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Le portrait
(du vieux français pourtraict) est la représentation
- trait pour trait - en médaillon, en buste ou en pied, de la physionomie
extérieure et particulière d'un homme, d'une femme ou d'un
enfant. Un portrait sculpté s'appelle buste, s'il est en ronde-bosse;
médaillon, s'il est en bas-relief.
On fait des portraits à la plume, au crayon, au pastel, à
l'huile, à l'aquarelle,
en miniature, sur émail,
sur porcelaine, en gravure,
en lithographie, au daguerréotype,
en photographie, etc.
Le sens ancien du mot « pourtraict»
était beaucoup plus général et signifiait la représentation
d'une chose quelconque, et notamment d'ailleurs « peindre et faire
la figure »; on le trouve appliqué à des dessins de
broderie dans les comptes de Louise de Savoie .
Le besoin de garder son image ou celle des êtres que l'on aime a
été commun à toutes les civilisations : à certaines
époques, comme au temps des Antonins
ou sous le règne des Valois, il a pris un développement tel
qu'il y eut alors des sculpteurs ou des peintres qui firent exclusivement
le métier de portraitistes.
Les Grecs
et les Romains ,
habitués à la vie libre des bains et des jeux, firent beaucoup
de portraits d'hommes nus, des athlètes en Grèce, à
Rome des empereurs. Chez eux, pourtant,
si l'on excepte une femme, Lala de Cyzique ,
qui vivait au dernier siècle avant l'ère chrétienne,
il n'y avait pas d'artistes adonnés exclusivement au portrait; cette
partie de l'art était exercée par les peintres
d'histoire, et Apelles fut celui qui y obtint
la plus grande célébrité. Bien qu'il soit difficile;
la plupart des ouvrages peints ayant disparu, d'établir une proportion
entre la peinture
et la sculpture, le goût de la plastique
peut nous donner la conviction que le plus grand nombre de leurs figures
étaient sculptées. Il nous reste aussi des Grecs des portraits
en buste, tel le prétendu Platon
du musée de Naples .
Mais c'est aux Romains
qu'il faut s'arrêter pour en voir apparaître de toutes parts;
ils sont, par leur amour de la réalité, essentiellement faiseurs
de portraits les bustes ou les statues des
empereurs ou des personnages impériaux
se multiplient à l'infini; la colonne Trajane ou l'Antonine
sont une interminable suite de soldats véritables, et, à
une époque où la statuaire antique est finie, se modèle
encore le superbe Hadrien du Vatican
ou même la figure d'un Antinoüs.
Le portrait fut aussi très répandu chez les Romains sous
la forme de diptyques en ivoire que les consuls
d'abord, et plus tard les magistrats des villes, puis les évêques,
envoyaient lors de leur entrée en charge aux hauts fonctionnaires
de l'empire et aux personnes qu'ils voulaient honorer. Les diptyques restèrent
en usage dans l'empire d'Orient ,
puis vinrent les portraits en mosaïque,
dont les plus célèbres sont le Justinien
et la Théodora de Saint-Vital,
à Ravenne.
Au Moyen âge ,
parfois l'on grave au trait ou en relief l'image du défunt sur se
pierre tombale; ensuite viendront les figures couchées sur les tombeaux
qui se montreront dans leur beauté, en France
avec l'école de Bourgogne ,
en Italie
avec les Cosmates, puis des figures agenouillées ou assises. Au
XVe siècle, les portraits des donateurs
se reproduisirent dans les vitraux, ainsi que dans les tableaux votifs;
mais déjà sont peints en Flandre ,
dans la première moitié du siècle, les merveilleux
petits portraits des Van Eyck. En Italie, au
XIIIe siècle, l'on ne trouve pas
de portraits chez les sculpteurs pisans, mais on commence à en rencontrer
dans la peinture
de Giotto et de son école jusqu'à
ce que viennent les quattrocentistes et ces exquises têtes de femmes
de Piero della Francesca, de Botticelli,
de Pollaiuolo.
-
La
Vierge et l'Enfant, par Filippo Lippi (ca.1445).
La première galerie de portraits
connue est, au début du XVIe siècle,
celle de Marguerite d'Autriche, où figuraient tous les princes de
son temps en une série de tableaux encastrés dans les lambris.
François Ier,
dans son château de Beauregard, avait
réuni 363 portraits de l'histoire de France ,
encastrés eux aussi dans la boiserie comme le furent plus tard ceux
de Versailles dont cette collection donna
sans doute l'idée. Vers 1550, une galerie fut formée au Louvre,
riche en Clouet et en Porbus, qui fut détruite
par un incendie pendant la minorité de Louis
XIV; Catherine de Médicis
avait une collection de 269 portraits, et Diane de Poitiers en avait réuni
un assez grand nombre au château d'Anet ,
mais qui étaient tous d'elle, dans les tenues les plus diverses.
Cette passion de l'époque suscita naturellement des portraitistes
dont les oeuvres, devenues rares, sont aujourd'hui fort recherchées
Clouet, les Dumoustier, Jean Rabel, Lagneau, Mathieu Beauhrun. Dans le
même temps, le grand peintre de Bâle ,
Holbein, peignait la cour de Henri
VIII. En Italie ,
l'art était dans toute sa gloire, et tandis que Raphaël
fait les portraits de Jules II et de Léon X; que Léonard
peint Mona Lisa ,
Michel-Ange assied sur leurs tombeaux Laurent
et Julien de Médicis. Mais, sans plus
s'arrêter aux Bronzino et aux Lotto, c'est
à Venise qu'il faut chercher la plus
belle floraison de portraits, bien qu'aucun Vénitien ne soit, à
strictement parler, un portraitiste, et, après Giovani
Bellini, Giorgione et Palma le Vieux, voici
venir Titien et Le Tintoret.
En Allemagne ,
c'est Albrecht Dürer, Cranach,
Amberger.
-
La
Bohémienne, par Frans Hals (ca. 1630).
Les collections de portraits continuent
à être à la mode au XVIIe
siècle : Sully, dans son château
de Villebon, a un « Cabinet des Illustres »; la grande Mademoiselle
a une galerie au château de Saint-Fargeau ; après Richelieu,
Mazarin aura la sienne; le maréchal de
Villeroi en a une à Conflans. Simon Vouet,
Charles et Henri Beaubrun, Jouvenet, Sébastien
Bourdon, Poërson, Le Brun, Mignard,
Rigaud, Largillière
sont les peintres recherchés, et Philippe
de Champaigne fait les beaux portraits ascétiques de Port-Royal .
Richelet, dans son Dictionnaire
paru en 1693, cite comme les plus grands portraitistes de son temps Largillière,
qu'il appelle l'Arzillière, Ferdinand, Rigaud, Vignon, et de Troy,
et, il remarque que c'est un très bon métier « parce
qu'il n'y a pas de bourgeoise un peu coquette qui ne veuille avoir son
portrait ». Les grands graveurs de portraits paraissent alors : les
Nanteuil, les Edelinck, les Drevet, les Paul Pont. Et cependant, tandis
qu'en Espagne ,
Velazquez peint ses Philippe
IV, Rembrandt à Amsterdam
recommence indéfiniment son portrait, celui de sa femme, celui de
son fils, et ils sont l'un et l'autre les maîtres insurpassables.
En Hollande ,
le nombre des portraits est alors prodigieux; avec cette particularité
de pays et d'époque qu'ils sont surtout des portraits de corporations;
et, autour de Rembrandt peignant ses sublimes Syndics des drapiers,
voici l'étonnante série de Franz Hals au musée de
Haarlem, et Van der Helst, Terburg, Cornelis de Vos, Ferdinand Bol. Mierevelt.
En Flandre ,
après Rubens, prestigieux, ont paru Jordaens
et Van Dyck qui devient le peintre de Gênes
et de Londres dans le charme de sa suprême
élégance. Au XVIIIe siècle,
la France
a les Van Loo, Santerre, Tocqué, Nattier, Drouais; plus tard, Greuze,
Heinsius et Elisabeth Vigée-Lebrun,
mais elle a surtout les pastels de La Tour, les dessins
de Cochin et les bustes de Houdon.
En Angleterre ,
c'est la grande époque de Reynolds, de
Lawrence, de Gainsborough,
d'Hoppner, de Romney; l'Allemagne
de Raphaël Mengs, etc.
Au XVIIe
et au XVIIIe siècle, le nombre des
portraits est très considérable, et beaucoup sans doute ont
été perdus; avant l'âge de sept ans, Louis
XIII a été peint sept fois, et durant sa vie, Louis
XIV le sera incessamment et par tous les peintres; le portrait que
fait La Tour de Mlle de Mailly est le seizième. Les peintres ne
faisaient alors poser que pour la tête, et, lorsqu'ils avaient des
modèles intéressants, ils exécutaient des copies de
leur tableau et les mettaient dans le commerce.
On offrait couramment son portrait, comme on donnera plus tard sa photographie;
nous voyons les amants de Molière échanger
le leur. C'est à peine si, au temps de Louis
XV, on se soucia de la ressemblance : les hommes aimaient à
se faire peindre en Mars
ou en Apollon ,
les femmes en Diane ,
en Flore ,
en Vénus ,
avec de grands yeux, de petites bouches, des joues roses et rondes. Plus
tard, on se fit surtout présent de miniatures,
parfois encadrées de pierres précieuses; on s'envoyait aussi
des images modelées en cire. Des portraits du roi étaient
placés dans l'Hôtel public des grandes villes, et aussi ceux
des magistrats de la cité qui étaient peints à l'ordinaire
par un artiste attitré. Quand vint l'Empire, on exposa plus que
jamais les portraits des souverains, mais ceux des magistrats furent supprimés.
Les collections réunies par les corps constitués furent dès
longtemps fréquentes; c'était une coutume des ordres religieux
de réunir les portraits des fondateurs, protecteurs et directeurs
de leur ordre; l'Académie de peinture
gardait ceux de ses directeurs, habitude conservée et développée
par l'Institut. Le goût de ces représentations put devenir
tel que Louis-Philippe fit faire, par amour
de l'histoire, le portrait, fort apocryphe, des anciens maréchaux
de France
et en encombra le rez-de-chaussée du palais de Versailles. Venise,
dans la salle du Grand Conseil, a la suite de ses doges, et Pie
IX a fait compléter en mosaïque,
à Saint-Paul hors les Murs, l'iconographie de tous les papes. Le
musée des Offices possède une collection célèbre
de portraits de peintres, et le Louvre s'en
est constitué une.
Bien qu'il ne posât pas, on a compté
2500 portraits de Napoléon. Par la suite,
la fréquence des portraits ou du moins leur proportion par rapport
au nombre de gens susceptibles d'être représentés,
a notablement diminué; on doit en chercher l'une des causes principales
dans la découverte de la photographie.
Les artistes qui les ont faits sont néanmoins nombreux et souvent
magnifiques ainsi, sous l'Empire et la Restauration, Prudhon,
David, Gérard, Isabey, et les miniatures
d'Augustin et de Mme de Mirbel; sous Louis-Philippe,
Ingres, et, après lui, Lehmann, Ary Scheffer,
Paul Delaroche, L. Cogniet, Horace
Vernet, Court, Hippolyte Flandrin, et les lithographies de Deveria,
et les médaillons de David d'Angers;
sous le second Empire, avec les peintres à la mode Winterhalter
et Dubufe, voici Baudry et Delaunay, Chaplin, Cabanel, Courbet,
et les bustes de Carpeaux; puis H. Regnault,
Manet, Ricard et Bastien-Lepage. Enfin, à
la fin du XIXe siècle, tandis que
Burne-Jones, Leighton, Watts ont peint en Angleterre ,
Lenbach en Allemagne ,
en France, on a assisté à une puissante floraison, avec les
bustes de Rodin et de Falguière, avec les médailles de Roty,
de Chaplain, de Vernon, en une réunion des plus célèbres
ou des plus grands, Carolus-Duran, Henner, Roll, Paul Dubois, Dagnan, Besnard,
Humbert, Carrière, Bonnat, Lefebvre, Renoir,
Helleu, Machard, La Gandera, Boutet de Monvel, Blanche, Baschet, Wencker,
Vincent Van Gogh;
et auprès d'eux, peignant en France
ou y venant exposer, des Anglais, Sargent, Guthrie, Orchardson; des Américains,
WhistLer, Dannat, Alexander; l'Italien Boldini; le hollandais Melchers;
le Suédois Zorn.
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Le
Cri, par Edvard Munch (1893).
L'irruption de l'art abstrait et non-figuratif
et leur développement tout au long du XXe
siècle ont quelque peu diminué la place du portrait. Il va
pourtant inspirer encore de nombreux peintres, dans des directions très
diverses : par exemple, pour la fin du XIXe siècle et le début
du XXe : Matisse, Modigliani, Picasso,
évidemment les expressionnistes (Chaïm Soutine, Oskar Kokoshka,
Emil Nolde, Otto Dix, Edward Munch, Max Beckmann, , etc.); et plus près
de nous : Robert Lapoujade Lucian Freud, Andy Warhol, Francis Bacon ou
Chuck Close. (Etienne Bricon).
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Pierre
Assouline, Le
Portrait, (Roman) Gallimard, 2007. - L'idée
de départ du livre consiste à "donner la parole" à
un tableau pour retracer tous les événements auquel il a
assisté, depuis son premier accrochage jusqu'à aujourd'hui.
A partir de là, Pierre Assouline s'est fixé plusieurs contraintes
: d'abord, choisir au hasard, parmi les portraits du XIXe siècle,
un tableau qui lui "parle"; ensuite, ne rien raconter qui ne soit pas absolument
vrai.
Le
sort a voulu que son choix se porte sur une oeuvre d'Ingres,
le portrait de la baronne Betty de Rothschild, peint dans les années
1840. C'est donc en compagnie de ce tableau, et du regard qu'il porte sur
le monde depuis les cimaises, que le lecteur va traverser plus d'un siècle
et demi d'histoire - des Rothschild, de France
et d'Europe.
Ainsi,
tout commence dans les salons de l'hôtel particulier de la rue Laffitte,
à la fois résidence du baron James de Rothschild et siège
de la banque du même nom. Le tableau passe ensuite chez le fils de
Betty, qui l'installe dans son hôtel de la rue Saint-Florentin avant
de le transférer au château de Ferrière, à Ozoir-la-Ferrière.
Dans cette résidence prestigieuse qui accueille le gratin des personnalités
culturelles, artistiques, financières et politiques du temps, c'est
à la transition entre le Second Empire et la IIIe République
que le tableau assiste.
Quelques
décennies plus tard, le portrait se retrouve sous d'autres ors,
bien loin d'Île-de-France : volé sur ordre de Goering, il
est temporairement hébergé au château de Neuschwanstein,
le "rêve de pierre" de Louis II de Bavière, dans l'attente
de la création du "plus grand musée du monde" cher à
Hitler. Puis, après un séjour périlleux dans une mine
de sel, le tableau est récupéré par les Alliés
avant d'être restitué dans des circonstances pittoresques
à son légitime propriétaire, Guy de Rothschild. Mais
ses aventures continuent, puisqu'il figurera dans de nombreuses expositions
qui le mèneront jusqu'à New York...
A la
fois récit scrupuleusement exact d'un incroyable parcours et biographie
de la branche française de la dynastie Rothschild des origines à
nos jours, Un portrait se dévore comme un véritable roman
d'aventures. (couv).
Jean-Jacques
Courtine, Claudine Harochen, Histoire
du visage : Exprimer et taire ses émotions (du XVIe siècle
au début du XIXe siècle), Payot Poche, 2007.
- Le visage parle. Entre le XVIe et le XIXe siècle,
les textes le disent et le répètent : dans les traits de
l'homme physique, on peut lire l'homme psychologique. Mais le visage peut
aussi dissimuler, et la physionomie traduire autant l'authenticité
que la conformité. De plus en plus sensible à l'individu,
au regard et au mouvement des traits, le XVIe siècle voit grandir
l'empire de l'expression individuelle. Mais dans le même temps, on
en vient à se méfier de tout excès et à vouloir
mettre le corps au silence. A l'aube du XIXe siècle, avec l'avènement
des sociétés de masse, les visages tendent à devenir
anonymes, une peur de l'inconnu se dessine, ainsi que des partages entre
physionomie de l'honnête homme et de l'homme dangereux, entre physique
populaire et physique bourgeois... (couv.).
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