont été traduits par Clersellier,
notamment : les Lettres, 1667, 3 vol. in-4; les Méditations ,
1673 (déjà trad. dès 1647 par le duc de Luynes); le Traité de l'Homme,
1677; les Principes, 1681. L'édition de ses oeuvres la plus complète
est celle de M. V. Cousin, en 11 volumes in-8,
Paris, 1824-1826; M. Ad. Garnier a donné à part les oeuvres purement
philosophiques, 1835, 4 vol. in-8, avec des notes; M. Foucher de Careil
a publié en 1859-60 deux volumes d'oeuvres inédites.
La
Vie de Descartes a été écrite par Baillet
1691; son Éloge, par Thomas et par Gaillard, 1761. M. Fr. Bouillier
a donné l'Histoire de da philosophie cartésienne, 1854.
En
librairie.
- Descartes, Discours de la méthode ,
Paléo, 2003. - Règles pour la direction de l'esprit, Le Livre
de Poche, 2002. - La Querelle d'Utrecht, Impressions nouvelles,
2001. - Les Passions de l'âme, Flammarion (GF), 2001. - L'Entretien
avec Burman, PUF, 2000. - Exercices pour les Eléments des Solides
(De solidorum elementis), PUF, 2000. - Abrégé de musique,
PUF, 2000. - Ecrits physiologiques et médicaux, PUF, 2000. - Lettre
préface des principes de philosophie, Flammarion (GF), 1999. - Le
Monde, Le Seuil, 1996. - La Morale, Vrin, 1995. - Principes
de Philosophie première, Vrin, 1995. - Correspondance avec Arnaud
et Morus, Vrin, 1995. - Méditations métaphysiques, Flammarion
(GF), 1993. - La Géométrie ,
Jacques Gabay, 1991.
Descartes,
Oeuvre
scientifique, 3 tomes disponibles chez Paléo : tome 5, Principes;
tome 6, Pirouettes et tourbillons des cieux; tome 7, La Terre
et son histoire. - Oeuvres complètes, Vrin (coffret de 11 volumes,
prés. Ch. Adam et P. Tannery), 1996.
Etudes
récentes sur Descarets et son oeuvre : Antonia Bimbaum, Le vertige
d'une pensée, Descartes, corps et âme, Horlieu Editions, 2003. Daniel
Giovannangeli, Finitude et représentation, Six leçons sur l'apparaître,
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Amir
D. Aczel, Le
carnet secret de Descartes, Jean-Claude lattès, 2007. - Le
1er juin 1676, le grand mathématicien
Leibniz
frappe à la porte de M. Clerselier afin de consulter des écrits de Descartes
que recelait une caisse arrivée de Suède
après sa mort. Dans cette caisse, il découvre un petit carnet de seize
feuillets rempli de signes mystérieux. Leibniz réussit à en décoder...
juste quelques pages. Que contient ce carnet? Son code est-il inspiré
par les sociétés secrètes florissant à cette époque?
Amir
D. Aczel nous entraîne à travers l'Europe
sur les pas d'un des plus fabuleux esprits du XVIIe siècle. Les théories
de Copernic et de Kepler
sont encore hérétiques; est-ce la raison pour laquelle Descartes préférera
camoufler - aux yeux de l'Eglise surtout - des idées jugées alors trop
dangereuses? Ces quelques pages rendent aussi à Descartes la paternité
de certaines découvertes mathématiques qui amplifient encore son génie.
Une formidable aventure scientifique autour d'une énigme qui continue
de fasciner. (couv.). |
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