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Les Enfers

Les Enfers, Inferni loci, sont des lieux  où, selon de nombreuses croyances,  se rendent les âmes des morts;  Chez les Égyptiens, à qui les Grecs paraissent avoir emprunté leurs traditions à cet égard, il s'appelait l'Amenthès; chez les Indiens, Patala et Naraka; chez les Perses, Douzakh; chez les Scandinaves Nifheim. Chez les Juifs, c'est le Shéol. Les Musulmans distinguent 7 enfers, affectés aux coupables des différentes religions, Musulmans, Chrétiens, Juifs, Guèbres.  Les Mésopotamiens le décrivaient comme le « pays sans retour » ou le royaume des morts, c’est un espace souterrain symétrique du ciel où séjournent après la mort les fantômes. Il existe encore beaucoup d'autres conceptions de l'Enfer.
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Damnés en Enfer.
Le tourment des damnés en Enfer (gravure du XIXe s.).

L'autre monde.
L'appellation d'enfers désigne la demeure des morts. La grande majorité des sociétés humaines ont admis la survivance de l'âme au corps. Dans certaines sociétés on croit que les morts continuent de résider auprès des vivants, soit qu'ils errent parmi eux, soit qu'ils habitent leur tombe et en sortent fréquemment pour se mêler à la vie de leurs contemporains ou de leurs descendants. Plus fréquemment, on assigne aux défunts une demeure spéciale, soit dans les montagnes au milieu des nuages et, par une généralisation facile à comprendre, dans le ciel; soit dans une région éloignée, située le plus souvent au delà des mers, soit dans un monde souterrain. Ces idées se rattachent étroitement aux usages suivis pour les funérailles et aux idées sur la mort. 
Nous n'insisterons ici que sur les deux principales, celle d'après laquelle « l'autre monde », le monde des morts, est situé dans une région éloignée et celle d'après laquelle il est souterrain.

La première de ces conceptions est parfois, mais pas nécessairement, rattachée à des migrations réelles ou mythiques accomplies autrefois par les peuples chez qui elle domine. Les Chonos de la Patagonie croient être venus de l'Ouest, au delà de l'océan Pacifique : c'est de ce côté qu'ils placent le séjour des morts; d'autres peuples qui se sont déplacés en remontant des fleuves jettent leurs morts à l'eau pour qu'ils retournent au pays des ancêtres. Les Bretons plaçaient le séjour des morts dans l'île de Brittia (les îles fantastiques), par delà l'océan Atlantique. Au XIXe siècle encore, à Plouguel, sur la rivière de Tréguier, on faisait faire aux morts un détour pour aller au cimetière, traversant un petit bras de mer appelé « passage de l'Enfer ». 

Non moins répandue est la croyance qui relègue les morts dans un monde souterrain. Le monde souterrain, en connexion étroite avec ces cavernes dont on sait qu'elles ont été depuis très longtemps des lieux de culte, devint le monde des morts.  On rencontre cette conception avec le Shéol des Hébreux et à l'Hadès des Grecs. C'est aussi celle qui a prévalu parmi les sociétés européennes. Quand les imaginations se sont compliquées par la distinction morale d'un enfer et d'un paradis et même d'un purgatoire; on a restreint la part du monde souterrain, de l'enfer; on le réserva aux méchants; les bons furent placés dans l'empyrée, tant la notion du bonheur parait inséparable de la lumière.
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Grèce.
Dans les poèmes homériques, qui nous fournissent les plus anciens témoignages sur la religion des Grecs, l'enfer ou Hadès est pour les morts un séjour peu enviable. Ils ne sont plus que des ombres vaines, réduites à un minimum d'existence physique et intellectuelle, privées de mémoire; l'autre monde n'est qu'un pâle reflet de celui-ci. La version de l'Iliade et celle de l'Odyssée sont en désaccord; dans l'Iliade, l'Hadès, sur lequel règne le dieu du même nom, est un monde souterrain, communiquant par des soupiraux avec la surface terrestre où s'agitent les vivants; dans l'Odyssée, l'enfer est situé à l'extrême occident, au delà de l'Océan, dans une région que n'éclairent pas les rayons du soleil. On a vainement essayé de concilier ces deux conceptions. La première a prévalu dans la mythologie grecque. On accorda bientôt aux ombres une conscience et une existence plus intenses. Cela était nécessaire pour que les criminels dont le châtiment continuait après leur mort pussent le ressentir. D'ailleurs, dans les poèmes homériques, perce déjà l'opinion (contradictoire avec celle que nous venons d'indiquer) que la mort, affranchissant l'âme des liens du corps, lui procure des connaissances surnaturelles. On est alors bien près d'admettre que la situation des morts est supérieure à celle des vivants. Ce qui y incline, c'est qu'on s'occupe surtout des morts illustres, des héros. Dans l'Odyssée, il est déjà question du champ élyséen (Elysion pedion), où ils jouissent d'un bonheur perpétuel. Le passage est peut-être interpolé; mais on peut en dire autant de la Nekyia, l'évocation des morts, où ceux-ci apparaissent presque dénués de toute existence réelle.

Les idées des Grecs sur la vie future furent complètement modifiées par l'orphisme; la théologie orphique enseigne le panthéisme et la transmigration des âmes; ces enseignements se rapprochent de ceux de la religion éleusinienne et des mystères. La philosophie achève en affirmant l'immatérialité et la nature divine de l'âme. Il ne reste plus grande place pour l'enfer homérique. Pindare cherche à combiner ces théories avec celles de l'Iliade et de l'Odyssée. Il raconte la félicité des bienheureux d'après les mythes d'Eleusis; le soleil les éclaire pendant qu'il fait nuit sur la terre; leur cité est entourée d'ombrages aromatiques et d'arbres chargés de fruits d'or; ils passent leur temps en divertissements. Quant aux pécheurs, ils descendent dans l'obscur enfer où ils rencontrent un juge sans merci; toutefois, on leur accorde l'expiation; ils peuvent au bout de neuf ans être renvoyés par Perséphone et recommencer une autre vie terrestre avec le caractère de héros; ceux qui se sont préservés trois fois de tout péché durant leur vie, comme dans l'Hadès, sont envoyés dans l'île des bienheureux, auprès de Pélée, de Cadmus, d'Achille. Tandis que Pindare insiste surtout sur les récompenses et le bonheur des bons, les poètes tragiques parlent principalement des châtiments infligés aux méchants. Homère ne punissait après la mort que les parjures. Il n'a pas connaissance d'un Jugement des morts (Psychostasie); Minos n'est pas juge des morts, mais juge parmi les morts; il continue d'exercer dans l'enfer sa vocation, comme le chasseur Orion, par exemple.

Hésiode n'a pas davantage connaissance d'un jugement des morts. Il considère la déportation des âmes dans l'Hadès comme une punition infligée aux humains du second et du troisième âge; celles des humains de l'âge d'or sont restées à la surface de la terre et sont devenues des démons; celles des humains du quatrième âge, l'âge héroïque, sont transférées par Zeus dans les îles des bienheureux. La descente dans l'enfer est donc un châtiment; mais il n'est pas question de châtiments spéciaux à subir ensuite pour les criminels. Cependant des passages interpolés au Xle livre de l'Odyssée, d'autres empruntés à un poème cyclique, la Minyade, mentionnent ces châtiments pour certains contempteurs des dieux, comme Amphyon et Thamyris. C'est Pindare qui, le premier, introduit l'idée d'une punition générale de tous les péchés commis sur la terre; Eschyle l'admet également. On arrive ainsi à une conception de l'enfer plus complexe que celle d'Homère; on y distingue des catégories : d'une part, les princes deviennent de puissants héros, sorte de demi-dieux qui agissent sur le monde terrestre, où on peut les évoquer; d'autre part, les criminels subissent la peine de leurs méfaits. Mais même les héros ne jouissent dans l'Hadès d'aucune félicité; ils sont puissants, mais non pas bienheureux. La mort met un terme aux maux terrestres, mais n'apporte aucun bonheur positif. La conception orphique et éleusienne ne prévaut pas et, en tout cas, celle de l'enfer se maintient à côté d'elle. Il nous reste à voir comment on se représentait le monde souterrain.

Voici la description d'Homère : à l'entrée, le bois de Perséphone, formé d'arbres infertiles; puis la demeure d'Hadès, arrosée par quatre fleuves, le Styx, par lequel les immortels prêtent serment, le  Cocyte (= Lamentations) qui, avec le Pyriphlégéthon (Phlégéthon = Brûlures), se jette dans l'Achéron au pied du rocher Leucade. Plus avant est la prairie d'asphodèles, où se tiennent les morts, dans l'obscure région de l'Erèbe; plus profondément, sont les gouffres du Tartare, fermés par une porte de fer, où sont enfermés Japet et Cronos, les anciens dieux supplantés par les Olympiens. Toute cette description est calquée sur celle d'une localité de Thesprotie où coulent l'Achéron et le Cocyte. Les habitants de l'enfer ou Hadès sont les dieux infernaux et les morts. Les principaux dieux sont Hadès, Aidès ou Aidoneus, son épouse Perséphone et les Erinyes; tous peuvent intervenir dans les affaires terrestres. Les morts ne sont plus que des ombres vaines; leur existence est un pâle reflet de l'existence terrestre; ils n'ont plus de corps, plus de mémoire ni d'intelligence; ils conservent l'aspect qu'ils avaient au moment de la mort et continuent tant bien que mal leurs occupations d'autrefois. Déjà, dans la seconde Nekyia, placée à la fin de l'Odyssée, les morts qu'Hermès conduit à leur séjour ne sont plus ces vains fantômes; ils conservent la parole et l'intelligence. Hésiode accepte la description homérique. Il parle plus longuement du Styx et du chien qui garde l'entrée, mais sans lui donner encore le nom de Cerbère. Il s'étend surtout sur le Tartare, ou sont enfermés les Titans vaincus. C'est un abîme si profond qu'un disque tomberait pendant neuf fois vingt-quatre heures avant de toucher le fond, si vaste qu'en une année on n'en pourrait faire le tour; les Titans y sont murés par des remparts de fer et d'airain que gardent les Géants Hécatonchires. Les poètes postérieurs ont donné plus de détails sur le séjour des morts ordinaires.

On place l'entrée en différents lieux où s'ouvraient des crevasses insondables : au pied du Ténare en Laconie; près de Pylos en Messénie; dans la Thesprotie; en Carie auprès de Thymbria, etc. ; plusieurs légendes se rattachaient à l'une ou l'autre; l'enlèvement de Perséphone par Pluton ou Hadès, s'enfonçant sous la terre, permettait aux Athéniens, aux Argiens, aux Siciliens d'Enna et à d'autres de revendiquer avec le théâtre de cette scène une entrée du monde souterrain. Les gens d'Hermione en Argolide, sachant qu'ils en possédaient une, ne donnaient pas à leurs morts d'obole pour payer les frais du voyage; le lac Alcyon en Argolide, le lac Averne en Campanie revendiquaient aussi ce triste privilège. On admit le récit de la Minyade, d'après lequel les fleuves de l'enfer en formaient la limite, de sorte que pour y pénétrer il fallait se faire transporter sur la barque de Charon. On ajouta à la liste des fleuves le Léthé dont l'eau, bue par les âmes mortes, leur faisait oublier l'existence terrestre. Nous avons déjà dit qu'Hésiode détache de l'enfer souterrain l'Elysée, séjour des héros, pour transférer ceux-ci dans l'île des bienheureux où règne Cronos. Pindare la décrit, Hérodote la placera dans le désert de Libye, cherchant à confondre la mythologie grecque et égyptienne.

Les divinités du monde souterrain ont été complètement transfigurées par la combinaison des religions de Déméter et Dionysos avec la vieille religion des Grecs homériques; la conception même de la mort avait été modifiée, comme nous l'avons dit, par les théories mystiques et philosophiques. On eut l'idée de l'expiation après la mort. On soumit toutes les âmes au jugement d'un tribunal suprême où siégeaient Minos, Eaque et Rhadamanthe. La vieille idée que les morts ne peuvent ni jouir ni souffrir subsiste encore dans le peuple, mais le mysticisme la combat; les initiés d'Eleusis pensent s'assurer des privilèges par delà la mort. On continue d'admettre que la vie souterraine est une prolongation de la vie terrestre; Oedipe s'aveugle afin de ne pas voir son père aux enfers; on admet qu'aux orifices du monde inférieur on peut évoquer les morts, par exemple au Ténare, en Thesprotie, près de Troezène, à Héraclée en Asie Mineure, à Cumes, etc.

En somme, la grande innovation introduite à l'époque historique dans le conception des enfers et du sort des morts, c'est le jugement, la récompense et la punition des âmes. Celles des bons vont habiter I'Elysée; celles des méchants sont torturées.

Les représentations figurées relatives aux enfers et à leurs habitants sont assez nombreuses sur les vases peints; elles ne nous apprennent pas grand-chose; beaucoup se rapportent aux descentes aux enfers d'Héraclès, d'Orphée ou de Pirithoüs. C'est à ces descriptions que le peintre Polygnote avait emprunté les scènes terrifiantes dont il décora les murs de la Lesché. Le palais d'Hadès et Perséphone est représenté sur le vase d'Altamura (musée de Naples) comme une sorte de dais porté par des colonnes; les dieux assistent à un banquet; Orphée leur joue de la lyre ; auprès sont les Erinyes (Poinai) et les trois juges Eaque, Rhadamanthe et Triptolème; au-dessous est l'Achéron avec ses affluents, Cocyte et Pyriphlegéthon, couverts de plantes aquatiques; Heraclès et Hermès luttent contre Cerbère; des deux côtés sont les criminels, Sisyphe roulant son rocher; les Danaïdes ; dans le haut les âmes bienheureuses de Mégara, femme d'Heraclès, de Pélops, etc. Parmi les divinités infernales, Hadès-Pluton est rarement représenté, sauf dans le mythe de l'enlèvement de Coré-Perséphone. A l'époque gréco-romaine, il figure souvent sur les sarcophages, soit comme dieu invisible, le manteau couvrant sa tête, soit comme souverain des enfers, d'allure majestueuse. Il existe aussi des représentations d'Hécate . En somme, toutes ces images de l'Hadès et de ses dieux se réfèrent, non aux croyances populaires, mais aux récits des poètes.
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Le voyage d'Héraclès aux Enfers

Le voyage aux Enfers est le dernier des Douzes Travaux d'Héraclès. Thésée s'était engagé témérairement avec son ami Pirithoos à aller enlever des Enfers Perséphone, épouse d'Hadès; mais les deux amis payèrent leur audace par la perte de leur liberté. La mythologie dit que, fatigués de la longue traite qu'ils avaient faite, ils s'assirent sur une pierre; mais ils y demeurèrent collés sans pouvoir se relever. Eurysthée enjoignit à Héraclès d'aller délivrer Thésée, et d'enchaîner le chien Cerbère, qui s'opposait à la sortie de quiconque avait pénétré dans les Enfers.

Le héros ayant reçu cet ordre, le plus glorieux de tous ceux que lui avait imposés son ennemi, prit le chemin d'Athènes, et se fit initier aux mystères d'Eleusis, dont Musée, fils d'Orphée, était alors le grand maître. Il se rendit ensuite aux extrémités de la terre, pénétra dans les Enfers, fut reçu comme un frère par Perséphone, qui lui permit d'emmener avec lui Thésée et Pirithoos. Il lia Cerbère avec des chaînes de fer, le tira hors des Enfers, et le fit voir aux humains.

Mythologie romaine.
La religion romaine était animiste; elle a attribué un grand rôle aux âmes des morts, mais sans les reléguer dans un autre monde. C'est à la mythologie grecque qu'elle a emprunté ses représentations de l'enfer. L'idée que les Mânes habitent sur la terre est répandue, mais ils n'y sont pas enfermés. On nous dit formellement qu'ils se trouvent partout (eos per omnia manare credebant). Les Romains ont accepté la conception étrusque du mundus, qui impliquait la croyance à un enfer, opposé au ciel. A la fondation de chaque ville, on creusait au centre, sur une place publique, une fosse profonde qui représentait la voûte du ciel retournée. On en consacrait le fond aux dieux Mânes, c.-à-d- aux âmes des morts, et aux dieux infernaux Orcus, Cérès, Tellus; puis on la fermait par une pierre (lapis manalis) censée être la porte de l'enfer. Toutes ces cérémonies se rapportent plutôt à une religion tellurique qu'au culte des morts, mais elles témoignent de conceptions analogues à celles des Hellènes.

Il faut aussi se souvenir que la religion grecque et la religion italique, si elles n'ont pas eu une origine commune, ont fusionné dans l'Italie méridionale et centrale longtemps avant l'époque de la rédaction des écrits par lesquels nous sommes informés sur les cultes et les légendes de Rome et des contrées voisines. Nous n'avons pas à traiter ici du culte des morts; mais nous dirons quelques mots des divinités du monde souterrain. Les dieux du monde souterrain sont les divinités telluriques : Tellus, Terra mater, Cérès, Dispater, Orcus, Saturne, etc.; ce sont en même temps des dieux de l'obscurité, de la nuit, et des dieux de la fécondité végétale. Parmi eux, les dieux des morts sont Orcus et Dispater; ce dernier fut assimilé au Pluton des Grecs et on lui donna pour épouse Proserpine. La mythologie étrusque, qui fait une si large place aux divinités chtoniennes, connaît deux dieux des morts, Mantus et Charun ou Charon; les images de celui-ci sont nombreuses sur les vases peints, les sarcophages et les peintures funéraires; toutes attestent l'existence d'un enfer où Charon entraîne ses victimes. Les idées étrusques et grecques sur l'enfer ont si bien pénétré dans la religion italienne et romaine qu'elles la dominent tout à fait au temps des grands écrivains latins. Dans certaines régions, comme celle de Cumes, spécialement vouées au culte des morts, on montrait des soupiraux de l'enfer.

Virgile a donné, au VIe livre de l'Enéide, un long récit de la descente d'Enée dans le monde souterrain. Sa description servit de modèle aux poètes postérieurs; elle est à peu près entièrement empruntée a la mythologie grecque. Conduit par la sibylle prêtresse d'Artémis, Hécate, le héros troyen pénètre dans le bois, consacré à la reine des enfers, qui entoure le lac Averne; il y cueille un rameau doré qui lui ouvrira l'accès du royaume des ombres. Il le remet à son guide et tous deux s'approchent d'une grotte au bord du lac; ils offrent un sacrifice à Hécate et aux divinités infernales, puis ils s'enfoncent dans la grotte, Enée l'épée à la main. Ils traversent un bois sombre éclairé par la lune et arrivent au seuil d'Orcus, où veillent les divinités qui personnifient le deuil et le souci, les maladies et la vieillesse, la crainte et la faim, le sommeil et la mort, la guerre, la discorde, les Furies; sur un orme sont penchés les songes; auprès sont les monstres mythologiques, les centaures, Scylla, Briarée, l'hydre de Lerne, la Chimère, les Gorgones, les Harpyes, Geryon. Ils parviennent aux fleuves de l'enfer; l'Achéron, affluent du Cocyte, est traversé sur la barque de Charon; là se pressent les ombres des morts sans sépulture auxquelles le sinistre nocher refuse le passage; il faut qu'ils attendent cent années. 

Après avoir traversé l'Achéron, Enée rencontre Cerbère, puis les âmes des enfants mort-nés, celles des suicidés, des hommes condamnés injustement; elles ne peuvent remonter au jour comme elles le voudraient. Un peu plus loin sont les champs où errent autour de buissons de myrte les âmes des morts d'amour. On atteint ensuite le domaine des héros tués devant Thèbes et devant Troie. On se hâta et on arrive à la bifurcation de la route des Champs Élysées et de l'enfer ou Tartare. A droite, le palais de Pluton et de Proserpine, autour duquel sont les bienheureux; à gauche, la descente vers la Tartare. De ce côté, Enée aperçoit une triple enceinte autour de laquelle le Phlégéthon roule ses flots brûlants; la porte est surveillée par Tisiphone; on entend des hurlements et un cliquetis de chaîne. Dans ce château, Rhadamante torture les coupables jusqu'à ce qu'ils avouent; ils sont ensuite livrés aux Furies et précipités dans l'enfer, dont nul ne sort; cet abîme est deux fois plus profond que la hauteur du ciel; tout au fond sont les Titans et autres ennemis des dieux, les Aloïdes, Salmoneos, Ixion et Pirithoüs; là sont aussi châtiés ceux qui ont haï leurs frères, frappé leur père, témoigné faussement contre leurs clients, les avares, les adultères et tous les traîtres. 

Enée se précipite du côté opposé, dans le bois de Proserpine, et parvient à la cité des bienheureux. Il en franchit le seuil et le voici dans les Champs-Elysées, sous un ciel resplendissant de la lumière la plus pure, par un jour éternel et un printemps sans fin. Les héros se divertissent sans fin; les exercices gymnastiques ou militaires, les danses, le chant, la musique, les banquets leur procurent un plaisir sans cesse nouveau. A quelque distance est la source du Léthé, où les âmes vont boire l'oubli du passé avant de remonter sur la terre. Enée, après avoir vu son père Anchise, qui lui prédit la destinée de leur lignée, remonte sur la terre par une des deux portes du rêve. Bien que cette description du séjour souterrain des morts ne soit qu'un développement poétique, elle nous montre comment on se figurait l'enfer au temps d'Auguste, et le récit de Virgile a été reproduit ou imité un grand nombre de fois jusqu'au XVIIIe siècle par les littérateurs, sans parler des artistes qui s'en sont inspirés. (A.-M. B.).

Judaïsme.
Les Hébreux appelaient schéol, l'Enfer pris en général pour le lieu des âmes, et Gué-hinnom (Géhenne), le lieu de souffrance où se trouvaient les âmes des damnés. Ce mot, qui signifie proprement la vallée des enfants d'Hinnom, était le nom d'une vallée, située à l'orient de Jérusalem, et fameuse par les sacrifices humains que les Jébuséens avaient autrefois offert, à Moloch; ce qui avait rendu ce nom un objet d'exécration et d'horreur.

Les rabbins (Judaïsme) disent que le feu de l'Enfer a été créé le second jour de la création, et que c'est là la raison pour laquelle on ne dit pas des oeuvres de ce jour, comme des oeuvres des autres : et Dieu vit que cela était bon. Dans un autre endroit du Talmud, l'Enfer est compté au nombre des sept choses qui furent créées avant que le monde fût tiré du néant. Il est dit dans le Zohar, que les damnés souffrent dans l'Enfer deux genres de supplices : le feu et l'eau glacée.

Suivant le Talmud, il y a neuf démons : trois sont semblables aux anges, ils connaissent l'avenir, et volent d'un bout du monde à l'autre; trois sont semblables aux hommes, ils boivent et mangent comme eux; trois sont semblables aux animaux, boivent et mangent comme eux.

D'après les, traditions talmudiques, lorsque Adam eut mangé le fruit défendu, il devint le père de trois sortes de démons : les lillites, espèces de lamies qui dévoraient les petits enfants; les esprits, qui n'avaient pas de forme matérielle; et les kophim, qui avaient des têtes de singe.

Les Talmudistes distinguent trois ordres de personnes qui comparaîtront au jugement dernier : les justes, les méchants, et ceux qui sont dans un état mitoyen, c'est-à-dire, qui ne sont, ni tout à fait justes, ni tout à fait impies. Les premiers seront aussitôt destinés à la vie éternelle, et les méchants aux peines de la géhenne ou de l'Enfer. Les mitoyens, tant juifs que gentils, descendront dans l'Enfer, avec leurs corps, et ils pleureront pendant douze mois, montant et descendant, allant à leurs corps et retournant en Enfer. Après ce terme, leurs corps seront consumés, et leurs âmes brûlées, et le vent les dispersera sous les pieds des justes. Mais les hérétiques, les athées, les tyrans qui ont désolé la terre, ceux qui engagent les peuples dans le péché, seront punis dans l'Enfer, pendant les siècles des siècles. 

Les rabbins ajoutent que, tous les ans, au premier jour du mois de tisri, Dieu fait une espèce de révision de ses registres, et un examen du nombre et de l'état des âmes qui sont en Enfer.

Christianisme.
Ce que les chrétiens appellent Enfer est moins le lieu que l'état des esprits et des âmes qui ont été condamnées par le Tout-Puissant aux peines de l'autre vie. Le dogme de l'enfer et de l'éternité des peines est fondé sur plusieurs passages de la Bible, et sur diverses traditions populaires.
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Dans le sens propre et restreint, on appelle Enfer le lieu où les mauvais anges et les âmes des méchants, après la mort, souffrent une peine éternelle; mais dans un sens plus général, on donne ce nom au lieu où se trouvent les âmes des défunts qui ne sont pas dans le ciel. C'est ainsi qu'il est dit, dans le Nouveau Testament, descendre dans l'Enfer, pour mourir, descendre dans le tombeau ou dans le lieu des âmes. C'est ainsi que Jésus est descendu dans les Enfers pour en retirer les âmes des justes qui n'avaient pu être introduites dans le ciel, parce que la faute originelle n'était pas encore effacée.
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La descente aux Enfers de Jésus

On désigne par le terme théologique de Descentes aux Enfers le fait exprimé dans le Symbole des apôtres par les mots Descendit ad inferna ou inferos, qui se rapportent à Jésus-Christ. Cette phrase est intercalée, comme on sait, entre la mention de la mort et de la sépulture de Jésus et celle de sa résurrection. On la trouve d'abord, vers la fin du IVe siècle, dans la confession de foi de l'Eglise d'Aquilée; jusqu'à la fin du Ve siècle, elle manque dans la plupart des textes connus du Symbole des Apôtres; au VIIe siècle, par contre, cette formule est entrée partout dans le texte reçu du Symbole.

La doctrine elle-même d'une descente du Christ aux enfers se rencontre dans quelques-uns des plus anciens auteurs chrétiens, dans Justin Martyr (Contra Tryph., 72), par exemple, et dans la plupart des Pères de l'Eglise; mais le même terme a fini par désigner des faits assez différents. Ainsi l'Eglise orthodoxe grecque enseigne que l'âme humaine du Christ, unie à la divinité, est descendue librement aux enfers pour y continuer son activité salutaire (Conf. orthod., I, 49).

L'Eglise romaine dit que la personne entière du Christ est librement descendue au séjour des saints de l'ancienne alliance (limbus patrum) pour en délivrer les habitants et les conduire au ciel (Catech. rom., §§ 100-105). Selon les formulaires luthériens, le Christ est descendu, corps et âme, vers les réprouvés pour leur manifester sa victoire. C'est le premier moment de son exaltation (Form. Concord., I et II, art. 9). 

Enfin, quelques formulaires réformés ne voient dans les mots « Il est descendu aux enfers », que l'expression des extrêmes souffrances du Christ à Gethsémané et au Calvaire (Catech. Palat., IX, 44). Dans les Eglises issues de la Réforme (Protestantisme), ces divergences et bien d'autres sur le même point peuvent subsister parce que les passages de la Bible sur lesquels s'appuie la doctrine de la descente aux enfers sont d'une interprétation controversée, en particulier celui de la première épître de Pierre (III, 18 et 19). (Y.H. Kruger).

La Damnation.
Les théologiens distinguent deux sortes de peines que souffrent les damnés dans les enfers : la peine du dam, qui consiste dans la privation de la vue de Dieu, et la peine du sens, qui est exprimée par un ver rongeur et un feu dévorant; nous disons, est exprimée, parce que les chrétiens ne sont pas obligés de croire que ce feu soit matériel, non plus que le ver rongeur.

On appelle damnation, dans l'enseignement de l'Eglise chrétienne, la sentence divine qui entraîne les peines éternelles de l'enfer. Le lieu où les réprouvés subissent ces peines est l'enfer ; les tourments atteignent à la fois le corps et l'âme et ils sont sans fin. Cette doctrine s'appuie sur les déclarations du Nouveau Testament, qui parlent d'un « châtiment éternel » (Matthieu, XXV, 41. Cf. Jean, III, 36), d'un « feu qui ne s'éteint pas » (Marc, IX, 43, 44, 46, 48. Cf. Isaïe, LXVI, 24) et de la « mort seconde » (Apocalypse, XX, 10, 14, 15). L'enseignement officiel de l'Eglise n'a guère varié sur ce point; l'inscription que Dante place sur Ia porte de l'enfer Lasciate ogni speranza est orthodoxe. Mais presque de tout temps, des docteurs isolés ont essayé d'échapper à cette conséquence terrible du Jugement dernier.
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Memling : le Jugement dernier (détail).
L'enfer (détail du Jugement dernier de Memling).

On peut distinguer dans l'opposition au dogme de la damnation deux opinions principales : celle de l'apocatastase ou restauration universelle, mise en avant par Origène, au nom de l'inaliénable liberté humaine et de la puissance illimitée de Dieu; la plupart des disciples du grand penseur chrétien acceptèrent cet enseignement : Scot Erigène, au IXe siècle, tenta de concilier l'universalité du salut avec les peines éternelles. Durant le Moyen âge, quelques groupes mystiques formulèrent de diverse manière l'apocatastase d'Origène; et jusqu'à l'époque contemporaine, cette idée a conservé des défenseurs parmi les théologiens. D'autre part, la théorie de la destruction finale des réprouvés, indiquée déjà par quelques Pères de l'Eglise, a donné naissance, dans les temps modernes, à ce qu'on a appelé l'immortalité conditionnelle. (F.-H. Kruger).

Islam.
D'après les docteurs musulmans, l'Enfer a sept portes, dont chacune a son supplice particulier. Quelques interprètes disent qu'il faut entendre par ces sept portes, sept étages différents, dans lesquels seront punis sept différentes sortes de pécheurs. Le premier, qui s'appelle Djehennem, est destiné aux adorateurs du vrai Dieu ou musulmans qui auront mérité par leurs crimes d'y être précipités; le second, appelé Ladha ou Léza, est pour les chrétiens; le troisième, Hotima, pour les juifs; le quatrième, Sair, pour les sabéens; le cinquième, Sakar, pour les mages et les guèbres, le sixième, Djahim, pour les païens et les idolâtres qui admettent la pluralité des dieux; le septième, Hawiat, qui est le plus profond, est réservé aux hypocrites, c'est-à-dire à ceux qui font semblant d'avoir une religion, tandis qu'intérieurement ils n'en professent aucune.

L'imam Mansour distribue d'une autre manière ces différents étages. Il prétend d'abord qu'il n'y en a pas de particulier pour les musulmans, parce qu'ils ne doivent avoir dans l'enfer qu'une demeure passagère, et non pas éternelle comme les infidèles; il ne reste donc qu'à y placer ces derniers. Le premier étage est, suivant cet auteur, pour les matérialistes, qui croient l'éternité du monde, et n'admettent ni création, ni Créateur; le second, pour les dualistes ou partisans des deux principes, tels que les Manichéens et les Arabes idolâtres au temps de Mohammed (Mahomet); le troisième, pour les brahmanes des Indes, qui rejettent les prophètes et les livres tant de l'Ancien Testament que du Nouveau Testament; le quatrième, pour les juifs qui n'admettent que l'Ancien Testament; le cinquième, pour les chrétiens qui reçoivent les deux Testaments; le sixième pour les mages de Perse, qui ont des livres attribués, soit à Abraham, soit à Zoroastre; le septième est, du consentement de tous, pour les hypocrites en religion. C'est de ceux-ci qu'il est si souvent parlé dans le Coran, car Mahomet savait parfaitement que plusieurs feraient profession de son symbole, sans y ajouter foi ; c'est pourquoi il leur réserve toute sa colère et ses menaces.

Un autre théologien musulman soutient que les sept portes de l'Enfer sont les sept péchés capitaux, qu'il nomme en cet ordre la cupidité, la gourmandise, la haine, l'envie, la colère, la luxure et l'orgueil. Il conclut que c'est par ces sept portes que l'on entre dans l'Enfer de l'éloignement et de la privation de Dieu. D'autres veulent que ces sept portes soient les principaux membres du corps humain, qui sont les instruments du péché, et par conséquent autant d'ouvertures pour descendre dans l'Enfer. Ces sept principaux membres sont : les yeux, les oreilles, la langue, le ventre, les organes génitaux, les pieds et les mains.

Les musulmans disent, comme les chrétiens, que la plus grande peine des damnés est la privation de la vue de Dieu. Quant à la peine matérielle, ils disent que l'Enfer est rempli de torrents de feu et de soufre, où les damnés, chargés de chaînes de 70 coudées de longueur, seront plongés et replongés continuellement par les démons. A chacune des sept portes, il y a une garde de 19 anges, toujours prêts à infliger aux malheureux damnés de nouveaux supplices; les infidèles surtout auront à endurer les supplices les plus rigoureux; ils seront à jamais enfermés dans ces prisons souterraines, où les serpents, les crapauds, les oiseaux de proie, exerceront sur eux leur fureur. Pendant toute la durée de leur supplice, les damnés souffriront la faim et la soif. On ne leur servira que des fruits amers et ressemblant à des têtes de démons. Leur boisson sera tirée de sources d'eaux soufrées et brillantes, qui leur occasionneront des plaies douloureuses. L'inspecteur des mauvais anges qui gardent l'entrée des sept portes, décidera de la rigueur des tourments, qui sera toujours proportionnée au crime et au plus ou moins de négligence à faire l'aumône et à satisfaire aux autres préceptes du Coran. Cependant, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, la croyance commune est que les musulmans ne seront pas éternellement dans l'Enfer; suivant les uns, ils y demeureront au plus 7000 ans, mais pas moins de 400 ans; suivant les autres, ils seront tous délivrés, lors du jugement général, à l'intercession de Mahomet.

Inde.
Le lieu où les méchants reçoivent, après leur mort, la punition de leurs méfaits, s'appelle indifféremment, en pâli comme en sanscrit, Naraka ou Niraya. On en compte plusieurs qui sont, dit-on, les uns chauds, les autres froids; cependant les descriptions qu'on en donne ne se rapportent guère qu'au supplice du feu. Leur forme est carrée ou plutôt cubique; leur dimension est de 10,000 yodjanas en longueur, largeur et hauteur; l'éclat de leurs murs éblouit à la distance de 100 yodjanas. Il n'est pas possible de s'échapper de ces prisons.

Nombre et noms des Narakas.
Il y a huit Narakas principaux, à savoir : 1° Sandjiva, où ceux qui ont donné des coups sont constamment battus comme des gens « pleins de vie »; 2° Kâlasoûtra, où les menteurs et les traîtres sont coupés sans cesse comme des troncs d'arbres, suivant un « fil noir »; 3° Sanghâta, où il se fait un « carnage complet » des meurtriers d'animaux; 4° Rorouva, où les menteurs et les violents sont brûlés par un feu qui leur arrache des « cris »; 5° Mahârorouva, où une souffrance semblable, mais plus forte, arrache aux impies de plus « grands cris »; 6° Tapana, où les brûleurs de forêts sont « cuits » par le feu; 7° Pratâpana, où les docteurs d'impiété sont soumis à une « cuisson plus intense »; 8° Avîtchi, où l'outrage aux pères, mères et précepteurs est puni par un feu qui brûle les coupables et disjoint leurs os. 

A chacun de ces huit Narakas principaux sont attenants quatre Narakas secondaires où tombent ceux qui sortent des différents lieux de supplice : 1° Milhakoupa, « puits d'excréments », où ils sont mangés de vers; 2° Koukkoula, « cendres chaudes », où ils sont cuits comme des grains de moutarde; 3° Asipatravana, « forêt de lames d'épée » où des feuilles d'arbre en fer, des dents d'animaux en fer tranchant déchirent incessamment les batailleurs et les adultères; 4° Vaitaranî, fleuve de cuivre liquéfié et brûlant où sont plongés les destructeurs de poissons et d'animaux aquatiques. Ces quatre Narakas secondaires, ajoutés à chacun des huit Narakas principaux, font un total de quarante Narakas; mais, selon une autre interprétation, les quatre secondaires s'ajoutent à chacun des quatre côtés des huit principaux. Ceux-ci se trouvant ainsi entourés chacun de seize dépendances, le nombre total des Narakas serait de cent trente-six. 

Et ce n'est pas tout : à la suite des huit Narakas principaux que l'on vient de mentionner on en énumère huit autres : Arbouda, Nirarbouda, Atata, Hahava, Houhouva, Outpala, Padma, Mahâpadma aux trois derniers noms (qui sont des noms du Lotus) on ajoute quelquefois les synonymes Koumouda et Sogan dhika (en substituant Poundarîka à Mahâpadma); ce qui porte à dix le nombre de ces Narakas, qui seraient
les enfers froids ou glacés. D'autres veulent que ces huit ou dix noms nouveaux désignent non pas des Narakas, mais les durées diverses des séjours que les damnés font dans ces lieux de tourments, durées effroyablement longues, qui vont en progressant par dizaines de millions d'années, la première étant exprimée par l'unité suivie de cinquante-six zéros, et ce nombre de zéros augmentant de sept à
chaque nouveau nombre jusqu'à ce qu'il s'élève à cent dix-neuf. Malgré ces chiffres formidables, qui expriment des milliards d'années, le Naraka n'est pas un séjour définitif. Les êtres finissent par en sortir pour revivre comme animaux, hommes ou dieux. Rien n'est permanent pour toujours dans le bouddhisme, les supplices infernaux pas plus que le reste. Toutefois, une secte japonaise importante, l'école Gio-do, admet l'éternité des peines du Naraka aussi bien que celle des jouissances de Soukhavati, le paradis d'Amitabha; mais c'est contraire aux principes du bouddhisme.

Situation des Narakas.
L'opinion commune paraît être que les Narakas sont des compartiments souterrains. En effet, on voit la terre s'entrouvrir sous les pas de Devadatta qui tombe dans l'Avîtchi. Cependant certains textes racontent des histoires de personnages entraînés par une course désordonnée et aventureuse vers les régions méridionales, et se trouvant, sans s'en douter, sans avoir quitté la sol où ils cheminaient, transportés dans les demeures infernales. Les deux données ne sont pas absolument inconciliables. Puisqu'il y a au moins huit enfers principaux, sans compter les secondaires, il se peut que les uns soient au-dessous, les autres au niveau du sol. II peut aussi y avoir, au Midi, une entrée conduisant aux lieux souterrains par une pente insensible. Du reste on compte, parmi les Narakas, le Lokantarika, demeure des Pretas, qu'on dit situé dans l'interstice entre trois Tchakravâla, c.-à-d. à l'extrême limite du monde habité; mais ce Naraka forme un monde à part, en réalité distinct des autres enfers.

Population des Narakas.
Voici un trait qui donne une idée de la multitude qui peuple les Narakas : Avalokitesvara, dans sa grande compassion, avait délivré, par la puissance de sa méditation, les êtres qui y sont renfermés. II y réussit; mais à peine les Narakas étaient-ils vides qu'ils furent immédiatement remplis par de nouveaux arrivants; Avalokitesvara n'avait rien fait.

Tel étant l'enseignement bouddhique sur l'enfer, on est étonné de lire à la page 82 (n° 125) d'un Catéchisme bouddhique, publié à Paris en 1889 : 

« N'y a-t-il pas d'enfer, pas de ciel ? - Non » 
Il est vrai que ce « non » est accompagné de réserves qui en font un « oui »; mais c'est « oui » qu'il fallait répondre, sauf à faire ensuite les réserves auxquelles on pouvait tenir. Du reste, tout ce qu'on pourra dire ne fera pas qu'il n'y ait un enfer bouddhique, comme il y a un ciel bouddhique. (L. Feers / A.-M. B. / A. Bertrand).
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L'enfer chez les autres peuples

 
Egypte.
La région d'outre-tombe est appelée en égyptien nuter-kher, littéralement « le divin dessous », la « divine région inférieure », mais elle porte aussi le nom de Tuàou dans les manuscrits spéciaux qui sont consacrés à sa description : c'est la contrée mystérieuse, le domaine des ombres, que le soleil parcourt pendant les douze heures de la nuit. Pas plus que d'autres peuples archaïques, les Egyptiens n'ont eu l'idée d'un enfer tel qu'il sera élaboré en Occident; il paraît difficile de leur attribuer la double conception d'un enfer et d'un paradis. Les âmes sont uniformément parquées dans le sombre domaine parcouru par le soleil à qui elles font escorte dans les limites de la région consacrée à telle heure de la nuit dans laquelle elles se trouvent. Nous n'y voyons ni récompense de la vertu ni punition des crimes, car les personnages qui y sont torturés par le feu ne sont autres que les ennemis du soleil, les alliés d'Apophis, qui ont cherché à retarder sa marche, c.à-d. la personification des ténèbres. En somme, la Tuàou ressemble bien plus au Shéol des Hébreux, exempt de douleur ainsi que de jouissances, qu'à l'Hadès des Grecs où des localités différentes étaient réservées aux bons et aux méchants; on n'y trouve pas, ainsi que dans l'Enfer de Virgile, à droite l'Elysée et à gauche le Tartare; on n'y rencontre autre chose que des scènes mythologiques Fort difficiles à interpréter. Cependant les Egyptiens avaient une morale trop élevée pour laisser le crime sans châtiment et la vertu sans récompense. Le châtiment, c'était en réalité la seconde mort, l'anéantissement définitif, car la fin de l'existence terrestre n'était qu'un passage à une autre vie; les morts étaient appelés des vivants. L'observance les prescriptions du rituel assurait à chacun de ne pas mourir à nouveau, de vivre éternellement. En résumé, telle est la doctrine : pour les impies, l'anéantissement final, pour les justes, la durée éternelle. Mais le bonheur l'outre-tombe n'était pas une glorification métaphysique, une épuration idéale, une contemplation de la divinité; c'était une vie terre à terre où l'on se bâtirait des maisons, où l'on boirait, où l'on mangerait, où l'on jouerait aux dames pour abréger le temps de l'éternité. Ajoutons que le mercantilisme de la caste sacerdotale et son trafic des articles religieux assimilaient aux justes quiconque pouvait faire la dépense d'un ensevelissement complet, comprenant : exemplaire du Livre des Morts, formules talismaniques, amulettes placées sous les bandelettes, poupées d'argile munies d'outils aratoires, lesquelles étaient destinées à labourer dans l'autre monde à la place du riche défunt, de manière qu'il eût son pain assuré sans se donner de mal. (Paul Pierret).

Canaries et Afrique subsaharienne.
Les Guanches, anciens habitants des îles Canaries, appelaient l'Enfer Echeydé; ils se le figuraient comme une fournaise ardente , située au centre d'un volcan formidable, et dont le feu était sans cesse attisé par Guayota, le génie du mal.

Les habitants du royaume de Ouidah (Bénin) croyaient que l'Enfer était situé sous la terre et que les âmes des méchants y subissaient le supplice du feu. Ceux de la côte de Bénin pensaient que ce lieu de tourments se trouvait au-dessous de la mer, aussi bien que le Paradis.

Mythologie nordique.
Les Scandinaves reconnaissaient deux Enfers : le premier, appelé Niflheim, n'était pas éternel; il ne devait pas durer au delà de l'époque du renouvellement du monde; il était destiné aux timides, aux lâches et aux hommes qui mouraient ailleurs que sur le champ de bataille. Au centre était la fontaine Vergelmer, d'où coulaient neuf fleuves : l'Angoisse, l'Ennemi de la joie, le Séjour de la mort, la Perdition, le Gouffre, la Tempête, le Tourbillon, le Rugissement et le Hurlement. Un dixième fleuve, le Bruyant, coulait auprès des grilles du Séjour de la mort. Héla était la souveraine de ce ténébreux empire; son salon était la Douleur; sa table, la Famine; son couteau, la Faim; son valet, le Renard; sa servante, la Lenteur; sa porte, le Précipice; son vestibule, la Langueur; son lit, la Maigreur et la Maladie; sa tente, la Malédiction. On trouvait encore dans le Niflheim, Loki, le génie du mal, et le loup Fenrir.

Après la destruction du Niflheim, à la fin des temps, Allfader, le tout-puissant, construira un nouvel Enfer, appelé Nastrand (le rivage des morts), qui sera situé dans la région la plus éloignée du soleil, et dont les portes seront tournées vers le nord. Il sera rempli de cadavres de serpents; le poison y pleuvra par mille ouvertures; il y coulera des torrents infects et glacés, dans lesquels se débattront les parjures, les assassins, les adultères. Un dragon noir volera sans cesse aux alentours, et rongera les corps des malheureux qui y seront renfermés.

Celtes.
L'Enfer des Celtes était une région sombre et terrible, inaccessible aux rayons du soleil, infestée d'insectes venimeux, de reptiles, d'ours dévorants et de loups carnassiers. Les coupables, toujours dévorés, comme le Prométhée des Grecs, renaissaient pour souffrir toujours. Les grands criminels étaient enchaînés dans des cavernes encore plus horribles, plongés dans un étang rempli de couleuvres, et brûlés par le poison qui sans cesse distillait de la voûte. Les gens inutiles, ceux qui n'avaient eu qu'une bonté négative, ou, qui étaient moins coupables, résidaient au milieu de vapeurs épaisses et pénétrantes, élevées au-dessus de ces affreuses prisons. Le plus grand supplice était le froid glaçant qui tourmentait les corps des habitants, et qui donnait son nom (I furin), à cet enfer désolant.

Mazdéens.
D'après les doctrines mazdéennes, qui
fleurirent en Perse, l'âme, après être restée trois jours aux environs de sa dépouille mortelle, la quittait et se rendait au lieu de jugement. Au sortir du tribunal, on la menait au pont de Chinvat, qui était jeté sur l'enfer (Douzakh) et conduisait au ciel des élus (Gorotman). Impie, elle ne pouvait le franchir et tombait dans l'abîme, où elle était livrée aux devs (démons); pure, elle allait devant Ormazd et recevait la place qu'elle devait occuper jusqu'au jour de la résurrection des corps, qui suivrait le triomphe d'Ormazd sur Ahriman, et aurait pour résultat l'avènement du monde nouveau, d'où auraient disparu le mal moral et le mal physique.

Parsis.
Les Parsis établissent aussi, dit-on, que les damnés seront brûlés dans l'enfer par un feu matériel ;d'autres cependant assurent que la peine du feu en est exclue, parce que cet élément est regardé par les Parsis comme l'image de la Divinité. Le Sadder parle de l'extrême puanteur des âmes des méchants; et l'auteur de l'Erda-Viraph-namé donne la description des tourments de l'enfer, dont il avait, dit-il, été le témoin. Il trouva une infinité d'âmes plongées jusqu'au cou dans les eaux froides et noires du torrent qu'elles n'ont pu passer, tandis que d'autres étaient condamnées à séjourner dans des cachots remplis de fumée, avec toutes sortes de reptiles dégoûtants et dangereux. Outre cela, les démons les piquaient sans cesse, les mordaient et les déchiraient cruellement. Il y vit une âme pendue par les pieds, à laquelle on donnait des coups de poignards. Un autre mourait continuellement de faim et de soif; l'âme d'une femme querelleuse et désobéissante à son mari y était aussi pendue, et la langue lui sortait par la nuque du cou.

Finnois.
Les Finnois plaçaient l'Enfer sous le pôle arctique ; il est représenté, dans le Kalevala, qui est leur épopée, comme un lac de feu qui doit engloutir les méchants, et qui est le séjour de tous les mauvais génies dont la fonction consiste à épouvanter et à tourmenter les humains.

Groenland.
Les Inuit du Groenland, qui placent sous la mer le séjour du bonheur, mettent dans les cieux l'habitation des méchants. Ils disent que leurs âmes maigriront et mourront de faim dans les espaces vides de l'air, ou qu'elles y seront perpétuellement infestées et harcelées par des corbeaux, ou qu'elles n'y auront ni paix, ni trêve , emportées incessamment dans les cieux, comme par les ailes d'un moulin. D'autres placent l'Enfer dans les régions obscures de la terre, où la Iumière et la chaleur ne pénètrent jamais.

Etats-Unis.
Plusieurs populations amérindiennes de l'Amérique septentrionale mettent au nombre des supplices qui attendent les méchants dans l'autre vie, d'être confiné dans un pays malheureux où il n'y aura point de chasse.

Les anciens habitants de la Virginie donnaient le nom de Popogousso à l'Enfer, qu'ils disaient situé à l'extrémité occidentale du monde. C'était une fosse d'une immense profondeur, et remplie d'un feu dévorant, dans laquelle étaient précipités ceux qui s'étaient mal comportés pendant leur vie. D'autres prétendaient que les âmes des méchants étaient suspendues entre le ciel et la terre. Ils ajoutaient que la vérité de ces souffrances leur était confirmée par des morts qui de temps en temps leur apportaient des nouvelles de l'autre vie.

Les Appalachites assignaient pour demeure aux âmes des méchants les précipices qui se trouvent dans les hautes montagnes du Nord, en compagnie des ours et des autres animaux féroces, au milieu des neiges, des glaces et des frimas. 

Les peuples de la Floride appelaient le bas monde le lieu destiné à ceux qui avaient mal vécu sur la terre, comme ils donnaient le nom de haut monde au séjour des bienheureux. C'est dans le bas monde que régnait Cupaï, le génie du mal.

Mexique.
Les Aztèques soutenaient que les âmes des méchants étaient condamnées à animer des insectes et des reptiles; mais auparavant elles devaient aller subir une autre peine dans l'Enfer. Cet Enfer, nommé Mictlan, était un lieu obscur dans le centre de la terre, et gouverné par un dieu nommé Mictlan-Teuctli. Pour y parvenir, il fallait d'abord passer entre deux montagnes qui frappaient sans cesse l'une contre l'autre; traverser deux endroits, dont l'un était gardé par un serpent et l'autre par un lézard vert; franchir huit collines et parcourir une vallée où le vent était si fort qu'il lançait à la figure des fragments de cailloux tranchants. On arrivait ensuite en présence de Mictlan-Teuctli, auquel les morts offraient les objets enterres avec eux à cet effet. Pour sortir de ce lieu, il fallait traverser le fleuve Chicunappa, qui faisait neuf fois le tour du Mictlan. On n'en venait à bout qu'à l'aide d'un chien roux, que l'on tuait chaque fois que l'on enterrait un mort, et qui allait attendre l'âme dans cet endroit pour la passer sur l'autre rive.

Pérou.
Les Incas appelaient l'Enfer Veupacha, le monde inférieur, ou le centre de la terre; il était destiné aux méchants, qui allaient après leur mort y recevoir le châtiment de leurs crimes. Ce châtiment consistait dans l'assemblage des maux qu'on éprouve dans la vie présente, sans mélange de bonheur ni de consolation. Cet enfer était gouverné par un démon nommé Cupaypa; c'est pourquoi ou l'appelait aussi Cupaypa-Huacin, maison du diable.

Océan Pacifique.
Les habitants des îles Tonga plaçaient le séjour de leurs morts dans une île nommée Bolotou. Ils supposaient cette île beaucoup plus grande que toutes leurs îles réunies. On y trouve toutes les plantes et tous les arbres, toujours chargés des meilleurs fruits et ornés des plus belles fleurs. Cette île était supposée se trouver  au nord-ouest, mais à une telle distance, qu'il serait dangereux de chercher à y aborder avec des canots. Elle fut, disait-on créée antérieurement à la terre; elle était le séjour des dieux, et c'est de là qu'ils sont partis pour peupler Tonga.

Les Mariannais appelaient l'Enfer Zazarragouan, ou la maison de Kaïfi (le diable). Kaïfi y entretient une fournaise ardente, où il chauffe les âmes, comme les forgerons chauffent le fer, et les bat continuellement. Ce n'étaient pas les méchants qui allaient dans l'Enfer, mais ceux qui étaient morts de mort violente, ou qui étaient tués à la guerre; au contraire de beaucoup d'autres peuples de l'Océanie, qui ne placent dans le séjour du bonheur que ceux qui ont perdu la vie les armes à la main.

Les insulaires de Tahiti croyaient que, tandis que les âmes des justes étaient admises à partager la divinité et à devenir eatouas, celles des méchants étaient au contraire précipitées dans l'enfer, qui avait son ouverture sur la haute montagne Papéida, où se trouve un grand lac. 

A Raïatea, autre île de la Société, près du grand cratère d'un volcan éteint, qui est pareillement devenu un lac, ils pensaient que le dieu Tii résidait sur les arbres voisins, et détachait la chair des os des malheureux à l'aide d'une coquille, qui en conséquence était déifiée, et dont il était défendu, sous peine de mort, de manger le mollusque.

Suivant la doctrine des Néo-Zélandais (Maoris),  tout homme décédé va prendre, au sortir de ce monde, le Tokouaiatoua (nom du sentier qui mène à l'empire de la mort). Ce chemin le conduit à une avenue appelée Pirita : il monte, descend, se repose et soupire après la lumière; et après s'être remis en marche, il arrive dans une maison appelée Ana; bientôt il en sort, trouve un autre chemin qui aboutit à un ruisseau dont les eaux font entendre un murmure plaintif; il franchit la colline de Hérangui, et le voilà au Reingya (Enfer). Quittant alors les régions inférieures situées au-dessous de la mer, il écarte le voile transparent qu'on trouve à l'entrée du chemin de Motatau, et gagne les plaines aériennes; après s'y être réchauffé aux rayons du soleil, il rentre dans la nuit, où il est livré à la tristesse, aux souffrances et aux maladies; de là il revient en ce monde pour reprendre ses ossements, et retourne encore au Reinga pour de longues années. Les insulaires croyaient que les morts ressuscitent ainsi, et retournent alternativement dans le Reinga, jusqu'à ce que leurs corps soient transformés en un certain ver qu'ils appellent Toke, et que l'on trouve souvent eu creusant la terre. La vie du Reinga est d'ailleurs, selon eux, tout à fait semblable à la vie présente : on y éprouve les mêmes besoins; ce sont les mêmes habitudes et les mêmes rapports.

D'autres Néo-Zélandais disent que les âmes des méchants sont condamnées à errer misérablement autour du Pouke-tapou, la montagne sacrée, sans pouvoir jamais espérer leur pardon, tandis que celles des justes, après avoir traversé le Reinga, parviennent à l'Atamira, lieu de,délices et séjour du bonheur parfait.



En librairie - Georges Minois, Histoire de l'enfer, PUF (QSJ), 1994. - Dante, L'Enfer (première partie de la Divine Comédie), Flammarion (GF), 2001. - R. Gounelle, La Descente du Christ aux enfers, institutionalisation d'une croyance (310-550), Institut d'Etudes augustiniennes, 2000.
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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