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Les oeuvres littéraires
de l'ancienne Grèce ,
lues dans l'ordre où elles ont été composées,
nous offrent un tableau complet et animé des doctrines religieuses
et philosophiques, des conditions de la vie sociale et de la vie privée,
des relations politiques des cités entre elles, de l'histoire, des
arts, en un mot de tous les éléments de la civilisation d'un
grand peuple, et cela pour une période qui ne comprend pas moins
de dix siècles. En poursuivant cette étude jusque dans les
siècles qui ont suivi l'introduction du christianisme
en Occident, on voit la littérature grecque renaître au souffle
de cette religion nouvelle, produire les grandes oeuvres des Pères
de l'Église d'Orient, et se continuer de siècle en siècle
jusqu'à nos jours.
Un fait domine l'histoire de la littérature
hellénique, et la distingue de toutes les littératures anciennes
et modernes, à l'exception de celle de l'Inde
: c'est son originalité. Les Grecs ont eu des influences, mais ils
n'ont pas eu de maîtres : si, dans les temps les plus anciens, ils
ont eu des relations de parenté avec les populations de l'Asie centrale ,
et s'ils ont apporté avec eux, dans leurs migrations vers l'ouest,
les chants, la langue et les traditions de
leurs aïeux, il n'en est pas moins certain que, une fois fixés
sur le sol hellénique, ils s'y sont développés par
eux-mêmes, ont tiré de leur propre fonds leurs oeuvres de
littérature et d'art, ont créé les genres, les ont
développés et perfectionnés par un travail qui a été
le leur. L'originalité et la perfection de leurs ouvrages en tout
genre a fait d'eux les précepteurs et les modèles des peuples
qui sont venus plus tard. Ceux-ci n'ont donc pu, par la force des choses,
que refaire, dans des conditions et à des points de vue différents,
ce que les Grecs avaient fait avant eux : les efforts des écoles
appelées romantiques n'ont pas introduit,
dans la littérature, des genres nouveaux,
des formes nouvelles; prenant, comme les écoles classiques,
les formes que les Grecs avaient créées, les romantiques
des différents pays de l'Europe
ont moins innové dans l'art d'écrire proprement dit que dans
l'esprit même auquel ils ont demandé. leurs inspirations.
On pourrait même dire que plusieurs genres créés par
les Grecs et portés par eux à une suprême perfection
ont été d'abord dénaturés par les Romains ,
puis détournés de nouveau de leur origine et de leurs conditions
essentielles par les peuples modernes qui les avaient reçus de l'Italie ;
de sorte que ces genres n'ont plus été représentés
dans les temps modernes, et demeurent, au moins dans leurs formes complètes,
l'apanage de la Grèce antique. Telle est, par exemple, l'odepindarique;
telles sont aussi, à bien des égards, la tragédie
et l'épopée.
Les oeuvres littéraires de la Grèce ,
et principalement la poésie, plus étroitement
liée à l'art que la prose, ont toujours, pendant une période
de huit ou dix siècles, emprunté à la religion
ses traditions, ses figures et ses symboles. Il y a une alliance constante
entre les lettres grecques et la mythologie.
La première condition pour bien comprendre et sentir les oeuvres
de l'Antiquité grecque, c'est de se pénétrer des croyances
religieuses de ces anciens temps. Mais il ne suffit pas ici de se donner
une teinture de science mythologique, et de savoir que Zeus
est fils de Cronos; il est indispensable de se
rendre compte de la valeur de ces conceptions symboliques, et de saisir
leur signification; car c'est toujours avec leur valeur représentative
que les dieux et les déesses paraissent dans la poésie et
dans l'art; les actions qu'ils y accomplissent, les attributs
qu'ils y reçoivent, ou sont consacrés par la tradition religieuse,
ou ne sont inventés par le poète et l'artiste que conformément
au symbole primitif et fondamental. Ainsi entendue, la portion mythologique
des oeuvres littéraires de la Grèce s'anime d'une vie nouvelle,
et tout l'art antique devient intelligible. Cette union d'une mythologie
symbolique et des conceptions individuelles est si étroite en Grèce,
et en même temps si nécessaire, que l'on peut dater la décadence
de la littérature et des arts, dans cette contrée, du jour
où les symboles, perdant leur signification et leur empire, ont
cessé d'être respectés par les poètes et les
sculpteurs. Jusque-là, en effet, dans chaque genre, le caractère
propre de chaque auteur s'appliquait moins à créer des types
nouveaux qu'à perfectionner, à polir, à rendre plus
claire et plus saisissable à tous l'oeuvre créée par
ses devanciers. Le mouvement général qui portait l'esprit
grec vers la perfection en toutes choses se produisait donc de même
dans chaque genre particulier : il s'agissait moins de faire du nouveau
que de faire mieux.
C'est ce qui explique pourquoi la Grèce
ancienne a rempli nos bibliothèques et nos musées des mêmes
sujets mille fois répétés. Mais on doit observer que
le fonds de la mythologie et de l'histoire héroïque est d'une
abondance et d'une richesse excessives, et offre des sujets d'une variété
infinie. Lorsque la perfection eut été atteinte dans chaque
genre, c.-à-d. lorsque l'on eut fait dire au symbole tout ce qu'il
contenait, les poètes et les artistes se trouvèrent forcés
ou de copier exactement l'oeuvre des derniers maîtres on de dénaturer
les types pour faire du nouveau. On prit ce dernier parti. Mais c'était
là une rupture ouverte avec la tradition; c'était aussi une
dégradation véritable de conceptions excellentes, que l'on
changeait, mais qui, ne pouvant plus être perfectionnées,
n'étaient modifiées qu'à leur détriment. On
peut dater de l'époque d'Euripide, vers
la fin du Ve siècle et le commencement
du IVe av. J.-C., cette sorte de révolte
contre le passé, et cette tentative d'introduire dans la poésie
et les arts des formes nouvelles et un esprit nouveau. C'est donc pendant
la période qui précède immédiatement ce poète
et à laquelle il appartient lui-même en partie, qu'il faut
placer le point de maturité et de perfection des oeuvres de l'art
et de la littérature grecs. C'est de ce temps qu'il faut dater la
décadence, lente d'abord et presque insensible, mais qui ne tardera
pas à se précipiter. La fantaisie s'introduit alors dans
les conceptions de l'esprit individuel; on s'affranchit par degrés
de la tradition; les grands genres s'épuisent; l'art et la poésie
ne sont plus qu'un jeu, et leurs oeuvres des objets de luxe payés
par les princes et par les riches particuliers.
L'originalité, jointe au respect
de la tradition nationale a fait qu'en Grèce
les genres littéraires se sont succédé les uns aux
autres dans leur ordre naturel, et sont arrivés à leur temps
et, pour ainsi dire, à terme. C'est la seule littérature
qui, en Occident, présente ce caractère. En effet, les peuples
qui sont venus après ont eu pour modèles, et tous à
la fois; ces ouvrages qui ne s'étaient produits en Grèce
que successivement et en vertu d'un développement libre et spontané.
A la Renaissance
des lettres, soit à Rome
du temps des Scipions, soit chez les Modernes
à diverses époques, les lettrés et les poètes
ont choisi parmi ces modèles ceux qui leur agréaient le plus;
et les ont imités sans se soucier de l'opportunité des temps
ni des conditions extérieures des genres. On a vu à Rome
et chez les Modernes l'épopée
se produire après les ouvrages du théâtre, et les poésies
légères naître au même moment que l'épopée.
II en est résulté des littératures en partie artificielles,
et des oeuvres qui, malgré leur excellence, ne tiennent pas au fond
des idées nationales et souvent n'intéressent que les hommes
instruits ou spéciaux. La popularité, su contraire, s'attachait
en Grèce à des ouvrages nés du coeur même du
peuple et composés pour lui.
Les hymnes.
Les hymnes
sont la première forme qu'ait revêtue la pensée grecque
durant une période antérieure à l'histoire, et dont
il est impossible de fixer les limites. Les noms d'Orphée,
de Musée, de Linus, sont parvenus jusqu'à
nous, mais non leurs chants; encore ces noms sont-ils entourés de
légendes fabuleuses, qui font de ces personnages des êtres
presque mythologiques. Les poésies connues sous le nom d'Orphiques
n'ont aucun caractère d'authenticité; ce sont des productions
des derniers temps de la Grèce. Quant au fond même de ces
poésies,
il n'est ni pré-hellénique, ni hellénique; on y reconnaît
de la manière la plus claire, à côté de traditions
grecques conservées dans les sanctuaires, des idées et des
noms empruntés à l'Orient et particulièrement à
l'Inde ;
de sorte qu'il est probable que les poésies Orphiques ont été
à Alexandrie, à l'époque
où les croyances de l'Orient et les idées philosophiques
et religieuses de la Grèce tentaient de se combiner et de s'unir.
Ces poésies ne peuvent donc nous donner qu'une notion très
imparfaite et même fausse de ce que furent dans les plus anciens
temps les chants sacrés connus sous le nom d'Hymnes. C'est
d'ailleurs que peut nous venir sur ce point quelque lumière. En
effet, les vieilles traditions helléniques, les légendes
relatives à ces poètes primitifs les rattachent de très
près au centre asiatique d'où les populations grecques étaient
venues; le nom même d'Orphée n'a rien de grec, ainsi que beaucoup
d'autres du même temps, et il a, ainsi que plus d'une légende,
son explication naturelle dans les poésies asiatiques conservées
par les peuples de l'Inde. Ces poésies, ces hymnes, nous en possédons
de volumineux recueils connus sous le nom de Védas .
C'est donc dans les chants des Vêdas, et plus spécialement
du Rig-Vêda, qu'il faudrait chercher le type primitif et original
des hymnes Orphiques. Car les Vêdas n'appartient pas plus
à l'Orient qu'à l'Occident; il est la source commune des
croyances religieuses, de la poésie, de la langue, en un mot de
la civilisation de l'Inde et de la Perse ,
de la Grèce ,
de l'Italie ,
de la Germanie
et des peuples du Nord. II est donc vraisemblable que les poésies
Orphiques, la langue dans laquelle elles étaient composées,
les circonstances de la vie publique ou privée où elles étaient
chantées, se rapprochaient beaucoup de l'état où nous
les voyons dans le Rig-Véda.
Les épopées.
Les épopées
sont venues après les hymnes. Les populations
helléniques étaient depuis longtemps fixées sur le
sol de la Grèce ,
des îles et des rivages de l'Asie Mineure ,
lorsque les chants épiques parvinrent à la forme littéraire
qu'ils ont dans Homère. C'était
le temps de ces royautés féodales entre lesquelles le monde
hellénique fut longtemps partagé. Chaque coin de terre, chaque
colline dominant la plaine ou la mer, avait son prince héréditaire,
à la fois général, administrateur, législateur
et juge. Les aèdes chantaient dans les festins
de ces hommes puissants et riches, les uns attachés, comme Phémius
dans l'Odyssée ,
à la cour des princes, d'autres voyageant de ville en ville et chantant,
la phorminx à la main, dans les assemblées des hommes et
des femmes. Les sujets de ces chants interrompus étaient d'ordinaire
empruntés aux légendes héroïques de la Grèce,
aux exploits légendaires des guerriers de l'âge précédent,
ou même aux expéditions contemporaines. La grande expédition
de Troie, avec ses antécédents et
ses lointaines conséquences, forma le cycle épique par excellence,
et la source inépuisable d'où découla la grande épopée
des temps homériques. Ce serait une erreur de réduire ces
oeuvres de la poésie épique
des Grecs à ce qui nous est parvenu sous le nom d'Homère.
L'Iliade
n'est qu'un épisode de la guerre de Troie; l'Odyssée
en est un autre emprunté au même cycle héroïque.
Il est hors de doute que les autres épisodes rattachés au
cycle troyen avaient été chantés en vers dans tout
le monde grec, et que, si le recueil de ces chants avait pu se faire avant
l'époque de Pisistrate, nous posséderions
des épopées grecques rivalisant d'étendue avec celles
de l'Inde
et les dépassant peut-être. Les aèdes épiques
n'avaient plus rien de commun avec les chantres de la période des
Hymnes : ceux-ci étaient des prêtres plus encore que des poètes,
et leurs oeuvres, transmises dans les familles et dans les sanctuaires,
ont composé la liturgie sacrée; rien de semblable pour Homère.
Les aèdes de son temps et lui-même n'ont aucune autorité
publique, et ne paraissent dans les cérémonies que comme
simples particuliers; leurs oeuvres sont donc pour ainsi dire laïques,
leur poésie est libre et sécularisée; leur génie
seul donne toute leur valeur à leurs chants. On retenait, on redisait
les meilleurs; leur nombre allait grossissant, et à la fin, tous
les événements du grand cycle troyen se trouvant exprimés
en vers, il fut possible d'en rassembler les fragments épars et
de composer de véritables épopées. Les Rapsodes sont
venus presque en même temps que les aèdes;
mais il y en a eu longtemps après quel la poésie épique
se fut éteinte. C'est grâce à ces couseurs de chants
que les oeuvres épiques du temps d'Homère
se sont conservées, puisqu'il est à peu près certain
qu'à l'époque de ce grand poète les Grecs
ne connaissaient pas l'écriture. Les Diascévastes
ou distributeurs, qui, au temps de Pisistrate, donnèrent de l'Iliade
et de l'Odyssée une première édition complète,
ne firent que placer dans leur ordre naturel les pièces détachées
que leur fournirent les rapsodes. Cette apparition tardive des épopées
sous une forme systématique a soulevé dans l'Antiquité
deux questions sur lesquelles les modernes sont encore partagés
: Homère a-t-il existé, ou ce nom n'est-il qu'un symbole,
une personnification du génie épique? S'il a existé,
est-il également l'auteur de l'Iliade et de l'Odyssée?
II n'y a aucune raison sérieuse de douter qu'il y ait eu un grand
poète du nom d'Homère, comme il y a eu un Sömund pour
l'Edda ,
un Vâlmiki pour le Râmâyana .
Mais il est permis de croire que les épopées que l'on a sous
son nom n'avaient pas la forme qu'elles ont aujourd'hui, puisque cette
forme leur fut donnée au temps de Pisistrate. On ne saurait s'appuyer
sur l'unité de chacune d'elles puisque les événements
eux-mêmes donnent l'unité à l'épopée,
et que cette unité n'est qu'un cadre d'une grandeur indéfinie
où l'on peut intercaler à volonté les épisodes.
C'est ainsi qu'a été composé, on le sait, le Mahâbhârata .
Enfin il est permis de croire que l'Iliade et l'Odyssée
ne sont l'oeuvre ni d'un même homme, ni d'un même temps, ni
d'un même pays.
La langue des épopées
homériques n'est pas a langue grecque usuelle, Il n'y avait pas
à cette époque une langue commune; chaque province ou plutôt
chaque peuple avait son dialecte. Ceux des côtes d'Asie mineure étaient
mieux compris et plus perfectionnés que ceux du continent, à
cause de leur contact journalier avec les peuples de l'Asie. C'est l'ionien
qui domine dans Homère, principalement
dans l'Iliade ;
mais ce dialecte est loin de s'y présenter avec la même pureté
que dans Hérodote, qui vivait cinq siècles
plus tard ( La
langue grecque); d'où l'on peut conclure que les épopées
sont l'oeuvre d'un homme ou de plusieurs hommes ayant séjourné
dans diverses parties de la Grèce
et ne parlant plus rigoureusement leur langue maternelle. Cette diversité
des lieux et peut-être des temps se remarque aussi dans la grande
épopée
indienne.
Les épopées homériques,
admirables comme oeuvres littéraires, ont été le modèle
primitif imité par les poètes épiques des temps postérieurs.
Mais ce qui leur donne une supériorité incontestable, c'est
qu'elles n'ont rien d'artificiel dans aucune de leurs parties, dans aucun
récit, dans aucun tableau, et qu'elles sont l'oeuvre de la nature
dans toute sa spontanéité. Elles nous offrent de plus un
tableau fidèle de la société hellénique du
temps, avec ses croyances religieuses, ses symboles, sa vie privée,
ses souvenirs guerriers, ses courses aventureuses. Un puissant intérêt
s'attache à leur lecture, parce que, outre cette curiosité
continuellement éveillée en nous et à chaque instant
satisfaite, elles nous offrent l'expression naïve et vraie des sentiments
les plus variés de notre nature. Le nombre si grand des personnages
et des situations ne laisse endormi en nous aucun de nos instincts; tous
se développent et parlent à leur tour, et cela avec une convenance
et un naturel qui n'ont jamais été surpassés.
La poésie.
C'est à cette même période
épique qu'appartient Hésiode, dont
les oeuvres ont un caractère de personnalité incontestable
: sa Théogonie
est une tentative hardie de systématiser les croyances religieuses
de son temps; mais il ne semble pas que cette oeuvre ait eu les conséquences
que le poète semblait en attendre, car le principe opposé
à celui qu'il admettait a prévalu dans presque toute la Grèce ,
et l'on a continué à regarder le monde comme issu d'un principe
masculin et non d'un principe femelle. Le fond d'idées contenu dans
les deux poèmes d'Hésiode est peu favorable à la poésie,
et explique suffisamment leur brièveté.
Un espace de temps considérable
s'écoula entre l'époque homérique proprement dite
et l'apparition des grands genres qui devaient succéder à
l'Épopée. Une transition insensible
s'opère durant cette période entre l'état féodal
et la constitution des cités oligarchiques
ou démocratiques. La poésie
se développe dans des genres secondaires sur toute la surface du
monde grec. En même temps que l'on continue à chanter ces
fragments épiques connus sous le nom d'Hymnes homériques
et à célébrer sous cette même forme les autres
événements des temps héroïques, Retours des héros,
Thébaïdes, Héracléides, on voit naître
l'antique Élégie, caractérisée
par le vers de cinq pieds nommé élégos, et
dans laquelle brillèrent Callinus et
Tyrtée au VIIe siècle av.
J.-C. Vers le même temps florissait aussi la poésie
ïambique, qui fut la satire des Grecs,
et à laquelle Archiloque a attaché
son nom. La poésie s'exerçait même dès lors
et dans le siècle suivant sur des sujets purement moraux et philosophiques
: Mimnerme, Solon, Phocylide,
Théognis
sont demeurés célèbres dans ce genre. Mais ce sont
là des genres inférieurs, et qui le cèdent à
l'ode et à la poésie dramatique.
La
poésie lyrique.
La poésie
lyrique est tout entière dans l'ode.
C'est à Lesbos ,
île éolienne, que l'ode reçut au VIIe
siècle une forme définitive; elle est, comme les autres genres,
une création grecque, et rien n'indique qu'elle ait été
conçue à l'imitation des chants hébraïques, qui
n'ont avec l'ode aucun point commun. L'ode est née en Grèce
avec la musique, et a toujours eu avec elle
une union indissoluble; c'est de ce rapport étroit qu'est venu à
ce genre le nom de poésie lyrique, et les Grecs sont le seul peuple
littéraire qui ait cultivé la poésie lyrique dans
toute sa pureté. L'ode grecque est caractérisée par
l'absence de vers; la mesure y est remplacée par le rythme, et par
ce mot les Grecs entendaient ce que nous appelons un air. Il est aussi
impossible de concevoir une ode grecque sans musique, qu'un opéra
réduit aux paroles. La pensée lyrique se présentait
à l'auteur sous la double forme d'une prose rythmée et d'une
mélodie. Telle est l'essence de l'ode grecque. L'ode ne fut constituée
que par l'invention de l'heptacorde, qui, donnant toute la série
des notes, permit d'exprimer tous les sentiments dans les modes musicaux
qui leur étaient le mieux, appropriés. Chaque dialecte eut
ses poètes lyriques dans un temps où il n'y avait pas encore
une langue commune; à chaque dialecte correspondait naturellement
un mode musical déterminé; le plus musical de tous était
le dialecte dorien, comme le mode, dorien est le plus poétique des
modes.
Les lyriques éoliens
se rattachent à Orphée par les
traditions de l'école d'Antissa, et aux provinces de Phrygie
et de Lydie
par la nature des modes musicaux dont ils faisaient usage. Terpandre
fut considéré par les Grecs comme le père de la poésie
lyrique; mais il appartient à peine à l'histoire. Alcée
de Mytilène
mit la lyre au service de la politique dans un temps de discorde, et de
la volupté dans l'île la plus dissolue des rivages d'Asie ;
c'est à lui qu'appartient le rythme alcaïque,
si souvent imité par Horace. Sous la direction
enthousiaste de Sapho, de Lesbos ,
l'école d'Antissa se dédoubla en quelque sorte; Sapho institua
des choeurs de jeunes filles, dont les chants
lyriques eurent un écho dans toute la Grèce .
A cette époque les Doriens ajoutaient
au lyrisme des rivages de l'Asie l'eurythmie et la sévérité
des formes; Alcman à Sparte,
Stésichore en Sicile ,
constituaient le choeur dithyrambique, créé par Arion,
et le complétaient par l'épode.
Les Ioniens
donnèrent ensuite au fond même de l'ode
ce qui lui manquait encore, une entière liberté d'allure.
Elle fut à l'oeuvre à la fois chez le joyeux et populaire
Anacréon
et chez le savant et mélancolique Simonide. C'est l'époque
des grandes théories musicales, nées sous l'influence de
l'école pythagoricienne, et qui mirent
entre les mains des poètes lyriques et dramatiques une puissance
toute nouvelle. A ce siècle (520-400) appartient le plus grand lyrique
de tous les temps, Pindare
( Epinicies ,
Olympiques ).
L'ode triomphale, créée par Simonide, était chantée
soit en séance après les Jeux ( Les
Fêtes grecques), soit en marche, soit même avec danse
dans la demeure des vainqueurs. Elle à un caractère essentiellement
national et populaire; elle peut être écrite dans tous les
dialectes, et chantée sur tous les modes. Elle est héroïque
et calme, elle ne procède pas de la passion; mais elle passe aisément
des événements ordinaires aux réflexions sublimes.
Elle est religieuse, comme l'occasion qui l'a fait naître : Pindare
compose dans les mêmes conditions que Phidias.
En somme, l'ode triomphale, dans sa perfection pindarique, est un enseignement
moral appuyé sur les traditions, ayant pour motif une victoire aux
grands Jeux de la Grèce, adressé aux hommes assemblés,
et se fortifiant par le sentiment musical.
La poésie
dramatique.
La poésie dramatique ( Théâtre)
parvint à sa perfection presque en même temps que l'ode; la
Tragédie
vint la première; la Comédie
se forma sur son modèle.
La
tragédie.
C'est vers le temps de Pisistrate
que le chant en l'honneur de Dionysos appelé
Dithyrambe,
se transforma par degrés en tragédie, lorsque le poète,
qui récitait ou chantait les aventures du dieu, admit un interlocuteur,
et mit son récit en action. Peu à peu le dialogue se sépara
du chant, et ce dernier constitua le choeur, lequel continua ses évolutions
autour de l'autel. Thespis contribua plus que
les autres poètes à cette transformation du chant
bachique en tragédie; il n'admit qu'un seul personnage, qu'
un seul acteur, lequel était toujours en scène pendant la
représentation, et ne se reposait que dans les moments remplis par
les chants du choeur.
Au temps d'Eschyle,
on faisait encore des tragédies ayant cette extrême simplicité,
offrant des choeurs très développés, un dialogue assez
court et une action presque nulle. Eschyle donna à la tragédie
sa forme définitive, et nous avons de lui la plus grande oeuvre
dramatique qui existe, la trilogie nommée
Orestie .
A cette époque Dionysos avait cessé d'être le personnage
obligé de la tragédie; les sujets étaient d'ordinaire
empruntés à l'histoire héroïque de la Grèce ,
surtout aux légendes troyennes et thébaines; mais Eschyle
mettait aussi sur la scène des sujets purement mythologiques, comme
son Prométhée, ou purement
historiques et contemporains, comme ses Perses .
II n'y avait point d'entractes; les chants du choeur en tenaient jeu. Tous
les personnages portaient le masque et le cothurne,
le premier, parce que les conditions et l'esprit de l'art grec n'eussent
pas permis qu'un acteur avec sa figure représentât Zeus,
Athéna
ou Agamemnon; le second, parce que, le masque
étant admis, il fallait établir les proportions du corps
de l'acteur en relevant sa taille. Ces deux parties essentielles du costume
tragique étaient, du reste, favorables à l'effet général
dans les immenses théâtres de
la Grèce. Le choeur tragique ne put parvenir à sa perfection
qu'au temps d'Eschyle, lorsque tous les modes musicaux eurent été
réunis dans une vaste synthèse, et que les poètes
lyriques eurent conçu cet admirable ensemble mélodique connu
sous le nom de strophe, antistrophe et
épode.
La tragédie
grecque n'a jamais eu plus de puissance et d'audace que dans Eschyle.
Sophocle
y ajouta cette justesse des proportions, cette grâce et cette sensibilité
exquise, cette action continue et progressive qui, sans nuire à
la force et à la simplicité, ont fait de ses tragédies
des modèles pour la postérité. L'art à cette
époque atteignait en toutes choses à sa perfection; tout
ce qu'il y avait de rude dans les oeuvres des précédentes
générations disparaissait.
C'était ce siècle, ou, pour
mieux dire, cette période de Périclès,
où la civilisation hellénique avait encore toutes les vertus
du passé, sans avoir les vices et les défauts des temps postérieurs.
Pindare,
Sophocle, Phidias, Périclès lui-même,
Hérodote, puis Thucydide
et un grand nombre d'autres ont formé dans les arts et les lettres
à la fois un ensemble qui ne se présente aussi complet à
aucune autre époque de l'histoire. Euripide
n'est pas un auteur de décadence, il est presque contemporain de
Sophocle; mais, concevant l'art d'une autre manière, il y introduisit
des usages nouveaux qui contribuèrent à l'altérer
et à le perdre. La tradition n'est plus respectée au même
degré; les dieux et les héros sont amoindris, pour être
rendus plus humains; la dignité du langage n'est plus observée
comme dans Eschyle et Sophocle; on s'adresse
moins à l'intelligence du spectateur qu'à ses passions; on
cherche le tragique et le pathétique, au lieu de ce calme et de
cette majesté que les personnages conservaient jusque dans leurs
violences. Nul auteur tragique ne remue plus profondément le coeur
humain qu'Euripide; c'est lui surtout qui servait de modèle à
Racine, qui a traduit du grec quelques-unes de
ses scènes les plus émouvantes. La tragédie devient
de plus en plus humaine; mais le niveau de l'art s'abaisse à chaque
pas qu'elle fait en ce sens.
Nous ne citons ici que les plus grands
écrivains. Mais l'histoire nous a conservé les noms de beaucoup
d'autres, et nous montre que, dans la tragédie,
comme dans les autres parties de la littérature,
la culture grecque a été d'une extrême fécondité.
On fit des tragédies longtemps après Euripide,
et l'on en faisait encore lorsque la Grèce, devenue province romaine ,
n'était plus que l'ombre d'elle-même. Mais la sophistique
se mêla de plus en plus à la tragédie; les sentiments
et les idées, trop subtilement analysés, nuisirent à
l'action ;les grandes pensées disparurent avec la foi religieuse
et politique, et avec les bonnes moeurs; on peut dire qu'au temps d'Alexandre
la bonne tragédie était morte et ne devait pas renaître.
La
comédie.
La comédie
grecque naquit aussi dans les fêtes
de Dionysos, mais de cette partie de la fête
que l'on appelait comos, et que caractérisaient les ris,
les chants joyeux et l'ivresse. Il n'y avait donc aucune tendance possible
à unir la comédie et la tragédie, et à composer
ces oeuvres mixtes que les modernes appellent drames.
Née presque en même temps que la tragédie, la comédie
grecque ne tarda pas à prendre un caractère politique, et
à devenir une satire personnelle des hommes du jour. Telle fut certainement
!a comédie entre les mains de Cratinos
et d'Eupolis, qui, avec Aristophane,
sont les poètes de l'ancienne comédie athénienne.
Une licence extrême la caractérise, non seulement dans la
critique des actions et des moeurs des particuliers, mais dans l'invention
des personnages et des situations; une fantaisie sans limite, que les romantiques
modernes et les auteurs d'opéras et
de pièces à illusion n'ont pas égalée, anime
les pièces d'Aristophane. Mais les poètes prirent parti dans
les événements politiques, et le grand nombre des spectateurs
auxquels ils s'adressaient leur donnant une influence démesurée,
le gouvernement d'Athènes supprima,
en l'année 404; la parabase, discours direct du poète aux
spectateurs, et défendit qu'aucune personne vivante fût mise
sur
la scène. Ce décret des trente tyrans ne fut jamais rapporté.
Sous l'influence de ces conditions nouvelles et de la philosophie socratique
( La philosophie grecque )
qui se développait alors, la comédie chercha quelque temps
une voie nouvelle, et devint à sa renaissance une critique générale
des moeurs et des travers de l'humanité ou de la société
du temps. Telle fut déjà la comédie moyenne d'Antiphane
et d'Alexis, dans ses incertitudes; telle
fut certainement la nouvelle comédie, qui, à la fin du IVe
et au commencement du IIIe siècle,
jeta, avec Ménandre et Philémon,
le plus vif éclat. Les siècles postérieurs, soit à
Rome,
soit chez les modernes, imitèrent, non Aristophane, qui est à
peine imitable, mais les poètes de la comédie nouvelle, grands
peintres de moeurs et de caractères, sachant faire naître
une action et une intrigue des sentiments et des situations initiales des
personnages.
La prose.
La prose grecque, avant Alexandre,
comprend surtout l'histoire, l'éloquence
et la philosophie .
L'histoire.
L'histoire, comme la poésie,
naquit sur les rivages de l'Asie Mieure
: Cadmos, Hécatée, sont de Milet ;
Hellanicos
est de Mytilène ,
Hérodote
d'Halicarnasse ;
c'est ce dernier qui donna le premier une forme littéraire à
l'histoire, et qui créa le genre. Il lui donna la forme d'une épopée,
prenant pour sujet dominant la grande lutte de la Grèce
et de la Perse
qui dépassa de beaucoup la guerre de Troie ,
et amenant les histoires particulières des peuples de Grèce
et d'Asie jusqu'au moment où ils se trouvent partagés entre
les deux camps. Cette forme donnée à l'histoire est moins
humaine, moins politique que la forme chronologique; mais elle est certainement
plus grandiose et plus littéraire; elle fait d'un livre d'histoire
une véritable oeuvre d'art; celle d'Hérodote est, du reste,
sous l'invocation des neuf Muses, et elle fut
présentée aux Grecs dans le grand concours des arts et de
la poésie, aux jeux Olympiques.
Cette forme était parfaitement appropriée aux événements
qu'elle revêtait, lesquels n'ont rien de politique et sont les péripéties
d'une lutte internationale, d'une guerre des deux mondes.
L'histoire
grecque se présenta tout d'abord avec le caractère de véracité
qui la distingue des oeuvres d'imagination; les accusations longtemps portées
contre la bonne foi d'Hérodote tombent
tour à tour devant !es découvertes modernes.
Les faits qui suivirent les Guerres médiques
sont d'une nature politique; la guerre du Péloponnèse
a ce caractère, puisqu'il s'agissait là d'un conflit entre
deux constitutions, l'oligarchie de Sparte
et la démocratie d'Athènes.
L'histoire qui la raconte est une histoire politique; les récits
de Thucydide ne sont plus groupés sous
une forme poétique ils se développent suivant l'ordre des
années et des faits, comme un drame où les acteurs sont des
hommes vrais, et où les scènes procèdent des caractères
de chacun deux et des conditions générales ou ils sont placés.
L'oeuvre de Thucydide n'a été égalée par aucun
historien des temps postérieurs; car jamais des formes oligarchiques
et démocratiques aussi pures n'ont été aux prises,
et n'ont trouvé un homme qui ait su les approfondir et en exposer
la lutte avec autant de talent que Thucydide. Cet auteur marque le point
de perfection de l'histoire chez les Grecs. Xénophon,
qui le continue, est loin de l'égaler : l'histoire entre ses mains
est ou une simple narration, à la vérité
fort intéressante, ou des mémoires, ou des récits
mêlés de fantaisie et destinés à soutenir un
système de philosophie politique.
Nous n'avons aucun des ouvrages historiques
composés dans le IVe siècle
et qui faisaient suite à Thucydide et
à Xénophon. L'histoire du genre
ne peut être faite pour cette période que par conjecture :
Ctésias,
Théopompe,
Éphore
ne nous sont connus que par des
citations
et des témoignages; l'esprit de l'histoire se perd durant ce siècle,
la fantaisie se mêle à la réalité. II faut descendre
jusqu'à Polybe. Mais ici l'histoire change
de caractère et de matière. Rome
a conquis une grande partie de l'ancien monde; c'est à démêler
les causes et les procédés de cet agrandissement que l'histoire
s'applique; elle devient donc plus générale et en quelque
façon plus philosophique et plus instructive; la vérité
a repris tous ses droits; elle exige de l'écrivain le savoir, la
pratique des affaires, la clarté des déductions, la justesse
des jugements et leur impartialité. Polybe est demeuré dans
ce genre le modèle des historiens modernes; mais il est moins politique
que Thucydide.
II y a une grande décadence de ce
genre de Polybe à Denys
d'Halicarnasse et à Diodore de Sicile.
A cette époque les Grecs étaient répandus sur toute
la surface du monde romain.
Plutarque,
au Ier siècle de notre ère,
écrivait en grec dans un genre qu'il semble avoir créé,
la biographie. Les Vies des hommes
illustres sont
en histoire ce qu'en peinture
est le genre du portrait; c'est l'histoire
réduite à ses plus petites proportions. Il n'y a pas d'art
dans les Vies de Plutarque; l'histoire mérite à peine
sous cette forme de compter dans la littérature;
elle est à la portée des moins habiles; c'est l'extrême
décadence du genre inauguré par Hérodote.
Cependant l'on continua toujours à écrire l'histoire en langue
grecque sous l'Empire romain
et à Constantinople ;
et c'est, de toutes les formes littéraires, celle qui a montré
le plus de persistance.
L'éloquence.
L'éloquence grecque a deux grandes
époques, Périclès et Démosthène.
C'est de tous les genres littéraires celui qui appartient le plus
évidemment aux temps historiques; en Grèce elle est née
avec eux, elle a grandi avec l'art oratoire; elle s'est montrée
essentiellement politique ou judiciaire; les Grecs n'ont pas connu l'éloquence
sacrée, parce qu'il n'y avait pas en Grèce
d'enseignement religieux ni de chaires. L'éloquence grecque est
liée avec la démocratie, et
c'est dans Athènes que l'une et l'autre
atteignent tout leur développement. L'unité monarchique
de Philippe et d'Alexandre
met fin à l'éloquence.
Thémistocle
peut être regardé comme le premier orateur qui ait paru en
Grèce; en lui se personnifia l'esprit athénien; après
les Guerre médiques, il fut déclaré que, par l'art
de la parole, il avait sauvé la nation. Perfectionnée rapidement
pendant ce siècle, l'éloquence parvient à sa plus
haute expression dans la personne de Périclès, dont la parole
gouverna Athènes pendant quarante ans. C'est l'éloquence
sans passion, sans gestes, sans action apparente, forte d'idées,
maîtresse d'elle-même, impersonnelle, sans artifices, belle
et calme comme une statue de Phidias. Deux fléaux changent alors
l'esprit public, la peste qui démoralise la ville, la guerre dorienne
qui n'avait plus de Périclès pour la diriger. La démagogie
est maîtresse de la place publique; elle est armée de tous
les moyens fournis par la sophistique et la rhétorique;
Cléon,
Alcibiade du côté des démocrates,
Antiphon
à la ville, Phrynichos à l'armée du côté
de l'oligarchie, soulèvent des tempêtes
et détournent l'éloquence de son but légitime; c'est
le règne de la terreur et de la violence. La victoire de Lysandre
et l'établissement des Trente et des harmestes rendirent silencieuses
toutes les tribunes en Grèce. Quand on fut sorti de cet état
violent, on vit naître L'éloquence de cabinet : Lysias,
qui la représente, fut un orateur judiciaire; mais comme il n'y
avait dans Athènes ni avocats, ni
ministère public, il ne parut qu'une fois au tribunal, et tous ses
discours ont été composés pour d'autres personnes
et prononcés par elles. C'est le plus pur atticisme
qui s'y fait remarquer; les règles de la rhétorique y sont
scrupuleusement suivies. Le professeur Isocrate
n'a jamais prononcé un discours; il a écrit pour d'autres,
comme Lysias; il a aussi composé des plaidoyers pour des personnages
héroïques ou pour des causes imaginaires. Cependant il était
regardé comme le plus grand orateur de son temps; il est donc évident
pour nous qu'à cette époque éloquence et rhétorique
étaient confondues. Les trois grandes oeuvres oratoires d'Isocrate
ne sont pas des discours et n'auraient pu être prononcées;
ce sont des brochures ou pamphlets politiques.
La grande éloquence se ranima sur
les questions du temps : la plus importante, celle que les Guerres médiques
avaient soulevée, qu'avaient, notamment, élaborée
Agésilas,
était la question de Perse
ou d'Orient. Elle se compliqua, vers le milieu du IVe
siècle, de la question du Nord ou de Macédoine .
Les projets de Philippe partagèrent les orateurs en deux camps :
d'une part Isocrate, Eubule, Eschine, usant d'habileté
et de sophismes; de l'autre Lycurgue,
Hypéride,
Hégésippe,
Démosthène,
s'appuyant sur le sentiment de l'indépendance nationale et luttant
contre Philippe avec une éloquence qui croissait comme le danger.
La défaite de Chéronée
et le triomphe de la Macédoine mirent fin à l'éloquence
grecque, à la démocratie et
à l'indépendance.
La
philosophie.
La philosophie
produisit le dernier venu des genres littéraires de la Grèce .
Elle parla d'abord en vers, au temps où, se confondant avec les
sciences particulières, elle cherchait elle-même sa voie.
Mais l'enseignement socratique changea ses habitudes, et lui fit adopter
la prose comme sa langue naturelle; toutefois, avant Socrate,
les derniers philosophes des anciennes écoles, Héraclite,
Anaxagore,
avaient composé des traités en prose, dont il reste des fragments.
A cette même époque écrivait Hippocrate,
que l'on peut nommer le philosophe de la médecine ,
et qui fit dans cet art une réforme analogue à celle de Socrate
dans la philosophie.
De l'école de Socrate sortit toute
une phalange d'écrivains philosophes, dont les plus illustres ont
été Xénophon et Platon.
La vie aventureuse du premier ne lui donna pas le loisir de se livrer tout
entier à la composition d'ouvrages purement philosophiques; cependant
plusieurs de ses écrits en ce genre sont demeurés célèbres,
et offrent cette clarté de style et cet agrément dans la
forme qui sont le caractère de cette école. Platon, l'un
des plus féconds écrivains de la Grèce, adopta, pour
exposer ses idées philosophiques, la forme du dialogue, empruntée
au théâtre, et mit en scène
dans ses écrits les hommes les plus distingués de son temps.
II n'y a pas moins d'art dans la composition de ces dialogues que dans
les comédies du temps. Quelque grave
que soit le sujet, il y a un charme infini dans ces ouvrages et ce charme
vient uniquement de la forme dont l'art grec, qui vit tout entier dans
Platon, a su les revêtir. Les dialogues de Platon ont servi de modèles
à un grand nombre d'écrivains philosophes, soit à
Rome ,
soit chez les modernes; mais nul d'entre eux n'a pu les égaler;
car cette forme du dialogue n'est admissible qu'à la condition que
les interlocuteurs ne soient pas des personnages abstraits, et qu'ils aient
autant de réalité que ceux de la scène.
L'oeuvre de Platon
est d'une diversité infinie; celle d'Aristote,
son disciple et son rival, l'est également. Mais les écrits
dAristote se présentent sous la forme de traités, sous la
forme didactique, laquelle est beaucoup
moins littéraire que celle du dialogue. Si le style des oeuvres
dAristote était bien celui de la littérature philosophique
de son temps, la chute que ce genre aurait faite ne serait pas moins profonde
que rapide; mais on a lieu de croire que ce philosophe avait rédigé
fort peu d'écrits, et que ceux qui nous sont venus sous son nom
n'étaient que des notes du professeur et peut-être même
de ses élèves. Son successeur fut Théophraste,
plus célèbre comme botaniste
que comme philosophe; il est difficile de juger de la valeur de ses écrits
d'après les Caractères qui nous restent de lui; car
ce ne sont que des fragments épars d'un grand ouvrage perdu; il
y a dans ces morceaux plus de verve que d'art; ils ont eu le mérite
d'être le point de départ de La Bruyère.
A partir de cette époque les écoles
philosophiques ont subordonné la théorie à la pratique,
et ont produit un assez grand nombre de traités de morale, presque
entièrement perdus. Épicure, Zénon,
Cléanthe
ont été les modèles imités par les philosopes
latins. Après eux la Grèce n'a pas cessé de produire
des écrits philosophiques; mais, après le régne d'Alexandre,
un esprit nouveau se mêle à toutes ses productions; c'est
l'esprit oriental. ( École
philosophique d'Alexandrie).
Développements
tardifs.
II nous reste à dire quelques mots
d'un genre secondaire qui a jeté en Grèce
un certain éclat. La littérature sicilienne a produit l'Idylle,
dont les formes, dans Théocrite même
qui en est le créateur, sont d'une variété très
grande. Quoique venue dans un temps de décadence et lorsque les
idées de l'Orient transformaient déjà les lettres
grecques, l'idylle, dans Théocrite, a le charme et la grâce
d'un tableau de genre, d'un vase bien ciselé, ou d'un bas-relief
de petites dimensions, mais d'un travail fini. Bion et Moschos, ses successeurs,
n'ont rien ajouté aux qualités du genre, et le petit recueil
de Théocrite, bien supérieur aux Églogues
de Virgile, demeure encore le modèle de
la poésie pastorale et bucolique.
La culture grecque était alors dispersée
dans tout le monde antique; elle avait ses centres partout, principalement
à Alexandrie. Là se donnaient
rendez-vous toutes les idées, toutes les doctrines, toutes les religions,
toutes les langues. La critique et l'érudition naquirent dans cette
ville, où les Ptolémées
s'en firent les protecteurs et les propagateurs Le Musée, inspiré
par Démétrius de Phalère
à Ptolémée Sôter, vers l'an 306, réunit
des savants et des professeurs de tout ordre. La flatterie inspira à
des poètes des oeuvres de nulle valeur, comme les anagramme
à Lycophron,
les apothéoses de princes vivants à Callimaque.
Le poème des Argonautiques ,
qui est une oeuvre d'érudition, et non une épopée,
donne la mesure de ce qui se produisait alors en poésie.
Il faut franchir le commencement de l'ère
chrétienne pour trouver encore de véritables écrivains
grecs. Mais dès lors un monde nouveau commence à naître
: c'est Rome avec sa puissante organisation,
c'est l'Inde
et la Perse
avec leur panthéisme symbolique, c'est
la Judée, la Phénicie et l'Égypte, et bientôt
c'est le christianisme, qui, luttant avec les idées grecques proprement
dites, ou leur donnant par le mélange une nouvelle fécondité,
suscitent dans un monde décrépit des tentatives littéraires
animées d'un esprit nouveau. ( La
littérature byzantine). (Em. Burnouf). |
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