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![]() | Roger Bacon, surnommé le Docteur admirable (Doctor mirabilis), est un moine né en Angleterre![]() Au sortir de l'enfance, ses parents l'envoyèrent aux écoles d'Oxford, où ses rapides progrès lui concilièrent la bienveillance de plusieurs personnages éminents, et, entre autres, de Robert Grosseteste, évêque de Lincoln. Lorsqu'il eut pris quelque teinture de la grammaire et de la dialectique, il quitta son pays, et, à l'exemple des plus grands hommes du XIIIe siècle, vint déqueuter l'université de Paris, que tout l'Occident proclamait la cité des philosophes et le centre des lumières. L'histoire ne dit pas combien de temps il y passa; mais il ne retourna pas en Angleterre avant d'avoir obtenu le grade de docteur, peut-être même avant d'avoir pris l'habit de franciscain. Après l'année 1240, nous le trouvons retiré près d'Oxford, dans un cloître de cet ordre, et consacrant aux sciences et aux lettres tous le instants que ne réclamaient pas les devoirs de la vie monastique. Il apprit d'abord l'arabe, le grec et l'hébreu, afin de pouvoir étudier dans le texte original les traités d'Aristote et des philosophes orientaux, que, suivant lui, l'ignorance des traducteurs latins avait totalement dénaturés. Il s'adonna ensuite aux mathématiques, aux différentes parties de la physique Roger Bacon, à ce moment, n'avait encore rien publié, et peut-être cette défense, religieusement observée, allait le décider à abandonner ses plans, lorsque, pour son malheur ou pour sa gloire, le cardinal Fulcodi fut envoyé en Angleterre par le pape Urbain IV. Fulcodi, jurisconsulte célèbre et secrétaire de saint Louis avant d'être cardinal, aimait beaucoup les lettres. II est probable que, durant son voyage, la renommée de Bacon, qui commençait à se répandre, parvint jusqu'à lui; car, peu de temps après, étant devenu pape sous le nom de Clément IV, il adressa au moine franciscain un légat, Raymond de Laudun, à qui il le priait de remettrequelques traités de sa composition. Bacon refusa d'abord; mais, sur de nouvelles instances, il fil partir pour Rome un de ses disciples, Jean de Paris, qui devait présenter au souverain pontife l'Opus majus et des instruments de mathématiques. ![]() Roger Bacon (ca.1214-1294). Clément IV accueillit ce double hommage avec une bienveillante admiration, et, tant qu'il vécut, Roger Bacon mena des jours tranquilles, sinon honorés. Mais après sa mort, arrivée en 1268, la jalousie et la haine quelque temps contenues des franciscains, se trahirent par une persécution sourde dans les premiers temps, et qui bientôt fut avouée. On ne se borna plus à renouveler les anciennes défenses; on fit comparaître Bacon, alors âgé de soixante-quatre ans, devant une assemblée qui se tint à Paris en l'année 1278, sous la présidence du supérieur Jean d'Esculo; on frappa sa doctrine d'un anathème solennel, et il fut jeté dans les fers sans avoir la triste ressource d'en appeler à la cour de Rome; car on avait à l'avance rendu inutiles toutes ses démarches en suppliant le souverain pontife de confirmer la sentence. Soit défaut de pouvoir, soit manque de courage, tous ses disciples gardèrent le silence, et ce fut dans la résignation seule qu'il fut chercher des adoucissements à son malheur. Sa captivité durait depuis quelques années, lorsque Jean d'Esculo (d'Ascoli) parvint au siège pontifical, sous le nom de Nicolas IV. Roger Bacon, que l'espérance d'un meilleur sort n'avait pas abandonné, lui adressa un opuscule Sur les moyens d'arrêter les progrès de la vieillesse. Il ne semblait pas que cette démarche dût adoucir en sa faveur l'ancien supérieur de son ordre; cependant, après de nouvelles rigueurs, celui-ci, renonçant à une vieille rancune, ou plutôt, vaincu par les instances de quelques protecteurs dévoués, ordonna qu'on rendit la liberté à l'auteur de l'Opus majus. Bacon touchait alors à une vieillesse avancée, qui ne devait pas lui permettre de jouir longtemps de cette justice tardive. Il mourut effectivement peu de temps après. L'Opus majus. ![]() Roger Bacon, sur une ancienne gravure. Roger Bacon ne doutait pas qu'il ne vécût à une époque de torpeur intellectuelle et d'ignorance profonde, parmi des hommes fort peu instruits; et ne cherchant pas à le devenir, qui, par conséquent, ne faisaient faire aux sciences aucun progrès. Ce fait admis, il en trouva plusieurs causes, qui se ramènent aux suivantes : trop de confiance dans l'autorité, le respect de la coutume, d'aveugles égards pour les préjugés populaires, et cet orgueilleux amour de soi-même qui porte l'humain à réprouver comme dangereuses ou à mépriser comme puériles les connaissances qu'il ne possède pas. Il résultait de là que le premier devoir d'un réformateur intelligent était de rendre à l'esprit humain son indépendance, en ruinant l'empire de l'autorité, de la coutume et des préjugés, et de mettre en lumière les avantages pratiques et la dignité des sciences. Tel est l'objet des premières parties de l'Opus majus. Bientôt, abordant des considérations d'une autre nature, Roger Bacon entreprend une apologie générale des sciences. Il insiste principalement sur la nécessité de n'en bannir aucune, et de ne pas accroître comme à plaisir notre ignorance par un injuste mépris pour un genre d'instruction qui n'est pas le nôtre. Il avoue que certaines parties de la philosophie Après avoir exposé ces vues générales, Roger Bacon en vient aux détails. On conçoit qu'il attire toute l'attention du lecteur sur les sciences qui lui paraissent le plus négligées par ses contemporains, et qu'il avait lui-même cultivées plus que toutes les autres, à savoir la grammaire et les mathématiques. Comme les livres sacrés sont traduits du grec et de l'hébreu, et que, d'une autre part, les docteurs scolastiques vivaient, en quelque façon, sur les ouvrages d'Aristote et des philosophes arabes, l'importance des traductions et la nécessité de les avoir correctes devenaient évidentes, et on pouvait facilement en conclure que l'étude de la grammaire était indispensable. L'apologie des sciences mathématiques exigeait tout autrement de soin et de profondeur; aussi occupe-t-elle une place énorme dans l'Opus majus, dont une vintaine de pages au plus sont consacrées à la grammaire. 1° qu'elles sont supposées par toutes les autres sciences, que, sans elles, on ne peut étudier avec fruit;Parmi les questions de philosophie naturelle dont les mathématiques facilitent ]a solution, Roger Bacon cite et discute les suivantes : Quelles sont les différences des climats? Quelle est la cause du flux et du reflux, c'est-à-dire des maréesEnfin, les mathématiques sont la condition de l'astrologie; par l'astrologie jointe à la connaissance des climats , elles contribuent beaucoup aux progrès de la médecine, et, à ces avantages, elles joignent celui de créer en quelque sorte la science de la perspective. Là vient se placer un traité de Perspective, qui , joint à un opuscule de la Multiplication des figures (de Multiplicatione specierum), compose la cinquième partie de l'Opus majus. - ![]() Roger Bacon, en alchimiste. Dans une sixième et dernière partie, intitulée de Scientia experimentali, Roger Bacon poursuit le cours de ses recherches sur différents points de philosophie naturelle. Quelques lignes, dont l'exemple de sa vie est un éclatant commentaire, révèlent sa pensée sur la méthode applicable aux sciences. Il distingue deux procédés, l'expérience et le raisonnement, mais en se prononçant hautement pour le premier. Selon lui, le raisonnement aboutit à des conclusions qu'il nous permet de comprendre; mais il ne nous donne pas une notion claire et distincte de la réalité; il ne nous apprend ni à fuir les choses nuisibles ni à rechercher les bonnes. Ainsi, dit-il, il se peut que, par des arguments très puissants, on parvienne à prouver que le feu brûle et détruit tout ce qu'il touche ; mais cette démonstration ne suffirait pas à un humain qui n'aurait jamais vu de feu, et il n'éviterait la flamme qu'après en avoir approché la main ou un objet combustible. Roger et Francis.
A ces frappantes analogies se mêlent des différences qui tiennent à la fois aux hommes et aux époques. Ainsi, autant le style du chancelier Bacon est riche, animé, brillant de métaphores et de saillies, autant celui de Roger est lourd, pénible, décoloré, bien que de beaucoup supérieur à celui des écrivains du même âge. L'Instauratio magna ne porte pas le cachet d'une connaissance profonde de l'histoire et des monuments de la science; au contraire, Roger est très érudit; il possède à fond Aristote, Ptolémée, Euclide, les philosophes arabes, et il les cite à tout propos, méthode assez difficile à concilier avec son mépris pour l'autorité. On ajoutera en dernier lieu qu'il a sur le baron de Vérulam l'immense avantage d'avoir uni constamment l'exemple au précepte et pratiqué les leçons et les conseils qu'il donnait à ses contemporains. Ainsi, pour nous borner à quelques exemples, il a décrit plus exactement qu'on ne l'avait encore fait, l'arc-en-ciel
S'il n'a pas découvert la poudre à canon, il est du moins un des premiers auteurs qui en aient parlé. Enfin il avait reconnu la nécessité de réformer le calendrier, et les corrections qu'il proposa sont précisément celles qui ont été adoptées sous le pape Grégoire XIII. Sans doute l'Opus majus n'est pas un ouvrage parfait de tout point; l'erreur s'y mêle fréquemment à la vérité, et l'astrologie judiciaire, l'alchimie et les sciences occultes n'y occupent guère moins de place que la physique et les mathématiques; mais dégagez ces errements, tribut par l'auteur aux préjugés de son temps, et il restera encore une masse énorme de faits bien constatés et de découvertes positives. Cependant, Roger Bacon n'a exercé ni au XIIIe siècle, ni dans les siècles suivant, l'influence que méritaient d'obtenir ses travaux et son génie. Persécuté pendant sa vie, il a été méconnu sinon oublié après sa mort, et ses ouvrages, peu étudiés, n'ont contribué que faiblement aux progrès de l'esprit humain. Peut-être au fond ne doit-on pas s'en étonner. Observateur habile de la nature, mais peu versé, il est permis de le croire, dans les matières théologiques, Roger Bacon excellait dans les travaux qui étaient le plus antipathiques à la piété méditative de ses contemporains, tandis qu'il négligeait les études le mieux en harmonie avec leurs goûts, leurs usages et leurs croyances. Il faut dire de plus qu'il s'est montré trop sévère à leur égard, en peignant sous de sombres couleurs, comme livrée à l'apathie de I'ignorance, cette grande période qu'illustrèrent un si grand nombre de laborieux et brillants penseurs, à l'instar de Thomas d'Aquin. (C. J.).
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