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Substance

Substance, du latin sub, sous, et stare, se tenir, ou sterni, être étendu; d'où substantia, mot d'origine scolastique. Terme philosophique qui sert à désigner le sujet qui persiste au-dessous des modes et des qualités (quod substat). On peut définir encore la substance : le sujet invariable du changement, les qualités d'une chose, forme, couleur, résistance, pouvant changer sans que la substance qui les supporte cesse d'exister. Cette définition est sensiblement différente de l'acception populaire du terme substance; on dit communément : la substance du soufre est jaune, le bronze est composé de trois substances, etc. ; au contraire, le langage philosophique distingue, par une analyse abstraite, la substance de toutes ses qualités. Toutefois, un grand nombre de philosophes distinguent, parmi les attributs de la substance, ceux sans lesquels la substance ne saurait exister réellement ni même être l'objet d'une pensée; ces attributs constituent l'essence : l'étendue est, pour Descartes, l'essence de la matière. Les autres attributs, qui ne sauraient exister sans les premiers, mais que la pensée ne suppose pas nécessairement en un objet, sont les accidents

Trois grands problèmes philosophiques se posent à propos de l'idée de substance, chacun ayant reçu, dans l'histoire des idées, des solutions très différentes  : 

1° Comment connaissons-nous la substance et que pensons-nous réellement sans ce concept? 

2° Y a-t-il des substances?

3° Quelles sont ces substances? 

Au point de vue de la connaissance, la substance est, selon Platon, l'objet d'une intuition-rationnelle. Elle est simplement, pour Aristote, la première des catégories, l'acte logique par lequel la pensée rapporte nécessairement tout attribut à un sujet. Selon Descartes, la substance, pensée ou étendue, est le simple découvert par analyse au-dessous des qualités secondes, couleur, odeur, etc., ou des facultés particulières, mémoire, imagination, etc. Pour toute l'école cartésienne, d'ailleurs, la substance est un concept rationnel. Spinoza définit, a priori, la substance : ce qui est en soi et est conçu par soi, et cette définition est la source d'où découlera tout son système. Pour Leibniz, qui se rapproche sur ce point de Descartes, la raison exige qu'il y ait des simples, puisque l'expérience nous révèle l'existence do composés. Les empiristes, au contraire, empruntent à l'expérience seule l'idée de substance; elle n'est pour Locke et Condillac qu'une idée extraite de l'impression de résistance, pour Hume, Stuart Mill et Taine, une habitude mentale due à la constante cohésion dans l'expérience d'une certaine résistance avec une certaine forme, une couleur, etc., chacune de ces sensations évoquant toutes les autres en vertu des lois de l'association. Au dogmatisme métaphysique et à l'empirisme, ont oppose enfin la solution criticiste : la substance est une catégorie de l'entendement, corrélative au jugement catégorique, c.-à-d. qu'une affirmation telle que : la neige est blanche, n'est objectivement valable autant qu'elle est le produit de la faculté synthétique l'entendement d'unir, a priori, un attribut à un sujet; sans cette faculté, l'expérience reste impossible; mais cette faculté ne s'exerce qu'autant qu'une matière est fournie dans l'intuition sensible de l'espace et du temps. La substance est ainsi connue a priori à propos de l'expérience sensible. 

Ces conclusions aboutissent, comme on peut s'y attendre, à des théories très diverses sur la réalité des substances. Toutefois, le réalisme vulgaire, qui croit que. les choses sont en elles-mêmes telles qu'elles apparaissent aux sens, n'est admis par aucune école philosophique digne de ce nom. Le point de vue le plus voisin du sens commun est celui des Ecossais, qui considèrent la sensation comme un signe naturel de la substance. A cette théorie paresseuse s'opposent les très multiples formes de l'idéalisme : idéalisme substantialiste de Platon (les essences intelligibles sont des réalités substantielles, archétypes de l'apparence sensible); idéalisme rationaliste de Descartes (est réel ce qui est d'essence simple et indécomposable, la pensée et l'étendue); idéalisme panthéistique de Spinoza (il n'y a qu'une substance, Dieu, dont les attributs, pensée et étendue, contiennent, à titre de modes, tous les esprits et tous les corps); idéalisme spiritualiste de Malebranche et de Berkeley (il n'existe pas de substances sensibles, et le monde extérieur est aperçu en Dieu, dit Malebranche, produit par l'action de Dieu sur l'esprit, dit Berkeley. 

Une thèse plus extrême encore est le phénoménisme de Hume : nous ignorons s'il existe des substances; les corps et l'âme ne sont que des faisceaux permanents d'impressions. Stuart Mill dira, à peu près dans le même sens le monde extérieur est une possibilité permanente de sensations, et Taine : une hallucination vraie. Kant, enfin, cherche à échapper à la fois aux difficultés du dogmatisme métaphysique et aux dangers du scepticisme de Hume. Il refuse à l'entendement le pouvoir d'affirmer le caractère substantiel des corps ou de l'âme, parce que de telles affirmations dépassent toute expérience possible; la catégorie de substance exprime seulement la liaison nécessaire des phénomènes dans l'intuition de l'espace et du temps. Au-delà du phénomène, la matière est un concept vide. Quant à la science, bien loin de s'évanouir faute d'objet, elle a pour objet les phénomènes eux-mêmes avec leurs liaisons nécessaires, universelles, et, par suite, objectives. 

Les philosophes se sont partagés sur ce problème en dualistes et monistes. Le dualisme (Thomisme, Descartes, Cousin, etc.) admet l'existence parallèle des deux ordres de réalités, la pensée et le corps, l'âme et l'étendue. Les monistes cherchent à ramener les deux ordres à un seul et inclinent, soit vers le matérialisme d'Epicure, de Cabanis, de Büchner, etc., soit vers le spiritualisme universel de Berkeley, de Leibniz, de Fichte, etc. (Th. Ruyssen.).



Michel Bastit, La substance, essai de métaphysique, Dianoia , 2010.
2913126731
Cet ouvrage de métaphysique contemporaine propose une théorie de la substance qui en préserve les approches intuitives. Après avoir établi une distinction hiérarchique entre la substance et les autres types d'être, il montre que la substance ne peut être une collection, en raison de son unité. Ce ne peut être ni une collection de propriétés, en raison du caractère ultime de la substance, ni un pur substrat en raison de sa détermination foncière. La substance ne peut pas non plus être une fusion de tropes, en raison de l'instabilité des tropes. Finalement seule la forme substantielle s'avère apte à sauvegarder l'autonomie et l'identité de la substance. Mais cette forme doit être actuelle et numériquement individualisée pour remplir une telle fonction. La substance ainsi conçue est alors apte à relever les défis qui lui sont proposées par les sciences contemporaines, physiques ou biologiques. La démonstration est conduite à l'aide de la méthode rigoureuse de la philosophie analytique et selon une dialectique permanente avec les auteurs contemporains les plus pertinents sur le thème de la substance. (couv.)

En bibliothèque - Voir la bibliographie des art. Locke, Berkeley, Hume, Kant, Stuart Mill, Spencer, Phénomène. - En outre : Renouvier, Essais de critique générale; Paris, 1875, 2e éd. - Du même. l'Infini, la Substance et la Liberté, dans l'Année philosophique, 1re série, 2e année, 1868. - Taine, De l'Intelligence; Paris, 1870, 2 Vol. in-12. - F. Pillon, Introd. au Traité de la nature humaine de Hume; Paris, 1878. - Edm. König, Ueber den Substanzbegriff bei Locke und Hume; Leipzig, 1881. - G. Lyon, l'Idéalisme en Angleterre au XVIIIe siècle; Paris, 1884.- Em. Boirac, I'Idée du phénomène; Paris, 1894.

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Dictionnaire Idées et méthodes
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