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On appelle ordinairement
espace l'étendue indéfinie, milieu sans bornes qui contient
tous les êtres étendus.
"Quoiqu'on
ait dit que l'espace en lui-même était le vide, n'était rien, on ne
saurait nier, cependant, qu'il n'existe; on conçoit la permanence indestructible
de l'espace." (Virey)
Pour les anciens Grecs, la nature de l'espace
n'était pas un objet de spéculation. Ce qui l'était, en revanche, c'était
les rapports que pouvaient entretenir entre eux les objets qu'il contenait.
Ils ont ainsi fait de la géométrie une science de l'espace, dont Euclide
a proposé la synthèse, et qui donnait une compréhension de celui-ci
au travers des opérations, des manipulations de concepts qu'il permettait.
Cette géométrie euclidienne, a traversé les siècles, sans perdre
jamais sa légitimité à parler de l'espace concret. Avec le temps, la
géométrie euclidienne s'est enrichie outils nouveaux, ceux que lui procurent
la géométrie cartésienne par exemple, et l'espace concret lui-même
a reçu une sorte d'enrobage conceptuel quand Faraday et Maxwell lui ajoutent
la notion de champ. Chemin faisant, les philosophes ont fini par
s'intéresser à cette donnée brute que semblait être l'espace. Ils l'on
fait à partir du moment où un lien opérationnel de l'espace et du temps
- ce vieil objet philosophique - était enfin découvert : c'est à Galilée
et à Newton que l'on doit cette révolution, qui permettait de penser
le mouvement. Le mouvement, cet autre objet de spéculation venu du fin
fond de la philosophie, que personne n'avait jamais su comprendre. Qu'on
passe à Zénon d'Elée qui humilie Achille aux
pied légers en le faisant predre une course contre une tortue, ou à Aristote,
qui se moque de Zénon, mais ne fait guère mieux en mélangeant changement
et mouvement.
Quoi qu'il en soit, la philosophie n'est
mûre pour penser l'espace qu'à partir du XVIIe
siècle. Et ce n'est guère qu'avec Locke
et Leibniz que commencent les discussions sur l'idée de l'espace. Nous
l'acquérons, dit Locke, par la vue et l'attouchement. Là est le point
de départ des explications empiriques de cette idée, qui attribuent toutes
à l'espace une réalité objective.
Tout autre est la
théorie de Leibniz. Si l'on suppose que l'espace soit une substance, on
s'embarrasse dans des difficultés insolubles; il faut écarter une hypothèse
qui ne sert qu'à créer des mystères artificiels. D'autre part, l'espace
ne se confond pas avec les corps il n'est point telle situation des corps.
Qu'est-il donc? Il est un ordre des situations, l'ordre qui fait que les
corps sont situables, et par lequel ils ont une situation entre eux en
existant ensemble; il est l'ordre des coexistences possibles. Cette théorie,
en un sens, ne semble pas toujours très loin de celle que Kant soutiendra.
En opposition Ã
Leibniz, Clarke et Newton
soutiennent que l'espace (comme le temps) est indépendant de son contenu.
qu'il est nécessaire et infini, et que, étant une des conditions de toutes
les autres existences, il est (toujours comme le temps) un des attributs
de l'être absolu.
La philosophie du
XIXe siècle a été divisée, sur la question
de l'espace, entre l'empirisme et l'apriorisme. Alexandre
Bain s'efforce d'expliquer la genèse de cette notion à l'aide des
sensations musculaires, associées entre elles et aux sensations tactiles.
Stuart Mill supprime le caractère spécifique de
cette notion et la réduit au simple sentiment d'une succession; l'idée
d'espace est l'idée d'une série de sensations musculaires, continuée
pendant une durée plus nu moins longue. Herbert Spencer combat cette idée
de Mill et traite l'espace comme une réalité donnée, dont la notion
s'extrait de l'expérience; son explication est l'associationnisme, avec
l'hérédité. A l'association, Wundt substitue la synthèse mentale; la
notion d'espace naît d'd'une synthèse des sensations périphériques
(optiques ou tactiles) et des sensations d'innervation centrale.
A ces explications
empiriques s'opposent la doctrine kantienne et celles qui en dérivent.
L'espace est, pour Kant, une forme a priori de la
sensibilité : si nous voyons les choses dans l'espace, ce n'est pas quelles
y soient en réalité, mais c'est parce que notre organisation mentale
et sensible est telle que nous ne pouvons les percevoir qu'Ã la condition
de les mettre dans l'espace. C'est ce que défend le néo-criticisme de
Renouvier.
L'école aprioriste,
dite encore nativiste, distingue, d'ailleurs, entre l'intuition et l'espace
en général et les notions d'étendues déterminées, comparées, mesurées.
Celles-ci résultent du travail de l'expérience; mais ce travail implique
une intuition
spatiale préalable.
Le XIXe
a aussi vu l'effondrement de l'empire euclidien. Des géométries nouvelles,
en tout cas, lui ont disputé la suprématie : celles de Bolyai, de Lobatchevski,
de Riemann, qui chacune à sa manière affirmait que l'espace ne peut pas
être mis en règle par notre pensée, aussi simplement qu'on l'avait cru.
On peut imaginer des espaces courbes, des espaces où il n'existe aucune
ligne parallèle... Les axiomes, qui jusque-là , semblaient être
les fondements nécessaires de ce que l'on pouvait penser de espace redevenait
incertains. Bientôt, ils allaient même être pulvérisés.
Galilée
a pu comprendre le mouvement en mettant au jour une relativité
de l'espace et du temps, mais espace et temps, certes indissociables désormais,
conservent dans la relativité galiléenne, leur identité propre:
ils sont comme les vis-Ã -vis l'un de l'autre. En 1905, Einstein, qui s'interroge
sur la notion de simultanéité d'événements séparés dans l'espace
en vient lui à formuler un tout nouveau genre de relativité de l'espace
et du temps, qui ne laisse intacts ni l'un ni l'autre. On ne peut les penser
indépendamment d'une entité unique et nouvelle, l'espace-temps. L'espace-temps
que conduit à identifier cette relativité produite en 1905 et qu'on appelle
la relativité restreinte, reste encore une sorte d'abstraction
en ce qu'il est vide, ou en tout cas indifférent à ce qu'il contient.
Or l'espace-temps concret est rempli d'objets matériels. Einstein
élargit donc encore le domaine de sa relativité en y introduisant la
notion de masse, qui est une traduction de la présence de matière. Cela
le conduit, vers 1917 à formuler ce qu'on appellera la relativité
générale. Et cette-fois - surprise - l'espace-temps se voit doté
des propriétés géométriques qui étaient celles envisagées par Lobatchevski
ou Riemann. Lorsqu'on introduit une masse dans l'espace-temps, celle-ci
le courbe, et c'est cette courbure qui explique les phénomènes de gravitation.
En retour les forces de gravitation qui existent entre les masses réparties
dans l'espace-temps modifient leurs positions, modifient par là la courbure
de l'espace-temps. Celui-ci devient une entité dynamique. L'expansion
de l'univers, qui ne pouvait être pensée dans la physique classique,
trouve son explication dans la physique relativiste.
En
bibliothèque : Locke, Essais sur
l'entendement humain (liv. II) ; Leibniz, Nouveaux essais (liv.
II) ; Kant, Critique de la raison pure (esthétique transcendantale);
Renouvier, Essais de critique générale (log. t. I); Dunan, Théorie
psychologique de l'espace (1894); Bergson, Essai sur les données
immédiates de la conscience (1890); Hermann Weyl, Temps, espace,
matière (1922).
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