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Les Jésuites
ou Clercs réguliers de la Compagnie ou Société de Jésus sont
un ordre religieux dont les fondements furent posés à Paris,
le jour de l'Assomption de l'année 1537,
dans l'église de l'abbaye
de Montmartre. Ignace de Loyola, avec
les compagnons qu'il s'était associés, Lefèvre, François
Xavier, Laynez, Salmeron, Bobadilla et Rodriguez, y firent voeu d'entreprendre
le voyage de Jérusalem pour la conversion
des infidèles, et, si cette résolution ne pouvait être exécutée, d'offrir
au Saint-siège d'aller prêcher les
Evangiles
partout où il voudrait les envoyer. Saint Ignace arriva en 1535 à Venise,
où il devait s'embarquer pour la terre sainte avec ses compagnons, qui
le rejoignirent en 1537. Mais, la navigation, interceptée par la guerre,
rendant le pèlerinage à Jérusalem impossible, Ignace, Lefèbvre et Laynez
partirent pour Rome, où le pape Paul Ill accueillit
favorablement l'offre qu'ils lui firent de se mettre à sa disposition
pour le service de l'Église, eux et leurs compagnons,
dont le nombre s'était déjà accru. L'ordre, inscrit dans le programme
de la contre-réforme d'abord comme une arme de guerre contre les Protestants,
fut institué sous le titre de Clercs de la Compagnie de Jésus et s'établit
d'abord à Rome. Le pape donna aux jésuites, dans cette ville, une église
qui prit d'eux le nom d'il Giesu.
Aussitôt approuvée en 1540 par Paul III,
la Compagnie de Jésus élut pour premier général son fondateur, en 1541,
et commença son apostolat, qui s'étendit bientôt en Italie ,
en Espagne ,
au Portugal
puis dans le reste du monde. Bien qu'appelés par Henri
II, les jésuites rencontrèrent en France ,
dans les membres du Parlement de Paris, ennemi
des tendances ultramontaines, des adversaires déterminés. Toutefois,
en 1561, ils purent ouvrir à Paris le collège de Clermont, devenu plus
tard le collège Louis-le-Grand. La part qu'ils prirent à la Ligue
et la condamnation (1596) du régicide Jean Châtel,
qui avait été leur élève, fournirent de nouvelles armes à leurs ennemis.
Henri
IV les chassa de France; ils étaient en même temps expulsés de l'Angleterre
(1581 et 1601), du Portugal (1598), des Pays-Bas ,
de la Russie
et des Etats de Venise. Mais, rappelés bientôt
par le même Henri IV (1603), ils fondent en France un grand nombre de
collèges et acquièrent une influence considérable. Quand le jansénisme
apparaît, on les trouve au premier rang de ses adversaires.
A la même époque, les jésuites pénètrent
en Chine ,
s'y établissent à la cour impériale et obtiennent le libre exercice
du culte chrétien. En Amérique ,
ils évangélisent le Canada
et établissent, dans les Réductions du Paraguay, une sorte de république
évangélique basée sur une forme de Communisme. Cette éclatante prospérité
dura pour eux près de deux siècles. Tout au long de leur histoire, les
jésuites comptèrent aussi dans leurs rangs des hommes éminents dans
les genres les plus divers (les PP. Bourdaloue,
Bouhours,
André, Sirmond, Petau,
Labbe,
Bolland, Kircher,
La Rue, Brumoy, Porée, Jouvency, Parennin, Duhalde,
Suarez,
Boscovitch, Ravignan, Secchi,
etc.); mais ils se firent aussi beaucoup d'ennemis. Plusieurs de leurs
casuistes les compromirent en enseignant une morale jugée trop souple
et hypocrite par leurs adversaires (Ã commencer par Pascal);
on leur reprocha d'avoir poussé trop loin l'esprit de corps, de s'être
trop mêlés des affaires de ce monde, d'avoir recherché avec trop d'ardeur
les richesses (ils faisaient le commerce) et surtout l'influence politique.
-
Jésuite
missionaire en habit de mandarin.
On a fait souvent usage aussi contre les
jésuites d'un ouvrage intitulé : Monita secreta (Instructions
secrètes), lequel aurait cours parmi eux et inspirerait leur conduite.
ils ont toujours protesté contre l'authenticité et les théories de ce
livre d'ailleurs anonyme. Profitant du scandale provoqué par la banqueroute
du P. Lavalette, qui avait établi à la Martinique
une véritable maison de commerce, le parti des philosophes parvint peu
à peu à obtenir leur expulsion de presque tous les princes catholiques,
qui se trouvaient en mesure de reprocher aux jésuites d'avoir été impliqués
dans plusieurs complots et scandales (bien que les preuves aient manqué).
L'entreprise de liquidation fut principalement l'oeuvre des cours de Portugal
(Pombal), de France
(Choiseul), d'Espagne
(Charles III), de Naples
et de Parme .
Les jésuites furent bannis pour des causes diverses de la plupart des
Etats
qui les avaient reçus : de France
en 1762, du Portugal
en 1759, de Russie
en 1717, de Chine
en 1753, d'Espagne
et de Sicile en 1767.
Enfin, le pape Clément
XIV, cédant aux instances dont il était l'objet, prononça la suppression
de l'ordre (1773). Avant d'en venir à cette extrémité, on avait tenté
de les déterminer à modifier leurs statuts; le général de l'ordre,
le P. Ricci, se borna, dit-on, à répondre : Sint ut sunt, aut non
sint. On vit alors deux princes étrangers à l'Eglise
catholique, Frédéric II, roi de Prusse ,
et Catherine II, impératrice de Russie ,
accueillir les fugitifs. Sur la demande de l'impératrice Catherine II,
l'ordre ne fut pas supprimé en Russie, où le Saint-Siège
en favorisa la propagation. Bientôt, grâce à la protection discrète
des papes Pie VI et Pie VII,
l'ordre se reforma peu à peu; ses membres prirent, en Italie
et en Allemagne
les noms de Paccanaristes, de Pères de la Foi, de Frères de la croix,
de Cordicoles, etc. Pie VII le rétablit officiellement en Russie
en 1801, à Naples en 1804. Enfin après la première chute de Napoléon,
Pie VII, de retour à Rome, rétablit la Compagnie de Jésus dans tous
ses droits et tous ses privilèges (1814). Depuis cette époque les jésuites
retrouvèrent, soit dans les missions, soit dans les contrées catholiques
ou protestantes de l'Europe
de l'Amérique ,
une partie de leur ancienne influence : leur sort, toutefois, demeura soumis
aux vicissitudes de la politique, et ils eurent souvent à subir le contre-coup
des révolutions qui agitèrent le XIXe
siècle. Les jésuites ont ainsi encore été expulsés de Russie
et d'Espagne ,
1817-1820, et de Suisse ,
1847. Ils étaient rentrés en France
après 1815. Il y eurent des collèges florissants, notamment à Montrouge
et à Saint-Acheul; ces établissements furent fermés en 1828, comme contraires
à la loi existante, mais plusieurs ont été rouverts après 1848.
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Costumes
des jésuites du XVIIe
au XIXe siècle.
Les principes
de la Compagnie.
C'est le livre des Exercices spirituels,
composé par Ignace de Loyola lorsqu'il
était encore aussi étranger aux sciences humaines qu'aux études sacrées,
et approuvé par Paul III en 1548, qui est la base sur laquelle a été
créé l'ordre des jésuites; il est l'âme de ce corps, qui a sa règle
dans les Constitutions tracées par la même main. Deux mots, but
et moyen, résument ces Constitutions, qu'un profond politique,
le cardinal de Richelieu, jugeait le chef-d'oeuvre du génie. Le moyen,
c'est l'obéissance; le but, c'est le salut des âmes et la gloire de Dieu,
ad
majorem Dei gloriam, suivant la devise de l'ordre. L'esprit inspiré
à la Compagnie par son fondateur est tel, qu'elle ne s'est jamais écartée
de son institution primitive. Par un quatrième voeu, ajouté aux trois
voeux de religion, les profès s'engagent à une obéissance spéciale
envers le souverain pontife, en tout ce qui concerne les missions où il
voudrait les envoyer. Ils s'obligent aussi à n'accepter aucune dignité
ecclésiastique, à moins que le pape ne le leur
ordonne sous peine de péché mortel. La Compagnie est gouvernée par son
général, élu par les provinciaux et par les députés des provinces,
et aidé d'assistants tirés de différentes nations.
Cette organisation présente une évolution
du régime monastique, produisant des combinaisons qui n'ont plus pour
objet principal le salut personnel des religieux, et qui ne gardent du
régime monastique que ce qui est nécessaire pour former les cadres, assurer
la subsistance et la discipline d'une association ou d'une milice destinée
à servir l'Eglise ,
ordinairement sous les auspices du pape, par des moyens spéciaux, tels
que les exercices divers de la charité, les armes, la célébration du
culte, la prédication, la confession, la direction des âmes, l'enseignement
et la mission. Le service de la milice dont Ignace
avait conçu la forme de vie devait comprendre tous ces objets et d'autres
encore; car cette milice était destinée à soumettre le monde à la domination
de l'Eglise, dans tous les temps, dans tous les lieux et par tous les moyens.
Parmi ces moyens, les armes ne sont point indiquées, mais c'est l'esprit
militaire qui a présidé à la conception et à l'organisation de toute
l'oeuvre. Toutes choses y sont désignées sous les traits et les dénominations
militaires de chefs, de troupes, d'étendards, etc. Il s'agit d'un combat
incessant, soit pour la défense, soit pour la conquête, soit pour la
conservation. C'est pourquoi tout doit être rapporté aux nécessités
de la guerre, à la préparation et à la consolidation de la victoire.
Tout ce qui sert à former, à maintenir et à développer la force de
la milice chargée d'opérer ces choses, est aussi légitime, aussi louable,
aussi saint que la cause pour laquelle elle combat. De sorte que, aux motifs
qui dans toutes les autres congrégations incitent les religieux à se
dévouer à la prospérité de leur ordre, s'ajoute pour les jésuites
la considération qui identifie la prospérité et la puissance de leur
compagnie avec la prospérité et la puissance de l'Eglise, et les montre
également utiles à la gloire de Dieu. De plus,
leur premier général, qui est resté constamment leur modèle vénéré,
s'estimait autorisé par l'exemple des capitaines les plus chevaleresques,
à traiter l'ennemi en ennemi, et à employer contre lui les stratagèmes,
les ruses et les feintes propres à le tromper et à le vaincre.
La Compagnie de Jésus reprit et augmenta
les objets spéciaux de I'oeuvre extérieure de presque toutes les autres
sociétés religieuses, et elle imprima à son oeuvre, non seulement un
caractère militaire, mais aussi un caractère essentiellement politique,
trait nouveau qui lui est complètement propre, et qu'elle tient de la
mission qu'elle s'est donnée, de servir par tous les moyens la cause Ã
laquelle elle s'est vouée. Dans ces conditions, elle devait rejeter beaucoup
de choses appartenant au régime monastique. Le concile
de Trente l'appelle Ordre des Clercs de la Société de Jésus. Ses
établissements n'ont jamais reçu le nom de monastères.
Il semble même que Ignace ait tenu à la
dégager de toute apparence monacale. Il ne lui donna pas un habit particulier;
il prit le vêtement de prêtres séculiers, la soutane noire, l'ancien
manteau, le chapeau à larges bords, qu'en espagnol on appelle sombrero,
et dont le pape et le Sacré-Collège ont gardé
la forme. Il agit de même pour le logement, la nourriture et, généralemant,
pour toute l'ordonnance de la vie commune. Les mortifications de la chair,
les austérités macérantes, dont certains ordres ont fait l'objet principal
de leur institut, le silence, la solitude, les offices de choeur, soit
de jour, soit de nuit, n'entrèrent pas dans son plan. Il voulait former
et dresser pour l'Eglise
une milice toujours active, toujours prête à marcher, à agir et à combattre,
et non façonner un corps ascétique, affaibli
par les abstinences et les insomnies. Après la mort d'Ignace et l'élection
de Laynès, Paul IV voulut imposer divers changements à la constitution
des jésuites, parmi lesquels l'introduction des offices de choeur établis
dans les autres ordres. Ils cédèrent momentanément; mais après la mort
du pape, ils reprirent tous leurs usages.
Une bulle de Grégoire
XIII (3 mai 1575) attribua à la Compagnie de Jésus participation
à tous les privilèges présents et futurs des autres ordres, notamment
des ordres mendiants. D'ailleurs, elle
en possède, pour sa part, beaucoup plus que tous les autres ordres ensemble.
L'un des plus exceptionnels et dont les jésuites ont usé avec le plus
de prédilection, c'est le droit à eux conféré par Grégoire XIII, de
se livrer partout au commerce et aux affaires de banque. Le recueil de
leurs privilèges connus forme à lui seul un petit volume; il faut y ajouter
les privilèges inconnus, dont l'usage est confié à la discrétion du
général. Ils sont tous placés sous la sauvegarde des papes,
qui à l'avance ont déclaré nul et non avenu tout ce qu'on entreprendrait
pour les contester ou les abolir.
Une bulle de Pie V
(1571) accorda au général le droit de les rétablir dans leur étendue
primitive, contre toute diminution ou altération, même résultant d'actes
de révocation papale. Ces privilèges devaient être tenus pour irrévocables,
et ils ne pouvaient être restreints . L'indépendance de la Compagnie
était ainsi placée au-dessus de toute atteinte, non seulement de la part
des puissances temporelles, mais de la part de la cour de Rome. A un autre,
point de vue, cela ressort encore des bulles des années 1549, 1582, 1684,
autorisant les jésuites à accommoder leurs anciens statuts aux circonstances
de temps et de lieu, sans même consulter le Saint-Siège.
Une réforme de l'ordre par les papes était donc impossible.
Les objets principaux des privilèges
attribués aux jésuites étaient :
1° d'assurer à leur général
l'exercice d'une autorité absolue sur tous les membres de son ordre;
2° de soustraire partout à la juridiction
de l'Ordinaire, tous ceux qui appartenaient à cet ordre, même les domestiques;
3° de leur permettre de s'établir et
d'opérer partout, avec la liberté et l'autorité nécessaires à l'entier
accomplissement de leur oeuvre.
Une bulle de Paul III (1545) leur permettait
de prêcher partout, de confesser, d'administrer les sacrements,
de présider au culte, sans être tenus d'en demander l'autorisation Ã
l'évêque du diocèse ou au curé de la paroisse. Ce privilège fut confirmé
par le concile de Trente, puis restreint ostensiblement sur les plaintes
des évêques. Mais Pie V déclara, dans un oraculum vivae vocis,
que les jésuites ne devaient pas se laisser lier par les décrets de ce
concile, dans l'exercice de leurs privilèges. En somme, les papes n'avaient
rien négligé pour faire de la Compagnie de Jésus un Etat indépendant
dans l'Eglise .
Lors de la Restauration de cet ordre (7
août 1814), ses privilèges antérieurs ne lui furent pas rendus dans
leur intégralité. Ils nous semblent l'avoir été depuis lors, par le
bref Dolemus inter alia de Pie
IX (13 juillet 1886).
La valeur des privilèges attribués Ã
la Compagnie de Jésus étant fondée sur le droit des papes à les accorder,
c.-à -d. sur la domination absolue qu'ils doivent exercer à l'égard de
l'Eglise ,
des princes et de tous les catholiques,
défendre toutes les prétentions de la papauté, c'est pour les jésuites
défendre leur propre institut. C'est précisément par le voeu qui l'inféode
à la papauté, qu'est caractérisé le jésuite complet, le véritable
jésuite : le profès des quatre voeux. Les intérêts des deux parties
se trouvent ainsi liés indivisiblement. D'un côté, la papauté, qui
s'appuie sur les jésuites, augmente sa propre force en augmentant leur
puissance; d'un autre côté, l'existence des jésuites dépend de l'absolue
suprématie, spirituelle et temporelle, de la papauté. C'est pourquoi,
dès le commencement, ils se sont efforcés d'élever au rang de dogme
la doctrine de l'omnipotence, de l'infaillibilité, de l'épiscopat universel
du pape. Cet enchaînement des intérêts, cette
alliance forcée entre la papauté et la Compagnie de Jésus ont déterminé
presque fatalement l'histoire ultérieure des deux institutions; et en
quelque sorte, fixé le sort de l'Eglise catholique.
L'organisation
des jésuites.
L'organisation créée par Ignace
de Loyola comprend six états : 1° Les Novices, subdivisés en trois
classes : novices destinés au sacerdoce, novices pour les emplois temporels,
novices indifférents, c.-à -d. ne sollicitant point une destination spéciale,
mais acceptant d'avance celle que les supérieurs leur assigneront; 2°
Frères temporels formés; 3° les scolastiques ou écoliers approuvés;
4° les coadjuteurs spirituels formés; 5° les profès des trois voeux;
6° les profès des quatre voeux.
Devenir
jésuite.
La Compagnie de Jésus n'ouvre ses rangs
qu'Ã des hommes, non seulement exempts de toute tare physique ou intellectuelle,
mais présentant l'aspect et la constitution de beaux et solides soldats;
elle veut de plus qu'ils appartiennent à l'élite des intelligences. Pour
être admis au noviciat, il faut être âgé d'au moins quatorze ans. Cette
admission est précédée pendant un mois d'une épreuve comprenant principalement
les exercices spirituels d'Ignace et une confession de la vie tout entière.
Le noviciat dure deux années, pendant lesquelles on ne s'occupe que de
« poser les fondements de l'abnégation et des progrès nécessaires des
vertus ». L'étude proprement dite est mise de côté. Seulement, pour
cultiver la mémoire du novice, on lui fait apprendre chaque jour quelque
chose par coeur. Il doit remplir les longues journées, qui commencent
pour lui à quatre heures et durent dix-sept heures, par des lectures édifiantes,
par des récitations de litanies, de rosaire,
de prières, par des pratiques de pénitence et de dévotion destinées
à gagner le plus grand nombre possible d'indulgences. Il doit aussi servir
pendant un mois dans un hôpital et voyager pendant un autre mois en pèlerin
et en demandant l'aumône.
Après ces deux années, les novices prononcent
les voeux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté, à moins que les
supérieurs ne décident autrement. Comme les voeux doivent les lier pour
la vie, on leur donne auparavant connaissance des statuts de l'ordre ou
au moins on leur remet un résumé de leurs futurs devoirs. Ceux
qui se destinent au service laïque prononcent les trois voeux, d'abord
sans solennité. Ils sont nommés frères temporels formés, et sont chargés
du service de la Compagnie, en qualité de sacristains, de potiers, de
cuisiniers, de manoeuvres, et aussi d'administrateurs des biens. Après
dix années d'épreuve et lorsqu'ils sont parvenus à l'âge de trente
ans, on les admet aux voeux publics.
Pour ceux qui sont destinés au sacerdoce,
les deux années qui suivent le noviciat sont consacrées à l'étude de
la littérature et de la rhétorique. Puis trois années, quelquefois plus,
à la philosophie ,
aux sciences mathématiques et physiques.
Ensuite, vient ordinairement ce qu'on appelle la régence, c.-à -d. la
tenue des classes dans un collège, disposée de manière à ce que le
jeune professeur commence par une classe de grammaire
et parcoure successivement tous les degrés de l'enseignement ; ce qui
demande cinq ou six ans. Ceux qui, après avoir terminé leur noviciat
et fait les voeux simples, continuent la carrière des épreuves, soit
dans les études privées, soit dans l'enseignement, soit dans d'autres
emplois, sont appelés scolastiques ou écoliers approuvés vers l'âge
de vingt-huit ou trente ans, ils sont envoyés en théologie, pour quatre
ans (et même six ans, s'ils ont des dispositions remarquables), pendant
lesquels ils étudient la théologie proprement dite, le droit canon, l'histoire
ecclésiastique et les langues orientales. Le sacerdoce ne leur est conféré
qu'à la fin de ces études théologiques, par conséquent rarement avant
l'âge de trente-deux ou trente-trois ans.
Les scolastiques étant en épreuve, la
Compagnie ne s'oblige envers eux que sous condition; mais eux sont obligés
envers elle. Ils ont promis de vivre et de mourir en observant les voeux
de chasteté, de pauvreté et d'obéissance; ils sont religieux par ce
triple voeu. Ils se sont même engagés. à accepter le degré que, par
la suite, les supérieurs jugeraient être le plus en rapport avec leur
caractère ou leurs talents. La propriété de leurs biens leur est laissée;
mais ils ne peuvent en jouir et en disposer qu'avec l'agrément des supérieurs.
Le temps d'épreuve est de dix à dix-sept
années.
Après chaque année de son long cours
d'études, le religieux subit un examen il ne passe au cours de l'année
suivante, que sur l'avis des examinateurs. Toutes les études finies, ceux
qui ont réussi dans les épreuves annuelles subissent un examen général
sur les sciences philosophiques, théologiques et physiques. Avoir obtenu
trois suffrages sur quatre est une des conditions nécessaires pour être
admis à la profession
Pour se préparer à la profession, le
religieux rentre au noviciat, où il a déjà passé deux années en entrant
dans la Compagnie, et il y fait sa troisième année de probation. Pendant
cette année, il est soumis de nouveau aux exercices spirituels d'Ignace,
et il s'abstient de l'étude et de toute relation avec le dehors. Cette
dernière épreuve a pour objet de l'exercer dans l'école du coeur. Livré
à la retraite et au silence, rendu à Dieu et
à lui-même, il est soigneusement appliqué « à tout ce qui affermit
et fait avancer dans l'humilité, dans l'abnégation de la volonté et
même, du jugement, dans le dépouillement des penchants de la nature,
dans une connaissance plus profonde et dans un amour, plus grand de Dieu
» . L'année révolue, le général informé par les supérieurs du religieux
de ses progrès dans la vertu et dans la science; et il décide si on doit
l'admettre à prononcer les derniers voeux de coadjuteur spirituel ou les
voeux solennels de profès.
Toutes ces dispositions et distinctions
sont contraires aux règles générales, établies en matière d'organisation
monastique. Elles constituent un des privilèges les plus exceptionnels
accordés à la Compagnie de Jésus. Le concile de Trente (Session, XXV,
ch. XVI) a statué que dès que le temps du noviciat est fini, les supérieurs
doivent admettre les novices à la profession, s'ils trouvent en eux les
qualités requises; si non, les renvoyer. Mais il a formellement excepté
de cette ordonnance les jésuites; « afin de ne point les empêcher de
rendre service à Notre-Seigneur et à son Eglise, conformément à leur
pieux institut approuvé par le siège apostolique » .
Les coadjuteurs spirituels formés sont
employés au gouvernement des collèges et des résidences, à la prédication,
à l'enseignement, à l'administration et aux missions. On ne peut être
promu à ce grade avant trente ans d'âge et dix ans de religion. Il faut
au moins l'avoir obtenu pour acquérir le titre de membre de la Compagnie.
Les profès des trois voeux manquent de
certaines qualités requises pour la profession des quatre voeux; ils sont
admis à la profession solennelle, à cause de quelque autre qualité ou
d'un mérite dont la Compagnie peut tirer parti dans certaines circonstances.
Ils sont toujours en nombre fort restreint. Les devoirs sont pour eux les
mêmes que pour les coadjuteurs spirituels. Pour être reçu dans cette
classe, il faut avoir été membre de l'ordre au moins pendant sept ans,
et avoir fait de bonnes études en humanités et en théologie. On n'exige
pas toujours qu'ils se vouent à la prêtrise. Le caractère et les fonctions
des profès des trois voeux paraissant vagues, on a supposé de divers
côtés que cette classe comprend des affiliés que la Compagnie possède
au dehors, parmi les laïques et parmi les ecclésiastiques. Les jésuites
ont toujours nié avoir de pareils affiliés. Les profès des quatre voeux
forment le noyau de la Compagnie. Ils sont les vrais les parfaits jésuites.
Très peu nombreux : environ 2%.
A la mort d'Ignace
de Loyola, ils n'étaient encore que trente-cinq. Eux seuls ont le
droit d'entrer dans les congrégations où sont élus le général et les
assistants. Ils sont aussi les seuls qui puissent être nommés général,
assistant, secrétaire général, provincial. Pour être admis dans cette
classe, il faut être âgé d'au moins quarante-cinq ans, se distinguer
par sa vertu et sa science, et avoir passé par des épreuves spéciales
d'une durée de deux ans au moins.
Le quatrième voeu qu'ils prononcent les
oblige à l'obéissance la plus complète aux ordres du pape
concernant la mission chez les infidèles et les hérétiques. Les maisons
où ils demeurent sont soumises à la règle de la plus sévère pauvreté.
La manière de vivre, les soins du corps, la nourriture, le logement, le
vêtement, sont réglés suivant la plus parfaite égalité, à l'égard
du général comme à l'égard du dernier novice. Aucun jésuite ne doit
aspirer aux honneurs en dehors de la Compagnie, ni aux dignités ecclésiastiques;
non seulement il ne peut les solliciter ni directement ni indirectement,
mais il ne peut les accepter que lorsque le général l'y oblige sous peine
du péché mortel. Aucun ne peut publier un ouvrage qu'après l'avoir
soumis à trois examinateurs au moins, commis par le général. En effet,
les statuts de la Compagnie, qui imposent l'uniformité à la vie extérieure
de chacun de ses membres, tendent également à imprimer l'unité à leurs
pensées.
Les
assemblées.
Les Assemblées régulières sont :
1° les congrégations des procureurs,
tenues tous les trois ans;
2° les congrégations provinciales pareillement
convoquées tous les trois ans, et dans les cas extraordinaires. Les profès
des quatre voeux, les recteurs et les procureurs de la province en font
partie. Toutes les fois que les congrégations provinciales sont réunies
en assemblées ordinaires. Elles doivent, avant toute autre délibération,
examiner si l'état de la Compagnie ne rend point nécessaire la convocation
d'une congrégation générale;
3° les congrégulions générales, convoquées
par le général ou par son vicaire. Elles se composent du Père provincial
et de deux profès des quatre voeux élus par chaque congrégation provinciale.
Elles se réunissent à Rome, à des époques qui ne sont point fixées
d'avance. Leur acte le plus important est le choix du général. L'élection
se fait après sept jours de préparation. Les électeurs sont enfermés
avec du pain et de l'eau; ils ne sont rendus Ã
la liberté qu'après l'accomplissement de leur tâche. Le vote a lieu
à la majorité absolue. L'élu est obligé d'accepter, sous peine d'excommunication.
La même assemblée élit, en outre, pour être adjoints au général,
un admoniteur et quatre ou six assistants. L'admoniteur, témoin perpétuel,
confident et confesseur, est chargé de remontrer au général ce que lui
et les autres Pères ont remarqué d'irrégulier en sa personne ou en son
gouvernement. Les Assistants sont pris dans chacune des nations de Portugal ,
d'Espagne ,
d'Italie ,
de France ,
d'Allemagne
et de Pologne .
Ils sont, en même temps que les ministres du général, ses surveillants.
Commis à la réalisation des précautions prises contre lui, ils peuvent
devenir ses juges. S'il tombe dans les cas prévus pour sa destitution,
ils doivent convoquer, malgré lui, la congrégation générale, pour le
déposer dans les formes, et même pour l'exclure de la Compagnie. Si le
mal est trop urgent, ils ont le droit de le déposer eux-mêmes après
avoir recueilli par lettres les suffrages des provinces Les cas de destitution
sont au nombre de six : avoir commis des péchés mortels, notamment le
péché d'impureté; avoir blessé quelqu'un; avoir employé à son propre
profit le revenus des collèges ou en avoir fait don au détriment de la
Compagnie; avoir aliéné les immeubles des maisons et des collèges; avoir
adhéré à une hérésie.
Les
cadres.
Sous ces garanties, le Général est investi
d'un pouvoir absolu. Il est élu à vie, malgré les exigences de Paul
IV, qui prétendait réduire à cinq années l'effet de cette élection.
Il réside à Rome, centre de la catholicité et de son ordre. Il a seul
autorité pour faire des règles; il en dispense seul. Il peut créer de
nouvelles provinces. Il communique, dans la mesure qui lui convient, ses
pouvoirs aux provinciaux et autres supérieurs. Il nomme à ces fonctions
et à toutes les charges des maisons-professes, des collèges et des noviciats.
Il a le droit de soustraire à leurs supérieurs immédiats un ou plusieurs
membres de la Compagnie. Il a seul pouvoir, par lui ou par ses délégués,
d'admettre dans les maisons et dans les collèges ceux qui paraissent aptes
à son institut. Il peut aussi les renvoyer sans la moindre compensation;
mais pour condamner un profès à cette peine, il a besoin de l'assentiment
du pape. Il peut suspendre ses assistants, mais non les destituer. Il applique
les postulants et les profès au genre d'études qui lui paraît leur convenir.
Les
généraux des jésuites avant 1900
Depuis
l'élection d'Ignace de Loyola (avril 1541) jusqu'à avril 1901, la Compagnie
de Jésus a été gouvernée par vingt-quatre généraux, qui ont tous
été des hommes de haute valeur; quelques-uns même de très haute valeur
:
Loyola
(saint Ignace de), Espagnol, 1541;
Laynès
(Jacques), Espagnol, 1558;
Borgia
(saint François de), Espagnol, 1565;
Mercurian
(Everard), Belge, 1573;
Aquaviva
(Claude), Napolitain, 1581;
Vittelleschi
(Mutio), Romain, 1615;
Caraffa
(Vincent), Napolitain, 1646;
PiccolomiNI
(François), Florentin, 1649;
Gottifredi
(Alexandre), Romain, 1652 ;
Nickel
(Goswin), Allemand, 1652;
Oliva
(Jean-Paul), Génois, 1664;
Noyelle
(Charles de), Belge, 1682;
Gonzalès
de Santalla (Thyrse), Espagnol, 1687 ;
Tamburini
(Michel-Ange), de Modène, 1706;
Retz
(François), de Bohème, 1730;
Visconti
(Ignace), Milanais, 1751;
Centurione
(Louis), Génois, 1755 ;
Ricci
(Laurent), Florentin, 1758;
Suppression
et abolition de la Société de Jésus par le bref Dominus ac Redemptor
Noster (21 juillet.-16 août 1773). Reconstitution de la Société
en Russie (1783 et bref Catholicae fidei : 7 mars 1801)
Brzozowski
(Thaddée), Polonais, 1805.
Restauration
générale par la bulle Sollicitudo omnium ecclesiarum (7 mars 1814).
Fortis
(Louis), de Vérone, 1820;
Roothaan
(Jean), Hollandais, 1829;
Beckx
(Pierre-Jean), Belge, 1853;
Anferledy
(Antoine), Suisse, 1884;
Martin
(Louis), Espagnol, 1892.
Onze de
ces généraux appartiennent, par leur naissance, à diverses parties de
l'Italie; cinq à l'Espagne; aucun, à la France. |
Le provincial a ses consulteurs et son
admoniteur, nommés par le général; il doit prendre leur avis. Tous les
mois, il adresse au général un rapport sur tous ses subordonnés. L'admoniteur
appelé aussi Socius, adresse au général des rapports sur le provincial
et ses consulteurs.
Chaque maison a son supérieur propre,
soumis au général et au provincial. Ce supérieur a aussi son admoniteur
et son conseil; il doit écrire au général tous les trois mois.
Les provinciaux et les supérieurs des
maisons sont nommés pour trois ans. Leurs pouvoirs peuvent être renouvelés.
A côté des maîtres des novices, des
recteurs des collèges, des supérieurs des maisons professes et des provinciaux,
se trouvent les procureurs, chargés des affaires temporelles de la Compagnie,
et de la direction des Frères temporels formés. Ils sont soumis, eux
aussi, à une hiérarchie. Il y a des procureurs préposés à chaque maison;
il y en a d'autres, préposés à la province. Ils sont élus par les profès
des deux degrés et par le recteur de la province. Ils sont pris parmi
les recteurs éprouvés. Ils se forment, comme on l'a vu précédemment,
en congrégations spéciales.
A ces notes sur l'organisation et la discipline
de la Compagnie de Jésus, nous croyons devoir ajouter les lignes suivantes,
extraite de l'Examen, qui fait partie des Constitutions:
«
On demandera au postulant si, pour son plus grand avancement spirituel
et surtout pour sa plus grande soumission et son humiliation propre, il
sera content que toutes ses fautes, ses défauts et tout ce qui aura été
remarqué en lui soient manifestés aux supérieurs, par quiconque en aura
eu connaissance hors de la confession ».
«
De plus, s'il prendra en bonne part d'être corrigé par les autres et
d'aider à leur correction; et s'il est disposé, ainsi que les autres
doivent l'être, à se faire connaître mutuellement, avec la charité
requise, pour leur plus grand bien spirituel, surtout si le supérieur
qui les dirige le leur ordonne, on les interroge sur ce point, Ã la plus
grande gloire de Dieu. »
La base de cette organisation, c'est une surveillance
réciproque et la discipline la plus sévère. Chaque jésuite est soumis
à une inquisition et à une délation perpétuelles. Tous sont tenus de
se corriger et de se laisser redresser, de se laisser dénoncer et de se
dénoncer mutuellement. Tous sont tenus de se féliciter de ce que leurs
défauts et leurs égarements sont signalés à leurs supérieurs, par
des personnes qui en ont connaissance au dehors de la confession. Même
pour la confession, le supérieur désigne le confesseur de ses subordonnés.
Lorsque ceux-ci se sont confessés à un autre, ils sont obligés de renouveler
leurs aveux au confesseur désigné. (E.-H. Vollet / NLI
/ B. / DV.). |
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