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Pierre Simon, Comte
(1804), Marquis (1817) de La Place ou de Laplace (23 mars
1749 - 3 mars 1827) naquit à Beaumont-en-Auge. Ses parents, qui
étaient des cultivateurs dans l'aisance, lui firent faire de bonnes
études classiques. Il se distingua d'abord par son savoir et son
habileté dans les discussions théologiques; il prit ensuite
goût aux mathématiques et vint à Paris
soumettre à
D'Alembert des solutions
de questions de mécanique. Celui-ci, trouvant remarquables ces solutions,
accorda sa protection à Laplace et le fit nommer professeur de mathématiques
à l'École militaire .
Les Mémoires sur le calcul différentiel que Laplace présenta
à l'Académie de Turin
en 1772 attirèrent l'attention des savants, et lui ouvrirent l'année
suivante les portes de l'Académie des Sciences, Il fut chargé
du cours de mathématiques à l'École Polytechnique
dès sa fondation, en 1794, fut nommé membre du Bureau des
Longitudes à sa création, en 1795, et de l'Institut national
lors de son organisation, en 1795.
Laplace commença par la publication
d'études d'astronomie pratique. En 1797, il présenta dans
l'Exposition du Système du Monde, clairement et sans calculs,
l'explication des phénomènes célestes.
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Dans
la première édition de l'Exposition du Système
du Monde (1796), Laplace a ébauché une théorie
de la formation de l'univers (surtout du Système solaire), et il
l'a exposée complètement dans les dernières éditions.
Voixi comment il la résume.
Hypothèse
de la nébuleuse primitive
«
La considération des mouvements planétaires nous conduit
à penser qu'en vertu d'une chaleur excessive, l'atmosphère
du soleil s'est primitivement étendue au delà des orbes de
toutes les planètes, et qu'elle s'est resserrée successivement,
jusqu'à ses limites actuelles.
Dans
l'état primitif où nous supposons le Soleil, il ressemblait
aux nébuleuses que le télescope nous montre composées
d'un noyau plus ou moins brillant, entouré d'une nébulosité
qui, en se condensant à la surface du noyau, le transforme en étoile.
Si l'on conçoit, par analogie, toutes les étoiles formées
de cette manière, on peut imaginer leur état antérieur
de nébulosité, précédé lui-même
par d'autres états dans lesquels la matière nébuleuse
était de plus en plus diffuse, le noyau étant de moins en
moins lumineux. On arrive ainsi, en remontant aussi loin qu'il est possible,
à une nébulosité tellement diffuse, que l'on pourrait
à peine en soupçonner l'existence.
Mais
comment l'atmosphère solaire a-t-elle déterminé les
mouvements de rotation et de révolution des planètes et des
satellites? Si ces corps avaient pénétré profondément
dans cette atmosphère, sa résistance les aurait fait tomber
sur le soleil ; on peut donc conjecturer que les planètes ont été
formées à ces limites successives, par la condensation des
zones de vapeurs, qu'elle a dû, en se refroidissant, abandonner dans
le plan de son équateur.
Ces
zones ont dû, selon toute vraisemblance, former par leur condensation
et l'attraction mutuelle de leurs molécules, divers anneaux concentriques
de vapeurs, circulant autour du soleil. Le frottement mutuel des molécules
de chaque anneau a dû accélérer les unes et retarder
les autres, jusqu'à ce qu'elles aient acquis un même mouvement
angulaire. Ainsi les vitesses réelles des molécules plus
éloignées du centre de l'astre, ont été plus
grandes. La cause suivante a dû contribuer encore à cette
différence de vitesse. Les molécules les plus distantes du
soleil et qui par les effets du refroidissement et de la condensation,
s'en sont rapprochées pour former la partie supérieure de
l'anneau, ont toujours décrit des aires proportionnelles aux temps,
puisque la force centrale dont elles étaient animées, a été
constamment dirigée vers cet astre ; or cette constance des aires
exige un accroissement de vitesse, à mesure qu'elles s'en sont rapprochées.
On voit que la même cause a dû diminuer la vitesse des molécules
qui se sont élevées vers l'anneau, pour former sa partie
inférieure.
Si
toutes les molécules d'un anneau de vapeurs continuaient de se condenser
sans se désunir, elles formeraient à la longue un anneau
liquide ou solide. Mais la régularité que cette formation
exige dans toutes les parties de l'anneau et dans le refroidissement, a
dû rendre ce phénomène extrêmement rare. Aussi
le Système solaire n'en offre-t-il qu'un seul exemple, celui des
anneaux de Saturne. Presque toujours, chaque anneau de vapeurs a dû
se rompre en plusieurs masses qui, mues avec des vitesses très peu
différentes, ont continué de circuler à la même
distance autour du Soleil. Ces masses ont dù prendre une forme sphéroïdique,
avec un mouvement de rotation dirigé dans le sens de leur révolution,
puisque leurs molécules inférieures avaient moins de vitesse
réelle que les supérieures; elles ont donc formé autant
de planètes à l'état de vapeurs. Mais si l'une d'elles
a été assez puissante, pour réunir successivement
par son attraction, toutes les autres autour de son centre, l'anneau de
vapeurs aura été ainsi transformé dans une seule masse
sphéroïdique de vapeurs, circulant autour du Soleil, avec une
rotation dirigée dans le sens de sa révolution. Ce dernier
cas a été le plus commun : cependant, le Système solaire
nous offre le premier cas, dans les quatre petites planètes qui
se meuvent entre Jupiter et Mars; à moins qu'on ne suppose qu'elles
formaient primitivement une seule planète qu'une forte explosion
a divisée en plusieurs parties animées de vitesses différentes.
Maintenant,
si nous suivons les changements qu'un refroidissement ultérieur
a dû produire dans les planètes en vapeurs, dont nous venons
de concevoir la formation, nous verrons naître au centre de chacune
d'elles, un noyau s'accroissant sans cesse, par la condensation de l'atmosphère
qui l'environne. Dans cet état, la planète ressemblait parfaitement
au soleil à l'état de nébuleuse, où nous venons
de le considérer; le refroidissement a donc dû produire aux
diverses limites de son atmosphère, des phénomènes
semblables à ceux que nous avons décrits, c'est-à-dire
des anneaux et des satellites circulant autour de son centre, dans le sens
de son mouvement de rotation, et tournant dans le même sens sur eux-mêmes.
La distribution régulière de la masse des anneaux de Saturne,
autour de son centre et dans le plan de son équateur, résulte
naturellement de cette hypothèse, et, sans elle, devient inexplicable;
ces anneaux me paraissent être des preuves toujours subsistantes
de l'extension primitive de l'atmosphère de Saturne et de ses retraites
successives...
Si
le Système solaire s'était formé avec une parfaite
régularité, les orbites des corps qui le composent, seraient
des cercles dont les plans ainsi que ceux des divers équateurs et
des anneaux coïncideraient avec le plan de l'équateur solaire.
Mais on conçoit que les variétés sans nombre qui ont
dû exister dans la température et la densité des diverses
parties de ces grandes masses, ont produit les excentricités de
leurs orbites, et les déviations de leurs mouvements, du plan de
cet équateur.
Dans
notre hypothèse, les comètes sont étrangères
au système planétaire. En les considérant, ainsi que
nous l'avons fait, comme de petites nébuleuses errantes de systèmes
en systèmes solaires, et formées par la condensation de la
matière nébuleuse répandue avec tant de profusion
dans l'univers, on voit que lorsqu'elles parviennent dans la partie de
l'espace où l'attraction du Soleil est prédominante, il les
force à décrire des orbes elliptiques ou hyperboliques. Mais
leurs vitesses étant également possibles suivant toutes les
directions, elles doivent se mouvoir indifféremment dans tous les
sens et sous toutes les inclinaisons à l'écliptique, ce qui
est conforme à ce que l'on observe. Ainsi la condensation de la
matière nébuleuse, par laquelle nous venons d'expliquer les
mouvements de rotation et de révolution des planètes et des
satellites dans le même sens et sur des plans peu différents,
explique également pourquoi les mouvements des comètes s'écartent
de cette loi générale. » (Laplace, Système
du monde, note VII et dernière). |
Dans l'ouvrage capital qu'il a publié
de 1799 à 1825 sous le titre de Traité de Mécanique
céleste, il a coordonné les travaux de ses devanciers
et exposé les nombreuses découvertes astronomiques auxquelles
l'analyse mathématique l'avait conduit.
Ainsi s'expliquent la faible inclinaison
des orbites
sur l'équateur solaire, la faible excentricité
de ces orbites, primitivement circulaires, et le sens de leur rotation.
Au début, la matière nébulaire
de la planète a, par les mêmes phénomènes que
celle de la nébuleuse solaire, donné naissance à des
anneaux qui, sauf pour Saturne ,
se sont brisés pour former les satellites. Enfin les comètes ,
à l'origine, n'appartenaient pas au système solaire et n'en
ont fait partie que quand, entrées dans sa sphère d'action,
elles ont subi son influence.
Cette
théorie de Laplace a plusieurs points communs avec la théorie
donnée par Kant en 1755; ce fait est d'autant
plus remarquable qu'il paraît certain que Laplace ne connaissait
pas les idées émises par Kant. (Lebon, 1899)
Les calculs numériques de cette oeuvre
ont été effectués par son ami Bouvard,
qui fit en 1798 un Mémoire estimé sur les variations séculaires
de la Lune ,
et qui devint en 1807 directeur de l'Observatoire de Paris .
Au sujet de la forme de la Terre ,
Maclaurin
avait démontré que l'ellipsoïde de révolution,
supposé fluide et homogène, est une figure d'équilibre,
et D'Alembert que cet ellipsoïde admet
deux figures d'équilibre: Laplace a donné à la discussion
sa forme définitive, notamment dans ses Mémoires de
1782 et de 1817.
Laplace a complété le travail
de Lagrange sur la libration
de la Lune, en démontrant, dans ses Mémoires
de 1786 et de 1796, que les mouvements de rotation de la Lune autour de
la Terre et autour de l'un de ses axes ont des perturbations
séculaires qui se correspondent, et par suite que notre satellite
nous montrera toujours la même face. Les Mémoires précédents
et ceux de 1799 et de 1801 contiennent ses découvertes relatives
à la théorie de la Lune. Il a prouvé que la Lune se
rapproche à présent de la Terre, mais que plus tard elle
s'en éloignera, et que ces deux mouvements contraires se reproduiront
indéfiniment, Remarquant que les perturbations exercées par
le Soleil
sur la Lune dépendent de la distance
de ces deux astres, il est parvenu à calculer la distance de la
Terre au Soleil, en trouvant par l'observation la valeur de ces perturbations,
et par la théorie la relation entre ces perturbations et la distance
solaire. II a découvert dans le mouvement lunaire deux perturbations
différentes dues à l'aplatissement de la Terre, et il en
a déduit en 1782 et en 1796 une même valeur de cet aplatissement.
Grâce à ses travaux sur la Lune, il a établi pour cet
astre de très bonnes tables ,
permettant au navigateur de déterminer en mer sa position par rapport
au méridien
de Paris : il a ainsi rendu à la marine un important service.
Sa théorie du flux et du reflux
de la mer, contenue dans ses Mémoires de 1790 et de 1818,
lui a permis de calculer la masse de la Lune et de démontrer la
stabilité des mers.
De la comparaison des observations faites
pendant plusieurs siècles, on concluait que les moyens mouvements
de la Lune et de Jupiter
s'accélèrent et que celui de Saturne
diminue; d'où il résulte que la Lune se rapproche de la Terre
et Jupiter du Soleil, tandis que Saturne s'en éloigne. Lagrange
et Euler, excités par les questions que
proposait l'Académie des Sciences, étudièrent ces
perturbations qui devaient amener la destruction du Système solaire ;
leurs remarquables travaux ne dissipèrent pas le doute. Mais Laplace
a démontré que les changements de vitesse de ces trois astres
oscillent entre des limites resserrées. Dans le Mémoire qu'il
lut à l'Académie des Sciences en 1773, il a donné
ce théorème important: Les grands axes des orbites décrites
par les planètes
autour du Soleil n'ont pas d'inégalités séculaires.
Enfin il démontra en 1784 que le Système solaire est stable,
en se fondant sur ce que la masse des planètes est petite, que leurs
orbites ont une faible excentricité
et que leurs mouvements de rotation sont tous dans le même sens.
Dans le Mémoire de 1773, Laplace
ne tenait compte que des premières puissances des masses .
Dans les Mémoires de l'Académie royale des Sciences de Berlin
pour 1776, Lagrange a donné une démonstration
du même théorème, plus complète que celle de
Laplace. C'est Poisson qui l'a démontré
rigoureusement en 1809.
En tenant compte de ce que le rapport des
vitesses de Saturne et de Jupiter est égal au rapport de 2 à
5, Laplace a démontré en 1785 et en 1786 que, dans le calcul
des perturbations réciproques de ces astres, certains termes, que
l'on peut négliger dans d'autres calculs analogues, prennent des
valeurs très grandes, amenant des perturbations périodiques
durant environ 918 ans ans.
Il a reconnu que les perturbations des
quatre satellites de Jupiter sont analogues à celles des planètes;
il a établi en 1788 et en 1789 les remarquables lois du mouvement
de ces astres.
Laplace a publié en 1787 son premier
Mémoire
sur l'anneau
de Saturne. Pensant qu'il ne peut se soutenir que s'il est animé
d'un mouvement rapide de rotation, il a trouvé par le calcul, en
1789, que l'anneau intérieur tourne en 10 h 33 mn 36 s autour d'un
axe passant par le centre de Saturne; cinq ans plus tard, W.
Herschel déduisait de ses observations a peu près le
même nombre. Laplace a prouvé en 1796 que l'action de Saturne
retient l'anneau dans le plan de son équateur; enfin il a fait remarquer
que, si cet anneau était régulier, son équilibre serait
instable et qu'il arriverait, à se précipiter sur Saturne.
Laplace, en démontrant en 1823 que
le refroidissement de la Terre n'a pas fait varier
la durée du jour d'un centième de seconde depuis Hipparque,
a confirmé la théorie, émise d'abord par de Buffon
dans sa Théorie de la Terre (1744-1749), du refroidissement
insensible de notre globe. Comme, en outre, Laplace a prouvé que
la Terre sera toujours rencontrée par son axe aux mêmes points,
on peut conclure que le climat moyen d'un lieu ne variera pas dans la suite
des siècles. (Hoefer).
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Principaux
ouvrages -Théorie du mouvement
et de la figure elliptique des planètes, 1784; Exposition
du système du monde, 1796, souvent réimprimée,
notamment en 1824, avec un Précis de l'histoire de l'astronomie;
Mécanique
céleste, 1799-1 825, 6 vol. in-4, ouvrage hors ligne, qui est
son chef-d'œuvre;Théorie analytique des probabilités,
1812; Essai Philosophique sur les probabilités, 1814; et
de nombreux Mémoires.
Editions
anciennes - Ses œuvres ont été
réimprimées aux frais de l'État en 1843, 7 vol. in-4°.
Oeuvres
complètes (Paris, 1878-1898).
En
librairie - Roger Hahn, Pierre
Simon Laplace, Gallimard, 2004. |
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