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![]() | La Divine Comédie est une épopée qui a pour auteur Dante Alighieri. C'est le récit d'une vision durant laquelle Dante, transporté dans le monde surnaturel enseigné par la théologie du Moyen âge, est admis à contempler les supplices des damnés dans l'Enfer![]() ![]() ![]() Ce poème s'ouvre par une sorte de prologue allégorique où Dante raconte qu'il se trouva transporté, au lever du jour, dans une forêt Les meilleurs commentateurs ont vu dans la Divine comédie une sorte de monument expiatoire élevé par Dante à la mémoire de l'amour enthousiaste et mystique qu'il porta dans sa jeunesse à Béatrix Portinari, laquelle y joue en effet le rôle principal et par moments admirable. Mais la Divine comédie n'est pas seulement l'apothéose La Divine comédie, monument d'une grandeur incontestable malgré les bizarreries de l'exécution, est par moments un récit épique, et, plus souvent encore, une oeuvre lyrique; cette partie, composée des fragments très nombreux dans lesquels Dante donne un libre cours à ses impressions et à ses passions, forme la plus belle portion du poème et la plus intéressante pour des lecteurs modernes; Dante, génie extraordinaire, se montre, dans ces épisodes, digne de l'admiration qu'on lui voue aujourd'hui peut-être trop indistinctement; car, sous plus d'un rapport, son immense épopée ne supporte pas l'analyse. On connaît surtout de la Divine comédie certaines descriptions de l'Enfer, probablement parce que beaucoup de lecteurs n'ont pas eu le courage de passer outre. Les épisodes de Farinata degli Uberti, de Francesca de Rimini, d'Ugolin, méritent en effet l'admiration; mais il y a des beautés tout aussi remarquables dans les chants du Purgatoire et du Paradis : nous placerons au premier rang l'épisode de Sordello de Mantoue Dante a porté à sa perfection, dans la Divine comédie, la langue italienne, dont il est demeuré à la fois l'Homère et le Virgile. Sous le rapport de l'idiome, il emprunta beaucoup aux troubadours provençaux, dont il connaissait parfaitement les oeuvres; témoin le magnifique éloge qu'il décerne à Arnaud Daniel, troubadour aquitain, et la mention qu'il fait de Bertrand de Born et de ses querelles avec Henri Il Plantagenet. Le nom de Divine comédie attribué par Dante à son poème vient de ce que, selon la critique du temps, professée par Dante lui-même, tout poème dont la conclusion était heureuse devait porter le titre de comédie. Or, la Divine comédie se termine de cette manière, par l'apothéose de Béatrix; l'épithète divine s'explique suffisamment par les matières théologiques dont traite le poème. (E. B.). | |
L'EnferSi Virgile a donné une description des enfers![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Dans l'oeuvre de Virgile, tout est pur, tout est harmonieux, rien qui blesse le regard, rien qui choque le sentiment, pas d'images révoltantes, même lorsqu'il décrit les châtiments les plus terribles du Tartare; les dieux infernaux y sont peints avec des couleurs fortes, mais il sait respecter la délicatesse du lecteur. Fidèle aux traditions de l'art grec, il a horreur du laid, et dans ses Géants Dans l'Enfer de Dante, les commentateurs ont tout expliqué; ils ont trouvé des choses que le poète lui-même n'a probablement jamais songé à y faire entrer. Suivant eux, Virgile qui conduit Dante représente la Raison humaine, et Dante, au contraire, figure les Sens. Trois femmes, Béatrix, Lucie et Rachel, sont la Théologie, la Grâce coopérante et la Vie contemplative. Nous ne discuterons pas ce sens mystique; nous n'examinerons pas non plus s'il sont exacts dans les mesures qu'ils ont données de chaque division de l'enfer, car ils sont allés jusqu'à mesurer les différents cercles; à en calculer le diamètre, la hauteur, la largeur, à chiffrer avec scrupule la grandeur des Géants placés autour du neuvième cercle, et celle de Lucifer D'après Dante, la forme de l'enfer ressemble assez à celle d'un entonnoir ou d'un cône renversé. Tous les cercles en sont concentriques et vont toujours en diminuant; ils sont au nombre de neuf principaux. Virgile aussi admet neuf divisions : trois fois trois, nombre sacré par excellence, et les Juifs, qui, suivant le Talmud |
Dante, après avoir franchi la porte où il lit avec épouvante ces désolantes paroles écrites en caractères infernaux : "Abandonnez toute espérance, vous qui entrez," n'est pas encore dans l'enfer qui ne commence que de l'autre côté de l'Achéron. Cet espace est partagé en deux autres : dans le premier, sont les âmes de ceux qui vécurent sans crime, mais aussi sans vertus, pécheurs tièdes, lâches et pusillanimes. Des mouches et des frelons leur piquent le visage, et le sang qui en découle à leurs pieds devient la pâture des vers; ils courent sans relâche à la suite d'une bannière entraînée si rapidement qu'elle semble ne devoir jamais s'arrêter. C'est dans ce lieu que sont les anges qui, dans la révolte de Satan![]() ![]() ![]() Premier cercle. Deuxième cercle. | ||||
Troisième cercle. C'est le cercle de la pluie éternelle, maudite, froide, insupportable, de la grêle et de la neige; Cerbère ![]() Quatrième cercle. Pluton commande en ce lieu. Le poète, faisant encore ici un emprunt au paganisme qui remettait à Pluton ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() | ||||
Cinquième cercle. Ces lieux sont arrosés par une fontaine bouillante (ch. VII, v. 102) dont les eaux noirâtres, après avoir roulé quelque temps sur des pentes désolées, forment le marais du Styx ![]() Après avoir côtoyé quelque temps ce marais, Virgile et Dante arrivent au pied d'une tour; c'est de son sommet qu'on signale les damnés qui doivent passer, en allumant des feux égaux à leur nombre; on y répond de la ville de Dité, qui est au delà du Styx, par une seule flamme, pour faire connaître que l'on envoie Phlégias [1], nocher du Styx, comme Charon l'est de l'Achéron. Il dépose les âmes au pied des hautes tours du Dité, tours étincelantes dont le fer est rougi comme s'il sortait de la fournaise par le feu qu'elles contiennent; une porte s'ouvre et l'on entre dans le sixième cercle, séjour de Midas | [1] D'après les commentateurs, Phégias est l'emblème de la colère et de l'orgueil. | |||
Sixième cercle. Cette enceinte est nommée Dité (la ville de Feu); elle renferme des tombes ouvertes et brûlantes, où sont torturés les hérésiarques et leurs sectateurs (ch. IX, v. 129). Ces tombes seront fermées de leurs couvercles quand ces damnés reviendront de la vallée de Josaphat avec leurs corps qu'ils ont laissés sur la Terre. Parmi les hérésiarques, Dante place Épicure pour avoir cru que l'âme meurt avec le corps; Cavalcante gentilhomme florentin, Guelfe ardent et zélé, l'ennemi du poète, qui l'accuse d'épicurisme; Farinata, l'empereur Frédéric II, violent antagoniste de Grégoire IX et d'Innocent IV qui l'excommunièrent; le cardinal ![]() Septième cercle. Huitième cercle. | [2] Ces pierres brisées signifient, toujours au dire des commentateurs, que les hérésiarques divisent et mettent en pièces la vérité et la vertu. [3] Pour faire connaître les usuriers, Dante emploie le nom de Caorsa, parce que, assure-t-on, du temps du poète, la ville de Cahors était remplie d'usuriers.
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Dans la sixième bolge, on voit les hypocrites, dont le visage est fardé. Ils marchent à pas lents et paraissent abattus : en effet, ils portent des manteaux avec de grands capuchons qui leur retombent sur les yeux; ces manteaux, dorés et éblouissants à l'extérieur, sont de plomb intérieurement. "Ô manteaux fatigants pour l'éternité!" s'écrie le poète. Par terre sont crucifiés avec trois pieux Caïphe et Anne, sur lesquels passent sans cesse les hypocrites en leur faisant sentir tout leur poids. C'est ainsi qu'ils sont punis d'avoir conseillé aux pharisiens de faire périr un seul homme pour le salut de tout le peuple. La septième bolge contient les voleurs : ils y courent épouvantés au milieu d'une foule de serpents cruels, sans espérance de les fuir ou de les éviter. Quelques-uns subissent d'étranges métamorphoses: ils échangent leur forme contre celle de serpents et de lézards, pour les reprendre ensuite. Dans la huitième, des flammes enveloppent et décorent ceux qui donnèrent pendant leur vie des conseils frauduleux (ch. XXVII, v. 116); Ulysse![]() ![]() | ||||
Neuvième cercle. Le neuvième et dernier cercle a la forme d'un puits profond; placé précisément au centre et au fond de tout l'enfer, Il est formé des eaux du Cocyte ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() -
Dans la troisième région, sont les traîtres envers leurs bienfaiteurs, mais qui pourtant étaient leurs égaux, elle est nommée Ptoloméa, à cause de Ptoléméa qui fit égorger dans un festin Simon, son beau-père et ses deux fils. Les damnés y sont couchés à la renverse, le visage découvert et enchaînés étroitement par d'énormes glaçons; leurs larmes ne peuvent couler, elles trouvent toujours un obstacle, se renfoncent et augmentent leur douleur; les premières se rassemblent sur leurs paupières, se durcissent en y formant comme une enveloppe de cristal | ||||
Malheureusement, une si rapide analyse, loin de donner une juste idée des beautés du poème, n'en montre guère que les bizarreries. A la lecture du texte, les pensées, les expressions fortes et sublimes, font oublier les singularités du plan; elles saisissent l'imagination. A la vue de toutes les tortures imaginées par Dante, l'esprit s'épouvante, mais le coeur se serre aussi; on éprouve une douloureuse pitié, et à chaque obstacle qu'on franchit pour descendre dans l'abîme éternel, a chaque cercle qu'on traverse, il semble que ce soient autant de chaînes qui vous entourent, autant de noeuds qui vous enlacent et qui vous arrachent tout espoir de retour, et l'on comprend alors ces terribles mots écrits sur la, porte de l'enfer : Lasciate ogni speranza, voi ch'intrate... "Abandonnez toute espérance, vous qui entrez; c'est par moi que l'on va dans la cité des plaintes, c'est par moi que l'on va dans l'éternelle douleur, c'est par moi que l'on va au milieu de la lignée proscrite." (M.P., 1850). | ||||
Le PurgatoireLe Purgatoire, c'est bien un lieu d'expiation, mais là le coupable est nourri de l'espoir d'un bien suprême, celui d'être heureux dans le sein de Dieu. Aussi la poésie Dantesque va-t-elle se ressentir de cette transition de l'éternelle douleur aux peines temporaires et expiatoires? Il s'en dégagera une inspiration plus tendre, plus pure, et une douce et pénétrante harmonie, jusqu'alors inconnue, s'exhalera de tous les vers. C'est qu'à mesure qu'il s'élève, le poète non seulement se rapproche des sphères célestes et des bienheureux, son coeur aussi se gonfle d'espoir, des émotions de l'attente qui le bercent de l'image chérie de Béatrice. Et que voudrions-nous de plus pour verser dans son âme le baume de la consolation et tous les parfums du bonheur et de la contemplation idéale? Doucement livré à ses pieuses extases, à ses ravissements d'amour, il laissera s'épancher dans ses chants, se refléter dans le beau miroir de sa vision, toute l'inexprimable tendresse et la touchante mélancolie dont il est rempli.Caton d'Utique garde l'avenue qui conduit à la montagne du Purgatoire et recommande à Virgile de laver le visage de son compagnon et de ceindre son corps d'un jonc souple et uni. Ces actes sont des symboles de purification. Les pèlerins se trouvaient au milieu d'une plage immense, quand une barque leur apparut, qui fendait l'eau avec la rapidité de l'éclair et qui était conduite par un nautonier céleste. De cette barque descendirent une foule d'esprits; ils chantaient des versets de psaume : parmi eux, Dante revoit son ami, le célèbre musicien Casella, et cette rencontre donne lieu à des marques réciproques de joie fraternelle. Pendant que celui-ci, par ses chants, rappelait à Dante le bonheur passé et que toute la troupe des âmes formait le cercle autour de lui, la voix du noble vieillard s'éleva pour leur reprocher leur lenteur à courir vers le but désiré, c'est-à-dire la montagne du Purgatoire : « Attentifs et comme suspendus à ses doux accents, nous allions, et voilà que le vénérable vieillard : qu'est-ce à dire, s'écria-t-il, esprits paresseux? Pourquoi tant de négligence et de retard? Courez à la montagne et jetez-y cette dépouille qui ne permet pas que Dieu se manifeste à vous.En proie à la crainte, le poète revint tout près de son guide qui lui découvre que la vertu divine tout en dépouillant les corps de leur forme réelle, palpable, de sorte qu'ils sont pour ainsi dire opaques, les rend en tous points sensibles à toutes les souffrances de la chaire. La montagne qui mène au Purgatoire est rude et escarpée, et pour la gravir plus brièvement et par les meilleurs chemins, les voyageurs interrogent des troupes d'âmes. L'une de ces dernières n'est autre que Mainfroy, roi de la Pouille et de Sicile, qui exprime le désir d'être remémoré à sa fille Constance, car, ajoute-t-il, consacrant un des grands principes du dogme chrétien, « ici-bas on avance beaucoup par les prières de là-bas. » Les versants de la montagne sont sillonnés de troupes de patients, soit condamnées à rester dans une immobilité complète pendant autant d'années qu'elles en ont passé sur la terre, soit légères comme une nuée d'oiseaux et courant par les sentiers en chantant le Miserere. Au chant 6e, Dante rencontre Pierre de la Brosse, et à ce sujet il dit : « Que son accusatrice, la princesse de Brabant, pourvoit à son salut, pendant qu'elle est sur terre, pour n'être pas un jour confondue dans le troupeau lamentable. »Sur la montagne du Purgatoire, Dante retrouve Sordello, auteur d'un chant satirique sur la mort de Blacas, un guerrier, également auteur d'un ouvrage en langue provençale intitulé : le Trésor des Trésors. Né à Mantoue, il donne à Virgile l'accolade fraternelle. Puis, soudain, avec un accent de colère terrible, qui ferait croire à un rugissement du lion, le Dante s'écrie : « Ô Italie, misérable esclave, rendez-vous de toutes les douleurs, navire sans pilote quand gronde la tempête, non plus comme jadis, dominatrice du monde, mais sale et prostituée, à cette heure, entre tous tes enfants la guerre est allumée; ceuxlà mêmes se dévorent entre eux qu'abrite le même mur, qu'enferme le même fossé. Cherche au loin sur tes rivages, rentre ensuite en toi-même, malheureuse, et vois s'il est encore un lieuSordello dirige les pas des pèlerins vers l'un des versants de la montagne où ils distinguèrent dans une prairie émaillée de verdure et de fleurs, des rois et des princes en grand nombre : l'empereur Rodolphe, Philippe III, Henri de Navarre, Pierre III d'Aragon, Charles Ier, Henri d'Angleterre, etc. Par esprit de dénigrement pour la France, Dante flatte l'anglais, il a produit de meilleurs rejetons. Ainsi que les âmes chantaient avec accord l'hymne de saint Ambroise : Te lucis ante, deux anges descendirent du ciel afin de les sauvegarder contre les tentations du serpent qui trompa Eve, la première femme. Le sommeil s'empare du poète, et pendant ce temps où Virgile veillait sur son fils, Lucie venue de là-Haut, le transporte jusqu'au rempart du royaume des expiations. Pour arriver à la porte du Purgatoire, il faut gravir trois marches qui symbolisent la confession, la contrition et la satisfaction, c'est-à-dire les trois phases successives du sacrement de pénitence. Un ange garde l'entrée; après lui avoir baisé les pieds et avoir reçu sept fois sur le front l'empreinte de la lettre P, voici Dante et son conducteur au premier cercle du Purgatoire. On comprend bien que ces sept lettres représentent ici les sept péchés capitaux dont le poète, encore souillé à ce moment, sera peu à peu et totalement purifié lorsqu'il parviendra au Paradis. Sur les côtés des sentiers escarpés, on ne voyait que bas-reliefs magnifiques et tableaux sculptés dont l'artistique perfection aurait couvert la nature de honte. Les troupes des âmes sujettes à l'orgueil et à la violence portent de lourds fardeaux et pour se consoler de leurs fatigues chantent en marchant un Pater au Seigneur. C'est une prière admirable et pleine de douceur, de piété filiale et d'espérance. Elle est écrite dans un style simple mais des plus naturels et des plus touchants. De toutes parts, sur sa route, on intercède Dante d'invoquer pour les patients la clémence divine afin qu'elle abrège la durée de leur exil. Au deuxième degré, un ange efface du front de Dante une des lettres P, et il en sera de même dans toutes les autres divisions qu'il parcourra. Après les orgueilleux, viennent les envieux quiressemblent à des aveugles mendiants couchés l'un auprès de l'autre à la porte des églises et chantant des psaumes ou des litanies. Ici la politique interrompt la description des peines, et plusieurs familles illustres d'Italie comparaissent devant l'inflexible juge qui les loue ou les maudit. Je passe également sous silence les discussions théologiques entamées sur tel ou tel point du dogme; qu'il me suffise de dire que ces dissertations sont nourries de la plus substantielle érudition, qu'elles se signalent sensiblement par leur monotonie et leurs apparences, leur caractère peu poétiques. Dans le troisième degré du Purgatoire sont renfermés les colériques et les paresseux; allant par troupes et à la file en chantant avec le plus doux accord Beati miséricordes, Agnus Dei, Beati pacifei, etc. Deux femmes apparaissent tout à coup aux yeux de Dante, l'une, bègue, aux yeux louches, aux pieds tors, manchote et au teint hâve, créature hideuse dont aucun simulacre ne se trouve même pas dans son Enfer; l'autre, belle et prompte à rendre la première confuse. Selon Lombardi, ce sont : le mensonge et la vérité. Rien n'est plus saisissant que ce contraste, et ne dénote mieux l'habileté et l'imagination de celui de nos peintres symboliques qui, avec la plume, inventa, composa, peignit les plus suaves, les plus terribles, les plus bizarres tableaux. Au cinquième degré, les avares sont renversés la face contre terre dans une raideur et une immobilité complète. C'est la position du pape Adrien V que Dante apostrophe avec beaucoup de vivacité. Cette vengeance accomplie contre le patient, il se prosterne devant l'ancien pape. Mais celui-ci le relève, car, dit-il, je suis comme tous les hommes serviteur de la même puissance. Que deviennent donc les signes extérieurs de vénération accordés à la papauté! Il y a néanmoins une différence à établir : nous sommes actuellement dans l'éternité, et là, selon saint Mathieu, tous sont égaux. Plus loin, Dante converse avec Hugues Capet qui lui apprend qu'il est fils d'un boucher de Paris. Nous noterons aussi, dans le même registre, une allusion à Charles de Valois, qui perce Florence au ventre de son épée de Judas, et qui ne recueillera que la honte et le malheur de son entreprise. Puis, écoutez avec quel accent biblique, de quel ton sentencieux, menaçant, prophétique, le poète redevenu chrétien, et indigné des outrages faits à l'Église, stigmatise les actes de violence commis à Anagni par les Colonna et les Nogaret. " Ô avarice, que te reste-t-il à faire encore, quand tu as corrompu mon sang à ce point qu'il n'a plus souci de sa propre chair? Et comme pour faire pâlir tout attentat passé et futur. voici dans Anagni l'homme aux fleurs de lys; et, dans la personne de son vicaire, le Christ devenu captif! Voici le Christ encore une lois livré à l'outrage! Voici encore le fiel et le vinaigre, et le supplice entre deux larrons vivants. Et puis, c'est le nouveau Pilate, avec cruauté inassouvie, qui porte jusque sur le Temple ses convoitises sans loi et sans frein! " (Le Purgatoire, chant XX).Le Pilate nouveau, c'est Philippe-le-Bel; ce vicaire prisonnier, c'est Boniface VIII. Les évoquer, c'est remettre en mémoire à tous ceux que l'histoire intéresse le spectacle de leur lutte gigantesque et de leurs vengeantes implacables. Leur réunion offre le plus grand contraste qu'on puisse s'imaginer. Le premier, dénué d'armes matérielles, tient sa force, son pouvoir, de l'ascendant séculaire de l'Église et de la puissance morale dont elle n'avait cessé d'être pourvue pendant le Moyen-âge; - le second, au contraire, voulant briser cette domination suprême et orgueilleuse qui pèse sur sa volonté comme un fardeau écrasant, revendique et exagère les attributs de la royauté, et oppose à son redoutable rival la violence de ses hommes d'épée. Dante et Virgile rencontrent le poète Stace qui rend à l'auteur de l'Enéide des hommages inspirés par une vénération toute filiale. Il ne découvrit pas pendant sa vie le secret de sa conversion au christianisme de peur de partager le sort des martyrs que Domitien envoyait de toute part au supplice. C'est pour avoir ainsi manqué de courage qu'il a séjourné pendant quatre siècles au quatrième cercle. En franchissant le degrés supérieur, diverses voix se font entendre à Dante, et l'une disait : « Vous vous abstiendrez de toute nourriture; une autre chantait sur un ton plaintif : Labia mea Domine ».Il était impossible d'imaginer un genre de châtiment qui fut plus cruel pour les gourmands et plus piquant d'originalité, comme on va le voir : La troupe d'ombres marchait lentement, les souffrants, avaient les yeux noirs et caves, leur face pâle et décharnée laissait voir leurs os. C'est par les douleurs constantes de la faim et de la soif qu'ils se purifient des excès qu'ils ont commis. Dans la foule de ces âmes sont mêlés le florentin Forèse, le Pape Martin IV, de Tours, et deux archevêques. Ici une allusion aux vices de Corso Donati , le chef du parti guelfe, qui serait entraîné à la queue d'une bête vers la vallée où nulle faute n'est, remise. Aux gourmands succèdent les âmes qui n'ont pas été fidèles à la chasteté. Elles sont entourées de flammes et exposées aux rafales de vent de l'abîme, et bien que leur état leur causât de grandes souffrances, elles chantaient : summae Deus clementiae; ou bien criaient Sodome et Gomorrhe en se lamentant. Parmi elles on remarque plusieurs poètes, dont Arnault Daniel, un poète troubadour, renommé pour ses gracieuses et tendres chansons d'amour, et que Dante salue par les plus beaux éloges. Au dernier degré du Purgatoire, un ange arrête les pèlerins. Ils traversent la flamme pour sortir du lieu de purification. Notons en passant un lumineux et savant parallèle de la vie contemplative et de la vie active symbolisées par Lia et Rachel. Bientôt Dante atteint, et décrit en des termes qui annoncent la béatitude, le sommet de la montagne sainte où Virgile le couronne. Nous nous demandons si ce n'est pas une très heureuse coïncidence que de ressusciter l'Eden au sommet du Purgatoire, servant d'avenue au Paradis. Une jeune et belle femme, légère comme un, papillon, court en folâtrant parmi les prairies, et s'arrêtant pour cueillir des fleurs. Puis voici sept arbres d'or (les sept grâces du saint-Esprit) et les patriarches... du moins en symboles. En haut de la colline se dessinent, sept lignes rayonnant de diverses couleurs (c'est-à-dire les sept Sacrements) et encore également en simulacres, les vingt-quatre livres de l'ancien et du nouveau Testament, les quatre Évangélistes, les trois vertus théologales. L'Église est représentée par un char sur lequel plusieurs bienheureux répandent des fleurs en chantant de pieux cantiques. Au milieu de cet appareil somptueux, de ce cortège céleste, sort d'un nuage doré une femme ayant le front ceint d'oliviers et voilée, c'est Béatrice. Ici elle s'est transfi gurée; à l'abri de toute flétrissure, ses charmes, ses dons sont immortels; elle ne se présente pas comme ferait une amante, mais imposante au contraire d'idéale et de sereine beauté et de respect. Dante l'intronise dans la manifestation la plus éclatante sous les traits immatériels de la théologie. Il lui décerne la sagesse de Minerve et la pare d'une érudition scientifique dont il a seul la clef, dont il connaît seul les profondeurs. Et elle à lui : « Regarde-moi bien, je suis bien Béatrice.»Alors, devant la majestueuse réunion des bienheureux, elle déchire le secret des égarements et de l'inconstance du poète; sa voie naturelle le destinait à faire le bien; mais il a fait un mauvais emploi des grâces que Dieu lui a départies. Tant que Béatrice a habité la terre, la prudence de celle qu'il aimait l'a sauvegardé du mal; mais en la perdant, il a perdu le gouvernail de son courage et de ses intentions droites. Et c'est pour être racheté à la justice et à la piété et sortir des ornières où il s'est enfoncé, que la faveur insigne lui a été faite de visiter les damnés et d'être intimidé et corrigé par un si terrifiant exemple. A l'audition de ces paroles, la honte était montée avec la rougeur au visage de Dante, et il tenait humblement, accablé sous le poids de ses accusations fondées, la tête inclinée vers la terre. Béatrice, après un court intervalle, se ressouvenant des liens du passé, lui reprocha alors ses amours licencieuses et matérielles. Après quoi, s'étant relevé et ayant porté les yeux vers elle, il fut tellement frappé, son âme comme ses sens, de tant de beauté et de perfection, qu'il s'évanouit. A son réveil, Mathilde lui fit traverser un petit fleuve avec l'eau duquel elle lui lava la tête pour le purifier entièrement. Un griffon (le Christ) était attaché au timon du char de l'Eglise, et Béatrice se tenait près de son poitrail. Ce fut au bout de quelques instants que Dante put la contempler de joie et à son aise, l'âme exaltée et éprise plus que jamais de tant de merveilles. Le cortège se mit en marche. Dante, Stace et Mathilde marchèrent ensemble. Au détour d'une route qui traverse la forêt, le griffon poussa son char sur un arbre desséché et dépouillé de ses feuilles; mais frappé subitement comme par une vertu régénératrice, l'arbre reprit de la sève et se recouvrit de feuillage. Dante s'endormit, et ensuite une voix lui cria, de se lever. En ce moment, il aperçut sa noble dame, assise sur le terrain, au pied de l'arbre, qui semblait garder le char pendant que le griffon se dirigeait vers le ciel avec les cohortes des anges. Sept nymphes dissimulant les sept vertus entouraient Béatrice, ayant à la main de vives lumières. Tout-à-coup un aigle descendit d'en haut et s'apitoyant sur l'arbre, il en meurtrit et déchira l'écorce avec son bec et le fit trembler du pied à la cime. Puis, dans le char veuf d'attelage, survint un renard décharné qui fut chassé par Béatrice. L'aigle à son tour s'abattit sur le char et le couvrit bientôt tout entier de plumes, tel qu'on voit le toit des maisons blanchies par la neige. La terre sembla donner passage à un dragon. La bête monstrueuse enfonça sa queue à travers le char qui bientôt fut armé de sept têtes diversement hideuses et menaçantes, et dedans étaient un géant et une prostituée débraillée. L'un et l'autre s'embrassaient; et celle-ci ayant eu le malheur de regarder Dante, le féroce amant la fouetta cruellement et fit avancer le char qui disparut dans la forêt. Voilà pourtant l'amalgame d'inventions et d'allégories soit fantasques, suit au moins saugrenues, - si l'on fait attention que nous sommes à quelques pas du lieu de toute pureté et béatitude - dans lesquelles Dante se complaît et où il recherche constamment le moyen d'assouvir ses haines ou sa soif de vengeances. Aussi chacune de ses images est-elle un symbole : l'aigle signifie la persécution des Empereurs; le renard, celle des hérétiques; le dragon, c'est Mahomet qui déjà a été rappelé dans l'Enfer; les sept têtes annoncent les sept péchés capitaux; la prostituée, le Pape; le géant, Philippe-le-Bel. (Grangier). Béatrice recommanda peu après à Mathilde de ranimer ses forces défaillies en l'abreuvant de l'eau de I'Eunoë. « Je sortis de l'onde sainte, plein d'une vie nouvelle, rajeuni comme la plante qui voit reverdir son feuillage renouvelé, pur et prêt à monter au séjour des étoiles. » Le ParadisLa Troisième partie de la Divine Comédie de Dante, le Paradis, est une de ces productions originales qui ne peuvent être comparées à aucune autre. Le Paradis n'est pas moins admirable que l'Enfer et le Purgatoire; mais les beautés de ce poème sont d'un ordre différent, elles sont en quelque sorte plus immatérielles : pour les bien sentir, il faut comprendre la hauteur du but que le poète a voulu atteindre, se pénétrer de son extase, et quitter avec lui les régions terrestres. Dans le Purgatoire, et surtout dans l'Enfer, Dante avait à parler aux passions et aux sens; il a pu disposer en maître de toutes les images de la nature, et les fondre dans son riche langage de poète. Aussi voyez comme il a mis en oeuvre tous les éléments, le fer, le feu : tous les phénomènes de la nature lui sont venus en aide pour tourmenter ses damnés; il les plonge dans un fleuve de sang toujours bouillonnant; il les accable d'une pluie brillante ou d'une neige éternelle. Il peut varier à l'infini les couleurs de ses tableaux; car il a sous la main, par la nature de son sujet, qui laisse a son imagination un libre essor, toutes les richesses de la poésie descriptive. Dans le Paradis, rien de semblable. Dante est chrétien, et même théologien; c'est un Paradis![]() ![]() -
Où donc ira-t-il prendre des couleurs pour composer ses tableaux? Comment peindre des êtres dépouillés de toute forme substantielle, jouissant d'un bonheur aussi immatériel qu'eux-mêmes? II a bien fallu que le poète, tout orthodoxe qu'il voulait être, prit dans la nature physique une image pour vêtir ses âmes bienheureuses et donner une forme à leur félicité; car sans cela toute poésie était impossible. Mais on voit que c'est comme à regret que Dante s'est soumis à cette nécessité : il a choisi pour unique matière l'effet naturel qui semble le moins matériel, celui que la science physique de l'époque regardait comme échappant le plus complètement à ses efforts pour le comprendre et l'analyser, la lumière. C'est la lumière qui à elle seule fait tous les frais des personnages et de l'action du poème du Paradis; tous les êtres que Dante y fait apparaître ne révèlent leur existence que par la lumière, et c'est par la lumière seulement que la poésie peut les saisir et les peindre. Aussi toute la partie scénique, tout le drame de ce dernier acte de la Divine comédie, se compose uniquement d'une suite d'effets de lumière, que l'imagination incroyable de Dante a variés à l'infini; et sous ce rapport ce singulier ouvrage, qui fourmille de beautés de détail, est le plus étonnant tour de force qu'ait jamais accompli un cerveau de poète. Pour rendre sensible la vérité de cet aperçu, et prouver à nos lecteurs que l'action du Paradis roule exclusivement, ainsi que nous l'avons dit, sur des effets de lumière (ce qui peut sembler paradoxal), suivons le poète dans sa marche, et voyons-le mettre en scène et faire agir ses personnages. Telle est sa matière et l'originalité de son faire, que le seul moyen de donner une idée de son ouvrage, c'est de le citer. Dante est conduit par Béatrix dans le premier ciel, celui de la Lune Une vision m'apparut, qui attira si étroitement à elle mon âme curieuse de voir, que j'oubliai ce que j'allais avouer à Béatrix. Si nous regardons au travers d'un cristal poli et transparent, ou dans une source pure et limpide dont on puisse apercevoir le fond malgré la profondeur de ses eaux, les images reviennent à nos yeux affaiblies, comme l'éclat d'une perle qui orne un front éblouissant. de blancheur; telles se montrèrent à moi une multitude de figures brillantes qui semblaient prêtes à parler. Aussi je tombai dans une erreur contraire à celle qui alluma l'amour entre l'homme et une fontaine : prenant les êtres lumineux que j'apercevais pour l'effet de la réflexion d'un miroir, je tournai les yeux du côté opposé pour voir de qui je rencontrais l'image; mais ne voyant rien, je les ramenai sur la brillante lumière qui me servait de guide, et les yeux de Béatrix étincelèrent d'une splendeur sacrée, tandis qu'elle me regardait en souriant. (Chant II, vers 7 et suivants.). | ||||
Voyons l'arrivée de Dante dans le second ciel, celui de la planète de Mercure![]() De même qu'une flèche, qui frappe le but avant que la corde qui l'a lancée ait cessé de vibrer, ainsi nous courûmes au second royaume. Je vis Béatrix si joyeuse et si belle quand elle se mêla à la lumière de ce ciel, que la planète elle-même en devint plus brillante. Si l'étoile acquit un nouvel éclat, que ne dus-je pas ressentir, moi qui suis naturellement susceptible de si vives impressions!... De même que dans un vivier dont l'onde est pure et tranquille les poissons s'élancent vers tout ce qui tombe du dehors, s'ils croient y trouver quelque pâture, de même plus de mille lumières célestes se dirigèrent vers nous, et chacune s'écriait : Voilà qui accroîtra nos amours! Tandis qu'elles approchaient, on voyait leurs ombres pleines de joie dans le sillon rayonnant qu'elles répandaient autour d'elles. (Chant V, vers 91 et suivants.).Dante converse avec une de ces lumières, qui se trouve être l'âme de l'empereur Justinien : J'adressai ces mots directement à la lumière qui m'avait parlé la première. Elle se montra alors plus brillante qu'elle n'avait encore été; bientôt, comme le Soleil qui se dérobe lui-même à nos yeux par son trop vif éclat quand il a dissipé les vapeurs épaisses qui tempéraient sa chaleur, la figure sainte, pénétrée d'une joie nouvelle, se concentra dans ses propres rayons, et ainsi renfermée complètement en elle-même, me répondit comme on le verra au chant suivant. (Chant V, vers 130 et suivants.)Voici comment les âmes du ciel de Mercure prennent congé de Dante : - Sois béni, ô Sauveur! Dieu saint des armées toi qui éclaires de ta lumière les flambeaux bienheureux des célestes royaume! - Ainsi chanta, en tournant sur elle-même, cette substance qui était revêtue d'une double lumière, et aussitôt fille et ses compagnes s'éloignèrent en formant une sorte de danse, et disparurent après avoir franchi en un instant un espace immense, comme de rapides étincelles. (Chant VII, vers I et suivants.). | ||||
Dante monte avec Béatrix au troisième ciel, celui de la planète de Vénus![]() Je ne m'aperçus pas que je montais dans cette planète; mais la beauté plus grande dont je vis rayonner Béatrix me prouva que j'y étais arrivé. De même qu'on aperçoit l'étincelle à travers la flamme, de même que parmi un grand nombre de voix on distingue celle du chanteur qui s'arrête sur un son, et la voix de celui qui court et glisse de note en note, de même je découvris dans la lumière même dont resplendissait cette planète une foule de lueurs qui se mouvaient en rond plus ou moins vite, en raison de leurs mérites éternels. Les vents du nord, qui descendent avec tant de rapidité de la nuée qu'ils ont glacée, auraient paru lourds et tardif, à celui qui aurait vu ces lumières accourir à nous, et arrêter tout à coup le mouvement de rotation qu'elles avaient reçu des hauts séraphins. Derrière celles qui nous parurent le plus près de nous on chantait Hosanna! avec tant d'harmonie, que le désir d'entendre de nouveau ce divin concert n'est plus sorti de mon coeur. Une d'elles, s'adressant à moi, me dit :.. (ch. VIII, v. 13 et suiv.).Écoutons Dante lorsqu'il est entré dans le quatrième ciel, celui du Soleil ![]() - J'aperçus une infinité de lumières plus éclatantes que le Soleil lui-même; leurs voix étaient encore plus douces que leur aspect n'était éblouissant : Elles firent de nous un centre et d'elles-mêmes une couronne; c'est ainsi qu'on voit quelquefois des nuages environner la fille de Latone, et l'entourer, d'un cercle qu'elle illumine de ses rayons. Dans la cour du ciel dont je reviens, il est des merveilles si grandes, qu'on ne peut en donner une idée : le chant de ces splendeurs était de ce nombre; que celui qui n'obtient pas des ailes pour voler là-haut en attende des nouvelles d'un muet!... Ces soleils ardeur tournèrent trois fois autour de nous en chantant, comme les étoiles tournent autour des pôles immobiles; puis elles s'arrêtèrent, comme des femmes dansant en rond qui suspendent un instant leur danse pour écouter le refrain qu'une d'elles va chanter; j'entendis une de ces lumières (l'âme de saint Thomas d'Aquin) me dire... (Chant X, vers 64 et suivants.).Nous pourrions pousser plus loin ces citations; on verrait jusqu'à la fin du volume la même image se reproduisant sans cesse, et pourtant toujours revêtue de formes nouvelles, toujours rajeunie et ravivée à force d'imagination et de poésie!... Concluons que si chacune des trois parties de la trilogie de Dante est digne de fixer l'attention de tous ceux qui aiment les grandes et belles choses, la dernière doit être plus spécialement un objet d'étude pour les émules des Rubens et des Raphaël; le Paradis est le poème des peintres. (M. P.).
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