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Les Védas

Le mot Véda, qui signifie science, désigne un ensemble d'oeuvres poétiques formant la sainte Écriture des Indiens. Si, à ces compositions primitives, on ajoute les développements qu'elles ont reçus sous le nom de brâhmanas et de sûtras, on a le corps entier de ces livres sacrés. Dans leur état actuel, les Védas sont au nombre de quatre, le Rig, le Sâma, le Yajur et l'Atharva. De ces quatre recueils, les trois premiers sont reconnus, non seulement comme authentiques, mais comme canoniques, par tous les savants de l'Inde; l'Atharva-véda jouit d'une moindre autorité, étant sans doute d'une époque postérieure aux autres. 

Le Rig-véda, qui est souvent désigné par le simple nom de Véda, est à la fois le plus ancien et le plus vénéré de tous ces livres : comme le Sâma, il ne renferme que des vers (rik); mais ce dernier recueil, qui forme en quelque sorte le rituel des cérémonies sacrées, se compose de vers empruntés au Rig-véda, et arrangés suivant les besoins du culte, de sorte qu'il n'est guère qu'une reproduction de celui-ci avec des variantes plus ou moins importantes. 
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Hymne à Dieu

« Il est né pour la force et la grandeur, ce Varuna qui a fondé l'immensité du ciel et de la terre. C'est lui qui, d'un côté, a développé cette grande et large voûte toute parée d'étoiles, et qui de l'autre a étendu la surface terrestre.

Ces mots, est-ce que je les adresse à moi-même? Comment puis-je m'élever jusqu'à Varuna? Recevra-t-il sans courroux mes offrandes? Comment faire pour contempler, d'un esprit pur, le Dieu plein de clémence?...

O Varuna, quel péché si grand ai-je commis pour que tu veuilles frapper un chantre ton ami? Dieu fort et invincible, dis-le moi. Innocent et empressé, je t'adorerai. »
 

(Rig-Véda, 98e hymne ; trad. E. Burnouf).

Le Yajur-véda contient des vers et de la prose : les vers appartiennent généralement au Rig-véda; la partie de prose consiste en formules appartenant à des écoles diverses et signalant une époque plus avancée de la théologie indienne. II forme deux recueils (sanhitâ) connus sous les noms de Yajus blanc et de Yajus noir, dont les sujets sont identiques, mais qui ne présentent pas le même arrangement : dans le premier on ne trouve que les formules du sacrifice, les explications et les développements étant rejetés dans le brahmana; dans la noir, au contraire, les formules sont ordinairement suivies des explications dogmatiques et de teint ce qui concerne le cérémonial. 

Quant à l'Atharva-véda, il est composé exclusivement d'hymnes en vers, ainsi que le Rig-véda; il en renferme plus de sept cents : mais ces chants ont surtout pour objet les puissances malfaisantes de la nature, les animaux nuisibles, les maladies, les ennemis publics et surtout privés; et ils marquent une époque où les doctrines cosmologiques des temps antérieurs avaient déjà engendré de grossières superstitions.

L'examen du contenu et de la forme même des quatre Védas prouve qu'ils sont d'époques assez différentes et même de pays assez éloignés les uns des autres. Il est probable, en effet, sinon tout à fait certain, que l'Atharva-véda, qui est le dernier en date, a été composé dans l'Inde orientale, c.-à-d. dans les vallées gangétiques; le Yajus paraît se rapporter à l'Inde moyenne, à l'orient de la Sarasvatî; le Sâma, comme composé de vers extraits du Rig, lui est nécessairement postérieur, malgré la forme archaïque de beaucoup d'expressions. Or, il est certain que l'organisation définitive des cérémonies du culte a eu lieu sous le régime de l'institution brâhmanique, dans un temps où les Aryas s'étaient avancés de l'O., à l'E. jusque sur les affluents supérieurs du Gange, au midi des monts Himalaya. Quant au Rig-véda, qui reste ainsi la plus ancienne des quatre collections, sa simple lecture ne laisse aucun doute sur les lieux où il a été composé. Il est certain, en effet, que c'est à une époque assez récente qu'il a été présenté par les brâhmanes sous sa forme actuelle de recueil, et que les hymnes y ont été rangés dans un ordre déterminé; mais ce travail a été analogue à celui qui fut fait sous la direction d'Esdras, quand il réunit et publia les anciens livres hébraïques, qui lui étaient de beaucoup antérieurs. 

Les hymnes du Rig-véda, conservés dans les familles sacerdotales, témoignent, à cent reprises, qu'ils ont été chantés dans un pays nommé Saptasindhu ou les Sept-rivières; ces rivières sont nommées, soit isolément, soit même toutes ensemble et dans leur ordre géographique; les noms qui leur sont donnés sont ceux qu'elles portaient au temps d'Alexandre le Grand, et que les Grecs ont plus ou moins défigurés; c'est encore ceux qu'elles portent aujourd'hui pour la plupart; leur direction vers le sud est plusieurs fois signalée dans le Véda, ainsi que leur réunion dans un bassin commun, qui porte constamment le nom de Sindhu. De tous ces faits il ressort que ces hymnes ont été composés dans les vallées de l'Indus et non dans celles du Gange, qui n'y est nommé qu'une fois, dans un hymne de la fin de la période. Cette contrée est donnée comme comprise entre le désert (désert de Marwar) et la montagne (l'Himalaya); vers l'O., elle ne dépasse pas les monts Bolor; et à l'E., elle s'étend jusqu'à la Sarayû, affluent du Gange qui traverse la ville d'Adôdhya (Aoude). Le noyau central des monts d'Asie est signalé dans le Rig-véda; mais il n'y est point question des pays situés au delà et arrosés par l'Oxus, bien que les rives de ce fleuve soient le berceau même des Aryas; ce fait prouve qu'à l'époque des hymnes du Rig, la séparation des Aryas de l'Inde était accomplie depuis fort longtemps.

Le Rig-véda n'est pas l'oeuvre d'un seul homme : Vyâsa est le nom générique donné en sanscrit à tous les compilateurs indiens; les noms qui, dans le recueil, accompagnent chaque hymne, et dont beaucoup sont certainement authentiques, sont au nombre de plus de trois cents; ils appartiennent à des familles, à des époques et à des parties du Saptasindhu très différentes les unes des autres; de sorte qu'on estime à trois siècles environ la durée de la période des hymnes. A quel temps faut-il rapporter les hymnes du Rig-véda? On ne saurait le dire d'une façon précise. Mais il est fort ancien : car le Bouddha est mort en l'an 544 ou 543 av. J.-C.; sa réforme, toute morale, supposait une civilisation déjà vieillie et usée, la civilisation brahmanique. Celle-ci avait elle-même eu son point culminant, sa période de développement régulier, et son moyen âge, pendant lequel elle s'était élaborée. C'est ce Moyen âge qui est caractérisé par la littérature des Brahmanas, écrits en langue védique et non en sanscrit, aussi bien que les Védas eux-mêmes. On sera plus que modéré en donnant mille années d'existence à la civilisation brâhmanique avant le Bouddha. On est ainsi reporté au XVIe ou au XVIIe siècle av. J.-C. pour le temps où les hymnes du Rig furent composés; mais il se peut qu'ils soient plus anciens.

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Prière à Dieu

« Ne me laisse plus rentrer, ô Varuna, dans cette maison d'argile et de boue [le corps]; aie pitié de moi, ô Dieu tout-puissant, aie pitié de moi!

Si je marche tout tremblant comme un nuage que chasse le vent, aie pitié de moi, ô Dieu tout-puissant, aie pitié de moi!

C'est parce que je manque de force, Dieu fort et brillant, que je suis allé me briser sur le fatal rivage; aie pitié de moi, ô Dieu tout-puissant, aie pitié de moi!

La soif a dévoré ton adorateur bien qu'il fût au milieu des eaux; aie pitié de moi, ô Dieu tout-puissant, aie pitié de moi!

Toutes les fois, ô Varuna, que nous, simples hommes, nous commettons quelque offense contre l'armée des cieux, toutes les fois que nous violons ta loi sans intention, aie pitié de nous, ô Dieu tout-puissant, aie pitié de nous!  »
 

(Rig-Véda, 102e hymne).

Comme oeuvres littéraires, les hymnes sont l'unique monument de ce genre dans une langue indo-européenne, puisque les hymnes antiques de la Grèce sont perdus sans exception. Ceux du Rig-véda sont classiques, dans leur fond et dans leur forme : la poésie est toute empruntée à la nature extérieure ou à la vie ordinaire des populations aryennes. Les phénomènes du jour naissant, de la foudre et des vents; ceux du feu sacré qui s'allume, se développe ou s'éteint; la marche des Aryas à travers des peuples ennemis et barbares; le labourage et les troupeaux; la naissance, le mariage, la mort avec la sépulture : tels sont les sujets ordinaires des hymnes, sujets qui y sont traités généralement avec une grande sincérité d'observation. A coté de ces faits réels, les hymnes présentent tout un monde de conceptions symboliques, offrant la plus grande analogie avec les divinités de la mythologie grecque : chaque ordre de phénomènes naturels est rapporté à une puissance vivante, à laquelle l'imagination prête une forme humaine, et qu'elle fait agir ensuite à la façon des hommes de ce temps; il y a donc un Panthéon védique, tout composé d'êtres idéaux présidant à la nature entière et la reproduisant d'une façon poétique et classique. On ne trouve pas dans le Véda ces êtres monstrueux qui sont en si grand nombre dans le Panthéon brahmanique des temps postérieurs; il y a dans les idéaux védiques autant de mesure et de proportion que les artistes grecs en ont su donner aux divinités de leur pays. 

L'état de la société où furent composés les hymnes est fortement retracé dans tout le recueil du Rig-véda. Les familles se rattachent étroitement par leur origine à des ancêtres presque divins et qui sont déclarés être eux-mêmes les auteurs des dieux, c'est-à-dire des symboles. Comme, dans la doctrine mystique de ces temps, un même principe igné et intelligent anime tous les êtres vivants, se transmet à travers les générations et se manifeste sur l'autel où brûle le feu, les pères sont pour les fils non seulement les auteurs de leurs formes corporelles, mais encore le principe même d'où la vie leur a été transmise. Et le principe de vie, ne pouvant périr, unit les générations les unes aux autres et devient le fondement de la famille. L'état primitif de la famille est indiqué par les noms de parenté, dont la langue védique donne la signification première. Les fonctions et les rapports de ses membres entre eux sont par là clairement aperçus. Le père est le chef, la mère est la maîtresse de maison, la fille est celle qui trait les vaches, et le fils est le défenseur; à un autre point de vue, le père est le nourricier de la famille, et la mère est la dispensatrice. Les mots védiques qui expriment ces relations sont les mêmes qu'en latin, en grec, en allemand, etc., mais n'ont de signification saisissable que dans la langue des hymnes. On doit dire toutefois que les rôles qu'ils expriment étaient déjà fort altérés au temps du Véda. Un hymne nuptial nous permet de suivre dans ses détails la cérémonie religieuse du mariage, et nous montre qu'une métaphysique sérieuse y présidait dès cette époque : la liberté de la femme est complète jusqu'au dernier moment; son autonomie ne fut point détruite par l'usage royal de la polygamie; il n'y eut jamais de marché toléré par la loi en pareil cas.

La division en castes de la société indienne n'existe pas encore au temps du Rig-véda; elle existe à l'époque de l'Atharva-véda; et il semble qu'elle existe même déjà au temps du Yajus. II y a, dans le Rig, des brahmanes, des rajas et le peuple, désigné sous le nom de viç : mais on peut être raja et brahmane à la fois, comme le prouvent de nombreux exemples : il n'y a pas d'hérédité absolument établie dans les fonctions; on voit aussi des brahmanes accomplir les actes qui plus tard furent réservés aux gens du peuple et même aux çûdras. Ce dernier mot ne se rencontre même que dans un hymne, reconnu pour appartenir aux temps postérieurs. Le brahmane du Rig-véda est le père de famille dans l'exercice des fonctions sacrées; le roi est le père de famille commandant à l'armée et gouvernant son territoire en temps de paix; la viç, c'est le peuple des Aryas tout entier. Mais, à mesure que l'établissement des Aryas dans l'Inde fut plus ancien et plus solide, il se forma des familles sacerdotales conservant le dépôt de l'hymne et de l'enseignement sacré, et des familles féodales dont l'autorité, fondée d'abord sur la richesse, fut rehaussée par la cérémonie da sacre. Enfin il vint un temps où la richesse et le pouvoir d'action des seigneurs tinrent dans une sorte d'infériorité la classe sacerdotale, qui avait pour elle le pouvoir spirituel, fondé sur la tradition et la science : la hiérarchie des castes fut définitivement constituée lorsque les deux pouvoirs se trouvèrent, réunis entre les mains d'une même famille, celle du grand poète védique Viçwamitra. Cette révolution s'accomplit entre la période du Rig et celle du Yajus : elle marque le commencement de la société brahmanique dans l'Inde; mais ces faits se passaient encore dans les vallées du Saptasindhu et non dans les contrées du Gange.
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La production du monde

« Alors rien n'existait, ni le non-être, ni l'être, ni monde, ni air, ni région supérieure. Quelle était donc l'enveloppe de toutes choses? Où était, quel était le réceptacle de l'eau? Où était la profondeur impénétrable de l'air? Il n'y avait point de mort, point d'immortalité, pas de flambeaux du jour et de la nuit. Mais Lui seul respirait sans respirer, absorbé dans l'ardeur de sa propre pensée. Il n'entendait rien, absolument rien autre que lui. Les ténèbres étaient au commencement enveloppées de ténèbres; l'eau était sans éclat. Mais l'être reposait dans le vide qui le portait, et cet univers fut enfin produit par la force de son ardeur intellectuelle [...].

A l'origine, l'être était unique [...]. Il était seul au commencement, sans second. Il éprouva un désir : Plût à Dieu, dit-il, que je fusse plusieurs et que j'engendrasse! Et il créa la lumière. La lumière éprouva le même désir et créa les eaux. Les eaux désirèrent également, et elles dirent : Plût au ciel que nous fussions multipliées et fécondes! Et elles créèrent la terre. »
 

(Rig-Véda, 15e hymne).

Quant au culte, les Védas nous fournissent les détails les plus circonstanciés sur ses cérémonies. Toutefois, pour les rétablir sous leur forma la plus ancienne, il faut surtout les chercher dans le Rig, et constater ensuite leurs développements dans les autres recueils, ainsi que dans les Brahmanas et les Sûtras. Ce culte est fort simple : point de temple; un autel de terre est dressé dans un lieu découvert; il y aune enceinte sacrée où les prêtres, au nombre de quatre, puis de sept, viennent se placer; chacun d'eux a son rôle. On allume le feu sacré par le frottement de deux pièces de bois l'une contre l'autre; la première étincelle est alimentée avec le beurre clarifié; le bûcher s'enflamme; les prêtres y portent l'offrande solide des gâteaux et la liqueur fermentée et alcoolique du sôma, qui, par l'intermédiaire du feu, est offerte aux dieux. Ceux-ci sont présents à la cérémonie; ils sont assis sur le gazon sacré répandu autour de l'autel. Pendant ce temps, les prêtres chantent l'hymne en l'honneur des dieux. Tel est l'ensemble d'une cérémonie védique : on la répétait trois fois par jour, au lever de l'aurore, à midi, et au coucher du soleil. Dans des circonstances rares, on offrait aussi des sacrifices sanglants : on immolait un cheval précédé d'un bouc; et la chair de la victime, rôtie au foyer sacré, était partagée entre ceux des assistants qui en désiraient; ce sacrifice, étant fort coûteux, resta une cérémonie royale, connue sous le nom d'açwamêdha.

Tous les détails du culte védique étaient étroitement liés avec une métaphysique déjà profonde, partout exposée dans les Védas et dont voici les principaux traits. Le fond de cette doctrine consiste dans la théorie des Asuras ou principes de vie (asu). Plus tard, une révolution lente ayant substitué à ces premières conceptions un peu vagues des personnes divines mieux définies, on donna à celles-ci le nom de dêvas ou dieux, et le mot asura désigna uniquement cette antique génération divine, analogue aux Titans et composée des ennemis des dieux. Mais ce progrès des idées était loin d'être accompli au temps du Rig-véda. Les principaux Asuras sont : Agni ou le Feu, qui est d'abord le feu qui brille, extrait du bois, et nourri sur l'autel avec le corps de l'offrande; ce feu s'éteint, mais en réalité ne fait que se cacher, et put renaître sans fin dans chaque cérémonie; Agni est aussi le feu de la vie qui se condense dans les végétaux et les animaux, le feu de la foudre qui se rassemble dans le nuage et qui, descendant avec la pluie, nourrit les plantes et entretient la vie; c'est ce même principe qui réside dans le beurre consacré, extrait du lait, première nourriture de tous les animaux, et par qui l'étincelle du foyer produit un embrasement. Comme principe de vie, il est aussi l'auteur des formes, et remplit les rôles de Prométhée et de Héphaïstos; enfin, comme les choses n'ont d'utilité que par leurs formes, Agni est le producteur de tous les biens. Envisagé dans les animaux, il se transmet de l'un à l'autre avec la semence, et porte le nom de Purusha ou principe masculin; il est ainsi l'auteur des générations. Enfin, comme auteur de la lumière et producteur des formes, il est aussi l'auteur de l'intelligence qui les conçoit.

Ce père universel des vivants réside donc en toutes choses : tel est l'Agni du Rig-véda. Les Asuras du ciel lui sont étroitement unis : les uns représentent les diverses énergies célestes du jour et de la nuit, sous les noms de Mitra, Varuna, Aryaman; les autres, celles du Soleil, dont le nom est Sûria, qui veut dire brillant. Comme voyageur céleste, Sûria est d'abord un nain, fini grandit et qui en trois pas parcourt le ciel tout entier; à son point culminant il porte le nom de Vishnu, qui signifie pénétrant. Sous le nom de Savitri, cet Asura est désigné comme producteur des formes, et, sons le nom de Pûshan, comme nourricier. Enfin Vivaswat est le nom par lequel on veut dire qu'il pénètre dans tous les êtres et y habite : et ici son rôle se rapproche de celui d'Agni. En effet, l'énergie atmosphérique du soleil est symbolisée dans la personne d'Indra, dieu des airs, qui paraît le matin tout revêtu d'or, traîné sur un char d'or par des chevaux jaunes, précédé par les Cavaliers célestes, les Maruts, et par l'Aurore. Indra est un chef de guerre : il vient pour livrer bataille aux génies qui retiennent les eaux dans la nue et produisent la stérilité; le Véda est rempli d'hymnes où est décrit le combat d'Indra, armé de la foudre et aidé des vents, contre ces génies de l'orage. Par sa victoire Indra fait pousser les plantes, nourrit les animaux et l'homme, et mérite par là le titre d'Asura. Comme symbole, il est surtout le dieu des guerriers. Vivaswat est l'auteur de l'humanité, et père de Manu, premier être pensant; il est aussi le père de Yama, dieu des morts et de la justice; ces deux personnages rappellent le Minos et le Rhadamante des Crétois.

Tous les détails de la mythologie védique se groupent autour de ces deux conceptions, le feu Agni et le Soleil. Or il arriva, du temps même des hymnes du Rig, que les prêtres aryens saisirent une étroite relation entre le feu terrestre, le feu de l'éclair et le feu solaire, et ne tardèrent pas à les identifier : car l'ancienne société indienne a toujours eu une tendance polythéiste en religion, et un besoin d'unité en métaphysique. Ce dernier besoin porta certains prêtres à donner la prépondérance à une divinité de leur choix, jusqu'au jour où, l'unité d'Agni ayant été entrevue, ils quittèrent l'ancienne doctrine, des Asuras et cherchèrent à définir le principe unique et suprême. Mais dans le Rig-véda, cette définition n'est encore présentée que sous la forme de question et avec timidité; l'être unique n'y a pas encore reçu son nom; toutefois la tendance panthéiste de la doctrine est fortement marquée dans plusieurs hymne, lesquels forment le lien historique entre le polythéisme des temps antérieurs et la grande théorie du brahmanisme. Cette tendance est fortifiée encore par la croyance, non à la métempsycose, mais à la réviviscence, constatée dans plusieurs hymnes où sont des scènes et des formules de résurrection.

On se demande comment, aussi divisée qu'elle l'était, la société âryenne de l'Inde a pu parvenir à l'unité de croyance partout attestée par le Véda : le Véda lui-même l'explique. En effet, il est incontestable que, si le culte a commencé par être privé, il est de bonne heure devenu public : la création des symboles, et ensuite leur interprétation, distingua les prêtres de la foule du peuple; et la nécessité de pourvoir aux autres besoins de la vie retenant les hommes ailleurs, il se forma des familles sacerdotales, attachées au culte et officiant pour tout le monde : il y en a un assez grand nombre de citées dans le Véda; et ce furent celles qui continuèrent d'être à la tête de la société brahmanique. La perpétuation des cultes primitifs s'opérait dans ces familles par l'enseignement paternel, et, dans le peuple, par la répétition journalière des mêmes cérémonies; c'est ce qu'atteste mainte fois le Rig-véda. La présence de sept prêtres autour de l'autel, l'existence de nombreux aumoniers à la cour des rois féodaux, l'enceinte fermée au vulgaire, et enfin le petit nombre relatif des familles sacerdotales, montrent que le culte était public. Le roi en faisait le plus souvent les frais. Du reste, dans toute la période du Véda, il n'y a pas de clergé; le sacerdoce n'a point de hiérarchie; les brahmanes sont égaux entre eux et indépendants les uns des autres. Si donc il s'établit une unité de doctrine, ce ne fut pas seulement la force des anciennes traditions qui en fut la cause, puisque les opinions particulières des prêtres étaient entièrement libres; cette unité fut le résultat d'un accord entre les prêtres eux-mêmes. C'est ce que montrent plusieurs hymnes : le petit nombre des brahmanes dans chaque village les rapprochait naturellement les uns des autres; leur réunion à la cour des seigneurs féodaux et dans les cérémonies solennelles était pour eux une occasion de discuter et de s'entendre sur les matières religieuses; enfin les voyages, même lointains, aux lacs sacrés et aux confluents, étaient déjà en usage au temps des hymnes du Rig, et, s'accomplissant chaque année aux mêmes époques, donnaient lieu à de grandes conférences métaphysiques, dont l'usage se perpétua dans les siècles suivants. Il se forme ainsi des écoles philosophiques et des systèmes, dont les premières bases furent posées dès le temps des hymnes, et qui avaient déjà reçu un grand développement à l'époque du Yajur-véda.

Il est aisé de comprendre comment ces chants si antiques se sont conservés jusqu'à nos jours. II est probable en effet que la dernière recension des recueils védiques n'a eu lieu que quelques siècles avant J.-C., et que la première ne remonte pas très haut dans l'histoire. Mais l'hymne contient le dépôt de la foi antique et de la science traditionnelle; il est le fondement de la religion, de la loi et de la morale publique; toute la société repose sur le Véda. La conservation des cultes de famille étant la sauvegarde de la famille même, on avait un intérêt majeur à ne pas laisser périr les hymnes où les symboles de foi étaient contenus. On voit que les enfants les apprenaient de bonne heure en les entendant chanter par les pères autour de l'autel, et en les étudiant plus tard sous l'autorité paternelle. C'est ainsi que les hymnes se sont transmis pendant plusieurs siècles : de sorte que le jour où l'on a éprouvé le besoin de les recueillir et de les écrire, on n'a eu qu'à les demander aux descendants des anciens prêtres, qui les avaient conservés et qui les chantaient chaque jour à l'autel. II n'y a donc pas lien de douter de leur authenticité, attestée d'ailleurs par toute la littérature sanscrite des temps postérieurs jusqu'à nos jours.

Dans l'Inde, le Véda est le fondement de toute la constitution religieuse, comme l'Evangile chez les chrétiens et le Coran parmi les musulmans. II est en outre la base de toute la constitution civile et politique et du système social des castes. Il n'y a donc dans ce pays aucun livre qui soit révéré à l'égal du Véda. Le grand mouvement religieux qui produisit les divers cultes brahmaniques a son point de départ dans ce livre et ne peut trouver qu'en lui son explication. Les écoles dissidentes y son, déjà en germe; il y a des doctrines hétérodoxes signalées dans le Rig-véda lui-même; et un esprit critique s'y manifeste, auquel on peut rattacher les opinions de Kapila et de Patanjali, et, après eux, la réforme bouddhique. On voit qu'il est impossible de suivre les courants d'idées qui se propagent de siècle en siècle à travers les trois mille ans de la civilisation indienne, si l'on ne remonte à la source, qui est dans Ie Véda, et surtout dans le Rig.

A un autre point de vue, le Véda, quoique appartenant aux Aryas de l'Indus, jette les plus vives lumières sur les temps primitifs et sur les anciennes croyances et institutions des autres peuples aryens. Les plus voisins de l'Inde étaient ceux de l'Iran moderne comprenant surtout les Mèdes et les Perses. Les peuples anciens de ces contrées nous ont laissé un livre sacré, l'Avesta qui n'est guère moins ancien que Ie Veda, et qui offre avec ce dernier les plus, grandes analogies. Mais il renferme un violent antagonisme contre la doctrine indienne des Dêvas, qui a succédé à celle des Asuras, et il montre par là qu'il est d'une époque un peu postérieure aux hymnes védiques; le Véda, en effet, ne renferme aucune trace de cette rivalité. De plus, la grande conception métaphysique de l'Avesta, Ormuzd, porte en zend le nom d'Ahura qui n'est autre que celui d'Asura, ce qui rattache la doctrine iranienne à celle qui est développée dans les hymnes da Rig et da Sâma; et, comme elle l'est beaucoup plus dans ces recueils indiens que dans celui des peuples de l'Iran, elle y offre une clarté qui ne se rencontre pas ailleurs. (Em. B., 1877).



En bibliothèque - Colebrooke, On the Védas dans les Recherches asiatiques, t. VIII; Roth, Littérature et Histoire des Védas, en allem., 1846; Anquetil-Duperron, Oupnekhat, Strasbourg, 1801, 2 vol. in-4°, et Ezour Vedam, Yverdun, 1778, 2 vol. in-12; F. Nève, Études sur les hymnes dit Rig-Véda, Paris, 1842, in-8°; Rosen, Rig-vedae specimen, Londres, 1833, in-4°, et Rig-véda Sanhita, lib. 1, ibid., 1838, in-4°; Wilson, Rig-véda Sanhita, avec trad. anglaise, 1850; Max Müller, Rig-véda Sanhita, etc., with the comment. or Sayanaeharya, Londres, in-4°; Rig-véda, traduit en français par V. Langlois, 1851, 4 vol. in-8°; Stevenson, Sanhita of the Sama-véda, Londres, 1843, gr. in-8-, et Translation of the Sama-véda, 1842; Benfey, Die hymnen des Sâma-véda, avec trad. allemande, Leipzig, 1848, in-4°; Weber, The white Yajur-véda, Berlin et Londres, 1851, 4 vol. in-4°; Both et Whiteney, Atharva-véda, Berlin, 1855; Barthélemy Saint-Hilaire, Des Védas, Paris, 1854; Hauvette-Besnault, Mémoire sur les hymnes du Rig-véda, couronné par l'Institut en 1857; Em. Burnouf, Essai sur le Véda, 1862, in-8.
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Dictionnaire Le monde des textes
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