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Ampère

André-Marie Ampère est un physicien et philosophe, né à Poleymieux, près de Lyon, en 1775, et mort à Marseille le 10 juin 1836.  Son père J.-J. Ampère, ancien négociant peu aisé, était chargé des fonctions de juge de paix à Lyon, au moment de la Révolution. Il fit partie du comité qui s'insurgea au mois de mai 1793 contre la municipalité terroriste et résista pendant 60 jours à l'armée de la Convention. Aussi, Dubois-Crancé le fit arrêter le 29 septembre 1793 et l'envoya à l'échafaud le 24 novembre.  Avant de mourir J.-J. Ampère adressa à sa femme une lettre touchante où nous relevons une phrase prophétique : 
« Quant à mon fils, il n'y a rien que je n'attende de lui. » 
Ce n'est pas sans raison que cet illustre savant fut toujours tourmenté de la pensée qu'il aurait pu faire beaucoup plus qu'il n'avait fait. Car sans parler de fonctions officielles auxquelles il se condamnait pour suffire aux dépenses d'un ménage mal administré par exemple des tournées d'inspection générale de l'Université, qui n'allaient pas bien avec ses habitudes d'esprit et avec ses distractions perpétuelles, il faut dire qu'une grande et précieuse partie de son temps fut employée à des projets et à des travaux qu'il abandonnait ensuite. Il faut en chercher la cause en partie dans la vivacité trop peu réglée de son imagination et dans son esprit naturellement aventureux, en partie dans le défaut de direction de son éducation première, qui laissa se développer au hasard ses prodigieuses facultés.

Dans son village, le jeune Ampère s'instruisit comme il put, sans autres maîtres que son père et les livres de la bibliothèque paternelle : oeuvres d'éloquence religieuse et profane, d'histoire, de poésie, de fiction romanesque, tout lui plaisait. Mais surtout avec une mémoire aussi prompte que tenace, l'enfant étudia les vingt volumes in-folio de l'Encyclopédie de d'Alembert et Diderot, qu'il concilia comme il put avec les sentiments de piété profonde dans lesquels il était élevé. Quand la bibliothèque paternelle ne lui suffit plus, son père le mena de temps en temps à Lyon, où il put étudier dans la bibliothèque publique. Dès sa plus tendre enfance, il avait montré un goût et une aptitude extraordinaires pour les mathématiques. Quelques leçons de latin et de calcul différentiel, données généreusement par le savant bibliothécaire de Lyon, l'abbé Daburon, mirent cet enfant de douze ans en état de comprendre les oeuvres mathématiques d'Euler et de Bernoulli. Plus tard, il apprit le grec. A treize ans, il présentait à l'Académie de Lyon deux mémoires sur deux problèmes insolubles, sur la quadrature du cercle et sur la rectification des arcs de cercle. A dix-huit ans, suivant son propre témoignage, il savait autant de mathématiques qu'il en sut jamais. Pourtant combien d'autres choses il avait apprises avant cette fatale époque de 1793! Il savait à fond toutes les matières traitées dans l'Encyclopédie. L'article Langue l'avait spécialement frappé : ayant éprouvé les inconvénients de la diversité des langues, il avait créé de toutes pièces une langue destinée à tenir lieu de la langue primitive et unique du genre humain et à devenir universelle. Il en avait écrit la grammaire et le dictionnaire et il composait, en cette langue, qui était bien la sienne, des poésies intelligibles pour lui seul.

En 1793, son père, on l'a dit, fut guillotiné, comme aristocrate, après le siège de Lyon. Ce malheur abattit le jeune homme au point d'altérer sa raison; pendant plus d'un an il vécut à Poleymieux comme un somnambule. Puis les Lettres de Jean-Jacques Rousseau sur la botanique, l'étude de cette science au milieu des champs, et la lecture des poètes latins, lui rendirent son activité intellectuelle et une sensibilité vive, qui se portèrent surtout vers la poésie française, et qui produisirent plusieurs essais de tragédies et de grands poèmes. 
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Ampère.
André-Marie Ampère (1775-1836).

Le 10 avril 1796, il rencontra, en herborisant dans un pré, la jeune fille, Julie Carron, qui devait être la passion, le seul amour de toute sa vie; les sentiments qu'il éprouve à sa vue mettent heureusement fin à cette apathie, à ce dégoût de toute chose, de ses livres mêmes, dont il se plaignait à ses amis. Dès lors, Julie occupe dans son existence une place immense. Il écrit un Journal où les moindres entrevues avec sa fiancée sont notées soigneusement en phrases courtes et nettes, d'une naïveté et d'une fraîcheur exquises. Nous suivons pas à pas ses progrès, ses luttes, ses joies, ses désespoirs : il est très jeune, il est pauvre, il n'a d'autres ressources que le prix de leçons de mathémathiques qu'il donne à Lyon; toutes raisons qui inspirent à la famille Carron de légitimes inquiétudes. 

Enfin, le 2 août 1799, Ampère épouse Julie. (Ballanche à écrit à cette occasion un curieux épithalame). La première année de cette union réalisé toutes les joies rêvées : mais de l'aveu du grand savant, c'est la seule vraiment heureuse de sa vie entière. En 1800 naît Jean-Jacques Ampère (ci-dessous). 

A cette époque, n'ayant pas de fortune il avait dû se laisser imposer une carrière, dans laquelle il avait débuté en donnant à Lyon des leçons particulières de mathématiques. Le soir, il se délassait en lisant avec d'autres jeunes gens la Chimie de Lavoisier. En 1801, Ampère fut nommé professeur de chimie et de physique à l'école centrale de l'Ain. Ainsi exilé à Bourg-en-Bresse, loin de sa femme déjà malade, il lui écrit de volumineuses lettres qui nous mettent au courant de ses affaires les plus minutieuses et nous permettent d'assister à l'éclosion de ses découvertes, à la joie qu'elles lui causent, aux découragements où parfois il tombe. 

En même temps, ses lettres prouvent qu'il rêvait pour son jeune ménage un prix de soixante mille francs, proposé par Bonaparte pour quelque grande découverte sur l'électricité : il avait commencé sur ce sujet l'impression d'un ouvrage de physique, qui ne fut pas achevé. Il préparait un ouvrage mathématique, qu'il n'acheva pas davantage, sur les séries et les autres formules indéfinies. Faisant un cours de chimie expérimentale, il écrivait un ouvrage sur l'avenir de la chimie; mais plus tard, effrayé de la témérité de ses prédictions, il le détruisit dans un moment de ferveur religieuse, et ensuite il en regretta amèrement la perte. 

Cependant, dans toute cette correspondance, très curieuse, très intéressante, un sujet domine tout le reste : la santé de Julie. La jeune femme est atteinte d'une affection cardiaque dont elle mourra le 13 juillet 1804, au moment où Ampère venait enfin d'être nommé professeur de mathématiques au nouveau lycée de Lyon. Poste obtenu , après avoir publié en 1802, à  Lyon des Considérations mathématiques sur la théorie du jeu, ouvrage de haute analyse, apprécié par Lalande et surtout par Delambre, qui étaient venus préparer l'organisation de ce lycée.

La mort de Julie plongea de nouveau Ampère dans une apathie morale qui, ectte fois, persista jusqu'à la fin de sa vie; et dont on retrouve des traces dans toutes les lettres adressées à ses parents et à ses amis. 

« Ma vie est un cercle, dit-il, dont tous les anneaux se ressemblent, m'ennuyer en travaillant, m'ennuyer lorsque j'ai un moment de repos, voilà à peu près toute mon existence. »
Il avait toujours eu un penchant aux impressions mélancoliques, au détachement terrestre. Mais ces impressions, rares dans sa jeunesse, deviennent habituelles quand il a perdu Julie. 

Il cherche un refuge dans le travail. Un mémoire sur l'application du calcul des variations à la mécanique, mémoire présenté dès 1802 à Delambre, et vers 1803 à l'Institut, avait achevé de le faire connaître des savants. Ampère fut nommé, vers la fin de 1805, répétiteur d'analyse à l'École polytechnique, et bientôt il se remaria à Paris. Ce second mariage (1807), dont il eut une fille Albine Ampère, n'allait lui causer que des déceptions et se terminer par une séparation du ménage, après de cruels démêlés judiciaires (1809).

Il fut nommé, en mars 1806 secrétaire du bureau consultatif des Arts et métiers; mais il donna bientôt sa démission en faveur de Thénard. En 1807, il faisait à l'Athénée un cours moitié mathématique, moitié métaphysique, dans lequel la classification des sciences et les études psychologiques avaient leur place. Il devint en 1808, inspecteur général de Université, et de plus, en 1809 professeur d'analyse et de mécanique à l'Ecole polytechnique. En 1814, il entra à l'institut comme successeur du mathématicien Bossut. Chargé d'un cours de philosophie à la Sorbonne en 1819 et 1820 il fut nommé en 1820 professeur de physique générale au Collège de France. De 1820 à 1827, il fit les découvertes électro-dynamiques qui ont immortalisé son nom, et presque toutes les sociétés savantes de l'Europe voulurent le compter au nombre de leurs membres.

André-Marie Ampère mourut, ou plutôt, comme on l'a dit justement, acheva de mourir, à Marseille, le 10 juillet 1836, au cours d'une tournée d'inspection générale, peu de temps après avoir terminé un important ouvrage sur la classification des sciences. Grâce au Journal et à la Correspondance d'Ampère, on connaît ce savant d'exception dans l'intimité la plus complète. La tendresse la plus pure, la bonté la plus rare, la bonhomie la plus charmante, tels avaient été les traits principaux de son caractère. Sa sensibilité est extrême : quand le malheur ne le touche pas personnellement, il souffre pour les siens, pour ses amis, pour l'humanité; une catastrophe historique lui fait verser des larmes. Ballanche a dit :

« C'est un brasier qui était dans son coeur. » 
Aussi, en quelque haute estime que l'on mette les oeuvres d'Ampère, la sympathie qu'excite son caractère est si vive qu'on ne sait ce qu'il faut admirer le plus de son coeur ou de son génie..

Les champs d'étude d'Ampère.
De sa vie de 61 ans, le commencement jusqu'à l'âge de 26 ans fut employé par Ampère à s'instruire et à s'essayer dans les études les plus diverses. Son activité productrice a duré 35 ans, et se partage en deux périodes à peu près égales dont la seconde a été la plus fructueuse. 

De 1802 à l'automne de 1820, il s'est adonné surtout aux mathématiques et à la psychologie. De l'automne de 1820 jusqu'à sa mort, il s'est occupé surtout de physique et de chimie, de zoologie, de cosmogonie et de philosophie appliquée à l'ensemble des sciences. 

Psychologie.
De 1802 à 1820, Ampère a marqué sa place dans l'histoire de la philosophie proprement dite par un mémoire psychologique inachevé, par les fragments de sa correspondance philosophique avec Maine de Biran, par quelques-unes de ses leçons de 1807 à l'Athénée, et par le cours de philosophie qu'il fit en 1819 et 1820 à la Sorbonne. En même temps, de 1802 à 1815, il a composé, sur les mathématiques pures et appliquées, une série de mémoires importants. 

Mathématiques.
Dans la seconde période, on ne trouve plus de lui aucun écrit sur la philosophie pure, mais seulement des leçons orales; l'on n'y trouve, en fait de mathématiques pures qu'un traité de calcul différentiel et de calcul intégral, dont les dernières pages ne purent pas être obtenues de lui par l'éditeur, et qui parut sans nom d'auteur sans titre et sans table des matières, et en fait de mathématiques appliquées, un mémoire sur la théorie des ondulations lumineuses. 

Ampère a également laissé, plus tard, deux mémoires célèbres sur l'intégration des équations aux dérivées partielles, qui, à eux seuls, suffiraient pour lui faire occuper une place distinguée parmi les mathématiciens de son époque (Journal de d'Ecole polytechnique, t. XI). Mais il n'a retrouvé ni la bonheur, ni la tranquillité d'esprit de ses jeunes années. 

Théorie atomique.
Pendant la première période, il avait préludé à plusieurs des travaux de la seconde. Ainsi il publiait, de 1814 à 1815, trois mémoires de théorie chimique, et en mars 1832, dans la Bibliothèque universelle de Genève, sur la structure atomique des corps une remarquable théorie, dont il s'était occupe dans son cours au Collège de France, et qui lui avait été inspirée par les découvertes de Gay-Lussac sur les rapports des volumes des gaz dans leurs combinaisons chimiques. Ampère a été ainsi l'un des promoteurs (avec Avogadro, qui a laissé son nom à cette loi) de ce qui n'est alors qu'une hypothèse, celle d'après laquelle tous les gaz renfermeraient, sous le même volume, le même nombre d'atomes ou de molécules

Zoologie.
Dès 1803, il avait eu, sur la philosophie zoologique, des vues analogues à celles qui furent développées plus tard par Étienne-Geoffroy Saint-Hilaire. Par un article anonyme, inséré en 1824, dans les Annales des sciences naturelles, sur l'existence et les transformations de la vertèbre chez les insectes, et par les leçons qu'en 1832, dans son cours au Collège de France, il opposait, avec une vivacité tempérée par le respect, aux leçons de son illustre collègue Georges Cuvier contre le système de l'unité de composition il se fit le second de Geoffroy Saint-Hilaire dans la défense de leur système commun contre le système de la diversité des types organiques. Dès avant 1815 la question des époques géologiques et des créations successives avait vivement préoccupé Ampère, et une lettre à ses amis de Lyon témoigne une grande ardeur pour l'hypothèse d'une catastrophe future à la suite de laquelle des créatures plus parfaites remplaceraient l'humain sur la Terre

Cosmogonie.
A partir de 1830, dans quelques leçons de son cours du Collège de France et dans des conversations complémentaires, il a développé une hypothèse cosmogonique, dont le résumé a paru dans une note à la suite de la cinquième édition des Lettres sur les révolutions du globe, oeuvre du docteur Alexandre Bertrand, dont Ampère avait partagé la foi ardente aux phénomènes les plus incroyables du somnambulisme artificiel. Modifiant l'hypothèse cosmogonique des astronomes Herschel et Laplace par celle du chimiste sir Humphry Davy, Ampère prend, comme les deux premiers, la condensation progressive des nébuleuses pour cause principale de la formation du Système solaire, de la Terre et des étoiles; mais il admet que les substances successivement amenées par le refroidissement de l'état gazeux à l'état liquide et à l'état solide ont été échauffées de nouveau par leurs combinaisons chimiques avec d'autres substances condensées et déposées postérieurement, et qu'ainsi le maximum de température a toujours du être, non au centre, ni à la surface, mais à une certaine profondeur, au contact de deux couches réagisant chimiquement l'une sur l'autre. Ampère ébranlait ainsi l'hypothèse de l'énorme chaleur centrale du gobe terrestre. 

Classification des sciences.
De 1829 jusqu'à sa mort la classification philosophique des sciences fut l'objet constant et presque unique de ses travaux : nous avons vu que dès 1807 il s'en était occupé, et ses études philosophiques depuis 1802 en furent la préparation.

Electrodynamique.
Quant à la découverte scientifique qui a placé Ampère au rang des plus grands physiciens, elle concerne l'électricité. En 1802, Ampère avait publié un programme dans lequel il exprimait la prétention de démontrer l'indépendance réciproque des phénomènes magnétiques et électriques. Toujours prêt à abandonner ses opinions pour la vérité mieux connue, le 11 septembre 1820, il accueillait avec enthousiasme la preuve expérimentale présentée à l'Académie des sciences, d'une découverte faite depuis un an par Oersted , qui avait établi la dépendance réciproque de ces phénomènes, en constatant l'action des courants électriques sur l'aiguille aimantée. Répétant les expériences d'Oersted , Ampère découvrit la loi générale des attractions et répulsions électromagnétiques. Par l'invention de l'aiguille asiatique, complétant la découverte de l'électromagnétisme, il prouvait que tout courant électrique, quelque faible qu'il soit, quand son action n'est pas contrariée par celle de la Terre, fait prendre à l'aiguille une position perpendiculaire à la direction du courant. 
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Ampère : mémoire sur l'action mutuelle de deux courants.
Première page des "Mémoires sur l'action mutuelle de 
deux courans électriques, sur celle qui existe entre
un courant électrique et un aimant ou le globe terrestre,
et celle de deux aimans l'un sur l'autre", 
lus à l'Académie royale des sciences

Mais surtout, dès le 18 septembre 1820, il montrait à l'Académie un nouvel ordre de phénomènes, dits électrodynamiques, c'est-à-dire les attractions et les répulsions mutuelles de deux courants électriques, suivant qu'ils vont dans le même sens ou en sens contraires. Puis, continuant ses recherches, non seulement il suivait ces actions attractives et répulsives dans tous leurs détails accessibles à l'expérimentation à l'aide d'appareils judicieusement combinés; mais, de plus, appliquant aux données ainsi obtenues l'analyse mathématique, il démontrait, avec une certitude fondée sur l'expérimentation et sur le calcul, ce que l'expérimentation seule n'aurait pas pu atteindre directement : il arrivait ainsi aux lois premières de l'électrodynamique, dans lesquelles l'électromagnétisme rentrait comme cas particulier; car Ampère prouvait qu'un fil parcouru par un courant électrique continu se dirige comme l'aiguille aimantée, et par l'invention des solénoïdes, il montrait que tous les effets produits par un barreau aimanté le sont également par un système de courants électriques circulaires, parallèles entre eux, perpendiculaires à leur axe commun et très rapprochés les uns des autres. Dès lors la force directrice du globe terrestre sur la boussole pouvait évidemment s'expliquer par l'existence de courants électriques circulaires, dirigés à la surface de ce globe dans le sens du mouvement de rotation. 
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La méthode expérimentale dans les sciences physiques

La méthode expérimentale n'a jamais été plus nettement ni plus fortement exposée que dans les pages d'un mathématicien. Elles appellent la comparaison avec l'Introduction à la Médecine expérimentale de Claude Bernard.

« Observer d'abord les faits, en varier les circonstances autant qu'il est possible, accompagner ce premier travail de mesures précises pour en déduire des lois générales, uniquement fondées sur l'expérience, et déduire de ces lois, indépendamment de toute hypothèse sur la nature des forces qui produisent les phénomènes, la valeur mathématique de ces forces, c'est-à-dire la formule qui les représente, telle est la marche qu'a suivie Newton. Elle a été, en général, adoptée en France par les savants auxquels la physique doit les immenses progrès qu'elle a faits dans ces derniers temps, et c'est elle qui m'a servi de guide dans toutes mes recherches sur les phénomènes électrodynamiques.

J'ai consulté uniquement l'expérience pour établir les lois de ces phénomènes, et j'en ai déduit la formule qui peut seule représenter les forces auxquelles ils sont dus; je n'ai fait aucune recherche sur la cause même qu'on peut assigner à ces forces, bien convaincu que toute recherche de ce genre doit être précédée de la connaissance purement expérimentale des lois, et de la détermination uniquement déduite de ces lois, de la valeur des forces élémentaires dont la direction est nécessairement celle de la droite menée par les points matériels entre lesquels elles s'exercent. C'est pour cela que j'ai évité de parler des idées que je pouvais avoir sur la nature de la cause des forces qui émanent des conducteurs voltaïques. Il ne paraît pas que cette marche, la seule qui puisse conduire à des résultats indépendants de toute hypothèse, soit préférée par les physiciens du reste de l'Europe, comme elle l'est par les Français; et le savant illustre qui a vu le premier les pôles d'un aimant transportés par l'action d'un fil conducteur dans des directions perpendiculaires à celles de ce fil, en a conclu que la matière électrique tournait autour de lui et poussait ces pôles dans le sens de son mouvement, précisément comme Descartes faisait tourner la matière de ses tourbillons dans le sens des révolutions planétaires. 

Guidé par les principes de la philosophie newtonienne, j'ai ramené le phénomène observé par M. OErsted, comme on l'a fait à l'égard de tous ceux du même genre que nous offre la nature, à des forces agissant toujours suivant la droite qui joint les deux particules entre lesquelles elles s'exercent, et si j'ai établi que la même disposition ou le même mouvement de l'électricité qui existe dans le fil conducteur a lieu aussi autour des particules des aimants, ce n'est certainement pas pour les faire agir par impulsion à la manière d'un tourbillon, mais pour calculer, d'après ma formule, les forces qui en résultent entre ces particules et celles d'un conducteur ou d'un autre aimant, suivant les droites qui joignent deux à deux les particules dont on considère l'action mutuelle, et pour montrer que les résultats du calcul sont complètement vérifiés.

Le principal avantage des formules qui sont ainsi conclues immédiatement de quelques faits généraux, donnés par un nombre suffisant d'observations, pour que la certitude n'en puisse être contestée, est de rester indépendant tant des hypothèses dont leurs auteurs ont pu s'aider dans la recherche de ces formules que de celles qui peuvent leur être substituées dans la suite. L'expression de l'attraction universelle déduite des lois de Képler ne dépend point des hypothèses que quelques auteurs ont essayé de faire sur une cause mécanique qu'ils voulaient lui assigner. La théorie de la chaleur repose réellement sur des faits généraux donnés immédiatement par l'observation; et l'équation déduite de ces faits, se trouvant confirmée par l'accord des résultats qu'on en tire et de ceux que donne l'expérience, doit être également reçue comme exprimant les vraies lois de la propagation de la chaleur et par ceux qui l'attribuent à un rayonnement de molécules calorifiques, et par ceux qui recourent, pour expliquer le même phénomène, aux vibrations d'un fluide répandu dans l'espace; seulement, il faut que les premiers montrent comment l'équation dont il s'agit résulte de leur manière de voir, et que les seconds la déduisent des formules générales des mouvements vibratoires; non pour rien ajouter à la certitude de cette équation, mais pour que leurs hypothèses respectives puissent subsister. 

Le physicien qui n'a point pris de parti à cet égard admet cette équation comme la représentation exacte des faits sans s'inquiéter de la manière dont elle peut résulter de l'une ou de l'autre des explications dont nous parlons; et si de nouveaux phénomènes et de nouveaux calculs viennent à démontrer que les effets de la chaleur ne peuvent être réellement expliqués que dans le système des vibrations, le grand physicien qui a le premier donné cette équation, et qui a créé pour l'appliquer à l'objet de ses recherches de nouveaux moyens d'intégration, n'en serait pas moins l'auteur de la théorie mathématique de la chaleur, comme Newton est celui de la théorie des mouvements planétaires, quoique cette dernière ne fût pas aussi complètement démontrée par ses travaux qu'elle l'a été depuis par ceux de ses successeurs.

Il en est de même de la formule par laquelle j'ai représenté l'action électrodynamique. Quelle que soit la cause physique à laquelle on veuille rapporter les phénomènes produits par cette action, la formule que j'ai obtenue restera toujours l'expression des faits. Si l'on parvient à la déduire d'une des considérations par lesquelles on a expliqué tant d'autres phénomènes, tels que les attractions en raison inverse du carré de la distance, celles qui deviennent insensibles à toute distance appréciable des particules entre lesquelles elles s'exercent, les vibrations d'un fluide répandu dans l'espace, etc., on fera un pas de plus dans cette partie de la physique; mais cette recherche, dont je ne me suis point encore occupé, quoique j'en reconnaisse toute l'importance, ne changera rien aux résultats de mon travail, puisque, pour s'accommoder avec les faits, il faudra toujours que l'hypothèse adoptée s'accorde avec la formule qui les représente si complètement. (A.-M. Ampère, Mémoires sur la théorie mathématique des phénomènes électrodynamiques, uniquement déduite de l'expérience. Introduction).

Toutes ces belles découvertes furent exposées par Ampère dans une série de mémoires publiés par lui de 1820 à 1827. il laissait aux physiciens explorateurs la tâche de déterminer par les observations magnétiques aidées du calcul les directions et les intensités de ces courants électriques dans toutes les contrées de la Terre. Suivant une vue émise par lui à la fin de son hypothèse cosmogonique, la direction de ces courants de l'est à l'ouest est déterminée par l'action de la chaleur solaire sur la couche superficielle, dont elle diminue temporairement la conductibilité. Que cette dernière explication ait été erronée ne change rien au fait que la découverte des lois électrodynamiques est une des plus admirables applications de la méthode physico-mathématique dont Galilée avait été le principal auteur et dont il avait bien compris les principes philosophiques.

Psychologie et classification des sciences.
Il nous reste à parler plus en détail de la psychologie d'Ampère et de sa classification philosophique des connaissances humaines. Avant d'examiner les résultats de ses travaux sur chacun de ces deux objets, il est nécessaire de faire l'histoire des études qui les ont produits. 

Psychologie et métaphysique.
Commençons par la psychologie. En 1803, après la mort de sa première épouse, il avait cherché avec ardeur les consolations religieuses; mais bientôt il lui fallut, comme après la mort de son père, l'attrait d'une étude nouvelle : il s'adonna avec passion à la philosophie, et se mit à la cultiver avec ses amis de Lyon. Nous avons les fragments d'un mémoire inachevé qu'il préparait en 1803 sur une question de psychologie mise au concours pour 1804 par l'Institut. Il commençait en 1805 sa correspondance philosophique avec Maine de Biran, ex-membre du Conseil des Cinq-Cents, retiré à la campagne près de Bergerac depuis 1798, et dont le Mémoire sur l'habitude avait été couronné en 1802 et imprimé en 1803. Arrivé à Paris à la fin de 1805, Ampère se lia avec Cabanis, Destutt de Tracy et De Gérando anciens amis de Maine de Biran. Il rédigeait les projets de divers ouvrages philosophiques, qui ne furent pas achevés. Mais, par la correspondance qu'il entretint avec Maine de Biran de 1805 à 1812 et en 1815, il prenait une part active à la naissance d'une philosophie qui se détachait peu à peu du sensualisme de Condillac et du système de la sensation transformée en constatant l'activité volontaire du moi, méconnue par l'école sensualiste et trop négligée même par Descartes; de plus, à côté de la sensibilité et de la volonté, Ampère rétablissait la raison dans une partie de ses droits. 

La passion d'Ampère pour la philosophie devint telle, qu'en 1813, l'année même où il publiait deux importants mémoires d'analyse mathématique et où il se présentait en concurrence avec Poinsot pour la place laissée vacante à l'Académie des sciences par la mort de l'analyste Lagrange, il prenait, peut-être après l'échec de cette candidature, un profond dégoût pour les sciences mathématiques et physiques. Il négligeait de répondre à une lettre de Davy, pour n'avoir pas, disait-il, à s'occuper de ces ennuyeuses choses, et il écrivait à ses amis de Lyon qu'il était presque décidé à renoncer aux études de ce genre, pour se donner tout entier à une science bien supérieure, à la psychologie, dont il se croyait destiné, disait-il, à poser les fondements pour tous les siècles. 

Cette passion exclusive pour la philosophie ne dura pas, et ce fut heureux; car c'était à la physique qu'il devait bientôt rendre les plus grands services, tandis que cette philosophie à laquelle il avait été tenté de tout sacrifier, pouvait accomplir sans lui ses progrès, et en attendant elle ne lui donnait ni la tranquillité d'esprit ni le bonheur, mais seulement des illusions présomptueuses, qui risquaient de le détourner de sa voie véritable. 

Deux ans plus tard, en 1815, lorsqu'avec le patriotisme dont il fut animé toute sa vie depuis 1789, il souffrait des malheurs de la France et se plaignait amèrement à ses amis de Lyon de la joie de quelques-uns de ses amis de Paris, il ne trouvait pas plus que Jouffroy à la même époque une consolation et un appui dans cette philosophie exclusivement vouée à l'analyse psychologique : tourmenté par le doute, il jetait à ses amis de Lyon un cri d'angoisse et de regret, du fond du gouffre où il s'était précipité, disait-il, en gardant de ses anciennes idées trop peu pour le faite croire, mais assez pour le frapper de terreur. Cependant, à partir de 1816, la petite société philosophique à laquelle il appartenait, et qui se réunissait maintenant chez Maine de Biran fixé à Paris depuis 1812, prenait une couleur plus décidément spiritualiste, et comptait parmi ses membres Stapfer, le docteur Bertrand, Loyson et surtout Victor Cousin, qui, après ses cours de 1816 et 1817 sur les principes nécessaires, ouvrait le 4 décembre 1817 son cours sur le vrai, le beau et le bien. C'était aussi l'époque où Maine de Biran sentait de plus en plus le besoin du sentiment religieux et arrivait peu à peu à la foi chrétienne. Les idées religieuses d'Ampère, ravivées par une correspondance suivie avec le P. Barret, l'un de ses anciens amis lyonnais, devenu prêtre et jésuite avaient ramené le calme dans son âme. De 1819 à 1820, il faisait à la Sorbonne un cours de philosophe sur la classification des faits intellectuels, et il songeait à publier une exposition complète de son système psychologique. Mais l'électromagnétisme et l'électrodynamique lui firent oublier pour un temps la philosophie; et quand il y revint, ce fat pour l'appliquer à l'ensemble des sciences. Voyons ce qu'était cette philosophie qu'Ampère n'a pas trouvé le temps d'exposer d'une manière suivie et complète. 

Le système psychologique d'Ampère, formé peu à peu et bien des fois modifié, appartient à une philosophie de transition dans laquelle Ampère n'a paru jouer qu'un rôle secondaire à côté de son ami Maine de Biran. Dans ce passage lent du sensualisme au spiritualisme, la part de Maine de Biran paraît plus prédominante qu'elle ne l'a été en réalité, parce qu'il a laissé des oeuvres plus étendues, plus suivies et rédigées en un style moins obscur. La part d'Ampère a été plus grande qu'elle ne paraît, parce qu'il n'a laissé, en philosophie pure, que des lambeaux d'écrits très décousus et dont le langage est difficile à comprendre. Les oeuvres purement philosophiques d'André-Marie Ampère forment la seconde moitié d'un volume publié en 1866, par Barthélemy Saint-Hilaire, sous le titre : Philosophie des deux Ampère; elles se composent des Fragments du Mémoire de l'an XII (1803 à 1804), des lettres à Maine de Biran et de quelques fragments réunis par Jean-Jacques Ampère et insérés soit dans son Introduction à la philosophie de mon père, soit surtout dans un appendice à cette introduction qui forme la première moitié du volume cité.

Quand Ampère écrivait les fragments du Mémoire psychologique de l'an XII, il ne connaissait encore Maine de Biran que par la lecture de son mémoire, purement sensualiste, sur l'habitude. Il empruntait à ce mémoire la distinction de l'idée et du sentiment, mais il distinguait plus nettement que l'auteur les sentiments et les sensations, phénomènes réunis sous un même nom dans le Mémoire sur l'habitude, et il devançait Maine de Biran en constatant l'activité volontaire comme parfaitement distincte de la sensation, du sentiment et de l'idée. Du reste, sur l'analyse des phénomènes intellectuels, il se contentait encore des amendements apportés par De Gérando au système de Condillac. Mais il hasardait quelques vues méthaphysiques hardies jusqu'à la témérité. Par exemple, il posait en principe que tout être fini occupe nécessairement une place dans un être infini de même nature. Il admettait, avec Newton, que le temps infini et l'espace infini sont des êtres réels; mais de plus, il voulait que l'étendue de chaque corps fît partie de l'espace infini, et que la durée de chaque être fît partie du temps infini. Ce n'est pas tout : conséquent jusqu'au bout avec son principe, il voulait que chaque être pensant occupât une place dans une pensée infinie, et que chaque changement dans les pensées de cet être fini fût un changement dans la pensée infinie qui embrasse toutes les pensées, comme chaque mouvement d'un corps est un changement de lieu dans l'espace infini qui embrasse tous les corps. En un mot en 1804, pour être panthéiste, il ne manquait à Ampère que de s'apercevoir qu'il l'était. Cette conception ne se retrouve pas dans ses écrits les plus récents.

Sa rupture de plus en plus complète avec le sensualisme s'est faite de 1805 à 1812, en commun avec Maine de Biran. Ampère avait porté le premier son attention sur l'activité volontaire. Maine de Biran en a approfondi la notion sur un point, en concentrant ses études sur l'analyse de la conscience que nous avons de l'effort musculaire. Mais, tandis que, pour s'élever au-dessus du sensualisme, Maine de Biran prenait pour point d'appui Reid, Ampère opposait avec succès à Reid Kant mieux compris qu'il ne l'était alors par les autres philosophes français. Ampère avait d'abord été tenté d'admettre le scepticisme subjectif de Kant; mais ensuite il l'avait rejeté après mûr examen, en attribuant une valeur absolue et objective aux jugements synthétiques a priori de Kant et à ce que lui-même appela plus tard les conceptions objectives. Il faisait ainsi à la raison une part que Maine de Biran n'a jamais su lui faire. En même temps, il conservait à la perception externe toute sa valeur, sans laquelle les sciences cosmologiques ne seraient qu'un vain jeu de notre esprit avec des fantômes. Pour rendre justice à cette philosophie d'Ampère antérieure à 1815 il faut constater encore les points suivants : 

1°Ampère a aidé Maine de Biran a établir une distinction entre deux choses que ce dernier avait d'abord confondues, à savoir : la conscience de l'effort et la sensation du mouvement musculaire. Ampère a vu que cette sensation est rapportée au muscle mis en jeu, et qu'il n'en est pas de même de l'effort volontaire; mais il a eu tort de croire que tout homme a naturellement et primitivement conscience de la localisation de l'effort dans le cerveau, tandis que c'est là une notion acquise, notion qui, justifiée par l'observation et l'induction, et vulgarisée aujourd'hui par l'éducation et par les habitudes du langage, était restée étrangère aux croyances populaires des anciens Grecs et Romains, comme leur langage l'atteste, et qui a été rejetée par la plupart de leurs philosophes.

 2° En restreignant la part trop large que Reid avait faite et que Maine de Biran conservait à la perception immédiate dans l'acquisition de nos connaissances sur les objets extérieurs, Ampère a fait une part à l'induction spontanée et à la raison dans l'acquisition de ces connaissances. 

3° Maine de Biran avait distingué la perception des phénomènes sensibles, la perception des rapports entre ces phénomènes, la conception des causes extérieures et de leur relation avec les phénomènes sensibles. Mais c'est Ampère qui a appelé l'attention de son ami sur la conception des relations mutuelles qui existent entre les causes extérieures, indépendamment de nous et de nos sensations, conception rationnelle, sans laquelle les sciences mathématiques et physiques ne pourraient pas exister. 

4° Il a réagi contre l'abus de l'analyse psychologique par ses remarques sur le rôle simultané de la sensibilité, de l'intelligence et de l'activité volontaire dans les phénomènes psychologiques. Mais ces mérites sont difficiles à découvrir dans la correspondance d'Ampère, à cause des tâtonnements de la pensée et des néologismes étranges qu'il introduit. Par exemple, il faut savoir que la conscience psychologique se nomme tour à tour émésthèse ou autopsie (pour héautopsie); que la nouménalité est le caractère objectif des notions et que la phénoménalité est le caractère subjectif des perceptions sensibles. Mais, de plus, il faut sa familiariser avec la synthétopsie, la contuition, le jugement docimastique, le jugement étéodictique, etc. Quant aux mots connus, il faut s'habituer à leur laisser prendre les sens les plus inattendus. Par exemple, que signifient ces mots : « Mouvoir à volonté une intuition dans un ensemble d'intuitions fixes? » Ils signifient : mouvoir volontairement un corps que l'on voit au milieu d'un ensemble de corps immobiles qu'on voit aussi. » Quand Ampère dit qu'un observateur parcourt l'intervalle de deux points d'une surface avec l'intuition mobile de la main, cela veut dire qu'il parcourt cet intervalle avec sa main qu'il voit se mouvoir. Que valait la langue universelle inventée par Ampère avant l'âge de dix-huit ans? difficile à dire; mais certes sa langue philosophique tirée du grec et du latin n'a jamais eu et n'aura jamais aucune chance de devenir universelle.

La justice envers la psychologie d'Ampère ne serait pas complète, si l'on ne cherchait cette psychologie que dans les fragments écrits par lui avant 1815. Depuis cette époque, dans ses leçons philosophiques à la Sorbonne et au Collège de France, il a développé de vive voix des observations psychologiques remarquables par leur justesse et par leur nouveauté. Il ne les a pas mises par écrit, mais on en trouve un intéressant extrait, fait par Roulin, dans un article reproduit à la fin de la préface de la première partie de l'essai d'Ampère Sur la philosophie des sciences. Ce qui caractérise surtout ces observations psychologiques, c'est leur caractère synthétique, qui consiste à présenter les phénomènes dans leur réalité vivante, dans leurs rapports naturels et dans leur ordre réel de succession, sans négliger pourtant l'analyse psychologique, qui signale la part de chaque faculté dans chaque phénomène complexe, tandis que la réalité échappe aux psychologues qui, par l'emploi trop exclusif de l'analyse, isolent fictivement les facultés, toujours plus ou moins associées dans leur exercice commun. 

Quelques points méritent spécialement d'être signalés. Par exemple il faut citer les vues d'Ampère sur ce qu'il appelle concrétion, c'est-à-dire le phénomène complexe résultant de la réunion d'une sensation présente avec les images fournies par la réminiscence involontaire de sensations antérieures. Il faut noter aussi ce qui concerne le rôle de l'activité dans la sensation, c'est-à-dire ce qu'Ampère appelle la réaction, distincte de l'attention volontaire. Enfin il faut mentionner une théorie qui a exercé une influence prédominante sur sa classification des sciences : c'est la théorie des quatre ordres de conception, réunis deux à deux en deux classes, dont la première est dite indépendante du langage, tandis que, suivant Ampère, la seconde le suppose nécessairement. La première classe comprend : 

1° les conceptions primitives et subjectives de l'étendue et de la durée, conceptions qui prêtent à la perception sensible sa forme nécessaire; 

2° les conceptions objectives de substance et de cause. La seconde classe comprend : 

3° les conceptions onomastiques, c'est-à-dire d'une part, pour les phénomènes sensitifs, les conceptions comparatives ou idées générales; d'autre part, pour les phénomènes de l'activité intellectuelle, les idées réflexives. Cette seconde classe comprend aussi : 
4° les conceptions explicatives, par lesquelles nous remontons des phénomènes aux causes. Ainsi le grand physicien Ampère est aussi rebelle que le grand physicien Galilée à l'interdiction prononcée par le positivisme contre la recherche des causes.
Classification des sciences.
Arrivons à la dernière grande oeuvre d'Ampère, oeuvre de philosophie appliquée aux autres sciences. Disons d'abord comment il fut conduit à ce grand travail. Nous avons dit que dès 1807 il avait abordé dans son cours de l'Athénée la question de la classification des connaissances humaines. Des observations courtes et peu claires de Maine de Biran, conservées parmi les lettres d'Ampère à ce philosophe, nous permettent d'entrevoir quelque chose des premières vues d'Ampère sur cette classification. Maine de Biran aurait voulu une première division des sciences en plus de deux règnes. Au contraire, il paraît que dès lors Ampère avait divisé toutes les connaissances humaines en deux règnes seulement, dont l'un comprenait à la fois la métaphysique, la théologie, la jurisprudence, l'histoire, l'archéologie, etc.; mais qu'il avait fondé alors cette division sur une considération qu'il abandonna depuis, savoir, sur la distinction de deux modes d'application du principe de causalité

Après 1807, la philosophie pure, les mathématiques et les sciences physiques occupèrent, comme nous l'avons vu, la pensée d'Ampère jusqu'en 1828. A cette dernière époque, après la publication de son Mémoire mathématique sur les ondulations lumineuses, ses amis l'exhortaient à continuer dans la même voie et à compléter l'oeuvre de Fresnel mort en 1827. Mais, en 1829, obligé par sa mauvaise santé d'aller chercher le climat du midi, il revint à ses études de philosophie, pour les appliquer à l'ensemble des sciences, et toute son attention, pendant les sept dernières années de sa vie fut absorbée par cette unique pensée, avec quelques épisodes, qu'il y rattachait et dont nous avons parlé, sur la structure atomique des corps, sur la zoologie et sur la cosmogonie. Une partie de son cours au Collège de France fut remplie par ces épisodes, tandis que l'autre partie avait pour objet la mathésiologie, c'est-à-dire la classification des connaissances humaines. Avec l'aide de Gonod, professeur à Clermont, il rédigeait son Essai sur la philosophie des sciences ou Exposition analytique d'une classification naturelle de toutes les connaissances humaines. Pendant une tournée d'inspection générale, il composait en chaise de poste 158 vers latins techniques remarquables par leur concision élégante et dans lesquels cette classification se trouve habilement résumée. La première partie de l'Essai sur la philosophie des sciences fut imprimée avant sa mort, mais n'a été publiée qu'en 1838; l'autre partie a paru en 1843, par les soins de son fils, Jean-Jacques Ampère, avec une notice biographique de Sainte-Beuve et Littré.
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Ampère.
Ampère.

Dans son ensemble, et surtout dans ses divisions les plus générales, cette classification est très supérieure a toutes celles qui l'avaient précédée. Mais dans beaucoup de détails, et surtout dans les dernières subdivisions, elle est défectueuse, et même assez vaine. 

Botaniste distingué, Ampère prit pour modèle de la classification des connaissances humaines la classification botanique de Bernard de Jussieu. Dès lors, il est clair qu'il ne devait pas se placer au point de vue subjectif, en classant, comme Bacon et d'Alembert, les sciences d'après les facultés qu'elles mettent principalement en jeu, mémoire, imagination, raison, ou bien en les classant, comme le P. Ventura, d'après les procédés qu'elles emploient, autorité, raisonnement, observation; mais qu'il devait, avec raison, se placer au point de vue objectif, en classant ces connaissances d'après la nature de leurs objets. 

Les connaissances humaines portent sur deux grandes classes d'objets, ceux qui appartiennent à la matière, et ceux qui appartiennent a la pensée. C'est pourquoi Ampère les divisa en deux règnes, celui des sciences cosmologiques et celui des sciences noologiques. Il divisa le premier en deux sous-règnes, celui des sciences cosmologiques proprement dites ou sciences de la matière inorganique, et celui des sciences physiologiques ou sciences de la matière organisée et vivante. Il divisa de même le second règne en deux sous-règnes celui des sciences noologiques proprement dites et celui des sciences sociales. Puis il divisa chacun des quatre sous-règnes en deux embranchements chaque embranchement en deux sous-embranchements, subdivisés chacun en deux sciences du premier ordre, dans chacune desquelles il trouva deux sciences du second ordre, divisées chacune en deux sciences du troisième ordre. Il eut ainsi 128 sciences du troisième ordre, embrassant dans leur ensemble toutes les connaissances humaines. Ampère compare ces sciences du troisième ordre aux familles naturelles, que Jussieu a déterminées d'abord sans aucune idée préconçue et d'après l'ensemble des caractères observés dans les espèces végétales; il a réuni ensuite ces familles en groupes plus ou moins élevés, et il les a subdivisés en descendant jusqu'aux espèces végétales. 

Ampère s'est arrêté aux sciences du troisième ordre, sans pousser la division plus loin; mais, pour tout le reste, il croit avoir procédé comme Jussieu. Cependant, de l'inspection du tableau final d'Ampère et de ses explications mêmes, il résulte que c'est là une illusion. Il est vrai que sa méthode d'exposition consiste à partir des sciences du troisième ordre, en remontant de degré en degré jusqu'aux deux règnes. Mais il est évident et l'auteur lui-même nous apprend que telle n'a pas été sa méthode d'invention, et qu'une vue philosophique a priori l'a forcé de modifier après coup ses divisions et ses subdivisions, pour remplir les cadres uniformes et entièrement semblables entre eux des deux règnes dans cette division invariablement dichotomique. Les familles botaniques de Jussieu existaient dans la nature, et ce savant n'a fait que les y trouver. Au contraire, parmi les sciences du troisième ordre d'Ampère, il y en a beaucoup qui n'ont jamais existé et n'existeront jamais comme sciences distinctes. 

Parmi les sciences de ses deux premiers ordres, il y en a moins qui aient ce défaut capital, mais il y en a encore. Par exemple, dans le sous-embranchement des sciences philosophiques, la thélésiologie, science du premier ordre, n'existera jamais comme science distincte et des quatre sciences du troisième ordre quelle contient, la première, la télésiographie, description de la volonté; fait partie de la psychologie la seconde et la troisième font partie de l'éthique. Or la psychologie et l'éthique sont deux des quatre sciences du premier ordre de ce même sous-embranchement. Prenons maintenant l'ontologie, autre science philosophique du premier ordre. Parmi ses quatre subdivisions, l'hyparctologie et la théodicée n'existeront jamais comme distinctes des deux autres qui sont l'ontothétique et la théologie naturelle. 

Le règne des sciences cosmologiques donnerait lieu à des critiques du même genre. Par exemple, des quatre sciences du troisième ordre comprises dans la zootechnie, deux rentrent en partie dans les deux autres et n'en diffèrent qu'a titre de points de vue d'une même science, tandis que les quatre sciences du troisième ordre comprises dans la physique médicale ont chacune un objet différent de celui des trois autres. Il y a donc, dans ces divisions de chaque science du premier ordre en quatre du troisième, une symétrie apparente et non réelle, factice et non naturelle. Les cadres étaient faits il fallait les remplir.

Mais comment le l'effort classificateur d'Ampère s'est-il asservi à ces cadres arbitraires? Sa théorie philosophique des quatre ordres de conceptions lui a imposé sa théorie des quatre points de vue, et celle-ci s'est imposée à sa classification des sciences. Dans sa préface et dans son introduction, il insiste sur cette pensée, que les conceptions des deux premiers ordres, les unes subjectives, les autres objectives, doivent exister chez les enfants avant l'intelligence du langage, qui seule permet de comparer les faits et de les expliquer. De même, suivant lui, dans chaque science il y a une première partie qui, sans scruter la corrélation des faits, les considère en eux-mêmes, et cette partie se subdivise en deux autres, dont l'une prend dans les faits ce qui s'offre immédiatement à l'observation, et dont l'autre cherche ce qui est d'abord caché; ensuite, dans chaque science, il y a une seconde partie, qui considère les faits corrélativement, de manière à les comparer et à les expliquer, en examinant les changements successifs qu'un même objet éprouve, ou bien les changements analogues qui se produisent dans des objets différents, et cette seconde partie se subdivise en deux autres, dont l'une arrive par cette comparaison aux lois les plus générales, et l'autre se propose de découvrir les causes des faits données par les deux premiers points de vue et les causes des lois données par le troisième point de vue, et de prévoir les effets par la connaissance des causes. 

Peut-être; mais l'erreur consiste à croire que des points de vue d'une même science sont es sciences distinctes. Par exemple, suivant Ampère, dans la physique générale élémentaire, première partie de la physique générale, il y a la physique expérimentale, qui s'arrête aux faits observés, et la chimie, qui scrute les faits cachés; et dans la physique mathématique, seconde partie de la physique générale, il y a la stéréonomie, qui applique à tous les corps les procédés nécessaires pour arriver à l'exactitude mathématique dans les observations physiques et chimiques et dans les formules qui en résument tous les résultats, et l'atomologie, qui s'élève à la recherche des causes des phénomènes et des lois de physique et de chimie. Cet exemple choisi par l'auteur est malheureux; car il est évident que la physique et la chimie sont deux sciences distinctes, séparées avec raison dans la première subdivision et confondues à tort dans la seconde. 

Les quatre points de vue auraient dû, suivant les principes posés expressément par Ampère, servir seulement de contre-épreuve à la classification des sciences divisées et subdivisées d'après leurs objets : au contraire, ce sont bien évidemment les quatre points de vue qui d'une part l'ont forcé à diviser en deux une science naturellement une, comme la physique, à laquelle appartient la partie physique de la stéréonomie et de l'atomologie, ou comme la chimie, à laquelle appartient la partie chimique de ces deux mêmes sciences; d'autre part ce sont aussi les quatre points de vue qui l'ont forcé à réunir en une seule science deux sciences naturellement distinctes, comme la partie physique et la partie chimique de la stéréonomie et de l'atomologie.

Cette même théorie des quatre points de vue a produit chez Ampère une autre illusion, combattue avec raison par Arago dans sa Notice. Ces quatre points de vue, qui déterminent toutes les divisions et les subdivisions des connaissances humaines, étant analogues aux quatre ordres de conceptions rangés suivant l'ordre de leur apparition successive dans la première enfance, Ampère se croit en droit de conclure que, sauf la nécessité d'une instruction primaire préparatoire, ses 128 sciences se trouvent rangées dans son tableau dans l'ordre le meilleur à suivre soit pour les étudier toutes, soit pour en étudier à fond quelques-unes en omettant ou en se contentant d'effleurer les autres. Ainsi il admet qu'il vaut mieux avoir acquis toute l'instruction qu'on peut et qu'on veut acquérir dans les 64 sciences cosmologiques, avant de commencer l'étude des sciences noologiques.

De plus, il croit qu'il faut apprendre dans chaque règne les sciences du premier ordre une à une, chacune depuis ses premiers éléments jusqu'à ses parties les plus élevées dans les quatre sciences du troisième ordre, avant de passer aux sciences suivantes du premier ordre; qu'ainsi il faut apprendre les mathématiques supérieures, sans excepter l'astronomie, avant la physique élémentaire et par conséquent avant aucune notion d'optique. Il n'est pas besoin d'aller plus loin pour voir que les sciences cosmologiques, classées, comme elles doivent l'être, d'après leurs objets ne sont pas rangées dans l'ordre suivant lequel elles doivent être apprises, et qu'il faut avoir appris les éléments de plusieurs sciences du premier ordre avant de pouvoir atteindre les parties les plus élevées de l'une quelconque d'entre elles, à l'exception des mathématiques pures. Il en est de même pour les sciences noologiques. 

Par exemple, à qui Ampère fera-t-il croire qu'un futur philosophe doit commencer par acquérir une instruction aussi complète qu'il pourra dans les sciences cosmologiques, avant d'aborder l'étude de la psychologie élémentaire, et que celui qui veut devenir linguiste doit avoir achevé ses études dans les sciences cosmologiques dans les sciences philosophiques, et de plus dans les beaux-arts, avant de commencer l'étude des langues? Cette illusion d'Ampère peut s'expliquer par la puissance exceptionnelle de ses facultés, par le défaut de direction dans les études de son enfance et de sa jeunesse, et par l'ordre étrange qu'il avait suivi lui-même, comme nous l'avons vu, dans l'acquisition de ses vastes connaissances. (Th. H.-M. /  J. et R. S.).



Principaux ouvrages d'Ampère. - Considérations sur la théorie mathématique du jeu; Lyon et Paris, 1802; - Recherches sur quelques points de la théorie des fonctions dérivées, et démonstration du principe des vitesses virtuelles (Journal de l'Ecole Polytechnique, t. VI, 1806) ; - Lettre sur l'état magnétique des corps qui transmettent un courant d'électricité (Annales de chimie et de physique, t. XXI, p. 149) ; - Mémoire sur la théorie mathématique des phénomènes électro-dynamiques (Mémoires de l'Académie des sciences, VI, 1827); Mémoire contenant le calcul de l'action qu'exerce un petit aimant sur un fil conducteur (Journal de physique, XCIII, p. 160); - Mémoire sur la détermination de le formule qui représente l'action mutuelle de deux portions infiniment petites de conducteurs voltaïques (Mémoires de l'Académie des sciences, VI, p. 175); - Exposé méthodique des phénomènes électro-dynamiques et des lois de ces phénomènes; Paris, 1823; - Note sur la chaleur et la lumière considérées comme résultant de mouvements vibratoires (Annales de chimie et de physique, LVIII, 432). Essai sur la philosophie des sciences; Paris, 1834-1844. - Journal et correspondance; Paris 1872, in-18. - Correspondance; Paris 1875, 2 vol. in-18.

Arago a donné son Eloge (1839), Barthélemy Saint-Hilaire, la Philosophie des deux Ampères (1866).

Jean-Jacques Antoine Ampère est un littérateur français, fils du précédent, né à Lyon le 12 août 1800, et mort à Pau le 27 mars 1864. Ses goûts, que son père chercha longtemps à modifier, le poussaient vers les études littéraires, philologiques, et en particulier les langues et les littératures étrangères. Le Nord l'attira d'abord et, en 1827, parcourant l'Allemagne, le Danemark, la Suède et la Norvège, il alla recueillir sur place des poésies populaires qu'il comparaît avec ce qu'on avait des Eddas, des Niebelungen et des Sagas. A son retour, il fut présenté par Ballanche, son ami, à Chateaubriand et à Mme Récamier, fréquenta les salons littéraires en même temps qu'il suivait les cours de Fauriel, de Villemain, de Cousin

Romantique et libéral, Jean-Jacques Ampère avait collaboré, dès la fondation, au Globe de Dubois et à la Revue françaiseGuizot combattait le gouvernement, mais où lui-même, dédaigneux de la politique militante, ne s'occupa jamais que de questions littéraires. En 1830, sur le refus de Sainte-Beuve et la proposition de Mignet, il alla professer à l'Athénée de Marseille, nouvellement fondé. Il y traita de la poésie primitive chez les peuples du nord de l'Europe, après une leçon d'ouverture imprimée sous ce titre : De l'histoire de la poésie; Marseille, 1830. C'était la première fois que l'on parlait en France avec quelque développement de ces Eddas mystérieux où Ampère retrouvait, sous les voiles du mythe, l'histoire de la formation de la société scandinave. La sagacité de sa critique lui montrait les analogies qui existent entre ces poèmes et les épopées homériques; il y retrouvait des héros pareils et même un Achille, Sigurd (Siegfried), qui depuis a eu des destinées bruyantes. Il remonta jusqu'aux Sagas et analysa ces histoires naïves et parfois grandioses, ces chants dont la tristesse va jusqu'au lugubre, laissés par les scaldes d'un peuple primitif du nord de l'Europe.

Plus importante encore peut-être fut la révélation au public français des Niebelungen, cette épopée des temps héroïques de la Germanie, qu'il comparait à l'Iliade, non sans un peu trop d'enthousiasme. Quant au but qu'il s'était proposé en tirant de leur nuit ces vieux poèmes, et quant à l'utilité de leur étude, il s'en expliquait avec une remarquable largeur de vues. Il y cherchait la solution de vastes problèmes d'histoire primitive, se demandant si le Nord ne se rattachait pas à l'Orient par quelque côté, s'il n'avait pas eu d'étroits rapports avec la Grèce et l'Italie, la Perse et l'Inde. A un autre point de vue, il aurait voulu, en comparant ces épopées du Nord aux épopées grecques, éclaircir la question de la poésie primitive, percer le secret de sa naissance et de son développement. 

Jean-Jacques Ampère.
Jean-Jacques Ampère (1800-1864).

Ces sortes de problèmes le passionnèrent toujours, et, mis en goût par ces premières découvertes, Jean-Jacques Ampère étudia l'origine de la langue et de la littérature françaises, qui n'était alors guère mieux connue que celle des épopées scandinaves. Que n'étudia-t-il pas? Rien ne l'avait rebuté, ni le sanscrit, ni le chinois, ni les hiéroglyphes; et sur tout il avait quelque vue originale, paradoxale souvent, parfois profonde. Revenu à Paris, il suppléa Fauriel et Villemain à la Sorbonneet en 1833, à la mort d'Andrieux, le remplaça dans la chaire d'histoire de la littérature française au Collège de France

En 1841, J.-J. Ampère repartit pour un nouveau voyage, alla jusqu'en Egypte et en Nubie, puis avec Mérimée, Lenormant, de Witte, il visita la Grèce et revint par l'Italie, d'où il rapporta son fameux Voyage dantesque. C'est le récit pittoresque du pèlerinage entrepris par l'auteur à tous les lieux consacrés par les vers du grand poète. Son guide est la Divine Comédie, et on le suit à Pise, à Lucques, à Florence, à Bologne, à Padoue, à Ravenne, partout où Dante exilé s'est arrêté; et en même temps qu'une histoire de Dante et de son oeuvre, c'est un tableau des luttes et des agitations politiques de l'Italie au commencement du XIVe siècle. Cet ouvrage, que l'érudition a depuis longtemps dépassé, est encore utile à lire et aucun n'a plus fait pour populariser en France la gloire du grand poète italien. 

A son retour, Jean-Jacques Ampère fut nommé à l'Académie des inscriptions en remplacement de Gérando (1842). En 1848, il remplaçait A. Guiraud à l'Académie française. L'Amérique, après l'Europe, l'attira. Il visita le Canada, les Etats-Unis, les Antilles, revint en s'arrêtant aux Açores (1851). Ce fut son dernier voyage, et depuis lors il consacra tout son temps à l'achèvement de son grand ouvrage, l'Histoire romaine à Rome. C'est en y travaillant qu'il mourut presque subitement. 

Jean-Jacques Ampère est un esprit avant tout curieux, primesautier, avec plus d'étendue que de profondeur et d'exactitude. Il a touché à bien des sujets et il ne laisse rien de complet, c.-à-d. de relativement définitif sur aucune des diverses études qu'il avait embrassées. Hippolyte Babou a pu l'appeler spirituellement  «  l'écrivain de société, le savant d'académie, le voyageur content, l'historien touriste..., le démocrate de salon... » Il faut du moins lui rendre cette justice, d'avoir, en plus d'un côté, entrouvert des voies nouvelles. Sainte-Beuve l'a reconnu et en a témoigné. 

Ses recherches, bien que superficielles, sur les premiers siècles de la littérature française en ont provoqué de plus savantes, et c'était tout au moins une idée heureuse que d'aller étudier l'histoire ancienne aux lieux mêmes où elle s'était déroulée. Il avait sur toutes choses des curiosités d'ordre supérieur, le besoin de savoir et le besoin d'enseigner; aussi a-t-il beaucoup écrit. (R. de Gourmont).



En bibliothèque. - Voici la liste des principaux ouvrages de Jean-Jacques Ampère : De l'histoire de la poésie; Marseille, 1830, in 8, 52 pages; - Littérature et Voyages, 1833, in -8 ; - Histoire littéraire de la France avant le XIIe siècle, 1840, 3 vol. in-8; réimprimé plus tard en deux parties : Histoire littéraire de la France avant Charlemagne, 1867, 1 vol. in-8, et Histoire littéraire de la France sous Charlemagne et pendant les Xe et XIIe siècles, 1867, in-8 ; - Histoire de la littérature française au Moyen âge, comparée aux littératures étrangères. Introduction : Histoire de la formation de la langue française, 1841, in-8 ; réimprimé plus tard sous ce titre : Histoire de la formation de la langue française pour servir de complément à l'histoire littéraire de la France; - la Grèce, Rome et Dante (comprenant le Voyage dantesque), 1848, in-12; - Littérature, voyages et poésies, 1860, 2 vol in-8; - Promenades era Amérique : Etats-Unis, Cuba, Mexique, 1855, 2 vol. in-8; - César, scènes historiques. 1859, in-8; livre, malgré son sous-titre, d'un intérêt aussi politique qu'historique et plein d'allusions contre l'Empire; l'Histoire romaine à Rome, 1861-1864, 4 vol. in-8 suivie de l'Empire romain à Rome, 1867, 2 vol. in-8; - la Science et les Lettres en Orient, 1865, in-8; - Mélanges d'histoire littéraire et de littérature, 1867, 2 vol. in 8; - Voyage en Egypte et en Nubie, 1867, in-8; - Des Souvenirs sur l'Abbaye au bois; un roman, Christian; deux poèmes, un Alexandre, pendant au César, sont restés inédits; Saint Paul, scènes dramatiques, a paru en fragment dans le Correspondant (1864).
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