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L'induction

En philosophie, on nomme induction une manière de raisonner qui consiste à tirer de plusieurs cas particuliers une conclusion générale. Le procédé inductif est donc précisément l'inverse du procédé déductif. Le premier nous élève de la connaissance de faits particuliers à la connaissance des lois générales, le second nous fait descendre du général au particulier. 

Ainsi, par exemple, lorsque, après avoir observé que l'eau, l'huile et le lait se congèlent sous l'influence du froid, nous en inférons que tous les liquides doivent se congeler, pourvu que le froid soit assez intense, nous procédons par induction. Quand, au contraire, nous disons : tous les liquides sont susceptibles de se congeler; or, si le mercure est un liquide, donc il peut se congeler, nous procédons par déduction. L'exemple que nous venons de choisir montre que, outre cette différence dans leur mode de procéder, la déduction et l'induction diffèrent encore l'une de l'autre, en ce que celle-ci doit en général précéder celle-là dans l'ordre de l'acquisition de nos connaissances. En effet, avant de déduire certaines propositions particulières d'une formule générale, il faut déjà s'être élevé à cette formule : or, dans la plupart des cas, nous ne pouvons y parvenir qu'au moyen de l'induction. 

C'est par l'induction qu'on acquiert la connaissance : c'est par la méthode déductive qu'on l'enseigne et la transmet. Toutes les sciences d'observation sont fondées sur pied, et spécialement les sciences physiques et naturelles. Les connaissances empiriques que nous acquérons et dont nous faisons un usage incessant dans le cours ordinaire de la vie, alors même qu'elles ne constituent pas un ensemble scientifique, ont également l'induction pour base. En effet, sans le raisonnement inductif, il ne saurait y avoir ni sagesse, ni prévoyance, ni règles d'industrie, car, dit très bien Franck, nous ne serions pas sûrs que les mêmes moyens pourront atteindre deux fois de suite les mêmes fins; nous ne serions pas sûrs de conserver d'un instant à l'autre les mêmes facultés et les mêmes besoins, ou de retrouver hors de nous la même nature. 

En considérant le rôle que joue l'induction dans l'existence humaine, on comprend aussitôt que l'esprit a toujours été en possession du procédé inductif et qu'il y aurait folie à en attribuer l'invention à tel ou tel philosophe. Au reste, les philosophes anciens l'ont décrit et mis en parallèle avec le procédé déductif. II est l'âme de la philosophie de Socrate et de Platon. Aristote le définit très exactement dans plusieurs passages de ses Analytiques, et dans son Histoire des animaux, il en montre les résultats. Longtemps avant lui, le père de la médecine, Hippocrate, l'avait employé avec une sagacité merveilleuse. Cicéron le définit ainsi : 

« Haec ex pluribus perveniens quo vult, appellatur inductio, quae graece epagôgè nominatur. » 
Ce n'est donc pas à l'ignorance où ils auraient été du procédé inductif, que l'on doit attribuer le peu de progrès qu'ont fait les Anciens dans les sciences d'observation, mais à leur impatience de savoir. Au lieu de s'acheminer lentement vers des connaissances qui ne s'acquièrent qu'en partant d'observations rigoureuses, ils prétendaient les emporter de haute lutte et les obtenir a priori. Au Moyen âge, l'induction fut également peu employée, parce que la direction des esprits n'était point alors vers les sciences naturelles. La théologie ayant été, pendant cette longue période, la science dominante; le Moyen âge dut être naturellement le règne du syllogisme. En effet, les vérités qui servent de base aux sciences théologiques étant données et imposées il n'y avait plus qu'à en déduire et à en coordonner les conséquences. La nouvelle direction imprimée aux esprits à l'époque de la Renaissance devait nécessairement amener un changement de méthode. L'emploi de l'observation comme moyen d'étude entraînait celui de l'induction comme moyen d'élever la connaissance des phénomènes individuels au rang de principes et de lois. Aussi les travaux de Copernic, de Kepler et de Galilée ont-ils précédé les recherches philosophiques de Bacon qui n'a eu qu'à codifier, pour ainsi dire, les procédés employés par ces grands investigateurs de la nature

Le caractère le plus essentiel de l'induction est, ainsi qu'on l'a vu, d'élever notre esprit de la connaissance des phénomènes à celle des lois ou des principes qui les contiennent virtuellement.  Or dans celle marche ascendante ou génération successive de l'induction, on peut distinguer trois degrés, selon Franck : 

1° Le phénomène qu'un certain objet ou un certain être nous a présenté plusieurs fois, en des moments ou en des lieux déterminés, nous l'admettons pour toute la durée de cet être et pour tous les points de l'espace où il peut être transporté, à la condition que l'on ne changera rien aux circonstances dans lesquelles le phénomène s'est toujours produit : c'est par ce moyen que nous reconnaissons dans les choses des attributs essentiels et des propriétés invariables.

2° Ce que nous avons observé dans quelques êtres se ressemblant entre eux aussi complètement que le comporte la nature, nous l'affirmons sans distinction de temps et de lieux de tous les êtres semblables aux premiers, et que notre esprit se représente par un même type : c'est ainsi que nous reconnaissons non seulement des propriétés invariables, mais encore des propriétés générales, c. -à-d. communes à tous les individus d'une même espèce

3° Enfin, ce que nous avons observé dans plusieurs espèces, c. -à d. dans des êtres semblables par certaines qualités, et différents par beaucoup d'autres, nous l'attribuons à tous ceux qui possèdent les premières de ces qualités, en ne tenant compte des autres que pour marquer les degrés et les proportions dont le phénomène en question est susceptible : c'est ainsi que nous arrivons à découvrir, avec les rapports des espèces aux genres, des lois, des propriétés, des forces de plus en plus générales, et que l'univers se montre à nos yeux dans son unité et son harmonie. 

Les conditions de l'induction ont été ramenées par Bacon à ces trois règles fondamentales. 
1° II faut multiplier les observations et varier les expériences jusqu'à ce qu'on ait discerné ce qu'il y a de constant dans Ies phénomènes naturels, ou, en d'autres termes, jusqu'à ce qu'on ait démêlé l'accessoire du principal, les purs accidents du fait essentiel

2° II faut rechercher par les mêmes procédés quelles sont les propriétés et les circonstances qui excluant la manifestation d'un phénomène, ou qui lui sont indifférentes : ce qui complète la connaissance du phénomène en lui-même. 

3° Il faut rechercher si les propriétés que l'on a reconnues dans un individu, dans une espèce ou dans un genre, ne s'y produisent pas dans des proportions différentes, suivant des circonstances différentes, et si ces proportions elles-mêmes ne peuvent pas être ramenées à une règle uniforme. 

Ainsi donc, c'est par une série de comparaisons que l'induction procède. Bacon appelle instances positives les cas où le phénomène étudié se présente dans des conditions différentes; instances négatives, caux où, dans des conditions semblables, le phénomène n'a pas lieu. En comparant les instances positives entre elles, puis en les confrontant avec les instances négatives, on arrive à déterminer les conditions essentielles et celles qui ne le sont pas, pour rejeter ces derrières. De la sorte, l'expérience marche du particulier au général, et l'intelligence s'élève jusqu'à la loi, c.-à-d. jusqu'à la connaissance des rapports qui lient invariablement les phénomènes.  Aux règles qui viennent d'être exposées, correspondent les trois espèces de tableaux que Bacon recommande de dresser, savoir : les tables de présence, qui constatent tous les cas où l'on observe un certain phénomène; les tables d'absence, qui constatent les cas où la manifestation du phénomène n'a pas eu lieu; et les tables de comparaison, qui donnent les proportions dans lesquelles il se manifeste. Nous citerons, avec J. Stuart-Mill, la théorie de la rosée de William Wells comme une des plus admirables applications de la méthode inductive, telle que Bacon en a donné les procédés. 

Certains philosophes ont contesté la légitimité ou, en d'autres termes, la certitude des connaissances et des vérités acquises par le procédé inductif. Quel que soit le nombre d'observations recueillies au sujet d'un phénomène, disent-ils, on n'est jamais assuré d'avoir épuisé tous les cas possibles. Or, il suffit d'une seule instance négative pour réduire à néant la plus longue suite d'instances positives, et, par conséquent, pour infirmer la loi qu'on a pu en tirer. Cette objection n'est que spécieuse. Si ceux qui la font ont pour objet d'établir la supériorité de la méthode déductive sur la méthode inductive, ils tournent, à leur insu, dans un cercle vicieux; car les théorèmes généraux qui forment le point de départ de tout raisonnement déductif, n'ont pu être établis que par l'induction; il en est ainsi du moins pour tous les ordres de connaissances, à l'exception des sciences mathématiques et de la théologie. Or, si la formule générale n'est pas assurée, comment les conséquences, quelque rigoureusement déduites qu'elles soient, pourraient-elles être certaines? 

L'induction a dans notre esprit un fondement inébranlable : c'est le principe de causalité, principe en vertu duquel nous croyons invinciblement qu'entre l'effet et la cause il y a une relation telle que l'identité de celle-ci se manifeste par la constance et l'unité de celui-là. D'autres philosophes, au contraire, tout en admettant que l'induction est la base première de presque toutes nos connaissances, l'ont attaquée précisément a afin de ruiner toute certitude. Or ces derniers, à la tête desquels il faut placer Hume, sont précisément les mêmes qui ont nié l'existence du principe de causalité. Selon Hume, toute induction se fonde simplement sur l'habitude; mais, ainsi que Franck le fait observer avec raison, à l'instant même où il nie toute vérité inductive. Hume est obligé d'en supposer l'existence. 

« En effect, dit A. Franck, à quelle condition deux choses se trouveront-elles liées dans notre esprit, de telle sorte qu'en apercevant l'une, nous en conclurons spontanément l'existence de l'autre? A la condition que cette liaison sera parfaitement réelle, que l'expérience ne la démentira pas, ou qu'elle nous représentera fidèlement l'ordre de la nature. Supposons que tout soit livré au hasard, la même combinaison se produira rarement deux fois de suite, et l'habitude dont parle Hume ne pourra jamais s'établir. Or, puisque l'habitude suppose nécessairement la vérité inductive; puisqu'elle la suppose non seulement dans notre esprit, mais dans la nature, elle est donc incapable de l'expliquer, et encore moins de la détruire. »
L'analogie est souvent confondue, du moins dans le langage ordinaire, avec l'induction; mais il existe outre ces deux procédés de raisonnement une différence essentielle. L'induction a pour objet la recherche des lois et la découverte des causes; l'analogie ne recherche que des ressemblances. L'induction s'appuie sur des phénomènes de même ordre, l'analogie sur des phénomènes d'ordre différent. La conclusion que l'induction tire des faits observés est une généralisation, celle que l'analogie tire des ressemblances saisies est une hypothèse. L'analogie n'est pas, à proprement parler, un instrument logique; elle est une simple vue de l'esprit, une sorte de divination. Elle suggère les expériences sur lesquelles viendra se fonder l'induction; elle abrège le travail de la science, en supprimant une foule de tâtonnements; elle peut même être l'origine de grandes découvertes; mais le génie seul sait en faire un emploi utile, tandis que, pour le vulgaire, elle n'est le plus souvent qu'une source d'erreurs.

Tout raisonnement par analogie se base, soit sur une ressemblance d'attributs, soit sur une ressemblance de moyens. De la ressemblance entre les attributs on conclut à la ressemblance des substances: ainsi, par exemple, c'est en concluant des ressemblances observées entre la Terre et certaines planètes, sous le rapport de la forme, de la densité, des mouvements, etc., que l'on conçoit la possibilité que ces astres soient, comme la Terre, habités par des êtres plus on moins semblables à nous. De la ressemblance des fins on conclut à celle des moyens, et réciproquement : c'est ainsi que certaines ressemblances observées entre le développement des végétaux et des animaux, une fois le fait constaté que les premiers se développent au moyen de cellules, out suggéré l'idée que ce mode de développement pourrait bien être aussi celui des animaux. C'est donc l'analogie qui a déterminé Schwann à instituer ses admirables recherches histogéniques. Mais rien n'est plus facile que d'abuser de ce mode de raisonnement. C'est une fausse analogie, par exemple, qui a enfanté le système socialiste connu sous le nom de Fouriérisme. L'attraction est la loi fondamentale des mouvement; des corps célestes, et l'on peut dire du monde physique tout entier. Pourquoi, s'est dit Fourier, ne serait-elle pas la loi du monde moral? Et sur cette hypothèse ruineuse il a édifié un système social que la plus simple observation fait crouler avec elle. 

L'expérience et la raison dans l'induction.
On peut résumer comme suit la place de l'expérience et de la raison dans l'induction :

Élément expérimental.
L'expérience fournit la matière, les faits; elle y arrive au moyen de l'observation et de l'expérimentation qui varie, étend, transpose, etc., les faits. Puis il faut noter sur des tables le résultat de ces diverses observations ; c'est ce que Bacon appelle l'expérience écrite experientia literata. - L'expérience peut même donner l'uniformité des faits, c'est-à-dire nous montrer certains faits se reproduisant d'une manière constante; mais elle ne peut pas donner la cause et la loi ; c'est l'oeuvre de la raison

Élément rationnel.
a) d'abord l'imagination créatrice fournit l'hypothèse qui dirige l'expérimentation.

b) Les faits observés ou recueillis par l'expérimentation scientifique ne montrent pas la causalité, mais ils servent de base au raisonnement expérimental qui est le fond commun des quatre méthodes de Stuart Mill, et dont le « nerf caché, comme dit Ravaisson, est le principe de causalité ». Ce raisonnement peut se résumer ainsi : 

On est en droit d'exclure tout antécédent qui n'est pas présent quand le phénomène dont on cherche la cause est présent, ou qui est présent quand ce phénomène est absent, ou qui ne varie pas dans les mêmes proportions que ce phénomène. Si, par suite de ces exclusions, il ne reste plus qu'un seul antécédent, c'est la cause cherchée.
c) Quand le rapport causal a été ainsi établi, la raison intervient encore pour le généraliser, pour l'ériger en loi, puisque c'est en s'appuyant sur le principe rationnel d'uniformité de la nature que l'esprit étend ce rapport causal à tous les rapports à venir du même genre. La raison imprime donc à la matière fournie par l'expérience, aux faits, la forme de la causalité et de la loi, c'est-à-dire de la nécessité et de l'universalité.

Le fondement de l'induction

La loi consiste donc dans la généralisation du rapport qui a été découvert entre deux phénomènes par les méthodes inductives. Toute la difficulté pour le savant consiste dans la découverte de la cause; le rapport causal me fois prouvé, il le généralise sans hésitation : c'est une intuition. Cependant cette généralisation est malaisée à justifier. L'esprit qui la fait dépasse de beaucoup les connaissances qui lui ont été fournies par l'observation et l'expérimentation. Les cas observés, aussi nombreux qu'on les suppose, sont toujours en nombre limité; ils ne nous renseignent pas sur les faits non observés et en particulier sur les phénomènes futurs. On a prouvé que tel antécédent a déterminé tel effet; mais de là à dire : « ce même effet sera toujours donné quand l'antécédent le sera », il y a a différence de quelques à tous. Comment de quelques faits observés dans le présent peut-on conclure à la totalité des faits à tenir? La conclusion du raisonnement inductif semble donc dépasser les prémisses au-delà du rasionnable. Comment une telle conclusion est-elle possible? C'est le problème du fondement de l'induction. Il y a évidemment quelque notion, quelque principe qu'on ajoute aux prémisses pour légitimer la conclusion. Ce principe surajouté se nomme le fondement de l'induction. Différentes solutions ont été mises en avant pour résoudre le problème. En voici quelques-unes.

L'induction formelle ou aristotélicienne.
On parle d'induction formelle parce que ce type d'induction conclut, comme le syllogisme, par le fait de la seule forme, c'est-à-dire en vertu de l'accord de la pensée avec elle-même. Elle consiste à conclure de l'énumération de tous les individus d'une collection à la collection entière (Aristote, Premiers Analytiques). Cette induction peut-elle résoudre le problème posé? Comme exemple d'induction Aristote donne le suivant :

L'humain, le cheval, le mulet vivent longtemps;
Or l'humain, le cheval, le mulet sont des animaux sans fiel; 
Donc les animaux sans fiel vivent longtemps.
Si l'on compare cette induction avec le syllogisme déductif, l'exemple
deviendra :
L'humain, le cheval, le mulet vivent longtemps ;
Or l'humain, le cheval, le mulet sont des animaux sans fiel ;
Donc quelques animaux sans fiel vivent longtemps.
Voici la différence : dans le syllogisme inductif, la conclusion est générale (les animaux); dans le syllogisme déductif elle est particulière (quelques animaux). Il en doit être de la sorte dans la déduction, car l'attribut des propositions affirmatives n'est pris que dans une partie de son extension; aussi la mineure doit être interprétée ainsi :
L'humain, le cheval, le mulet sont quelques animaux sans fiel; d'où la conclusion particulière : Donc quelques animaux... 
Dans l'induction formelle au contraire, quand elle est légitime, le sujet et l'attribut de la mineure doivent avoir même extension universelle, de façon que la mineure soit convertible simplement. Ainsi on dira :
L'humain, le cheval et le mulet sont animaux sans fiel = Tous les animaux sans fiel sont l'humain, cheval et le mulet. D'où la conclusion universelle : Donc les animaux sans fiel... 
Mais une telle conversion n'est correcte que si la proposition est réciproque : pour cela il faut que le sujet de la mineure (L'humain, le cheval, le mulet) exprime toute l'espèce, c'est-à-dire puisse être avec raison regardé comme le représentant de tous les animaux sans fiel. C'est pourquoi Aristote dit que l'induction formelle se fait par l'énumération complète de tous les individus.

Cette approche est éminemment criticable :

 1° L'induction formelle ne peut résoudre le problème inductif tel qu'il est posé par les sciences physiques et naturelles, car elle n'est applicable qu'à une collection fixe et déterminée, ex. :. aux élèves l'une classe, aux habitants d'une ville, parce que l'énumération complète les individus est seulement possible dans des cas de ce genre : ex. :.
Le printemps, l'été, l'automne et l'hiver ont des charmes;
Or le printemps, l'été, l'automne et l'hiver sont les 4 saisons;
Donc les 4 saisons ont des charmes.
Il est manifeste qu'une telle induction n'est pas un raisonnement proprement dit : en effet, dans ce syllogisme, le moyen terme étant identique  au petit (car ces deux termes ne diffèrent que par l'expression verbale : il y a substitution d'un mot collectif à une pluralité distributive ; ex. :. Printemps, été, automne, hiver = quatre saisons), il n'y a pas, comme dans le vrai syllogisme, perception d'un nouveau rapport. Il n'y a qu'une simple récapitulation.: on passe des cas individuellement énumérés à leur ensemble.

2° L'énumération complète des cas individuels est, au contraire, absolument impraticable quand il s'agit dos phénomènes ou des êtres de la nature, parce que la série des phénomènes est indéfinie, et que les espèces ne sont pas des collections déterminées : une espèce n'est jamais réalisée tout entière à un moment donné; un certain nombre de ses représentants a disparu; d'autres n'existent pas encore. L'induction formelle est donc inapplicable aux sciences de la nature.

3° Aristote ne l'ignorait pas. En traitant de l'induction il n'a voulu examiner qu'un cas théorique de logique formelle : à quelles conditions le syllogisme inductif peut-il être ramené à un syllogisme déductif? Mais Aristote, quoi qu'on eu ait dit, n'a jamais songé à résoudre par l'induction formelle le problème de l'induction scientifique. Cela ressort : 

a) de l'exemple même qu'il a choisi. Aristote savait bien que, dans les sciences de la nature, la complète énumération est irréalisable, car il fait précéder l'énumération des animaux sans fiel de ce petit mot significatif : tel que, oion

b) de ce qu'il pose ailleurs (Derniers Analytiques) lui-même le problème de l'induction scientifique comme on le pose actuellement : il consiste à trouver ce qui peut suppléer à cette complète énumération des cas et peut conséquemment légitimer le passage de quelques cas observés à la totalité des cas non observables. 

Solution de l'École Écossaise.
Reid fait reposer l'induction sur le principe de la « stabilité des lois de la nature » qu'il appelle principe d'induction (the inductive principle) :
« C'est en vertu de l'empire qu'il exerce sur nous que nous donnons un assentiment immédiat à cet axiome, sur lequel est construit tout l'édifice de la science naturelle : Que les effets semblables dérivent nécessairement de la même cause» (Recherches sur l'entendement humain d'après les principes du sens commun). 
Reid se réfère d'ailleurs à Newton (Regulae philosophandi dans le Ille Livre de ses Philosophiae naturalis principia mathematica) qui a posé ce principe 
« comme un axiome ou comme une des règles de l'art de philosopher : Effectuum generalium ejusdem generis eaedem sunt causae. Il n'y a personne qui n'adopte ce principe aussitôt qu'il le comprend et personne non plus qui en demande la preuve; ce qui est le caractère d'un principe primitif ». (Essais sur les facultés intellectuelles de l'homme).

D'ailleurs « cette conviction n'est point l'effet de la raison, mais le résultat d'un instinct primitif de notre nature ». (Recherches...).

Ce principe « fait partie de notre constitution intellectuelle et il agit en nous lorsque la raison n'est pas encore née  ». (Essais...)

Dugald Stewart (Eléments de la philosophie de l'esprit humain) a suivi l'opinion de Reid et, en France, Royer-Collard s'est efforcé d'en préciser la formule : 
« Le principe d'induction repose sur deux jugements. L'univers est gouverné par des lois stables; voilà le premier. L'univers est gouverné par des lois générales; voilà le second. » 
En vertu du premier principe nous concluons d'un point de la durée à tous les autres; en vertu du second, nous concluons d'un point de l'espace à tous les autres.

Jules Lachelier (Fondement de l'induction) propose de décomposer le principe général de la stabilité des lois de la nature en deux principes : le principe des causes efficientes et le principe des causes finales. Or, comme le remarque judicieusement Paul Janet

« Ces deux principes peuvent servir à expliquer comment et pourquoi nous croyons à l'existence et à la permanence des lois dans la nature, mais ils ne servent à rien pour résoudre le problème logique posé, à savoir, comment de quelques cas particuliers nous concluons à l'existence d'une certaine loi : la difficulté reste la même qu'auparavant. » (Traité élémentaire de  philosophie).
Critique : d'après cette théorie, on peut donner au raisonnement inductif la forme suivante :
Les lois de la nature sont stables et générales;
Or nous avons constaté telle loi par l'expérience; 
Donc cette loi est stable et générale.
Sans nous attarder à critiquer l'origine de ce principe primitif dû à un instinct qui prévient l'exercice de la raison, il suffira de montrer que la solution écossaise ne répond pas à la difficulté pendante. En effet, l'induction est faite tout entière dans la mineure du raisonnement précité; et l'on n'apporte aucune raison pour la légitimer. S'il y a des lois, elles sont, personne ne le nie, stables et générales. Mais il est faux que l'expérience, qui est contingente et particulière, nous ait fait constater une loi quelconque. Toute la question est précisément de savoir pourquoi tel rapport est la preuve d'une loi. La théorie écossaise ne répond pas à cette question; c'est pourquoi elle laisse sans solution le problème posé : De quel droit peut-on passer de quelques cas à tous les cas?

Solution néo-thomiste de G. Sortais.
Le principe rationnel, qui sert de fondement à l'induction, semble être le principe de l'invariabilité des essences et conséquemment de l'invariabilité des causes, qu'on peut aussi appeler principe d'ordre ou, avec Claude Bernard, principe du déterminisme. Aristote a très bien posé le problème. Voici comment Sortais, avec d'autres néo-thomistes (P. Chabin, Cours élémentaire de philosophie, Logique appliquée, § 5), interprète sa pensée. On ne peut passer légitimement du particulier au général sans le secours d'un principe rationnel qui rende l'énumération partielle équivalente à l'énumération totale. Or voici le principe de l'énumération totale : Ce qui convient à chaque partie d'un tout, convient au tout. Quel est donc le principe qui peut suppléer par lui-même à l'énumération incomplète? L'équivalent de ce qui est commun aux parties d'un tout ou d'une espèce d'êtres c'est la nature ou essence des parties de ce tout ou des individus de cette espèce, car c'est par leur nature ou essence qu'ils se ressemblent et possèdent invariablement les mêmes propriétés. Le dernier fondement de l'induction est donc le principe suivant : La nature ou essence des êtres est invariable. La raison en tire immédiatement le principe de l'invariabilité des causes :

Dans les mêmes circonstances les causes de même nature produisent les mêmes effets. 
C'est ce principe d'invariabilité des causes, qui est le fondement prochain de l'induction, car il découle directement du principe de l'invariabilité des essences. En effet, la causalité étant une propriété résultant de la nature ou essence des êtres (selon l'axiome aristotélicien et scolastique : Operatio sequitur esse), et la nature étant identique dans tous les êtres de la même classe, la causalité qui en dérive sera également invariable, uniforme.

Ce principe une fois admis, l'induction devient légitime. Il est vrai qu'ordinairement on ne peut conclure de quelques à tous; mais, en vertu du principe de l'uniformité de la nature, il est un cas où cette conclusion est permise. C'est celui où la succession constatée entre deux phénomènes est causale, parce que toute cause fatale, n'eût-elle été découverte qu'une fois, par cela même qu'elle est fatale, c'est-à-dire tendant toujours à déterminer son effet, est une cause nécessitante et virtuellement, universelle partout et toujours, les circonstances étant les mêmes, elle tendra à produire son effet. C'est que la fatalité, étant une propriété découlant de son essence, est invariable comme elle. Le principe : L'essence des êtres est invariable, et sa conséquence immédiate : Dans les mêmes circonstances les causes de même nature produisent les mêmes effets, sont connus de l'esprit avant toute opération inductive. L'esprit voit, avec la clarté de l'évidence, que chaque être conserve invariablement ses propriétés essentielles et constitutives (autrement il cesserait d'être, car l'essence est ce par quoi un être est ce qu'il est); il tire ensuite cette conséquence nécessaire: tout être de même nature a des propriétés identiques; d'où il suit enfin que les êtres matériels, avant la propriété essentielle d'agir fatalement, se retrouveront partout et toujours avec cette propriété, c'est-à-dire que dans les mêmes circonstances ils tendront à produire les mêmes effets.

Solution empirique de Stuart Mill.
D'après l'école associationiste (Stuart Mill, Système de Logique déductive et inductive) le fondement de l'induction est le principe de causalité ainsi formulé : le cours de la nature est uniforme. Mais ce fondement est empirique, car le principe de causalité est le résultat de l'expérience et de l'association. Lorsque deux phénomènes se sont présentés ensemble dans notre expérience, c'est-à-dire ont été contigus dans notre conscience, il se forme entre eux une association en vertu de laquelle l'apparition du premier nous suggère l'idée du second. Cette association, que l'habitude rend peu à peu indissoluble, a donc pour effet l'attente du retour des mêmes conséquents après les mêmes antécédents : c'est l'induction spontanée. Parfois cette attente est trompée : ex. :. une comète, a été suivie d'une guerre ; l'apparition d'une nouvelle comète n'a pas toujours une telle « séquence ». Mais, comme un grand nombre de ces associations sont ordinairement confirmées par les événements, l'expérience nous porte à juger qu'il y a des « uniformités » dans la nature, c'est-à-dire des liaisons constantes de phénomènes, des lois. Avec les progrès de l'expérience, l'esprit constate des uniformités de plus en plus générales, qui garantissent les uniformités particulières. Il en résulte finalement la conviction qu'il y a dans la nature une loi généralissime : la loi de causalité universelle, à savoir : « C'est une loi qu'il y a une loi pour toutes choses. » Quoique dans l'induction l'esprit paraisse conclure du particulier au général, en réalité il va toujours du particulier au particulier, car c'est toujours l'expérience qui garantit l'expérience. Les uniformités particulières sont, il est vrai, confirmées par les uniformités plus générales, et les uniformités plus générales par l'uniformité universelle de la causalité. Mais cette uniformité universelle n'est que la réunion et le résultat de toutes les uniformités antérieures, plus ou moins particulières. En définitive, le raisonnement va donc toujours du particulier au particulier; seulement ce particulier devient de plus en plus général avec l'accroissement de l'expérience; et c'est cette généralité relative et empirique qui sert à son tour de règle au particulier.

Critique : 

1° on pourrait d'abord rappeler les objections faites ordinairement à l'origine empirique du principe de causalité
a) S'il était le résultat de la seule expérience, même renforcée de l'association, il ne pourrait pas naître dans l'esprit, car les cas où l' « uniformité » nous échappe sont bien plus nombreux que ceux où nous la découvrons. Stuart Mill avoue d'ailleurs que la nature est infiniment variée.

b) S'il était le fruit de l'habitude, il n'existerait pas dans l'esprit de l'enfant et la conviction qu'il produit devrait croître avec l'âge. De plus, né d'une habitude, il pourrait être détruit par une autre habitude.

2° Le résultat des inductions spontanées en ce qui regarde les lois particulières n'est, de l'aveu de Stuart Mill, que probable. Or on ne voit pas comment il peut devenir certain en ce qui touche la loi de causalité universelle. En effet, le nombre des cas favorables à la loi de causalité, si grand qu'on le suppose, sera toujours fini, car il ne représente que l'expérience passée; dès lors comment « franchir la distance infinie qui sépare la probabilité de la certitude? » (J. Lachelier, Du fondement de l'induction, § 2.).

3° De quel droit Stuart Mill passe-t-il du présent à l'avenir ? Il nous donne l'expérience comme la source unique de nos connaissances. Or l'expérience est essentiellement contingente et particulière : elle montre ce qui arrive ici ou là, à tel moment ou à tel autre; mais elle ne révèle pas ce qui doit être partout et toujours. De ce que nous avons contracté l'habitude de juxtaposer dans un ordre déterminé les images de nos sensations passées, il ne s'ensuit pas que nos sensations futures et les sensations des autres humains doivent s'associer dans le même ordre. C'est donc sans raison que l'esprit passe du présent à l'avenir.

Solution de Claude Bernard et de Ravaisson.
Dans son  Introduction à la médecine expérimentale (texte en ligne), Claude Bernard écrit :
« Si l'esprit de l'expérimentateur procède ordinairement en partant d'observations particulières pour remonter à des principes, à des lois ou à des propositions générales, il procède aussi nécessairement de ces mêmes propositions générales ou lois pour aller à des faits particuliers qu'il déduit logiquement de ces principes. Seulement, quand la certitude du principe n'est pas absolue, il s'agit toujours d'une déduction provisoire qui réclame la vérification expérimentale. Toutes les variétés apparentes du raisonnement ne tiennent qu'à la nature du sujet que l'on traite et à sa plus ou moins grande complexité. Mais, dans tous les cas, l'esprit de l'homme fonctionne toujours de même par syllogisme; il ne pourrait pas se conduire autrement [...]. Je ne crois pas que l'induction et la déduction constituent réellement deux formes de raisonnement essentiellement distinctes. L'esprit de l'homme [...] ne peut jamais marcher dans les raisonnements autrement que par syllogisme, c'est-à-dire en procédant du général au particulier. » (Ire partie, Ch. II, §V).
Félix Ravaisson  (La philosophie en France au XIXe siècle) résume ainsi cette doctrine  qu'il fait sienne : 
« M. Cl Bernard  a compris, comme Leibniz (Nouveaux essais..., L. IV, Ch. XVII, § 6.), qu'induire « c'est toujours tirer des conséquences » ; il a su reconnaître que l'induction, au fond, est une déduction [...]. Dans la pensée de M. Cl. Bernard, l'induction doit être une déduction provisoire et conditionnelle qui se change, par la vérification de l'expérience, en une déduction inconditionnelle et définitive. » 
Induire c'est donc chercher de quelle proposition générale, prise comme point de départ hypothétique, on peut déduire tel cas particulier, à charge de vérifier ensuite cette hypothèse par l'expérience. L'induction physique n'est donc qu'une déduction réflexe qu'on appelle réduction en géométrie. C'est de la sorte que Stanley Jevons (The Principles of science : a treatise on Logic and scientific method), Sigwart, Wundt comprennent aussi le raisonnement inductif : c'est la réduction d'une conclusion à ses prémisses probables. Exemple : l'eau monte dans un corps de pompe jusqu'à 10 mètres; cette ascension est due à la pression atmosphérique. Cette déduction réflexe, de provisoire deviendra définitive quand l'hypothèse causale (la pression atmosphérique) aura été vérifiée par les conséquences qu'on en peut logiquement déduire. Voilà, d'après Ravaisson et Claude Bernard, le mécanisme du raisonnement inductif. Mais reste à expliquer sur quoi se fonde le passage de quelques cas à tous. Cl. Bernard donne pour fondement à l'induction le principe dit déterminisme absolu des phénomènes. C'est un principe « qui se confond avec la constitution même de notre intelligence, à savoir qu'il y a en tout de la proportion et de l'ordre, en d'autres termes, qu'il n'est rien sans raison ».

Deux remarques cependant :

1° Quant au mécanisme de l'induction on peut soutenir avec ces deux auteurs, qu'il se ramène en définitive au mécanisme de la déduction réflexe, car, en physique, on procède en réduisant les faits aux lois, d'où l'on peut les déduire ensuite quand les lois sont établies. Seulement, dans la réduction géométrique, l'esprit rattache la proposée à une proposition générale delà prouvée ou immédiatement évidente, tandis que dans la réduction physique, on rattache un cas particulier à une proposition générale hypothétique, qui doit être démontrée expérimentalement, avant qu'on puisse en déduire sûrement le fait en question. - Mais on peut discuter sur la nature de cette réduction.

2° Quant au fondement de l'induction, le principe du déterminismne, invoqué par Claude Bernard, se ramène en dernière analyse au principe d'uniformité de la nature ou d'invariabilité des causes.

Ravaisson semble plutôt indiquer comme base de l'induction le principe de raison ou principe d'ordre. Mais ce ne sont là que des divergences de mots; au fond, ces doctrines reviennent au même, car le principe d'uniformité n'est qu'une application du principe de raison au principe de causalité. Si, les causes étant par hypothèse identiques, les circonstances restant aussi les mêmes, les effets pouvaient être différents, cette différence des effets, n'ayant pas sa raison d'être dans les causes et les circonstances, serait par là même sans raison. (G. S.)
 


En bibliothèque - Bacon, Novum Organum, liv. I, § K et suiv., et liv. II; Port-Royal, Logique, 4e partie; Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances, ch. IV;  Boutroux, Études d'histoire de la philosophie : Aristote; Fonsegrive, F. Bacon.
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