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Thomas More

Sir Thomas More, ou de son nom d'humaniste Thomas Morus, est un homme d'Etat et écrivain anglais, né à Londres le 7 février 1478, mort à Londres le 6 juillet 1535. Fils d'un homme de loi, il fit ses premières études au collège Saint-Antoine de Londres. Il y fit preuve d'une surprenante intelligence. Le cardinal Morton, archevêque de Canterbury, le prit dans sa maison, développa son instruction. Le jeune More, gracieux, vif et éveillé, lui plaisait fort et il avait coutume de dire : 
« Ce  garçon qui nous sert à table deviendra un homme remarquable. Qui vivra, verra. » 
Thomas acheva ses études à Oxford, où il obtint les plus grands succès. Il composait des poésies latines et anglaises, assez médiocres pour la forme, mais où brillent çà et là de hautes et nobles pensées. Il se passionnait pour Pic de la Mirandole, dont il écrivit la vie et dont il traduisit, en vers anglais, « les douze Règles pour exciter et diriger un homme dans la bataille spirituelle ». Il se liait avec Linacre, avec Grocyn, avec Colet, tout ce groupe d'érudits qui présida à la Renaissance en Angleterre. Il fut bientôt mis en relation avec Erasme et exerça sur le grand écrivain une sorte de fascination par son étonnante érudition et la douceur de son caractère. 
« Où trouve-t-on, écrivait Erasme, un caractère plus aimable, plus séduisant, plus heureux, que celui de Thomas More? »
Ainsi, à peine sorti de l'université, More était connu dans l'Europe entière comme l'un des chefs du nouveau mouvement intellectuel. Le groupe des érudits d'Oxford excita la suspicion d'Henri VII, qui haïssait tout ce qui était vivant et indépendant. De plus, Thomas More, qui s'était fait inscrire au barreau et qui venait d'être élu au Parlement (1504), attaqua assez vivement les exactions financières du roi. Il fut heureusement protégé par l'archevêque Warham et put échapper aux conséquences d'une telle opposition. En 1505, il épousa Jane Colte, jeune fille intelligente et charmante, qui mourut prématurément en 1511 après lui avoir donné quatre enfants. Leur vie de famille, dans leur petite maison de Chelsea, excitait l'admiration d'Erasme, qui écrivit sous leur toit son Eloge de la folie.  En 1508, More, en compagnie d'Erasme, visita les universités de Louvain et de Paris. Il se remaria en 1511 avec Mrs Middleton, plus âgée que lui de sept ans, bonne et dévouée.
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Holbein : Thomas More.
Thomas More (1478-1535), chancelier d'Angleterre
de 1529 à 1532, par Hans Holbein.
(Galerie royale de Windsor).

L'avènement de Henri VIII, qui causa dans toute l'Angleterre un cri de soulagement, inspira à More un poème qui attira l'attention du souverain. More lui fut présenté par Wolsey. Il plut; il fut chargé de diverses ambassades, en Flandre (1515), en France (1517), fut nommé maître des requêtes (1518). Henri VIII trouvait tant de charme à sa conversation « qu'il pouvait à peine obtenir une fois par mois un congé pour retourner chez lui auprès de sa femme et de ses enfants chéris ».

Parmi tant d'occupations, Thomas More trouva le loisir d'écrire l'ouvrage qui allait consacrer sa renommée, l'Utopie (1518), le livre par excellence de la Renaissance. D'autres, et des plus grands, avaient proposé leurs plans de réforme pour les lettres et la religion, More aborda, le côté politique et s'attaqua à la société. Tous les problèmes qui se posent de nos jours avec une si pressante acuité, problèmes du travail, du crime, du gouvernement, il les posa et crut les résoudre. Le système social, dit-il, est une conspiration du riche contre le pauvre. 

« Le riche s'efforce de rogner sur le salaire du pauvre, soit par des fraudes personnelles, soit par des mesures législatives et générales, de sorte que les abus déjà existants (car c'est un abus que ceux qui donnent le plus à l'Etat soient le moins rémunérés) sont encore aggravés par les lois de l'Etat. » 
En Utopie, - cette île qui n'existe nulle part, - la législation a pour but le bien-être social, industriel, intellectuel et religieux de la communauté en général et de la classe laborieuse plus particulièrement. Tout le monde travaille, mais d'un travail modéré. La journée est ainsi divisée : six heures pour travailler, dix heures pour se reposer ou s'instruire, huit heures pour dormir. Il faut en effet que les ouvriers s'instruisent, « car c'est une des conditions essentielles du bonheur public que d'avoir quelques heures de loisir pour réfléchir et orner son esprit ». Il y a de nombreuses écoles. Les maisons sont confortables. 
« On en était enfin venu à Utopie à voir l'influence que peut avoir une hygiène générale bien entendue, sur la moralité publique, quand on répand partout l'air, la lumière, l'aisance, la propreté. »
Même surprenante élévation d'idées, mêmes spéculatiens grandioses sur les questions de pénalités, de mariage, de religion. Prévenir le crime vaut mieux que le punir. 
« Si vous souffrez que les gens du peuple soient mal enseignés et corrompus dès l'enfance, et si vous les punissez, lorsqu'ils sont arrivés à l'âge d'homme, pour des crimes qu'ils ont pour ainsi dire sucés avec le lait, qu'est-ce sinon faire des voleurs et les châtier ensuite? »
Le châtiment duit être proportionné au délit; l'excès de cruauté dans les pénalités est abominable. Enfin il ne faut pas que les châtiments enlèvent au criminel tout espoir de recouvrer plus tard sa liberté en donnant des gages de son désir de vivre désormais en honnête homme. Le mariage, en Utopie, n'a lieu entre fiancés qu'après vérification mutuelle de leur état physique. S'ils se trouvent satisfaits l'un de l'autre, on les marie. Si, par suite, il y a incompatibilité d'humeur, le divorce par consentement mutuel est permis. L'adultère est puni de mort. Toutes les religions sont tolérées. « La religion ne doit être propagée que par la persuasion, non par l'insulte et la violence, » et le culte public doit être célébré « de façon que tous ceux qui croient aux Saintes Ecritures et y conforment leur vie puissent y prendre part sans hésitation, sans scrupule et sans hypocrisie ». 

Le succès de l'Utopie fut considérable. Il causa dans toute l'Europe une rumeur d'admiration. On y a voulu voir depuis, comme en germe, le saint-simonisme, le fouriérisme et bien d'autres théories sociales. Il convient de se défier de telles assimilations. Nisard écrit tort justement « Sauf quelques passages où l'intention satirique est évidente, l'Utopie est plutôt l'aimable jeu d'esprit d'un érudit que la déclaration de principes d'un réformateur. » 

La position de Thomas More à la cour se trouva fortifiée. Bientôt Henri VIII ne put plus se passer de lui, l'accablant de prévenances et des témoignages d'une amitié qui ne faisait pas illusion au philosophe.

« Si ma tête - écrivait-il à son gendre - pouvait lui l'aire gagner un seul château en France, il n'hésiterait pas à la faire tomber. » 
More est nommé vice-trésorier du roi (1521), speaker de la Chambre des communes (1523), chancelier du duché de Lancaster (1525), enfin, à la chute de Wolsey, grand chancelier d'Angleterre (1529). Entre temps, il avait pris parti contre Luther dans la grande polémique religieuse du temps, en publiant un pamphlet violent, voire grossier, en réponse à celui du réformateur contre le traité d'Henri VIII, la Défense des sept sacrements. 

Dès qu'il eut pris possession de son siège, Thomas More voulut réaliser les plans de réforme religieuse de Colet et d'Erasme; il sévit rigoureusement contre les protestants, et il eût mené à bien son entreprise si la question irritante du divorce de Henri VIII, pressé d'épouser sa maîtresse Anne Boleyn, n'eût renversé ses projets. Le pape avait refusé d'accorder le divorce; les cours étrangères s'y montraient opposées. Thomas Cromwell, un élève de Machiavel, proposa au roi de repousser la juridiction du Saint-siège, de se déclarer le chef de l'Eglise anglaise et d'obtenir son divorce de ses propres cours ecclésiastiques. Thomas More n'était pas d'un caractère à se prêter à cette combinaison; il se confina dans les devoirs purement judiciaires de sa fonction et réalisa d'importantes réformes dans l'administration de la Justice; mais, ayant été forcé de lire devant les Communes les consentements des universités de Cambridge et d'Oxford sur la légalité du divorce, il se démit de sa charge (1532) et vécut très retiré. Mais cet effacement ne satisfaisait pas Cromwell, résolu à briser toutes les résistances. Il rédigea une loi de succession qui sanctionnait le nouveau mariage du roi et obligeait tous ceux qui avaient prêté le serment d'allégeance à declarer qu'ils croyaient à la validité du divorce (1534). 

More, mandé à Lambeth, refusa de prêter le nouveau serment. Il fut envoyé à la Tour. On lui fit un procès dérisoire, et il fut envoyé à l'échafaud. Il se montra, le jour du supplice, calme, maître de lui, ironique comme à l'ordinaire et, au moment d'être décapité, soulevant soigneusement sa barbe, il dit doucement : 

« Ce serait un grand dommage qu'elle fût coupée, elle qui n'a jamais trahi personne. »
Sa tête fut exposée sur le pont de Londres. La mort de cet honnête homme, le plus éminent de l'Angleterre, frappa l'Europe de stupeur. Les catholiques le considérèrent comme un martyr : le 9 décembre 1886, le pape Léon XIII l'a béatifié. 

Les écrits d'Erasme, les biographies, publiées par son gendre et ses petits-fils, nous ont fait connaître, dans ses plus petits détails, sa vie intime, la plus pure et la plus noble qui soit. Holbein, avec qui il fut aussi lié, nous a laissé de lui plusieurs portraits remarquables. Il avait une figure irrégulière et fine, des yeux gris, très vifs, des lèvres minces et mobiles, des cheveux bruns, tombant sur le front, une attitude simple, un costume négligé.

Thomas More avait eu de sa première femme trois filles et un fils. L'aînée, Marguerite (1505-1544), fut son enfant de prédilection. Elle était remarquablement intelligente et
innstruite. Elle épousa William Roper, protonotaire à Canterbury, qui a écrit une biographie très pathétique de son beau-père. (René Samuel).



En bibliothèque. - Les ouvrages de thomas More ont été recueillis en 2 vol. in-fol. : l'un renferme ceux qu'il avait composés en angl., Londres, 1559, et l'autre ceux qui sont écrits en latin, Louvain, 1566. Le plus connu de tous est son Utopie : De optimo reipublicae statu, deque nova insulâ utopia, Louvain, 1516, in-4; Bâle, 1518, in-4: Ralphe Robinson en a donné en 1551 une traduction anglaise qui a été réimpr. à Londres en 1809, 2 vol in-8, par les soins de Th. Frognall Dibdin; il en existe plusieurs traductions françaises : par J. Leblond, 1550, in-8; par Gueudeville, 1715; par Th. Rousseau, 1780, 1789, in-8, avec un précis de la vie de l'auteur. M. Cuyley a publ. en angl. les Mém. de Th. Morus, etc, Londres, 1808, l vol. in-4. On a plusieurs Vies de Morus; l'une des plus intéressantes est celle que l'on doit à son gendre, Will. Roper, publiée par Th. Hearne, Oxford, 1716, in-8.

En librairie - Thomas More, L'Utopie, J'ai Lu, 2003. - Ecrits de prison, Le Seuil, 1981. - La Tristesse du Christ, Pierre Téqui.

Descartes, Correspondance avec Arnauld et Morus, Vrin, 1995. - Jean Anouilh, Thomas More ou l'homme libre, La Table Ronde, 1987.

Collectif, Formes de l'utopie, domaine anglais : de Thomas More au groupe Alphaville, Presses universitaires de Clermont-Ferrand, 2002. - Philippe Godding, Petite vie de Thomas More, Desclée de Brouwer, 2002. - E. Ganne, Thomas More, l'homme complet de la renaissance, Nouvelle Cité, 2002. - L. de Brabandère et al., Erasme, Machiavel, More, trois philosophes pour le manager d'aujourd'hui, Village mondial, 2000. - Jacques Dufresne, Thomas More, Fides, 2000. - Henri Weber, Histoire des idées et des combats d'idées aux XIVe et XVe siècles (de Raymond Lulle à Thomas More), Honoré Champion, 1997. - Nicole Morgan, Le sixième continent, l'Utopie de Thomas More, Vrin, 1995. - Germain March Adour, Thomas More, un homme pour toutes les saisons, L'Atelier, 1992.

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