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Averroès
est un célèbre philosophe arabe, qui
naquit à Cordoue, en 1126 (520 de l'hégire),
mort au Maroc
en 1198 (595). Le nom d'Averroès est une altération du nom arabe Ibn
Roschd (ou Ibn Rushd). En réalité le philosophe de Cordoue
s'appelait : Aboul-Wâlid Mohammed ibn Ahmed ibn Mohammed Ibn Rochd.
Sa famille était une des plus considérables de l'Andalousie .
Son grand-père, Aboul-Wâlid Mohammed, avait été sous les Almoravides
'kadhi al-oudhât (grand juge) de toute la province. Son
père Ahmed fut revêtu de la même dignité.
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Statue
d'Averroès (1126-1198), à Cordoue. Source :
The
World Factbook.
Le jeune Ibn Roschd étudia d'abord la
théologie selon les Asharites et le droit canonique selon le rite malékite
( L'Islam
sunnite), mais il ne s'en tint pas à ces spécialités et aborda avec
un grand zèle la médecine ,
les mathématiques
et la philosophie .
II eut pour maîtres les hommes les plus illustres de son temps. Ibn
Tofaïl, Abubacer des scolastiques, fut
l'artisan de sa fortune. La carrière publique d'Averroès ne fut pas sans
éclat; il exerça longtemps les fonctions de kadi à Cordoue. Pendant
sa jeunesse, la dynastie des Almohades
avait renversé celle des Almoravides et, grâce à l'influence d'lbn Tofaïl,
il fut en faveur auprès de ces princes, en particulier auprès de Yousouf,
successeur d'Abd-al-Moumin (Abd-el-Moumen),
le prince le plus lettré de son temps.
En 1153 (548 de l'hégire), on trouve Averroès
à Marrakech
(Maroc ),
occupé à seconder les vues d'Abd-aI-Moumin dans l'érection des collèges
qu'il fondait en ce moment. En 1169 (565), il remplit à Séville
les fonctions de kadi; il retourne à Cordoue
en 1171 (567) et est appelé de nouveau à Marrakech en 1182 par Yousouf
qui le nomme son premier médecin en remplacement d'lbn Tofaïl, puis lui
confère la dignité de grand kadi de Cordoue. Sous le règne de Yakoub
al-Mansoûr Billâh qui succéda à Yousouf en 1184, il est en faveur plus
que jamais, au moins pendant les premières années du règne de ce prince
: mais il devait aussi connaître les disgrâces. Ses ennemis l'accusèrent
de prôner la philosophie
et les sciences de l'Antiquité au détriment de la religion
musulmane. Mansour, ayant convoqué les principaux personnages de Cordoue,
fit comparaître Ibn Rochd et, après avoir anathématisé ses doctrines,
le condamna à l'exil; il le relégua dans la ville d'Elisana ou Lucena,
non loin de Cordoue, avec défense d'en sortir. La disgrâce d'Averroès
ne fut pas de longue durée. Tous les édits portés contre la philosophie
furent brisés par Mansoûr de retour à Marrakech; mais Ibn Rochd ne jouit
pas longtemps de sa rentrée en faveur : il mourut à Marrakech, dans un
âge avancé le jeudi 9 de safar de l'an de l'hégire 595 (10 décembre
1198).
Ibn Rochd fut un des hommes les plus savants
du monde musulman; il y eut une grande réputation, mais son influence
n'y fut pas ce qu'on pourrait croire. Déjà mal vues de son vivant, les
études
philosophiques tombèrent après lui dans un complet discrédit. Ce
fut surtout chez les juifs, dans l'école
de Moïse Maimonide, et chez les Latins
qu'Averroès trouva des successeurs, des critiques ou des admirateurs.
Sa doctrine, combattue par Saint Thomas, fut condamnée
en 1240 par l'Université de Paris, et en 1512 par le concile
de Latran. Dans le monde latin, il est arrivé à la célébrité
à un double titre : comme médecin et comme commentateur d'Aristote,
mais la gloire du commentateur a singulièrement dépassé celle du médecin.
C'est bien à tort qu'on l'a considéré pendant longtemps comme le traducteur
du philosophe grec. II existait des traductions arabes
des oeuvres d'Aristote, trois siècles avant Averroès, dues, pour la plupart,
à des savants syriens ou chaldéens, notamment à des Nestoriens qui vivaient
en grand nombre comme médecins à la cour des califes.
Les
oeuvres d'Averroès.
Averroès a composé sur Aristote trois
sortes de commentaires : le grand
commentaire, le commentaire moyen et les analyses ou paraphrases.
Dans le grand commentaire, il prend l'un après l'autre chaque paragraphe
du philosophe qu'il cite in extenso, et l'explique membre par membre.
Dans le commentaire moyen, le texte de chaque paragraphe est cité seulement
par ses premiers mots, puis le reste est expliqué sans qu'on puisse distinguer
ce qui appartient à Aristote ou à Averroès.
Dans la paraphrase, Averroès parle toujours en son propre nom et compose
ainsi de véritables traités sous le même titre que ceux d'Aristote.
Les grands commentaires furent très certainement composés après les
autres. Averroès ne s'accordait pas toujours dans ses commentaires avec
Alexandre
d'Aphrodisie, ce qui divisa toute l'école en deux sectes, celle des
Averroïstes et celle des Alexandristes.
II serait difficile
de donner ici une liste complète des ouvrages d'lbn Rochd. On a d'Averroès,
outre ses Commentaires sur Aristote, publiés en latin, Venise,
1595, in-fol., des Commentaires sur les canons d'Avicenne,
Venise, 1484; la Destruction de la Destruction des philosophes d'Algazel,
etc. Les traités philosophiques sont les plus nombreux, mais les oeuvres
médicales ne sont pas moins importantes : le Colliget (Koulliyyât
= généralités) est un cours complet de médecine
en sept livres qui a eu pendant longtemps une grande réputation (Venise
1482). En astronomie ,
il a écrit un traité sur le mouvement de la sphère : Kitab fi-Harakat
al-Falak. Il a résumé l'Almageste
et l'a divisé en deux parties: description des sphères, et mouvement
des sphères. Ce résumé de l'Almageste a été traduit de l'arabe
à l'hébreu par Jacob Anatoli en 1231. En jurisprudence,
un Cours complet de jurisprudence; enfin des opuscules sur la théologie
et la grammaire. Nous ne possédons la plupart
de ces oeuvres que dans leurs versions hébraïques,
le texte arabe est assez rare. Quant aux
éditions latines, partielles ou complètes,
elles sont innombrables, Venise en compte
pour sa part plus de cinquante.
La
philosophie d'Averroès.
Quelle place faut-il assigner à Averroès
dans l'histoire de la philosophie? On a très
bien remarqué que les Arabes n'ont pas eu de philosophes au sens ordinaire
de ce mot; il ne s'est pas rencontré chez eux de ces penseurs originaux
qui, par la pénétration de leur esprit et la puissance de leur dialectique,
créent de toutes pièces un système doctrinal. Le véritable mouvement
philosophique de L'islam doit se chercher dans
les sectes théologiques et surtout dans le Kalâm (logos).
Les Motakallamîn (theologoi) s'efforcent avant tout d'établir
la création de la matière et l'existence
d'un Dieu
libre, séparé du monde, et agissant sur le monde. La causalité,
selon eux, ne réside pas dans les lois de la nature;
Dieu seul est cause. Deux faits ne s'enchaînent
jamais nécessairement l'un à l'autre, et l'ensemble de l'univers pourrait
être tout autre qu'il n'est. Or, la philosophie
arabe, commentant d'une façon originale et complète le péripatétisme,
insiste sur ces deux grandes doctrines : l'éternité
de la matière et la théorie de l'intellect.
C'est le problème de l'origine des êtres
qui préoccupe le plus Ibn Rochd. Reprenant l'idée d'Aristote
que toute création se réduit à un mouvement et que tout mouvement suppose
un sujet, il trouve que ce sujet unique, cette
possibilité universelle, c'est la matière première, douée de réceptivité,
mais dénuée de toute qualité positive et apte
à recevoir les modifications les plus opposées. Cette matière première
n'est susceptible d'aucun nom ni d'aucune définition,
elle n'est que la simple possibilité. Toute
substance
est ainsi éternelle par sa matière, c.-à -d. par sa puissance d'être.
Tout ce qui est possible doit nécessairement passer à l'acte;
autrement, il y aurait quelque chose d'oisif dans l'univers; or le mouvement
est continu, sans lui il n'y aurait aucune évolution
successive, rien ne serait. De là résulte que le moteur
n'agit pas librement; la liberté suppose nouveauté,
or Dieu n'a pas de raison d'être nouveau.
A supposer l'existence
d'un premier moteur, comment peut s'exercer le gouvernement du monde? Le
gouvernement de l'univers, selon Averroès, ressemble au gouvernement d'une
cité, ou tout part d'un même centre, mais où tout n'est pas l'oeuvre
immédiate du souverain. Un seul être peut être le produit immédiat
de Dieu et en rapport direct avec lui : c'est la première intelligence,
le premier moteur des étoiles fixes, sorte de démiurge
dont l'origine doit évidemment être cherchée dans une sorte de compromis
entre les doctrines péripatéticiennes
et les théories alexandrines.
II ne saurait être question dans les anciens
systèmes de l'homogénéité du monde que la science moderne met de plus
en plus en relief. Le ciel, aux yeux d'Averroès
est un être vivant, le plus noble de
tous les êtres animés; il est composé de plusieurs orbes représentant
les membres essentiels à la vie ( La
cosmographie médiévale );
chez lui, le premier moteur représente le coeur d'où la vie rayonne pour
les autres membres. Chaque orbe a son intelligence qui est sa forme,
comme l'âme 'rationnelle
est la forme de l'humain; ces intelligences, hiérarchiquement subordonnées,
constituent la chaîne des moteurs, qui propagent le mouvement de la première
sphère jusqu'à nous. Elles se connaissent elles mêmes et ont la connaissance
de tout ce qui se passe dans les orbes inférieurs; l'intelligence première
a par conséquent la connaissance complète de tout ce qui se passe dans
l'univers.
De cette théorie d'Averroès sur les intelligences
planétaires il faut rapprocher sa théorie de l'intellect humain qu'il
emprunte au IIIe livre du Traité de
l'Âme d'Aristote. Comme le philosophe
grec, il distingue l'intellect actif et l'intellect passif. Le premier
est entièrement séparé de l'humain et exempt de tout mélange avec la
matière;
le second est individuel et périssable, comme toutes les facultés de
l'âme qui n'atteignent que le variable.
L'acte de la connaissance n'a lieu que
par le concours de ces deux intellects. L'intellect passif aspire à s'unir
à l'intellect actif, comme la puissance appelle l'acte,
comme la matière appelle la forme. Le premier
degré de possession s'appelle l'intellect acquis. Mais l'âme peut arriver
à une union bien plus intime avec l'intellect universel, à une sorte
d'identification avec la raison primordiale. L'intellect
acquis a servi à conduire l'humain jusqu'au sanctuaire, mais il disparaît
dès que le but est atteint, à peu près comme la sensation prépare l'imagination
et s'évanouit dès que l'acte de l'imagination est trop intense.
Arrivé à cet état d'union avec l'intelligible
lui-même, l'humain comprend toutes choses; devenu semblable à Dieu ,
il est en quelque sorte tous les êtres, et les
connaît tels qu'ils sont. Cette doctrine de l'union (ittisâl),
qui joue un si grand rôle dans la psychologie
orientale, est dégagée par Ibn Rochd de l'élément mystique
qu'elle renferme trop souvent. Il proclame hautement qu'on n'arrive Ã
l'union que par la science. Dieu est atteint, dès que par la contemplation
l'humain a percé le voile des choses et s'est trouvé face à face avec
la vérité transcendante.
La philosophie d'Ibn Rochd nous apparaît
donc, ainsi que le remarque Renan (Averroès
et L'Averroïsme, 1852-1860), comme un système de naturalisme
très fortement lié dans toutes ses parties. L'univers est constitué
par une hiérarchie de principes éternels,
autonomes et primitifs, vaguement rattachés à une unité supérieure.
L'un d'eux est la pensée qui se manifeste sans cesse sur quelque point
de l'univers et forme la conscience permanente
de l'humanité. Cette immuable pensée ne connaît ni progrès
ni retour. L'individu y participe à des degrés
divers; d'autant plus parfait, d'autant plus heureux que cette participation
approche davantage de la plénitude. Quelle sera dans ce système la part
de l'immortalité?
On connaît à cet égard la doctrine d'Aristote
: l'intellect universel est incorruptible et séparable du corps;
l'intellect individuel est périssable et finit avec le corps. C'est lÃ
le sentiment des philosophes arabes
et d'Averroès en particulier. L'intellect actif est seul immortel; or
l'intellect actif n'est autre chose que la raison
commune de l'humanité; l'humanité seule est donc éternelle, il faut
rejeter le dogme de la résurrection individuelle et les mythes
populaires sur l'autre vie qui l'accompagnent.
Le système moral d'Ibn Rochd occupe très
peu de place dans sa philosophie; le philosophe arabe se borne à combattre
les idées des Motakallamîn qui soutenaient que le bien est ce
que Dieu
veut, et que Dieu le veut non par suite d'une raison intrinsèque et antérieure
à sa volonté, mais uniquement parce qu'il le
veut. Averroès essaie de démontrer qu'une telle doctrine en morale renverse
toutes les notions du juste et de l'injuste. Quant à la liberté
de l'humain, lbn Rochd soutient que la créature humaine n'est ni absolument
libre, ni absolument prédestinée. Envisagée dans l'âme,
la liberté est entière et sans restriction, mais elle est limitée par
la fatalité des circonstances extérieures.
Telles sont, en résumé, les idées professées
par le philosophe de Cordoue; elles l'ont
fait accuser d'incrédulité. Il est certain que sa doctrine
sur l'éternité du monde est singulièrement
contraire à l'enseignement de toutes les religions,
mais Averroès ne faisait pas de l'incrédulité systématique il philosophait
librement, sans chercher à heurter la théologie, comme aussi sans se
déranger pour éviter le choc. (A. Gary).
"La
religion particulière aux philosophes, dit-il quelque part, est d'étudier
ce qui est; car le culte le plus sublime qu'on puisse rendre à Dieu est
la connaissance de ses oeuvres, laquelle nous conduit à le connaître
lui-même dans toute sa réalité. C'est là , aux yeux de Dieu, la plus
noble des actions, tandis que l'action la plus vile est de taxer d'erreur
et de vaine présomption celui qui rend à la divinité ce culte, plus
noble que tous les autres cultes, qui l'adore par cette religion, la meilleure
de toutes les religions."
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En
bibliothèque. -
Averroès, Grand commentaire de la Métaphysique, livre B, Vrin
, 2002. - L'Islam et la raison, Flammarion, 2000. - L'intelligence
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décisif, Flammarion (GF), 1999. - L'accord de la religion et de
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Thomas
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Renan, Averroès et Averroïsme, Maisonneuve et Larose, 2002.
Paul
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- Dominique Urvoy, Averroès, Les ambitions d'un intellectuel musulman,
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1996. - Ali Ben Makhlouf, Averroès, Les Belles Lettres, 2000. -
Habib Samrakandi, L'actualité d'Averroès, Presses universitaires
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1999. - Philippe Buttgen et Stéphane Diebler, Théories de la phrase
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