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La religion germanique

La religion et la  mythologie des peuples germaniques (Germains proprement dits et Scandinaves) a commencé à être connue, grâce aux remarquables travaux des mythologues allemands, danois, norvégiens et suédois du XIXe siècle. L'essor fut donné à ces études par la Mythologie allemande de J. Grimm; par la suite plusieurs ouvrages remarquables ont été publiés sur le même sujet, en particulier par Mannhardt et K. Müllenhoff, puis par Bang, Bugge, Hoffory et H. Meyer.

Les sources, auxquelles tous ces érudits ont puisé, sont, outre l'opuscule de Tacite sur la Germanie, les anciens poèmes allemands et scandinaves, à commencer par les deux Eddas (Edda poétique qui remonte au XIIe siècle et Edda de Snorri Sturluson, d'un siècle plus récent) et les Niebelungen, et aussi les usages, les traditions, même les proverbes populaires. Cette dernière catégorie de documents, judicieusement interprétée, permet de reconstituer ce qu'un mythologue, L. Knappert, nommait la mythologie inférieure, c.-à-d. la croyance du peuple aux esprits, aux elfes, aux mille génies de la nature. Au contraire, les anciens chants épiques aident surtout à reconstituer - avec une fidélité toute relative, convient-il de bien souligner  - quels étaient, chez les peuples de la Germaine et du Nord au cours de l'âge Viking (IXe-XIe s.), les conceptions religieuses et les mythes cosmogoniques, divins et héroïques les plus répandus. 

Le panthéon.
La religion nordique apparaît ainsi avant tout comme la religion des Ases. Ces divinités, également connues sous les noms de Anses, Oses, etc, rappellent les dieux de l'Olympe grec. Ils  représentent des puissances bienfaisantes : ils sont en lutte avec l'engeance maudite des Géants de la Gelée, comme les dieux grecs avec les Titans. Mais il y a entre les deux mythologies une différence fondamentale : tandis que chez les Grecs les dieux sont définitivement vainqueurs et jouissent d'une immortalité bienheureuse, les Ases sont constamment obligés de recommencer la lutte, et doivent même succomber un jour, quoique pour renaître ensuite. 

Les trois principales divinités de cette mythologie étaient : Odin, Odhinn ou Wotan, Tyr ou Tiwas ou encore Zio, et Thor, Thôrr, ou Donar. 

« Ils forment une sorte de Trinité qui paraît avoir été pendant plusieurs siècles l'objet d'une adoration constante de la part des peuples du Nord. » (A. Geffroy, Rome et les Barbares, p. 143). 
Les mythes représentent Odin comme le premier des dieux; ses attributions sont multiples : il est à la fois le dieu de la tempête, le dieu de la guerre, le dieu de la fécondité et de la sagesse.  Deux corbeaux, perchés constamment sur ses deux épaules Hugin (= l'Esprit) et Munnin (= la Mémoire), lui disent à l'oreille ce qu'ils ont vu ou appris dans leurs courses à travers le monde.
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Odin.
Odin.

Tyr est resté spécialement le dieu farouche, qui préside aux combats. Thor, devenu fils d'Odin, est le dieu de la force par excellence; il commande aux vents, aux saisons, particulièrement à la foudre. Il est le dieu de l'orage et du tonnerre. II est armé contre les monstres et les Géants d'un marteau qui revient de lui-même dans sa main après qu'il l'a lancé. Il tire également sa force de ses énormes gantelets de fer, de sa ceinture magique qui centuple ses forces, il est invisible et irrésistible.

Parmi les autres divinités, il faut citer les déesses Frigga (ou  Hertha) que Tacite connaît sous le nom de Nerthus, et Freyja ou Holda. L'une et l'autre ont très souvent un caractère nettement chthonien, et qui passait comme Frigga pour être les dispensatrices de l'abondance, de la joie, de la fécondité. Il y a aussi Freyr, Beowulf, Aegir, Heimdallr; mais leur physionomie est restée indécise, et les érudits modernes ne sont pas toujours d'accord sur leurs véritables attributions. 

On notera encore que tous les dieux sont regroupés par familles. La principale est celle des Vanes composée de Njördr, Freyr et Freyja, qui sont des dieux de la fertilité. De plus tous ne se placent pas sur le même plan. On a déjà cité les dieux principaux, et parmi les dieux du second ordre on mentionnera : Balder, fils d'Odin, beau, sage et bon. L'éclat de son palais radieux se reflète dans la zone lumineuse qui brille au ciel les nuits d'été (allusion à la lumière zodiacale?). Njörd règne sur les vents et la mer. Brage est le dieu de l'éloquence et de la poésie. Loki personnifie enfin le mauvais principe. Il est le facteur du désordre, celui dans lequel  les anthropologues contemporains reconnaissent la figure quasi-universelle du trickster, le joueur de tours, le dérangeur. Trois monstres sont nés de lui : le loup-Fenrir, le serpent Midgord, Hel ou la Mort. Nous avons déjà nommé Heimdal, le dernier de ces dieux secondaires. Viennent ensuite les douze déesses, qui entourent Frigga : puis les douze Valküres ou Valkyries, des vierges guerrières qui accompagnent Odin dans ses chevauchées et protègent les héros blessés sur le champ de bataille. Ce sont elles qui choisissent ceux qui doivent être tués, et qui font pencher la victoire vers le côté que favorise Odin. Quant aux guerriers qui ont mérité l'immortalité, ils habitent après la mort le brillant Valhala, dans lequel ils goûtent éternellement le plaisir de boire la bière et l'hydromel que leur servent les Valkyries, ou celui de combattre sans se lasser.
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Un skibsaetninger de l'île de Öland. Ces tombes étaient délimitées par
un anneau de pierres en forme de navire, comme pour évoquer le
voyage qui attendait le guerrier mort au combat. © Serge Jodra.

La théogonie et la cosmogonie.
La théogonie des Ases, ainsi que le récit de leurs combats avec les Géants et la prophétie de leur destruction finale, est contenue dans les deux recueils des Edda, surtout dans le fragment épique appelé Voluspa ou Völuspâ(Révélation de la Vala).

D'après ce texte, les Ases ne sont pas les premiers des êtres. Le monde et d'autres créatures sont apparus avant eux. Au matin du monde, quand ni la Terre ni l'Océan ni le Ciel n'existaient encore, il n'y avait que le Chaos. Celui-ci était comme celui des Grecs, tout simplement une immense ouverture béante. C'était un abîme dévorant, nommé le Ginungagap. Le Nifelhem, Niflheimr ou Niflheim, c.-à-d. le monde du froid et des ténèbres, situé aux extrémités du Nord, en émergea longtemps avant la Terre. Au milieu du Nifelheim se trouvait la fontaine Hvergelmer. Mais il y eut aussi, aux extrémités du Sud, le Muspelhem,  Muspellsheimr ou Muspelheim, c.-à-d. le monde de la lumière et de la chaleur : Surtur habite sur la frontière de ce monde et en est le dominateur; il porte une épée flamboyante, et il viendra à la fin du monde pour combattre et vaincre les dieux et détruire par le feu tout l'univers. On n'en est pas là.

De la fontaine Hvergelmer s'échappent douze fleuves, appelés Elivôgor. Ils débouchent dans le Ginungagap, fort loin de leur source, et, comme la scorie du métal en fusion, le poison que contiennent leurs eaux se condense et forme une glace épaisse, dont les couches successives s'accumulent. La région du Ginungagap qui est située vers le Nord se remplit ainsi de glaces qu'entourent et pénètrent les vents et la tempête, tandis que celle qui est située vers le Sud est protégée par les étincelles qui sortent du Muspelheim et conserve ainsi une atmosphère tranquille.

Peu à peu cependant la chaleur qui rayonne de ce côté atteint les glaces qui se sont formées vers le Nord; ces glaces commencent à se fondre goutte par goutte; les gouttes reçoivent la vie par l'énergie de celui qui a exhalé cette chaleur, et elles prennent la forme d'un être d'apparence humaine : c'est Ymer ou Ymir. Ymir est méchant, lui et toute sa descendance. II s'endort et tombe en sueur. Alors naissent de dessous son bras gauche un homme et une femme, et d'un de ses pieds un fils : c'est l'origine de la famille des Hrimthursar. Mais en même temps que Ymer les gouttes de la glace fondante ont engendré une vache nommée Audhumbla (Audhhumbla) : quatre ruisseaux de lait coulent de ses mamelles, et Ymer s'en nourrit. 

Audhumbla elle-même lèche les rochers couverts de sel et de givre; il en sort le premier jour une chevelure humaine, le second jour une tête d'homme, et le troisième jour un homme entier : c'est Bure (Bur ); il est beau, grand et fort; il a un fils, Börr (Bör); et du mariage de ce dernier avec Bestla, une fille des Géants, naquirent les trois premiers Ases, Odin ou Odhinn (l'air), Vili ou Vile (la lumière) et Vê (le feu). Ceux-ci entrent rapidement en lutte avec les Géants; ils tuent Ymir. Au moment où il tombe, il s'échappe tant de sang de sa blessure, qu'ils y noient toute la descendance des Hrimthumar, excepté le seul Bergelmer, le sage géant, qui, avec sa femme, survivra à ce Déluge sanglant en s'échappant dans une barque. Ils formeront à eux deux la tige des nouvelles familles de Géants Les trois premiers Ases se servent par ailleurs du corps d'Ymir et de son sang pour entreprendre l'ordonnancement général des parties de la matière : ils forment le ciel, la terre et la mer, dont ils deviendront les maîtres. 

De la chair d'Ymer, ils forment la Terre, de son sang la mer, de ses os les montagnes, de ses dents les pierres et les rocs, de ses cheveux les arbres, et de son crâne le ciel; de ses sourcils ils forment le séjour de Midgord ou Midgardr pour les fils des futurs humains, et de son front ils façonnent les nuages épais. Mais le Soleil ne savait pas encore où était sa demeure, les étoiles ne connaissaient pas leur place, et la Lune ignorait quelle force elle avait en elle. Alors les dieux, sur leurs sièges élevés, tiennent conseil. Ils prennent les étincelles jaillissant du Muspelheim, et les fixent dans l'espace, en haut et en bas, pour éclairer le ciel et la Terre. Ils donnent leurs noms à la nuit, au matin et au midi. Ils façonnent la Terre; par dessus ils étendent les cieux, avec, aux quatre coins, les Nains Orient, Occident, Nord et Sud. Au delà des rivages de la mer du monde qui entoure la Terre, ils placent le pays des Géants. En deçà du cercle extérieur de la Terre, ils se choisissent à eux-mêmes une demeure, qu'ils protègent tout autour par un mur contre les Géants; la demeure de ceux-ci est appelée Utgord ou Utgardr. 

Le monde étant alors prêt à recevoir l'humanité, les fils de Bör forment d'un frêne et d'un orme le premier homme et la première femme, auxquels Odin  donne leur souffle, Häner leur intelligence, Loder leur sang et leur belle physionomie. Ils leur donnent aussi des vêtements et des noms : l'homme s'appelle Ask et la femme Embla. C'est d'eux que sortiront les enfants des humains, à qui il sera permis d'habiter Midgord. Quant aux Nains, issus des vers qu'avait engendrés le corps d'Ymer, les dieux leur ont donné aussi la forme et l'intelligence humaines, mais ils habiteront dans les entrailles de la Terre et sous les rochers.

Les travaux et les jours.
Pour eux-mêmes les dieux bâtissent au milieu de Midgord un palais magnifique appelé Asgard ou Asgord (= cour des dieux). Les principaux dieux qui y séjourneront sont Freyja (le ciel serein), épouse d'Odin, leurs fils Thôrr (= le tonnerre), Baldr (= le printemps), Heimdallr (= le matin), puis les déesses Sif (= la moisson), Nanna (= la fleur), Idhunn (= la nature féconde); enfin le fourbe Loki, qui, tantôt allié des dieux et tantôt des Géants, représente le changement perpétuel des saisons. Et bien sûr, c'est à Odin que reviendra le trône. Odin s'est édifié dans l'Asgard un temple nommé Gladshem, avec douze sièges pour les dieux et le haut siège qui lui revient. Les dieux ont aussi élevé un autre temple, Vingolf, avec des autels pour les déesses. Ils ont ensuite construit des fourneaux, et fabriqué des instruments et des armes. Ajoutons que les dieux ont construit de la Terre au ciel un pont appelé Bäfröst ou Pont des Ases. Il est de trois couleurs, et bâti avec un art admirable. Au point où ce pont rejoint le ciel, se trouve la demeure d'Heimdal; c'est de là qu'Heimdal surveille les Hrimthursar et les Géants des montagnes qui pourraient vouloir escalader l'empire céleste. Ce pont est visible encore aujourd'hui : c'est l'arc-en-ciel; le rouge qu'on y aperçoit, c'est le feu éclatant; les eaux célestes bruissent tout autour. II se brisera quand les fils de Muspel parviendront à l'escalader.

Les Ases se livrent dans l'Asgard à toutes sortes d'amusements et de jeux guerriers, tels que des combats acharnés où ils feignent de se tailler en pièces pour se relever bientôt, et la chasse au monstrueux sanglier Saehrîemnir, qui renaît tous les jours. Puis, viennent des festins où figurent la chair du sanglier, la bière, l'hydromel, et les pommes d'ldhunn, qui assurent à ceux qui les mangent une jeunesse perpétuelle.

Le séjour préféré des dieux reste cependant l'ombre du frêne (on dit parfois du chêne) Yggdrasil; ses branches recouvrent le monde entier et s'élèvent jusqu'au ciel. Ses trois racines traversent l'abîme, le ciel et la terre. L'une pénètre jusqu'au Nifelhem, là où le serpent Nidhögg, dans la fontaine de Hvergelmer, ronge sa racine; la seconde va jusqu'au Hrimthursar, et par-dessous est la fontaine de Mimer, où sont cachées l'intelligence et la sagesse. Un jour, Odin vint à cette fontaine et voulut boire; mais il fallut qu'il donnât un de ses yeux en gage, et c'est depuis lors qu'Odin est resté borgne. La troisième racine s'étend jusqu'au séjour des Ases et des humains, et par-dessous on trouve la fontaine sacrée d'Urd. C'est là qu'est le tribunal des dieux; ils s'y rendent à cheval chaque jour en franchissant Bäfröst.

Un aigle, qui sait beaucoup de choses, se tient perché sur le haut du frêne. Dans la demeure pratiquée entre les racines de l'arbre, auprès de la source d'Urd, habitent les trois savantes soeurs, Urd, Verdande et Skuld (c'est-à-dire le passé, le présent et l'avenir). Ce sont les Nornes; elles sont très puissantes; elles creusent les runes du destin pour les dieux et pour les humains, et leurs décrets sont irrévocables. II y a d'autres Nornes encore, par exemple celles qui, présentes à la naissance d'un humain, filent la trame de son destin; les unes sont bonnes et bienfaisantes, les autres méchantes et perfides.

La présence dans le monde d'éléments mauvais explique que les dieux n'ont pas le loisir de s'adonner tranquillement à leurs plaisirs. Les Géants, les monstres du Niflheim et du Jötunheim, c.- à-d. les éléments déchaînés et toutes les forces du mal physique et moral, n'ont pas désarmé; refoulés aux extrémités du monde habitable, ils travaillent sans cesse à faire tomber la nature dans le chaos et l'humain dans la méchanceté; D'ailleurs, un signe ne trompe pas : quand les Ases s'assemblent sous le frêne Yggdrasil, ils le sentent bien souvent trembler sous l'étreinte du Grand Serpent qui en ronge les racines. 

Aussi les dieux sont-ils constamment obligés de courir aux armes; ils écrasent les Géants dans une série de combats qui presque tous représentent de la manière la plus poétique le triomphe du printemps sur l'hiver, et dont le héros est ordinairement Thôrr, parce que l'hiver disparaît avec les orages du printemps. Mais le cycle immuable des saisons peut-il ainsi se poursuivre à jamais? Quelque chose va le mettre en péril. Et cela commence avec l'arrivée des filles des Géants qui trouble le bonheur parfait qui aura été pendant un certain temps le partage des dieux et des hommes. Vainement Loki, le génie du mal, aura été vaincu une première fois. Vainement la puissance et la vie même des dieux auront-elles été assurées pendant la vie de Balder; l'aimable Balder, au sort duquel est suspendu celui de la nature entière, avertit lui-même les dieux que des songes lui annoncent une fin funeste. A la prière de Frigga, sa mère, toute la nature promet de l'épargner; toute la nature, excepté le gui, qui s'est trouvé omis dans cette prière universelle. Loki s'en aperçoit; aussi, lors des jeux du Valhala, en présence de tous les dieux réunis, comme chacun lançait son arme sur la poitrine de Balder qu'on croyait invulnérable, Loki met dans la main de l'aveugle Hoder (Hödr), frère du dieu, une branche de gui, et lui fait commettre un fratricide involontaire. Les Ases veulent punir le méchant Loki; mais il leur échappe sous la forme d'un saumon. Eux-mêmes d'ailleurs doivent bientôt périr. Voici donc qu'approche la fin des temps, ce grand embrasement universel qui viendra à bout du monde, le Ragnarök, ou Destin des Puissances. Le Voluspa en décrit les signes précurseurs  :

" L'arbre du monde craque et se fend d'horreur; le loup-Fenrir rompt ses chaînes et dévore le Soleil; la flamme détruit le monde..." 
Le Ragnarök.
Les dieux savent bien en effet qu'un jour viendra où les Géants, alliés à Surir (le feu dévorant) et aidés du traître Loki, prendront d'assaut la citadelle de l'Asgard. Pour les aider alors, ils envoient les Valkyries. Mais quand le dernier jour arrive enfin : le soleil pâlit, la terre tremble, le frêne Yggdrasil est secoué jusqu'à ses racines; le coq à la crête d'or pousse un cri perçant auquel répond du fond des enfers le coq rouge-noir de Hel (= la mort); Heimdallr sonne du cor, les Ases et les héros courent aux armes; les Géants, Surir, Loki, tous les monstres du Niflheim et du Muspelheim envahissent l'Asgard, et le dernier combat s'engage. Odin s'élance, la javeline haute, au devant du loup Fenrir, dont la gueule ouverte s'étend de la terre au ciel : il disparaît tout entier dans ce gouffre béant; mais le monstre est déchiré à son tour par Vidar, fils d'Odin. Thor écrase à coups de marteau la tête du Grand Serpent, mais lui-même tombe étouffé par son haleine empoisonnée. Les Ases et les héros, accablés par le nombre, meurent en braves. L'Asgard est réduit en cendres, la terre s'enfonce dans la mer, le soleil s'éteint, les étoiles tombent du ciel, et tout rentre dans les ténèbres du chaos.

Toutefois, le jour viendra ou, sous l'action toute-puissante d'un dieu suprême que la Vala appelle le Fort d'En Haut, sans oser, dit-elle, en prononcer le véritable nom, la terre et le ciel reparaîtront, plus beaux, plus lumineux, plus heureux que jamais. 

"Une terre admirablement verte, dit le Voluspa, sort du sein des flots. Les cascades se précipitent. L'aigle guette le poisson du haut des rochers. Les champs produisent sans être ensemencés. Tout malheur est détruit. Balder est de retour... "
Les Ases et les héros renaîtront; les monstres du mal seront vaincus pour toujours; la terre produira d'elle-même les moissons, les saisons se confondront dans un printemps perpétuel ; la justice et la vérité régneront sur la terre, et les dieux et les humains jouiront d'un bonheur qui n'aura pas de fin.

Tel est, dans sa simplicité majestueuse, l'ensemble de la mythologie scandinave. Moins gracieuse, moins riante et moins délicate que la mythologie grecque, elle est plus grandiose et plus morale. Beaucoup des mythes qui la composent ont d'ailleurs avec ceux de la Grèce et de l'Inde (Les Religions de l'Inde) une origine commune. Il convient sans doute de considérer avec beaucoup de prudence les analogies qu'un auteur  tel que Tacite voyait, via les parallélismes avec la mythologie latine sur lesquels il y aurait déjà beaucoup à dire,  entre Odin et Mercure, Tyr et Mars, et Thor et Hercule, ou encore entre Frigga et la Terra Mater latine ou Freyja et Vénus. On est tenté d'accueillir plus favorablement l'opinion de certains interprètes, qui ont vu  derrière Tyr, l'antique dieu suprême des tribus germaniques et scandinaves, équivalent au Zeus grec et au Dyaus védique. Ce dieu disent-ils aurait donné naissance, par dédoublement de sa personnalité mystique, à Odin-Wotan et à Thor-Donar; puis il aurait été dépossédé par Odin-Wotan du pouvoir suprême. De plus, il n'est pas difficile de retrouver, par exemple, dans les mythes de Thor et d'Odin, de nombreux traits de ressemblance avec le mythe d'Indra; et l'on a pu comparer, sans paradoxe, les aventures de Sigurd et de Siegfried, racontées dans les Nibelungen, avec la légende du héros Karna, qui nous est rapportée dans le Mahabharata.
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Gravures rupestres de Hällevadsholm (sud-ouest de la Suède). 
Ces figures sont datées de l'âge de Bronze. Elles attestent 
d'une religion primitive sans doute encore très éloignée de celle
qui sera pratiquée à l'âge viking. © Serge Jodra.

On retrouve aussi dans la religion nordique telle qu'elle nous a été restituée des opinions et des espérances qui font penser aux doctrines de la religion chrétienne  : celle d'une destruction universelle par la victoire du mal, mais celle aussi d'une autre vie, pendant laquelle le bien triomphera à son tour; double témoignage d'un sentiment profond de l'imperfection des choses créées et d'une noble confiance dans la victoire définitive de l'éternelle justice. La description du dernier jour et du renouvellement de toutes choses rappelle parfois certains passages de l'Apocalypse, et l'on est en droit de penser, que sous la forme où nous sont parvenus ses mythes, ils ont déjà été modifiés sous l'influence d'idées chrétiennes. Les Eddas, après tout, ne datent que des XIIe et XIIIe siècles.

Le culte des Ases fut officiellement détruit, lors de l'introduction du christianisme, en Angleterre et en Allemagne d'abord, puis en Scandinavie; il se maintint en Islande jusqu'au milieu du XIe siècle, et c'est là que furent recueillis presque tous les documents qui ont servi à le reconstituer. On en retrouve, du reste, les traces dans une foule de légendes et de superstitions dont un certain nombre ont été recueillis par les folkloristes du XIXe siècle dans les campagnes des pays germaniques où elles restaient vivaces. Le nom même des Ases s'est perpétué dans quelques noms propres, tels que Osnabrück, Anselme, Oswald, Asbjörn, etc. (A19 / Paul Passy).



En bibliothèque - Les travaux de Bergman, de Strasbourg; ce sont des traductions des Eddas, accompagnées de commentaires perpétuels, fort savants, quelquefois obscurs. On a surtout en danois Finn Magnussen, la Doctrine de l'Edda (Edda laeren), 4 vol. in-12, 1824-26; du même : Priscae veterum Borealium Mythologiae Lexicon, Havniae, 1828, in-4°; du même, une traduction, avec savants commentaires, de l'ancienne Edda, Aeldre Edda, 4 vol. in-12, 1821-23; Grundtvig, Mythologie du Nord, Copenhague, 1832, in-8°; N.-M. Petersen, Histoire du Danemark pendant le paganisme, 3 vol. in-12, 1er vol., 1834. Voir aussi : Suhr, Des croyances, des connaissances et de la poésie des anciens Scandinaves, Copenhague, 1815; Nierup, Lexique des mythes scandinaves, ibid., 1816; Mone, Histoire du paganisme dans l'Europe du Nord, Heidelberg, 1822-23, 2 vol. in-8°; Berger, Mythologie du Nord, 2e édit., 1824.

En librairie - Jean Mabire, La légende de la mythologie nordique, L'Ancre de Marine, 1999. R. I. Page, Mythes nordiques, Le Seuil, 1999. - Patrick Guelpa, Dieux et mythes nordiques, Presses universitaires du Septentrion, 1998. -  Jean Renaud, Les dieux des Vikings, Ouest-France / Edilarge, 1996. - Rudolf Simek, Dictionnaire de la religion germano-scandinave, Apolline, 2 vol.. - Snorri Sturluson, L'Edda, récits de mythologie nordique, Gallimard, 1991.

Ouvrages de Régis Boyer : Héros et dieux du Nord, Flammarion (Beaux livres), 2001. - Les sagas légendaires, Les Belles Lettres, 1998. - La grande déesse du Nord, Berg International, 1998. - La mort chez les anciens scandinaves, Les Belles lettres, 1994. - La religion des anciens Scandinaves, Payot, 1992. - L'Edda poétique, Fayard, 1992. 
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Régis Boyer, Yggdrasill, la religion des anciens scandinaves, Payot, 2007. - Cette présentation nouvelle de la religion des anciens Scandinaves, depuis les origines connues jusqu'à l'époque viking, respecte deux grands principes. D'une part, elle adopte un mode résolument diachronique. A partir des tout premiers documents que nous livre l'âge de la pierre, en passant par les indications de l'âge du bronze, puis par les trouvailles de l'âge du fer, les «hommes des tourbières», danoises notamment, et les souvenirs de l'âge des grandes migrations, nous débouchons sur le grand corpus des Eddas, des poèmes scaldiques et des sagas, qui permettent une vaste synthèse d'une religion dominée par le culte des grandes forces naturelles et du tout-puissant Destin. De là découle aussi le second principe, «vertical», d'organisation structurale de cette mythologie : l'idée centrale revient à considérer, dans une perspective naturaliste, que le Soleil (élément aérien), Baldr, Tyr, Thorr, l'élément liquide (Odinn) et l'élément tellurique (les Vanes) ont présidé à l'élaboration des mythes et des rites que sous-tendent les notions de Force (ou de Dynamisme) et de Savoir (respectivement juridique ou poétique et vitaliste), créatrices d'ordre opposé au chaos. En tout état de cause, l'idée retenue est celle d'une vision consciente et active du monde, de la vie et de l'homme, qui ne laisse aucune place ni au doute, ni au désespoir, ni à l'absurde. Elle est tout entière dominée par l'image éminemment prestigieuse du grand arbre Yggdrasill, source superbe de tout savoir, de tout destin et de toute vie.

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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© Serge Jodra, 2004. - Reproduction interdite.