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La causalité

Causalité est un terme signifiant le pouvoir d'agir comme cause, et le rapport des causes aux effets. Nos états de conscience sont doués de causalité. C'est même à l'imitation de notre causalité propre que nous concevons toute causalité, soit dans la succession des faits et des êtres contingents, soit dans l'être nécessaire. Le jugement absolu que la Raison porte dans ce dernier cas constitue l'axiome métaphysique appelé principe de causalité, et qu'on énonce ordinairement ainsi :
"Point de phénomène sans cause."
Bien qu'une foule de nos jugements supposent ce principe comme vérité première et innée, ce n'est qu'ultérieurement qu'il se dégage, sous la forme abstraite et générale, des jugements particuliers et concrets dans lesquels il est primitivement enveloppé; et même, accessible seulement à la réflexion philosophique dans son expression abstraite, il échappe, avec cette forme, à un grand nombre d'intelligences

Le principe de causalité n'est pas le résultat d'une induction empirique : il est absolument certain pour nous, de la certitude des vérités nécessaires, qu'il n'y a pas de phénomène sans cause. C'est à ce titre que le principe de causalité sert de base à l'argument par lequel on a cru pouvoir démontrer l'existence de Dieu par l'impossibilité de trouver, dans la série des causes contingentes, un point où l'esprit puisse se reposer avec une parfaite satisfaction. C'est l'argument que Leibniz appelle Preuve par la contingence du monde, et Kant' Preuve cosmologique. Cependant ce dernier, sans méconnaître que le principe de causalité soit une des formes nécessaires de l'entendement, lui refuse ou du moins n'en affirme pas la réalité objective. (B-E).

Deux conceptions de la causalité 

Il y a deux manières de concevoir la causalité :

A) - Conception psychologique.
La cause est un être, une force, qui par son activité produit quelque chose, être ou phénomène : vg. Dieu est la cause du monde ; la volonté est cause de telle détermination. C'est la conception dont nous venons de chercher l'origine dans le sentiment de l'effort. C'est la conception du sens commun et des philosophes. On la nomme encore conception subjective, métaphysique.

B) - Conception scientifique.
La cause est un phénomène (ou groupe de phénomènes) qui est l'antécédent constant et invariable, la condition nécessaire et suffisante d'un autre phénomène (ou groupe de phénomènes).

par exemple, la pression atmosphérique est la cause de l'ascension des liquides dans les corps de pompe. C'est la conception des chercheurs qui étudient la nature. On la nomme aussi conception objective, physique.

Comparaison : au sens scientifique, la cause est fatale. Les sciences de la nature ne dépassent pas l'étude des phénomènes; elles identifient la cause et la loi, parce que la cause est liée de telle sorte à l'effet que non seulement l'effet ne peut exister sans la cause, mais la cause ne peut  exister sans l'effet : la cause étant posée dans les conditions requises, l'effet suit nécessairement. Le point de vue scientifique est donc phénoméniste et déterministe : il fait abstraction de la liberté. Les sciences de la nature ne cherchent pas les causes proprement dites, les causes efficientes, ce qui agit au delà des phénomènes et les produit; c'est l'affaire de la métaphysique; elles s'arrêtent au phénomène.

Au sens psychologique, la cause est libre. Sans doute l'effet ne peut exister sans la cause, mais la cause peut exister sans l'effet; la cause peut le réaliser ou le laisser à l'état de simple possible, car elle peut agir ou ne pas agir.

La causalité psychologique, dont l'idée nous vient de la conscience de l'effort volontaire, est la véritable causalité des philosophes; elle implique l'idée de production-: c'est la cause efficiente. La causalité des physiciens est quelquefois appelée cause déterminante ; elle implique la détermination du conséquent par l'antécédent. Mais ce n'est proprement qu'une condition, c'est-à-dire une circonstance qui, sans produire le phénomène, est suffisante et nécessaire à son apparition.

Conclusion.
En réalité ces deux conceptions ne sont pas aussi éloignées qu'elles le paraissent au premier aspect. En effet la conception scientifique garde des traces de son origine psychologique, car dans la formule des lois causales l'idée de tendance est maintenue. Aussi, même pour les chercheurs, une cause c'est quelque chose qui tend à produire un phénomène et qui le produit quand rien ne s'oppose à l'exercice, au déploiement de cette tendance. Or l'idée de tendance implique l'idée de force, d'activité permanente, dont les phénomènes ne sont que la manifestation extérieure. La science ne rejette donc pas la notion psychologique de la cause, puisqu'elle l'insinue, dans ses formules, sous le nom de tendance; mais elle fait abstraction de l'existence et de la nature de cette force; et elle a raison, car cette question est du ressort de la psychologie et de la métaphysique. Elle se borne à rechercher quelle est la condition suffisante et nécessaire de l'apparition d'un phénomène : quand cette condition sine qua non est réalisée, tout obstacle à l'exercice de la cause est enlevé et alors l'être agit nécessairement. Les savants préfèrent donc n'employer que les mots de conditions ou de lois des phénomènes, - ils ne s'attachent qu'au comment des choses -, laissant le nom de cause aux spéculations des philosophes, qui eux s'aventurent à examiner le pourquoi.

C'est en effet aux métaphysiciens qu'il appartient de définir l'idée de cause et de déterminer la nature tant des causes physiques que des causes raisonnables. L'élément générique, commun à la causalité physique et à la causalité psychologique, c'est l'idée de production. Cette idée, dans les deux cas, implique l'idée de force, d'activité déployée. Mais cette activité se déploie diversement : de là l'élément spécifique. S'il s'agit de la cause physique, il faut ajouter au genre production, comme différence spécifique, l'idée de nécessité ou de détermination. S'il s'agit de la cause psychologique, de la volonté, il faut ajouter l'idée de liberté.

Bref, la notion de cause physique revient à la notion de production nécessaire; la notion de cause psychologique, à la notion de production libre. Les sciences physiques s'occupent seulement de déterminer les conditions qui, posées, permettent à la cause d'agir, à l'activité de produire son effet.

Extension de la causalité

Nous ne percevons directement que ce qui est en nous-mêmes par notre propre conscience; mais nous sommes avertis par divers changements que nous subissons, par des modifications dont nous ne nous sentons pas la cause, qu'il y a d'autres êtres que nous : nos semblables, les animaux, les végétaux, la nature inanimée. Nous transportons naturellement au dehors, dans les choses, la notion de cause puisée dans notre expérience interne. C'est pourquoi l'esprit se représente d'abord les causes externes, à sa propre image, comme des forces actives produisant librement toutes sortes de phénomènes. On sait que l'enfant est porté à tout personnifier. Mais l'expérience le contraint à modifier par degré l'application de cette conception primitive. Les autres hommes, se comportant comme lui, il continue de leur attribuer une causalité semblable à la sienne.

Aux animaux l'homme ne laisse que la sensation et le mouvement spontané, leur refusant l'activité réfléchie et libre, que rien ne manifeste en eux. Aux végétaux il attribue le mouvement interne spontané. A la nature inanimée, que dans ses conceptions archaïques, il s'est figurée comme douée de sentiment et de volonté, il n'accorde qu'une causalité motrice sans spontanéité : il se la représente comme un ensemble de forces aveugles, fatales, se manifestant par un ensemble de mouvements. Les philosophes théistes conçoivent  Dieu à la ressemblance des hommes. Ils en abstraient les qualités, en retranchent les limites ou imperfections, et y ajoutent à la notion de cause toutes les perfections qu'il est possible de concevoir. Dieu, devient alors la cause sans limites, sans dépendance, sans passivité, sans effort-: c'est la cause première.

Application aux sciences.

 a) L'idée de causalité objective ou physique (idée d'un phénomène antécédent, condition nécessaire et suffisante d'un phénomène conséquent) est le fondement des sciences de la nature, dont le but est de rechercher les lois des phénomènes. De cette conception mécanique dérive l'idée du déterminisme de la nature.
b) L'idée de la causalité subjective, psychologique, métaphysique, (idée d'un être qui par son activité produit librement un phénomène) est le fondement des sciences morales : par ex.,  psychologie, morale, métaphysique. Si la volonté n'est pas une cause libre, mais un simple enchaînement de phénomènes liés au reste de l'univers, il est inutile de rechercher les lois selon lesquelles elle doit agir : tout devoir, toute moralité s'évanouissent avec la causalité.
Dans le premier cas, la cause est unilatérale : ne peut produire qu'un seul effet ; dans le second, elle est bilatérale : peut produire deux effets opposés.

Remarque.
L'action de la cause efficiente peut être : 
 

a) Immanente c'est celle qui demeure dans l'agent : par exemple, acte d'intelligence. 

b) Transitive : celle qui se termine en dehors de l'agent : par exemple, quand je coupe du bois. La cause, dont l'action est transitive, est dite transcendante, parce qu'elle est en dehors de l'effet produit.

Le principe de causalité

A) Le principe de causalité ne dérive pas de l'expérience.
Les savants ne se proposent pas de chercher les forces productrices des phénomènes, mais de déterminer l'ordre constant et nécessaire des phénomènes. Pour eux, le mot cause signifie condition nécessaire et suffisante, ou condition déterminante. Dans ce sens la cause d'un phénomène c'est un autre phénomène. Dès lors la formule du principe de causalité se ramène à celle-ci : 
« Tout phénomène est invariablement précédé d'un autre phénomène. » 
Même ainsi envisagé, ce principe ne peut venir de l'expérience, comme le soutient Stuart Mill. D'après lui, l'expérience nous présente un grand nombre de successions constantes ; elle nous montre certains antécédents précédant invariablement certains conséquents. Il se forme alors en notre esprit une tendance à penser qu'il en est ainsi partout; peu à peu cette tendance se fortifie en proportion des cas favorables et finit par devenir pour la pensée un principe, une loi :
a) nécessaire, parce que l'esprit ne peut plus dissocier les éléments qui la constituent; 

b) universelle, parce que les associations sur lesquelles elle repose sont communes à tous. 

Le principe de causalité naît donc de l'habitude que nous avons d'associer les idées de deux phénomènes qui se sont toujours succédé dans notre expérience.

Critique : 
1°) A supposer que ce principe pût se former ainsi passivement en nous, il ne représenterait que les expériences passées. Mais celles-ci ne sont rien en comparaison de tous les cas que l'avenir tient en réserve. Fruit de l'habitude, il peut être détruit par elle. Il n'a donc qu'une valeur provisoire. Stuart Mill (Système de Logique, L, III, Ch. XXI, § 3) avoue d'ailleurs qu'il peut être détruit par les expériences futures, comme la croyance à l'existence des seuls cygnes blancs. Ce principe n'a donc qu'une nécessité subjective et une universalité relative. Comment alors pourrait-il servir de base à la science, qui suppose un enchaînement objectif et invariable des phénomènes?

2°) Si le principe de causalité était le résultat de l'habitude, il ne serait qu'une acquisition tardive et progressive de l'esprit. Or il n'est peut-être pas, dans l'esprit humain, d'acquisition plus précoce et plus immnédiatement parfaite. Il apparaît dans toute sa force au premier éveil de l'intelligence de l'enfant.

3°) D'ailleurs cette formation par la seule expérience est impossible. En effet, les cas on nous constatons des successions constantes sont bien plus rares que ceux où nous n'en voyons pas : au regard de l'expérience pure le monde est un chaos. La constance des successions est si peu visible que leur découverte est pour la science le point difficile. Souvent le savant est induit en erreur par des coincidences frappantes, mais illusoires. Les méthodes, que Stuart Mill lui-même a tracées pour découvrir le rapport causal, prouvent qu'il faut être en garde contre les coïncidences apparentes (Logique, 67, Sect. II, § A, C).

4°) Dans cette théorie, on ne saisit plus la différence entre le rapport de succession pure et le rapport de causalité : le jour précède invariablement la nuit, et n'en est cependant pas la cause. Sans doute Stuart Mill (Système de Logique, L, III, Ch. V, § 5) dit que l'antécédent causal ne peut être que l'antécédent « inconditionnel », déterminant ; mais d'où lui vient cette idée ? L'expérience peut suggérer l'idée de succession même constante, mais non celle de nécessité. Si Stuart Mill pense que tel fait produira nécessairement tel autre fait, c'est qu'il introduit inconsciemment, dans la succession, le principe de causalité qu'il a la prétention d'en tirer.
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L'idée de cause et le principe de causalité

« Quand nous apprenons, qu'une chose commence à exister, nous sommes contraints par les lois de notre intelligence à croire qu'elle a une cause. Mais que veut dire cette expression avoir une cause? Si nous analysons notre pensée, nous trouverons que cela signifie simplement que, puisque nous ne pouvons pas concevoir le commencement d'une nouvelle existence, il faut que tout ce qu'on voit apparaître ait existé aupararant sous une autre forme. Nous sommes tout à fait incapables de concevoir que le contingent d'existence puisse augmenter ou diminuer. D'une part, nous sommes incapables de concevoir que rien devienne quelque chose, et d'autre part, que quelque chose devienne rien. Quand on dit que Dieu crée de rien, nous nous représentons la proposition en supposant qu'il tire l'être de soi-même; nous considérons le Créateur comme la cause de l'univers. L'aphorisme : Ex nihilo nihil, in nihilum nil posse reverti, exprime dans sa forme la plus nette le phénomène intellectuel de la causalité.

On conçoit donc qu'un effet et ses causes sont absolument la même chose. Nous croyons que les causes contiennent tout ce qui est dans l'effet, et que l'effet ne renferme rien de plus que ce qui était contenu dans les causes. Exemple : un sel neutre est un effet de la combinaison d'un acide et d'un alcali. Nous ne pouvons pas concevoir que dans cette combinaison une nouvelle existence ait été ajoutée, et nous ne pouvons pas non plus concevoir qu'une existence ait été supprimée. Autre exemple : la poudre à canon est l'effet d'un mélange de soufre, de charbon et de nitre, et ces trois substances sont aussi des effets, des résultats de constituants plus simples dont on connaît, ou dont on peut concevoir, l'existence. Or, dans cette série de combinaisons, nous ne pouvons pas concevoir que quoi que ce soit commence à exister Nous sommes forcés d'admettre que la poudre à canon contient la même quotité d'existence que ses constituants élémentaires en contenaient avant la combinaison. Mettons le feu à la poudre. Pouvons-nous concevoir que l'existence ait été diminuée par la destruction d'un seul élément existant auparavant, ou accrue par l'addition d'un seul élément qui jusque-là n'existait pas dans la nature? Omnia mutantur; nihil interit, c'est ce que nous pensons, ce que nous devons penser. C'est là le phénomène mental de la Causalité : nous nions nécessairement que l'objet qui semble commencer d'être, commence en réalité ; et nous identifions nécessairement son existence présente avec son existence passée.

Nous sommes incapables de concevoir qu'un atome puisse absolument être ajouté à l'ensemble des existences ou en être absolument retranché. Faites l'expérience. Formez-vous une notion de l'univers; pouvez-vous après cela concevoir que la quantité d'existence dont l'univers est la somme est augmentée ou amoindrie? Vous pouvez concevoir la création du monde aussi clairement que vous pouvez concevoir celle d'un atome. Mais qu'est-ce qu'une création? Ce n'est point le passage de rien à quelque chose. Loin de là, la création n'est connue et concevable par nous que comme dégagement d'une nouvelle forme d'existence, par le fiat de la Divinité. Supposons l'instant même de la création. Pouvons-nous nous figurer qu'un instant après que l'univers est devenu un être manifeste, il y ait eu un plus grand contingent d'existence dans l'univers et son Auteur pris ensemble, qu'il n'y en avait un moment auparavant dans la Divinité toute seule? Nous ne pouvons pas nous le figurer. Ce que je viens de dire de nos conceptions de création est vrai de nos conceptions de l'anéantissement. - Nous ne pouvons pas concevoir d'anéantissement réel, nous ne pouvons pas nous figurer qu'une chose tombe à l'état de rien. »
 

(W. Hamilton, Fragments, trad. L. Peisse).

B) Il dérive des données de la conscience interprétées par la raison.
La conscience montre notre esprit comme produisant un grand nombre de phénomènes. - De ces données concrètes, fournies par l'expérience interne, l'intelligence abstrait l'idée de cause : ce qui produit quelque chose; l'idée d'effet : ce qui est produit, ce qui commence d'être, ce qui arrive. - Puis, la raison saisissant le rapport nécessaire, qui unit ces deux concepts, formule ainsi le principe de causalité : Tout ce qui commence d'être a une cause. - Enfin l'esprit, s'appuyant sur l'analogie, l'applique aux objets extérieurs. Peu à peu, comme on l'a dit, au contact de l'expérience externe, l'esprit modifie sa conception primitive de la causalité pour l'adapter aux différents êtres selon le degré de perfection de leur activité. C'est la part de vérité contenue dans les doctrines empiristes. (G. Sortais).

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