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Dionysos
est un des grands dieux de la Grèce ,
de l'Orient hellénique et de l'Italie .
Son nom le plus ancien est Dionysos (Diwnusos)
que lui donnent Homère et Hésiode;
la forme éolique est Zonnusos,
la forme attique Dionusos;
on trouve aussi Deunusos
et Deonusos.
Le sens généralement donné à ce nom est celui de dieu de Nysa,
la localité mythique où l'on place sa naissance et son séjour. Les Romains ,
lorsqu'ils adoptèrent le culte de Dionysos, l'appelèrent Bacchus,
nom que les Grecs lui donnaient aussi mais seulement depuis le Ve
siècle, car il ne paraît qu'à partir d'Hérodote et des poètes tragiques;
ce nom de Bacchus paraît être la forme thrace
du nom phrygien Bagaios,
le même que Sabazius, grand dieu de l'Asie Mineure assimilé à Dionysos.
Les Grecs adoptèrent ce nom de Bacchus (Bakcos)
mais lui donnèrent la forme Bakceos
ou Bakceios;
Lenormant l'expliquait en disant que
«
A cause de la nature même du culte dionysiaque et de ses fêtes ils attachèrent
ensuite au nom de Bacchus une idée d'inspiration divine et de fureur orgiastique,
ainsi que de purification, qui a donné naissance au verbe bakceuein
et à l'emploi du mot bakcos
dans le sens d'inspiré, saisi de transport bacchique. De là la
substitution à Bacchus, pour le nom du dieu, des formes Baccheus, Baccheius
qui ont revêtu l'aspect de dérivés de bakceuein.-»
Quoiqu'il en soit de ces étymologies, le
nom de Dionysos est le plus ancien et resta le plus usité en Grèce ;
celui de Bacchus, employé à partir du Ve
siècle, prévalut en Italie .
L'origine ou plutôt l'introduction relativement
récente du culte et des légendes de Dionysos dans la religion
et la mythologie des Grecs est un fait capital de leur histoire religieuse.
Dionysos est en effet avec Déméter et plus
encore qu'elle, la seule divinité hellénique autour de laquelle on ait
tenté de constituer une religion complète et sinon exclusive, du moins
absorbant et subordonnant les autres personnages divins, une religion avec
son culte, ses prêtres, ses mythes,
sa philosophie mystique. Quand on passe de l'Olympe
homérique au culte dionysiaque, on est à moitié chemin du christianisme.
L'extrême intérêt des études relatives à Dionysos tient encore Ã
ce que le culte et la mythologie de ce jeune dieu renferment une foule
d'éléments orientaux et à ce que nous pouvons encore discerner quelques-uns
des types divins que l'un a fusionnés en un seul. Sabazius, lacchos, Zagreus,
Liber, ne sont pas complètement identifiés avec Dionysos, bien qu'il
ne soit guère possible de leur restituer une physionomie propre. Sans
entreprendre ici un travail complet sur la mythologie dionysiaque et sans
vouloir formuler de conclusions sur les points en litige, nous nous bornerons
à analyser les principaux faits, suivant d'assez près l'ordre adopté
par Lenormant. Les problèmes relatifs à l'origine et au développement
de ce culte sont parmi les moins solubles de la mythologie grecque.
Dans les poèmes homériques ( L'Iliade ,
L'Odyssée ),
Dionysos ne joue presque aucun rôle; son culte n'est nullement développé;
tandis que plus tard il sera essentiellement le dieu du vin, ici, bien
que l'usage du vin soit universel, il n'est jamais qualifié d'inventeur
du vin, ni de dieu de la vigne ;
lorsque Ulysse expose l'origine de celle-ci,
il la fait remonter au héros Maron et à Apollon.
C'est Hésiode qui le premier rattache Maron
à Dionysos, dont il fait son grand-père; dans les Travaux et les Jours
(v. 614), il appelle le vin « don de Dionysos ». Dans l'Iliade
il est question de l'hostilité du roi thrace
Lycurgue, l'ennemi des dieux, pour Dionysos encore enfant, et l'épithète
appliquée au nourrisson divin montre que dès les temps homériques le
culte de Dionysos avait son caractère orgiaque. On voit aussi que la Thrace
peut être regardée comme le berceau de ce culte et des mythes
dionysiaques. Enfin Nysa est nommée comme en étant
le centre et en quelque sorte le berceau du dieu.
-
Dionysos
tenant d'une main le thyrse et tendant de
l'autre
un canthare. Bas-relief d'Herculanum (Musée de Naples).
Le
dieu est ici figuré sous les traits d'un éphèbe.
Les mythographes modernes, en particulier
Langlois (Acad. des Inscr., t. XVIII), Maury (Hist. des relig.
de la Grèce, t. I) et Duncker (Gesch. des Altert., t. V), ont
fondé un des principaux rapprochements de la mythologie
comparée sur l'analogie qu'ils relevaient entre le Dionysos des Grecs
et le Soma des Indiens .
Le dieu grec ne serait autre que celui de l'Inde, un des plus anciennement
adorés par les populations indo-européennes; les tribus demi-barbares
qui en répandirent le culte dans la péninsule hellénique, n'auraient
fait que ramener les tribus plus civilisées à une tradition antique et
Dionysos, qui est en apparence le plus jeune des dieux grecs, serait en
réalité un des plus anciens. On a développé cette démonstration par
la comparaison des deux légendes. Dionysos, dit-on, est, dans la mythologie
grecque, avant tout le dieu du vin, une personnification de la liqueur.
En Inde, Soma est une personnification de la liqueur extraite de l'Asclepias
acida ou Sarcostemma viminalis qui sert à faire des libations
aux dieux; les Indo-européens de l'Asie Mineure ont transporté au vin
les vertus du Soma. Maury fait les remarques suivantes-:
«
Une tradition indienne dit que le Soma a été
reçu dans la cuisse d'lndra; et la même fable
était racontée par les Grecs sur Dionysos.
Le dieu védique
est surnommé Giri-Schthâh, c.-à -d. celui qui se tient dans les montagnes,
et ce surnom répond tout à fait à celui d'Oreios donné à Dionysos.
La génération miraculeuse du dieu de Nysa, arraché
par son divin père au sein de sa mère foudroyée, est aussi une idée
puisée à la source indienne. Le Soma, autrement dit la libation personnifiée,
naît du manthanam, c.-à -d. de la production du feu
divin. Il est tiré de la flamme du sacrifice et ensuite transporté dans
les cieux par les invocations des prêtres. Cette double naissance a valu
à la divinité védique le surnom de Dwidjanman (né deux fois
ou né sous deux formes) qui correspond exactement à ceux de Dithyrambe,
Dimétor, que sa double naissance avait valus à Dionysos. »
On constate enfin que le côté mystique
du dieu védique et du dieu grec sont
comparables. Dionysos, en Crète d'abord,
a le caractère de divinité infernale de mâle
Agni-Soma se confond avec Varuna,
le Soleil de nuit, et devient un dieu des morts.
Soma, dans les Védas ,
subit une passion, meurt et ressuscite plus puissant, car c'est en broyant
la plante qu'on extrait le jus sacré et vivifiant. On retrouve une idée
analogue dans la légende thébaine .
Ainsi présenté, le rapprochement paraît
saisissant, mais il est comme souvent l'étaient ceux de la mythologie
comparée à ses balbutiements : discutable et paradoxal. Nous venons de
constater que Dionysos n'est pas primitivement le dieu du vin, que, dans
Homère, qui arme le caractère et l'importance
de la libation faite aux dieux avec le jus de la vigne, il n'est pas question
de Dionysos à ce propos, fait d'autant plus grave que Soma
a le caractère de dieu médiateur et que d'autre part Homère parle des
orgies dionysiaques, lesquelles ne sont donc pas motivées à l'origine
parce que Dionysos était dieu de la vigne; de fait, presque tout ce qui
est relatif à ces orgies est parfaitement indépendant de cet attribut
et pourrait être exposé sans qu'il fût même parlé du vin. Ainsi tombe
l'ingénieux parallèle entre le dieu grec
et le dieu védique, parallèle déjÃ
fait par les anciens Grecs ,
lesquels, après l'expédition d'Alexandre,
crurent reconnaître leur dieu dans le Bacchus
indien et firent de celui-ci le prototype.
Les auteurs anciens sont d'accord pour
dire que le berceau de la religion dionysiaque fut la Thrace ;
mais que faut-il entendre par cette expression géographique? Otfried
Muller a fait remarquer (Orchom. und die Minyer, pp. 372 et
suiv.) qu'il y a lieu de distinguer la Thrace historique des bords de l'Hellespont,
du mont Pangée et du mont Haemus, de la Thrace mythique où se déroulent
les légendes de Lycurgue et d'Orphée. La Thrace
mythique s'étendait depuis les vallons de l'Olympe
et la Piérie
jusqu'aux pentes de l'Hélicon
et aux confins de l'Attique .
La Grèce
centrale était occupée par des immigrants venus du Nord, de Thessalie
ou de plus loin qui apportèrent et localisèrent leurs légendes au pied
du Parnasse et de l'Hélicon, en Phocide
et en Béotie .
Ces Thraces, qui furent incontestablement les premiers adorateurs de Dionysos,
sont-ils les mêmes que ceux qui habitaient cinq et dix siècles plus tard
la Thrace historique? Celle-ci est-elle le point de départ des légendes
dionysiaques? Problème difficile à résoudre. Nous savons par Hérodote
que Dionysos était avec Arès et Artémis-Kotytto
un dieu national des Thraces; que les Satres indomptés avaient un oracle
de Dionysos dans leurs montagnes; que les Besses lui étaient particulièrement
dévoués; que ces oracles où le dieu s'exprimait
par la bouche d'une femme, comme à Delphes,
pourraient bien avoir été le modèle suivi par l'oracle pythien; Dionysos
est souvent qualifie de prophète des Thraces; Alexandre,
Octave viendront le consulter dans ses bois sacrés.
II semble donc que ce soit là que doive être cherchée l'origine de sa
religion; ce serait le dieu national des Thraces apporté par eux dans
la Grèce centrale où sa religion fusionna avec celle des dieux olympiens
et des dieux chtoniens. Les adversaires de cette opinion répliquent que
l'identification entre la Thrace mythique et la Thrace historique est injustifiée;
que le Dionysos des Besses et des Odryses
est en réalité un autre dieu, Sabazius, que les colons grecs de la côte
de la mer Egée et de l'Hellespont assimilèrent à leur Dionysos lorsqu'ils
firent la confusion entre la Thrace légendaire et celle dont ils occupaient
les débouchés. Nous ne prendrons pas parti dans ce débat, et, sans vouloir
trancher la question d'origine, nous exposerons l'histoire de la religion
dionysiaque à partir de son premier centre grec, la Béotie, jusqu'au
moment ait elle fut apportée ou rapportée en Thrace.
-
La
nymphe Leucothée (Ino) abreuvant à la corne d'abondance
le
jeune Dionysos. Bas-relief antique (Musée du Latran, Rome).
Dans la Béotie ,
la région de l'Hélicon
et du Parnasse, c'est là que se localisent les légendes primitives; l'antre
Corycien, le sommet du Parnasse demeurent les résidences favorites du
dieu, plus encore que la Piérie et les vallons du mont Olympe;
la plus ancienne, Nysa, est située au pied du
mont Hélicon; c'est là que l'Iliade ,
et plus tard l'Hymne à Démeter ,
placent la patrie du dieu. Toutefois, elle se déplaça avec le culte et
dans chaque pays ses adorateurs voulurent avoir dans leur voisinage Nysa.
On la retrouve en Eubée ,
à Naxos ,
dans la Thrace
proprement dite, en Carie ,
en Pisidie ,
en Cappadoce ;
plus tard, lorsque Alexandre s'assimilera
à Dionysos, on trouvera des Nysa
en Arabie, en Palestine et jusqu'en Inde .
Les Minyens d'Orchomène figurent parmi
les premiers fidèles du dieu, et dans cette région son culte resta proche
de la sauvagerie initiale; la tradition des sacrifices humains dura longtemps,
et des fêtes sanglantes en perpétuèrent le souvenir, les Agrionia,
qui de Thèbes
passèrent à Argos ,
les Omophagies à Chios ,
Ténédos, Lesbos .
La Béotie
se vantait d'être le lieu de naissance de Dionysos, bien qu'ultérieurement
la Crète, Samos ,
Naxos, Elis ,
Eleuthères, Téos ,
puis la Libye
et l'Inde
aient été également désignées pour cet honneur. Il paraît acquis
que c'est le zèle de ses adorateurs béotiens qui fit croître progressivement
son importance; à l'époque de l'Iliade
il n'est encore guère plus qu'un héros; au Ve
siècle, au temps des poètes tragiques, il est associé aux dieux olympiens
et aussi considéré que nul autre. Les Béotiens ont rattache la légende
de Dionysos à telle du grand héros thébain, Cadmus,
et leur version du mythe de la naissance du dieu a prévalu. Les Trieterica,
fêtes célébrées sur le Cithéron ,
passaient pour être les plus anciennes fêtes dionysiaques. La Béotie
renferme de nombreux sanctuaires du dieu, à Thèbes, dans la Cadmée et
dans la ville; Ã Acraephium, Potniae, etc.
Dans la Phocide
et la région du Parnasse, le culte de Dionysos paraît également avoir
été installé de très bonne heure; les orgies du Parnasse, célébrées
de nuit par les Thyiades, paraissent aussi anciennes que telles
du Cithéron .
On placera le tombeau du dieu dans le temple de Delphes
sous le trépied ou sous l'omphalos, et, dans la religion delphique, Dionysos
est associé à Apollon. On trouve encore le
culte du dieu à Amphiclée, d'où furent évangélisés les Locriens Ozoles,
à Pagases dans la Phtiotide. Les Abantes le portèrent dans l'île
d'Eubée
où il se développa rapidement, notamment à Erétrie, Histiée; Welcker
croit que ce sont encore les Abantes qui l'introduisirent à Mégare,
où l'on a voulu, sans raison sérieuse, rapprocher le nom du port Nisaa
de celui de la fabuleuse Nysa.
Dans toutes les îles de l'Archipel, les
Cyclades et les îles asiatiques, dont les vignobles sont une richesse
essentielle, le culte de Dionysos s'est propagé aisément. Le premier
centre de ce côté paraît avoir été l'île de Naxos ,
qui était regardée comme consacrée tout entière au dieu. Il y avait
été importé, dit-on, par des colons thraces de Béotie ;
quoi qu'il en soit, les Naxiens avaient leur Nysa ,
leur grotte sacrée ou l'on avait élevé le jeune dieu, tout un cycle
de légendes, comme celles des Aloades, d'Arrané,
etc. ; nous y reviendrons plus loin. A Délos ,
on avait associé Dionysos à Apollon, le prophète
Anios tient son pouvoir des deux. A Chios, on avait combiné sa légende
avec telle d'Oenopion et du géant Orion;
à Lesbos, le culte de Dionysos avait pris un grand développement. A Samos ,
il est représenté avec une tête de lion et qualifié de Kechènos, Gorgyieus,
Elygeus, Enorchès. On le faisait naître à Samos et dans l'île voisine
d'Icarie; c'est entre Icarie et Naxos qu'il aurait été enlevé par des
pirates tyrrhéniens. Nous retrouvons ce culte à Rhodes
et à Chypre ;
mais, dans toutes ces îles, nous retrouvons une influence crétoise. Au
Nord de l'Archipel, le culte de Dionysos se combine avec d'autres, avec
celui des Cabires à Lemnos; à Thasos, avec
le Sabazius des Thraces .
En Etolie, Dineus, l'homme du vin, est l'hôte de Dionysos, qui
séduit sa femme Althaea et est, d'après certains auteurs, le père de
Déjanire.
Nous sommes assez bien informés sur l'établissement
du culte dionysiaque en Attique .
Il y vint de Béotie ,
dans les dèmes voisins de la frontière et plantés en vignes. Là se
forment des légendes nouvelles, celle des amours du dieu avec Erigone.
A Athènes, le culte vint de la cité béotienne
d'Eleuthères; il fut d'abord essentiellement agraire et champêtre, et
l'influence des îles, attestée par le nom du héros Icarios, hôte du
dieu, ne le modifia guère. C'est plus tard que sort caractère changea
rempiétement, au vis siècle, par l'effet d'une réforme qu'opéra Pisistrate,
rapprochant des cultes de Thèbes
et de Naxos ;
alors furent créées les Lexées, les Anthestéries, puis
les grandes Dionysies, fête urbaine. Mais, si importantes qu'aient été
les influences étrangères en Attique ,
elle eut aussi une part originale et considérable sur le développement
de la religion dionysiaque. A la suite de la réforme religieuse effectuée
par le Crétois Epiménide, il se produisit
une association entre les cultes très différents de Dionysos et de Déméter;
dans les Anthestéries, les petits mystères
d'Agrae, dans ceux d'Eleusis, cette association
donne naissance à une véritable religion où domine le Dionysos mystique,
type nouveau confondu avec le Iacchus d'Eleusis,
empruntant au Zagreus crétois et au Sabazius
thrace. Ce fut le résultat des efforts des Orphiques
et le développement de cette religion mystique,
qui se constitue en Attique et rayonne sur toute la Grèce ,
marque une date importante dans l'histoire des religions.
-
Dionysos
et deux Ménades qui lui présentent un chevreau.
Amphore
d'Amasis. Bibliothèque nationale (Paris).
Dans le Péloponnèse ,
c'est la forme attique du culte de Dionysos qui est généralement adoptée.
L'ascendant des mystères et des légendes
d'Eleusis y fut très grande et le jeune
dieu en bénéficia. Presque partout c'est le héros prophète Mélampus
qui est censé avoir introduit la religion dionysiaque. A Argos
on la rattache à la légende des Praetides, on la fait venir d'Eubée
ou de Crète (Dionysos Crésios). Les mystères de Lerne dérivent de ceux
d'Eleusis et le Dionysos mystique y est vénéré; on y peut assimiler
le Dionysos Melanaigis d'Hermione ;
le Dionysos Saotès de Troezène est une divinité chtonienne. A Sicyone
on adore Dionysos Lysios, venu de Thèbes ,
mais aussi Dionysos Baccheios venu de Phlionte
(et indirectement d'Eleusis). De même à Corinthe,
Mélampus est censé avoir introduit le culte de Dionysos en Arcadie ,
à Tégée ,
Mantinée, Héraea, Phigalie, etc.; à Tégée, on l'appelle Dionysos Mystes.
En Laconie ,
les bacchanales du Taygète avaient une
certaine importance; le dieu avait aimé Karya, fille du roi Dion;
à Amycles ,
à Brysées, on le révère; à Sparte, à Alagonia, il est associé avec
Artémis; Brasées prétendait être le lieu
de son éducation. Sur le mont Larynum on célébrait sa fête secrète
au printemps. A Elis
il faut parler de la fête des Thyia, pour les femmes de la ville; sur
l'Alphée on vénère Dionysos Leucyanitos. A Patras et Aroé le Dionysos
mystique est qualifié d'Aesymnète et son arrivée rattachée à un ordre
de l'oracle de Delphes
on l'associe à Artémis comme en Laconie; l'Artémis Sotira est d'ailleurs
une forme de la Coré d'Eleusis. A Corcyre
(Corfou ),
le culte de Dionysos fut apporté de Corinthe.
En Sicile il ne fut d'abord établi que dans les colonies de Chalcis
et de Mégare; la Naxos de Sicile était,
comme l'île de ce nom, consacrée au dieu. A Sélinonte
le culte avait été combiné avec celui de Zagreus.
Dans les colonies grecques de la côte
méridionale de Thrace ,
les Grecs
apportèrent avec la vigne le culte de son dieu; Maronée est cité particulièrement
à cet égard. Le dieu des populations de l'intérieur que les Grecs et
les Thraces
assimilèrent à Dionysos, et qui pourrait bien être le Dionysos primitif
et n'en avoir jamais été distinct, portait le nom de Sabazius sous lequel
il était assimilé au dieu solaire des Phrygiens. Sabazius, qui a été
également rapproché de Zeus, d'Hélios
et d'Hadès, était le grand dieu de ces peuples.
On célébrait en son honneur des fêtes orgiastiques où les femmes, appelées
Mimallones et Clodones, jouaient le même rôle que les Ménades
en Grèce. Sabazius était également le dieu de l'inspiration prophétique,
de l'exaltation spirituelle et celui de l'ivresse procurée par les boissons
fermentées, cervoise ou bière et vin. Enfin son culte comportait de véritables
mystères au il figurait pomme
président à la mort et à la régénération. On voit que si l'identité
avec Dionysos n'est pas absolue, elle devait du moins être aisément affirmée.
Les Grecs, qui savaient que leur Dionysos venait de la Thrace mythique
des aèdes antéhistoriques, confondirent celle-ci
avec la Thrace de l'époque historique où ils placèrent le théâtre
de plusieurs légendes : la lutte de Dionysos contre le barbare roi Lycurgue
se localisa sur le Pargée ou le mont Haumus. On dénomma une Nysa entre
l'Axius et le Strymon; on attribua à Orphée
la fondation des mystères de Sabazius. Bientôt
les dévots de l'Hellade vinrent adorer leur dieu dans sa patrie supposée.
Ils adoptèrent comme plus vénérables les rites qu'ils y voyaient célébrer.
L'association de Sabazius avec Cotytto ou Bendis
(rapprochée d'Artémis) donna lieu à celle
de Dionysos et d'Artémis. Enfin on emprunta aux Thraces le serpent
mystique qui jouera plus tard un rôle dans la légende d'Alexandre
le Grand .
En Asie Mineure il se fit entre le culte
de Dionysos et ceux d'autres divinités locales une fusion qui enrichit
beaucoup le cycle des légendes. Les cultes phrygiens, en particulier celui
de la Mère des dieux, comportaient des fêtes
et des rites orgiastiques semblables à veux de Dionysos et l'on put assimiler
à Attis, Sabazius-Dionysos de même que Cybèle
était rapprochée de Déméter. On fit naître
le dieu sur les rives du Sangarius et quand les progrès de l'hellénisme
eurent achevé la fusion, le dieu indigène fut complètement absorbé;
il ne fut plus question que de Bacchus Dionysos. Pergame ,
Nicée, les plus grandes villes de cette région
deviennent des centres de la religion dionysiaque à la propagande de laquelle
contribuent les corporations sacrées d'acteurs qui eurent une grande importance
sous les rois de Pergame et à l'époque romaine .
La religion phrygienne avait été transformée par celle de Dionysos,
mais elle réagit peu sur celle-ci.
-
Buste
de Dionysos barbu, du type
improprement
appelé Bacchus indien.
IVe
s. av. J.-C. (Musée de Palerme).
La religion lydienne subit la même influence,
mais elle en eut à son tour une grande sur les conceptions généralement
admises par les Grecs ;
c'est de la fusion des légendes grecques et lydiennes que résulta la
forme définitive et classique, pour ainsi dire, des mythes dionysiaques.
Le dieu lydien Bassareus, dont le type efféminé, à longue barbe, la
tête ceinte d'une mitre, a été souvent représenté (c'est ce qu'on
appelle le Bacchus indien), avait toute une histoire; c'était un
dieu solaire, un conquérant, qui avait parcouru triomphalement les régions
orientales; une fête annuelle, célébrée sur le mont Tmolus, commémorait
son retour après ses victoires. Les cités grecques de l'Ionie
admirent ces exploits dans la légende de leur Dionysos; elles en firent
le vainqueur des Amazones, puis le conquérant
de l'Asie et de l'Inde
lointaine. Les poètes, Euripide notamment,
acceptent ces récits et contribuent à les vulgariser. A mesure que les
connaissances géographiques des Grecs s'étendent, ils agrandissent le
cercle des conquêtes de Dionysos.
Retrouvant dans les contrées lointaines
des symboles et des rites orgiastiques analogues, ils identifient avec
lui une série de divinités, surtout les dieux du vin; l'Ammon lybien
d'origine phénicienne; le Dusarès des Arabes; le Moloch
et le Melqarlh des Syriens; le Baal des Ciliciens ;
puis Sardanapale et enfin le Soma des Indiens.
Plus tard même on rapprochera Jehova Sabaoth
des Juifs de Sabazius, sans parler des divinités
celtiques citées par Strabon. Naturellement
on étend à tous ces pays la marche conquérante de Dionysos; il subjugue
l'Egypte ,
l'Ethiopie ,
la Lybie; il fonde Damas; Lycurgue devient un roi d'Arabie. Alexandre
le Grand, toujours désireux de frapper les imaginations, accepte officiellement
ces fables et crée un parallélisme entre lui-même et le dieu. Sa légende
se confond vite avec celle de ce précurseur. Les mythographes
eurent beau jeu pour multiplier leurs combinaisons et tout embrouiller.
La confusion est complète dans le grand poème de Nonnus
de Panopolis. Rien de plus curieux que les efforts tentés par les érudits,
sous l'influence des théories évhéméristes,
pour expliquer par un système unique ces légendes polymorphes. Cicéron
distingue cinq Bacchus : celui de Thèbes ,
celui de Cithéron ,
celui de Crète (Zagreus), celui d'Égypte
(Osiris), celui de Phrygie; Diodore
en reconnaît trois : celui de l'Inde ,
celui de Crète, celui de Thèbes. Nonnus fait de Bacchus le fils du Dionysos
thébain. (A.-M. B.).
 |
On
le représente avec des cornes, symbole de force
et de puissance, couronné de pampres, de lierre
ou de figuier, sous les traits d'un jeune homme riant et sans barbe, tenant
d'une main des grappes de raisin, ou une corne dont il se sert comme de
coupe, et de l'autre un thyrse avec lequel il fait jaillir des sources
de vin. Il est assis tantôt sur un tonneau, tantôt sur un char traîné
par des tigres, des lions et des panthères,
et est suivi des Ménades. Les Anciens donnaient
à ce dieu un grand nombre de noms divers : Dionysus, Iacchus, Liber, Lycoeus,
etc. Son culte, venu a-t-on dit de l'Orient, descendit en Grèce par la
Thrace, et ne pénétra qu'assez tard à Rome, où le Sénat tenta vainement
de combattre les désordres auxquels il donnait lieu. |
 |
Michel
Maffesoli, L'Ombre
de Dionysos : Contribution à une sociologie de l'orgie, CNRS
, 2010. - Il peut paraître paradoxal de voir
dans l'orgiasme une des structures essentielles de toute socialité. Pour
certains il s'agit là d'une aberration barbare qui dans les pays civilisés
a été progressivement gommée par la domestication des moeurs. Pour d'autres
il peut s'agir d'une petite rèverie fantasmatique tolérable dans la fiction
romanesque ou poétique. il est de toutes façons impensable de lui accorder
quelque efficace sociale que ce soit, en particulier dans nos sociétés
à haut développement technologique. Et pourtant c'est sur cette efficace
que ce livre entend insister. Il a pour ambition de montrer qu'il y a une
logique passionnelle qui anime toujours et à nouveau le corps social.
Celle-ci, à la manière d'une centralité souterraine, se diffracte en
une multiplicité d'effets qui informent la vie quotidienne." (couv.).
Sylvie
Humbert-Mougin, Dionysos revisité, Belin, 2003. - Clara Acker,
Dionysos en transe, la voix des femmes, L'Harmattan, 2002. - Paul
Zanker, Un art pour le plaisir des sens, le monde figuré de Dionysos
et d'Aphrodite dans l'art hellénistique, Gérard Monfort, 2001. -
Nathalie Baginski, Figures de Dionysos dans l'oeuvre de L.F.
Céline, Presses universitaires du Septentrion, 1999; Gilles Sauron,
La Grande fresque de la villa des mystères à Pompéi,
Picard, 1998. - Marcel Detienne, Dionysos à ciel ouvert, Hachette
éditions, 1998. - du même, Dionysos mis à mort, Gallimard, 1998.
- Evelyne Meublat, La fiction ménadique : les cités grecques, les
femmes, un dieu, Dionysos, Presses universitaires du Septentrion, 1997.
- Robert Triomphe, Prométhée et Dionysos, ou la Grèce à la lueur
des torches, Presses universitaires de Strasbourg, 1995. -Marie-Hélène
Delavaud-Roux, Les danses dionysiaques en Grèce antique, Publications
de l'Université de Provence, 1995. - Maria Daraki, Dionysos et la Déesse
Terre, Champs Flammarion, 1994. - Henri Jeanmaire, Dionysos, histoire
du culte, Payot, 1991.
Nonnos
de Panopolis, Les Dionysiaques, Les Belles Lettres, 2003.
En
bibliothèque - Françoise Frontisi-Ducroux,
Le dieu masqué, une figure de Dionysos d'Athènes,
La Découverte, 1991. - Michel Maffesoli, L'ombre de Dionysos, contribution
à une sociologie de l'orgie, Meridiens Klincksieck. |
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