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L'Académie française

Au commencement de 1634, le cardinal de Richelieu, ayant appris que quelques gens de lettres se réunissaient chez Conrart pour causer de littérature et se communiquer leurs ouvrages, leur proposa de former un corps qui s'assemblerait régulièrement et sous une autorité publique. Comme on n'exigeait pas le sacrifice de leur indépendance, puisqu'ils ne seraient pas salariés, ni de leur dignité, puisqu'ils devaient rester libres d'augmenter leur Compagnie et de se donner des règlements; comme il eût été dangereux de mécontenter le tout puissant ministre, ils acceptèrent, et des lettres patentes du 2 janvier 1635 les constituèrent en Académie française. Parmi les articles des statuts, dont quelques-uns ont été modifiés depuis ou sont tombés en désuétude, on remarque les suivants : L'Académie doit avoir un sceau où se trouve gravée l'image de son fondateur, et un contre-sceau où est représentée une couronne de laurier avec ces mots : à l'immortalité. Ses membres sont au nombre de 40, tous égaux, c.-à-d. qu'on ne peut être admis qu'à titre d'homme de lettres, et qu'on n'a droit à aucun honneur distinctif, quelque élevé qu'on soit dans la hiérarchie sociale. 

Elle a un Directeur qui préside les assemblées et recueille les avis, un Chancelier qui tient les sceaux et scelle les actes expédiés par ordre de l'Académie, un Secrétaire perpétuel et à vie qui enregistre les décisions et signe tous les actes. Les deux premiers sont désignés par le sort, et changés de trois mois en trois mois; le 3e est élu par la Compagnie. Si le sort tombe sur le secrétaire pour la charge de chancelier ou de directeur, il peut la remplir; elle n'est pas incompatible avec la sienne. - Le recrutement de l'Académie se fait par l'élection; nul ne peut être élu, s'il n'a sollicité cet honneur, et s'il n'a été agréé par le protecteur. L'élection a lieu au scrutin secret. Après une délibération du 2 janvier 1721, il fut décidé, que tout académicien nouvellement reçu signerait sur le registre qu'il promet sur son honneur de n'avoir aucun égard pour les sollicitations, de n'engager jamais sa parole et de conserver son suffrage libre, pour ne le donner, le jour d'une élection, qu'à celui qui lui en paraîtra le plus digne. - L'Académie ne juge que les ouvrages de ses membres, et si elle doit; par quelque considération importante, en examiner d'autres, elle exprimera seulement son avis, sans faire aucune censure et sans donner son approbation. - Les matières de religion lui sont interdites; elle doit traiter les sujets de politique et de morale conformément à l'autorité du prince, à l'état du gouvernement et aux lois du royaume. - Elle a pour objet de régler et de perfectionner la langue, et embrasse dans son domaine toutes les matières de grammaire, de poésie et d'éloquence.

L'institution de l'Académie inaugurait la représentation nationale des lettres françaises; cependant, à son début, on n'en comprit, même parmi les Académiciens, ni l'utilité ni la grandeur : dans le public, elle fut louée ou blâmée, non pour ses mérites et ses défauts, mais dans la mesure de l'affection ou de la haine qu'on éprouvait pour Richelieu. Le Parlement ne vérifia ses lettres patentes que le 10 juillet 1637, après 2 ans et demi de résistance; encore mit-il ces clauses restrictives, que les Académiciens

"ne connaîtraient que des livres faits par eux, et par d'autres personnes qui le désireraient et voudraient [...], à la charge que ceux de ladite Assemblée ne connaîtront que de l'ornement, embellissement et augmentation de la langue française." 
En ce moment le Cid excitait partout l'admiration et l'enthousiasme. L'Académie, invitée à juger on plutôt à condamner cet ouvrage, ne pouvait le faire sans le consentement de l'auteur, qui finit par l'accorder d'une manière assez dédaigneuse: elle n'accepte, du reste, qu'avec répugnance un rôle si opposé à l'esprit de son institution, et il fallut à Richelieu cinq mois de négociations pour l'amener à publier ses Sentiments sur le Cid (1638). Si la sentence fut inique, elle fut du moins tempérée par la courtoisie de la forme et par toutes sortes de ménagements envers Corneille. Au sortir de cette épreuve dangereuse pour son indépendance, l'Académie rentra dans les attributions spéciales que lui avait reconnues le Parlement, et s'occupa d'épurer la langue, tâche immense et inévitablement lente, surtout à cette époque de transition entre la langue du XVIe siècle, qui disparaissait, et la langue classique qui n'était pas encore née. C'est alors qu'elle conçut le plan d'un Dictionnaire de la langue française, à la rédaction duquel se consacra Vaugelas, qui faisait autorité en matière de grammaire.

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Discours de Racine prononcé à l'Académie française 
le 2 janvier 1685, pour la réception de Thomas Corneille.

Corneille jugé par Racine

« L'Académie a regardé la mort de M. Corneille comme un des plus rudes coups qui la pût frapper; car, bien que, depuis un an, une longue maladie nous eût privés de sa présence, et que nous eussions perdu en quelque sorte l'espérance de le revoir jamais dans nos assemblées, toutefois il vivait, et l'Académie, dont il était le doyen, avait au moins la consolation de voir dans la liste où sont les noms de tous ceux qui la composent, de voir, dis-je, immédiatement au-dessous du nom sacré de son auguste protecteur, le fameux nom de Corneille.

Et qui d'entre nous ne s'applaudirait pas en lui-même, et ne ressentirait pas un secret plaisir d'avoir pour confrère un homme de ce mérite? Vous, monsieur, qui non seulement étiez son frère, mais qui avez couru longtemps une même carrière avec lui, vous savez les obligations que lui a notre poésie; vous savez en quel état se trouvait la scène française lorsqu'il commença à travailler. Quel désordre! quelle irrégularité! Nul goût, nulle connaissance des véritables beautés du théâtre. Les auteurs aussi ignorants que les spectateurs, la plupart des sujets extravagants et dénués de vraisemblance, point de moeurs, point de caractères; la diction encore plus vicieuse que l'action, et dont les pointes et de misérables jeux de mots faisaient le principal ornement; en un mot toutes les règles de l'art, celles mêmes de l'honnêteté et de la bienséance, partout violées.

Dans cette enfance, ou, pour mieux dire, dans ce chaos du poème dramatique parmi nous, votre illustre frère, après avoir quelque temps cherché le bon chemin et lutté, si je l'ose ainsi dire, contre le mauvais goût de son siècle, enfin, inspiré d'un génie extraordinaire et aidé par la lecture des anciens, fit voir sur la scène la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornements dont notre langue est capable, accorda heureusement la vraisemblance et le merveilleux, et laissa bien loin derrière lui tout ce qu'il avait de rivaux, dont la plupart, désespérant de l'atteindre, et n'osant plus entreprendre de lui disputer le prix, se bornèrent à combattre la voix publique déclarée pour lui, et essayèrent en vain, par leurs discours et par leurs frivoles critiques, de rabaisser un mérite qu'ils ne pouvaient égaler.

La scène retentit encore des acclamations qu'excitèrent à leur naissance le Cid, Horace, Cinna, Pompée, tous ces chefs-d'oeuvre représentés depuis sur tant de théâtres, traduits en tant de langues, et qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. A dire le vrai, où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d'excellentes parties, l'art, la force, le jugement, l'esprit? Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets! Quelle véhémence dans les passions, quelle gravité dans les sentiments! Quelle dignité, et en même temps quelle prodigieuse variété dans les caractères! Combien de rois, de princes, de héros de toutes nations nous a-t-il représentés, toujours tels qu'ils doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant les uns les autres! Parmi tout cela, une magnificence d'expression proportionnée aux maîtres
du monde qu'il fait souvent parler; capable néanmoins de s'abaisser quand il veut, et de descendre jusqu'aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable; enfin, ce qui lui est surtout particulier, une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu'à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres : personnage véritablement né pour la gloire de son pays, comparable, je ne dis pas à tout ce que l'ancienne Rome a eu d'excellents poètes tragiques, puisqu'elle confesse elle-même qu'en ce.genre elle n'a pas été fort heureuse, mais aux Eschyle, aux Sophocle, aux Euripide, dont la fameuse Athènes ne s'honore pas moins que des Thémistocle, des Périclès, des Alcibiade, qui vivaient en même temps qu'eux.

Oui, monsieur, que l'ignorance rabaisse tant qu'elle voudra l'éloquence et la poésie et traite les habiles écrivains de gens inutiles dans les États, nous ne craindrons point de le dire à l'avantage des lettres et de ce corps fameux dont vous faites maintenant partie, du moment que des esprits sublimes, passant de bien loin les bornes communes, se distinguent, s'immortalisent par des chefs-d'oeuvre comme ceux de monsieur votre frère, quelque étrange inégalité que, durant leur vie, la fortune mette entre eux et les plus grands héros, après leur mort cette différence cesse. La postérité qui se plaît, qui s'instruit dans les ouvrages qu'ils lui ont laissés, ne fait point de difficulté de les égaler ù tout ce qu'il y a de plus considérable parmi les hommes, et fait marcher de pair l'excellent poète et le grand capitaine. Le même siècle qui se glorifie aujourd'hui d'avoir produit Auguste ne se glorifie guère moins d'avoir produit Horace et Virgile. Ainsi, lorsque, dans les âges suivants, on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l'admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n'en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles. La France se souviendra avec plaisir que sous le règne du plus grand de ses rois a fleuri le plus grand de ses poètes. On croira même ajouter quelque chose à la gloire de notre auguste monarque, lorsqu'on dira qu'il a estimé, qu'il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie; que même deux jours avant sa mort, et lorsqu'il ne lui restait plus qu'un rayon de connaissance, il lui envoya encore des marques de sa libéralité, et qu'enfin les dernières paroles de Corneille ont été des remerciements pour Louis le Grand.

Voilà, monsieur, comme la postérité parlera de votre illustre frère; voilà une partie des excellentes qualités qui l'ont fait connaître à toute l'Europe. Il en avait d'autres qui, bien que moins éclatantes aux yeux du public, ne sont peut-être pas moins dignes de nos louanges, je veux dire, homme de probité et de piété, bon père de famille, bon parent, bon ami. Vous le savez, vous qui avez toujours été uni avec lui d'une amitié qu'aucun intérêt, non pas même aucune émulation pour la gloire, n'a pu altérer. Mais ce qui nous touche de plus près, c'est qu'il était encore un bon académicien : il aimait, il cultivait nos exercices; il y apportait surtout cet esprit de douceur, d'égalité, de déférence même, si nécessaire pour entretenir l'union dans les compagnies. L'a-t-on jamais vu se préférer à aucun de ses confrères? L'a-t-on jamais vu vouloir tirer ici aucun avantage des applaudissements qu'il recevait dans le public? Au contraire, après avoir paru en maître et, pour ainsi dire, régné sur la scène, il venait, disciple docile, chercher à s'instruire dans nos assemblées, laissait, pour me servir de ses propres termes, laissait ses lauriers à la porte de l'Académie, toujours prêt à soumettre son opinion à l'avis d'autrui, et, de tous tant que nous sommes, le plus modeste à parler, à prononcer, je dis même sur des matières de poésie. »
 

(Racine).

Après la mort de Richelieu (1642), l'Académie choisit pour protecteur le chancelier Séguier, et l'hôtel de ce magistrat devint le lieu fixe de ses réunions, qui jusque-là s'étaient tenues tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre de ses membres. Quelques mois après, elle se vit menacée dans son existence même par la réaction politique qui suivit la mort de Louis XIII : on croit qu'elle fut sauvée par Voiture, qui était en faveur auprès d'Anne d'Autriche. Sous le protectorat du chancelier, qui dura 30 années, elle admit beaucoup de grands seigneurs, la plupart d'ailleurs esprits cultivés; c'était sans doute un abus, mais il était corrigé par l'égalité académique, et tournait à l'avantage des lettrés de profession, qui ne pouvaient que gagner au contact des gens de cour. La liberté des élections, quoique souvent entravée par des sollicitations puissantes, ne fut atteinte par aucun acte de despotisme déclaré. En 1671, l'Académie adopta une innovation importante au point de vue de son action extérieure, qui avait été nulle jusque-là; elle décida que ses séances seraient publiques les jours consacrés aux réceptions et aux distributions de prix. Cette même année, le prix d'éloquence fondé par Balzac fut décerné pour la première fois. Celui de poésie, dont les frais avaient été d'abord faits par quelques académiciens, puis par la Compagnie tout entière, commença aussi à être donné plus régulièrement. 

A la mort de Séguier (1672), Louis XIV prit le patronage direct de l'Académie. Sur la demande de Colbert, il lui donna une salle au Louvre (au rez-de-chaussée de la cour du Louvre, à gauche du pavillon de l'Horloge) pour y tenir ses séances, forma sa bibliothèque, encouragea l'assiduité de ses membres en instituant les Jetons de présence, lui fit faire un fonds annuel pour ses fournitures de bureau, et remplaça les chaises des Académiciens par 40 fauteuils, afin que les gens titrés n'eussent plus à alléguer, pour se tenir éloignés des assemblées, le prétexte d'y manquer de sièges dignes d'eux. II intervint rarement dans les élections, ne força point les choix, et permit qu'on résistât aux demandes des princes de sa famille. II fit échouer le projet de quelques grands seigneurs qui, pour ne pas être confondus avec les gens de lettres pensionnés, voulaient, sous le titre d'Académiciens honoraires, former une classe à part dans l'Académie. Pour témoigner sa gratitude envers un monarque à qui elle devait tant et qui était avide de louanges, l'Académie épuisa les formules de la flatterie, et célébra sur tous les tons et à tout propos les vertus et les hauts faits de Louis XIV : cependant, en cette attitude soumise, elle ne fit que se conformer à l'opinion et suivre l'exemple général.

La première édition du Dictionnaire (qui en est aujourd'hui à sa dixième) fut publiée en 1694 : c'était le moment le plus favorable, celui où l'art d'écrire avait atteint la perfection. Recommencée plus d'une fois depuis 50 ans, fruit des plus judicieuses investigations, écrite jour par jour sous la dictée de l'usage, cette oeuvre de patience, à laquelle les plus grands génies de cette époque mémorable avaient participé, soit par leurs conseils, soit par leurs ouvrages, paraissait à point pour consacrer l'unité de la langue peu de temps après la consommation de l'unité nationale. L'Académie voit finir avec le XVIIe siècle la période de son histoire la plus glorieuse au point de vue purement littéraire.

Au XVIIIe siècle, les Académiciens deviennent plus remuants, plus hardis, et aux polémistes peu dangereux pour l'État, qui ont vécu, non sans éclat ni sans profit pour la langue, dans les querelles littéraires et les controverses religieuses (jansénisme, quiétisme), succède une génération plus militante, travaillée d'une agitation jusque-là inconnue, et qui lutte pour le triomphe des droits de la pensée. L'écrivain devient une puissance que les grands courtisent à leur tour. L'Académie ne donna pas le signal du mouvement des esprits, mais elle en subit le contrecoup, et le seconde malgré l'intervention despotique du pouvoir dans les élections. Les partis qui divisent la société, quoique s'appuyant ailleurs sur des forces plus vives et plus libres, tiennent à se faire représenter dans son sein. Le cardinal Fleury et son successeur en défendent l'entrée aux candidats entachés de jansénisme; Louis XV en repousse les philosophes. 

Néanmoins, Montesquieu en 1728, Voltaire en 1740, parviennent à y pénétrer, et, l'irrésistible courant de l'opinion aidant, Duclos, D'Alembert, Saurin, Marmontel, Thomas, Condillac, etc., sont successivement élus. Sur la proposition de Duclos (1758), les sujets des prix sont changés, mais non encore affranchis du contrôle de la Sorbonne; cet affranchissement ne viendra qu'en 1768 : à l'éternel panégyrique de Louis XIV, et aux lieux communs pris dans la morale, on substitue l'éloge historique des grans hommes de la nation; l'éloquence théologique, qui régnait depuis 1671, est remplacée par une éloquence plus mondaine. Dans les harangues de réception, comme dans les pièces de concours, on remarque des attaques à peine déguisées contre les abus et les fautes du gouvernement. En les faisant lire publiquement et en les couronnant, l'Académie s'en s'approprie les patriotiques hardiesses, et habitue les esprits à entrevoir dans l'avenir, à ambitionner pour la liberté de la parole un théâtre plus vaste et plus retentissant. 

Cette indépendance irrite et inquiète les défenseurs des vieilles institutions; les élections sont vivement disputées, et passionnent toutes les coteries de la cour et des salons : les opinions sont en cause, bien plus que les titres littéraires. II y avait deux camps : celui des Chapeaux, qui combattaient pour la philosophie elle résistance à l'arbitraire; celui des Bonnets, qui soutenaient l'autorité; ces bizarres surnoms étaient empruntés aux partis qui divisaient la Suède. Vers la fin du règne de Louis XV, les philosophes l'emportaient; mais, oubliant leurs propres principes, ils manquèrent de tolérance à leur tour. L'Académie, sous leur domination, se montre si partiale et si exclusive dans le choix de ses membres, qu'elle commence à perdre de sa popularité. A mesure que la Révolution approche, le vide se fait autour d'elle; ses séances sont abandonnées : au lieu de lui tenir compte des services qu'elle a rendus à la cause de la liberté, on lui reproche ses sentiments monarchiques; on la suspecte comme constituant, en un temps d'égalité absolue, une aristocratie intellectuelle. Un décret de la Convention, en date du 8 août 1793, la supprima.

Deux ans plus tard, la même assemblée créa l'Institut des Sciences, des Lettres, et des Arts, divisé en 5 classes qui réunirent les attributions des anciennes Académies. Mais ce fut seulement dans l'organisation du second Institut, en 1803 que l'Académie française, qui tenait alors ses séances avec les autres classes, au collège des Quatre-Nations, retrouva quelques-uns des éléments essentiels de sa vie antérieure, tels que son nombre de 40 membres, le droit de nommer aux places vacantes dans son sein, l'usage des discours de réception et des séances pubiiques annuelles. Elle composa la 2e classe de l'Institut sons le titre de Classe de la langue et de la littérature française et fit revivre même son nom, quoiqu'elle n'en eut pas officiellement le droit. Se considérant comme l'héritière de la Compagnie du XVIIIe siècle, dont elle avait conservé l'esprit, elle en imita en plus d'une occasion le libre langage; parfois aussi elle se rapprocha, par l'adulation, de l'Académie de Louis XIV. En général, Napoléon Ier, quoiqu'il il n'eût pas à en attendre un dévouement sacs bornes, fut tolérant à son égard; il lui fit une bonne part dans les bienfaits qu'il accorda à l'Institut, et mit à sa disposition des sommes importantes pour l'établissement de nouveaux prix, et pour la 5e édition du Dictionnaire, 1813 (la 2e avait paru en 1718, la 3e en 1740, la 4e en 1762).

La seconde Restauration rendit aux Académies qui composaient l'Institut leur nom et leur constitution particulière. L'Académie française reprit donc ses anciens statuts, et fut placée sous la protection immédiate du roi : mais sa joie fut troublée par l'esprit de contre-révolution qui dicta l'ordonnance du 21 mars 1816 , par laquelle crise académiciens furent exclus, et d'autres introduits sans élection. L'Académie perdit sans grand préjudice pour les lettres, Cambacérès, Lucien Bonaparte, Regnaud de Saint-Jean-d'Angely, Maret, duc de Bassano; mais, en revanche, elle eut à regretter des hommes tels que Siéyès, Garat, Roederer, Etienne, Arnault et le cardinal Maury. Etienne et Arnault rentrèrent en possession de leurs fauteuils en 1829. Surtout, cet acte arbitraire, qui violait l'inamovibilité des Académiciens et la liberté des choix, détruisit pour un moment les espérances qu'avait fait naître Louis XVIII, et fut vivement censuré par l'opinion. L'Académie n'abandonna pas les proscrits, mais ne put jamais obtenir une réparation complète de l'injustice dont ils étaient victimes. Favorable aux idées que le régime constitutionnel développait dans le pays, elle en encouragea l'expression par le choix de ses sujets de concours. Si l'Académie, de 1816 à 1824, vécut en paix avec son protecteur, elle eut des démêlés avec la littérature contemporaine, et prit une part assez vive à la querelle des classiques et des romantiques, dont les proportions grandirent à mesure qu'on avançait vers 1830. 

Les traditions conservatrices de l'Académie s'opposaient à ce qu'elle vit les novateurs d'un bon oeil. Mais elle prouva qu'elle était en communion avec l'esprit public, lorsque, le 29 décembre 1826, Peyronnet présenta à la Chambre des députés la loi restrictive de la liberté de la presse; en effet, elle rédigea une supplique pour exprimer au gouvernement son inquiétude et sa douleur. Charles X refusa de recevoir cette supplique. En même temps que l'Académie donnait des gages à la liberté politique, elle se relâcha de sa sévérité littéraire, en ouvrant ses portes à Lamartine (avril 1830), un des plus illustres représentants de la nouvelle école poétique. L'Académie française, après la Révolution de juillet, devint de plus en plus accessible aux grands talents, quel que fût leur drapeau.

Parmi les autres faits qui ont marqué l'histoire de l'Académie Française au XIXe siècle, on relèvera seulement qu'en 1812, Chateaubriand refusa de prendre possession du fauteuil auquel il venait d'être élu, parce qu'il lui aurait fallu faire l'éloge du révolutionnaire J.-M. Chénier, auquel il succédait, et subir une présentation à Napoléon; il était resté académicien sans avoir prononcé de discours. Cela avait été également le cas de Émile Ollivier, dont la réception avait été ajournée à cause d'un éloge de Napoléon III inséré dans sa harangue. Il avait été admis à siéger en 1874 seulement, et sans prononcer de discours. Enfin, l'évêque d'Orléans, Dupanloup, en refusant de siéger, après l'élection de Littré en 1871, donna, le premier, l'exemple d'un académicien démissionnaire.

Il y eut d'autres départs au siècle suivant, volontaires ou imposées. Les démissions ont été celles de Pierre Benoît, en 1959, en protestation contre le veto de De Gaulle à l'élection de Paul Morand, et celle de Pierre Emmanuel, en 1975, qui entendait protester contre l'élection de Félicien Marceau. Quant aux exclusions, elles ont concerné, en 1946, des Académiciens compromis avec le régime de Vichy : Abel Bonnard et Abel Hermant (remplacés aussitôt par Etienne Gilson et Jules Romain), ainsi que Charles Maurras et le Maréchal Pétain, radiés mais remplacées seulement  après leur mort (respectivement par Lévis-Mirepois et A.-F-. Poncet). Mais s'il fallait retenir une seule date au XXe siècle pour cette vieille institution, c'est avant tout celle de 1980, avec l'admission de Marguerite Yourcenar, la première femme reçue parmi les Immortels. (P -S).



En bibliothèque. -  Histoire de l'Académie Française, par Pellisson et d'Olivet, édit. de M. Livet, Paris, 1858, 2 vol. in-8°; Tyrstée Tastet, Histoire des quarante fauteuils de l'Académie française, 1844-1855, 4 vol.; Portefeuille d'un Académicien, par Ch. Nisard, dans la Revue contemporaine, 1856; Histoire de l'Académie Française depuis sa fondation jusqu'en 1830, par Paul Mesnard, Paris, 1857, grand in-18. 


Site de l'Académie Française.
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