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Les îles fantastiques
Îles imaginaires, îles fantômes

Les îles de l'Odyssée

Plusieurs îles fantastiques sont cités dans l'Odyssée :  l'île des Mangeurs de Lotus, les îles des Cyclopes, Eolie (l'île flottante du dieu Eole), Aoaé (l'île de Circé),  l'île des Sirènes, Charybde et Scylla, Ogygie (l'île de Calypso); les rochers errants, qui jouent un rôle dans l'expédition des Argonautes, et les îles Fortunées, séjour des Bienheureux, sont également mentionnés. L'Odyssée relate un voyage de vingt ans en Méditerranée. Que l'on puisse s'égarer aussi longtemps dans une mer fermée montre bien que le moteur premier est de l'ordre du merveilleux. Ce sont les dieux qui retardent Ulysse, pas la géographie. De même, c'est avec les yeux de l'imaginaire qu'il faut commencer à lire ce texte, plutôt qu'avec ceux du cartographe. Les îles qu'évoque Homère sont  d'abord des îles fantastiques et peu importe si l'on a cru plus tard pouvoir en placer ensuite quelques-unes sur une carte. Ithaque et à la rigueur l'île des Phéaciens (peut-être Corfou) appartiennent sans doute au monde réel, mais celui-ci s'arrête là pour l'auteur de l'Odyssée. Au delà, plus à l'Ouest, commencent les mondes fabuleux, les pays du couchant, que les Grecs appelaient l'Hespérie.

Les Hespérides

En Europe, le nom d'Hespérie s'appliqua d'abord aux régions occidentales de la Grèce, avant de passer à l'Italie, puis à l'Espagne, près de Gadès (Cadix). En Afrique l'Hespérie désigna d'abord la partie du grand désert où se perdit l'armée de Cambyse; plus tard nous le retrouvons en Cyrénaïque, où l'on trouve une ville d'Hespéris (devenue ensuite Bérénice, puis Benghazi).

Le périple d'Hannon reporte ce pays sur les bords de l'Atlantique, près du fleuve Lixus, dans ce pays où, disaient les Grecs, Héraclès était allé cueillir des pommes d'or des Hespérides. Lorsqu'enfin le Samien Colaeos, sans se laisser effrayer par les contes d'Hésiode sur les Gorgones, et sans craindre la rivalité des Phéniciens, franchit les colonnes d'Hercule et prit possession de l'Atlantique au nom de ses compatriotes, l'Hespérie recula une seconde fois. Elle quitta le continent et se refugia dans les îles. Il est difficile d'assigner à ces îles une position précise. 

Tantôt on nomme ces îles Hespérides, tantôt Gorgades ou Atlantides; mais les renseignements sont si confus et tellement contradictoires, les récits des voyageurs si tronqués, si défigurés par des dépositions ignorantes ou des mensonges intéressés, qu'il est impossible d'établir la concordance de cet archipel avec  les îles du Cap-Vert, ou de Madère, ou tel autre groupe de l'Atlantique, peut-être même les Canaries. Identification d'autant plus difficile, et pour tout dire vaine, que les premières navigations dans l'Océan ne lui enlèvent pas son caractère fantastique, et que les terres situées au couchant, et dont on recueille sans doute les échos, restent le réceptacle des mythes; c'est toujours là, dans cette Hespérie aux multiples visages, que l'on pense être le séjour des morts, ou du moins des plus méritants d'entre eux.

L'île des Bienheureux et les îles Fortunées

Dans les anciennes conceptions des Grecs, les ombres vertueuses après la mort rejoignent un lieu nommé l'Elysée ou les Champs Elysées, dont l'emplacement varie selon les auteurs. Homère le place aux limites occidentales de la terre, en deçà de l'Océan. Suivant ce poète, un printemps éternel règne dans l'Élysée, où habite Rhadamanthe : le soleil y répand toujours sa lumière; jamais la pluie ni les orages ne viennent attrister les héros qui y vivent dans une félicité parfaite. Hésiode nomme lieu fortuné les îles bienheureuses, où la terre se couvre de fleurs et de fruits trois fois dans l'année, et où les héros vivent heureux au delà de l'Océan. Suivant Pindare, Cronos a un palais dans ces îles; on n'y est admis qu'après avoir subi sur terre et dans l'Hadès trois épreuves pendant chacune desquelles on ne doit se rendre coupable d'aucun crime. Rhadamanthe y siège auprès de Cronos. Les traditions postérieures s'écarteront en quelques points du mythe primitif; ainsi, suivant Lucien, c'est dans la lune qu'est l'Élysée, ce qui ne l'emêche pas de commencer son voyage dans les îles de l'Atlantique; Plutarque le place au centre de la terre, et Denys le géographe dans les îles Blanches, renouant ainsi avec un thème que l'on rencontre jusqu'en Inde

L'Atlantide

Platon, dans deux dialogues (le Timée et le Critias) consacrés à l'histoire de l'Atlantide, raconte qu'encore enfant il écouta les récits de son aïeul Critias, lequel avait entendu de la bouche même de Solon ce qu'avait enseigné à celui-ci un vieux prêtre égyptien de Saïs :
« L'Atlantide était jadis une grande île de l'Océan, en face dit détroit d'Hercule; elle était belle, fertile, sainte et merveilleuse. Ses peuples, soumis aux dieux et à la vertu, vécurent longtemps dans l'innocence et dans le bonheur. Mais leurs moeurs douces et pures finirent par s'altérer; ils devinrent am bitieux et cruels; et, n'écoutant plus que l'injustice et la violence, ils voulurent conquérir le monde. Zeus résolut alors de punir ce peuple impie: il déchaîna les tempêtes, fit trembler le monde sur ses fondements, et dans l'espace d'une nuit l'Atlantide disparut sous les flots. » 
Tel est le sommaire du récit de Platon. Diodore nous a laissé la description d'une île délicieuse, mais lointaine, où les Carthaginois avaient décidé de transférer le siège de leur république, en cas d'un désastre irréparable. Avant lui, Aristote avait parlé d'une île semblable, qui avait tant de charmes pour les citoyens de Carthage, que le sénat défendit d'y aller sous peine de mort. Ce fut sur ces différents récits, et surtout sur celui du philosophe athénien, que quelques modernes bâtirent l'hypothèse d'une prétendue découverte de l'Amérique par les Carthaginois, comme si l'auteur, en abîmant son île au fond de l'Océan, ne les eût pas dispensés d'en chercher la position. D'autres, prenant au pied de la lettre le récit de Platon, ont même cherché à démontrer la possibilité de la disparition subite de cette problématique Atlantide.

Quand on revient au texte de Platon, il est pourtant assez clair que le récit de l'Atlantide est une de ces mille fictions merveilleuses si communes autrefois, et que l'éloquent disciple de Socrate aura embellie de toutes les richesses de son style, afin de donner un support à ses démonstrations. Si son pays se nomme Atlantide et s'il pointe aussi fortement en direction de l'océan Atlantique et à l'Ouest, c'est pour se rattacher justement à cette tradition mythologique qui y place l'île des Bienheureux et le jardin des Hespérides (c'est-à-dire des filles d'Atlas ou Atlantides). II était déjà question des Atlantes et de leur île dans deux endroits de l'Odyssée. Hésiode en faisait mention dans sa Théogonie; Euripide les nomma sur le Théâtre d'Athènes; et si Solon consacra les loisirs de sa vieillesse à composer une grande épopée sur la tradition des conquêtes des Atlantes et de leur roi Atlas, c'est bien avec cette référence mythologique en tête. Et l'on pourrait peut-être dire à peu près la même chose de la Méropide, imaginée par Théopompe, et qui ressemble à un doublon de l'Atlantide.

Le continent Cronien

Alors que Platon s'ingénie donc à nous expliquer que son Atlantide n'est qu'un mythe et qu'on perdrait son temps à la chercher dans la réalité, Plutarque, dans De facie in orbe lunae, semble vouloir emprunter le chemin inverse. Il va chercher l'île la plus mythique de la mythologie, Ogygie, la mystérieuse île de la mystérieuse Calypso, pour en faire un objet géographique, en la plaçant à la distance de cinq jours de navigation de l'Angleterre. Cette île, qui dans l'imaginaire grec, signifie "le bout du bout du monde", devient soudain accessible, de même qu'un nouveau monde, lui aussi arraché aux anciens mythes, mais que tout porte à aller chercher dans les régions arctiques. 

Ainsi, au-delà d'Ogygie, explique Plutarque, se trouvent trois îles, situées à égale distance l'une de l'autre et dans la même direction. Cronos était enfermé dans l'une de ces îles, le continent Cronien, et surveillé dans son sommeil par Briarée, car le sommeil lui servait de liens. Il était entouré de génies qui l'avaient servi quand il commandait encore aux dieux et aux hommes. Il rêvait ce que méditait Zeus et les génies rapportaient ce qu'il rêvait.

La terre ferme, « par laquelle la grande mer est circulairement bordée », est à cinq mille stades d'Ogygie. On ne peut y aller que dans des vaisseaux à rames, parce que la mer est plate et basse, remplie de vase, de grands bancs et de récifs. «On a eu anciennement opinion qu'elle est glacée ».

Le Grand Continent forme une baie non moins étendue que le Palus Méotide. Les habitants s'en disent continentaux et nous appellent insulaires parce que nous sommes entourés par l'Océan.

Tous les trente ans, quand la planète Saturne ou planète de Cronos, qu'ils appellent Nyctouros (= le Gardien de la nuit), entrait dans le signe du Taureau, des théores, désignés par le sort, passaient du continent cronien à l'île d'Ogygie. Leur navigation était très dangereuse. Ils abordaient d'abord dans une île habitée par des Grecs :

« Là où ils voient, dit Plutarque, que le soleil ne demeure pas caché une heure durant,
l'espace de bien trente jours, que cela est leur nuit, dont les ténèbres sont bien peu obscures, et comme le crepuscule du  jour ».
Sylla tenait ces détails d'un ancien prêtre de Cronos venu d'Ogygie à Carthage, où la découverte d'un parchemin sacré l'avait rendu célèbre et respecté...

Ortygie

Les Grecs donnaient le nom d'Ortygie (= l'île aux Cailles) à l'île légendaire où Létô , s'était réfugiée après avoir pris la forme d'une caille, pour donner le jour à Artémis et Apollon. Les anciens auteurs tendaient à l'identifiéer avec Délos. Ce nom fut aussi appliqué à un bois sacré près d'Ephèse où l'on rendait un culte à Artémis, à la soeur de Létô, et même à l'île où se forma la ville de Syracuse (mais dans ce dernier cas aucun lien n'était fait avec Létô).

Les Satyrides

Un seul auteur, Pausanias, a parlé d'un autre archipel mystérieux situé au couchant, celui des îles Satyrides : 
« Euphémos de Carie, a-t-il raconté, se rendait eu Italie. Les vents le détournèrent de sa route et le poussèrent jusque dans cette mer extérieure, qui n'est pas encore fréquentée. Il y trouva de nombreuses îles, les unes désertes, les autres peuplées d'hommes sauvages. Les matelots ne voulaient pas approcher de ces dernières, avant abordé précédennment dans quelques-unes, et sachant de quoi leurs habitants étaient capables; ils s'y virent cependant encore forcés. Les matelots donnèrent à ces îles le nom de Satyrides. Leurs habitants sont roux et ont des queues aussi longues que celles des chevaux. Ils accoururent vers le vaisseau dès qu'ils l'aperçurent. Ils ne parlaient point, mais ils se jetèrent sur les femmes pour les violer. A la fin, les matelots épouvantés leur abandonnèrent une femme barbare, et les Satyres, peu satisfaits des jouissances naturelles, assouvirent leur brutalité sur toutes les parties de son corps ».
L'exactitude et la bonne foi de Pausanias sont universellement reconnues et appréciées. Il a donc certainement entendu raconter le voyage d'Euphemos de Carie, et ce voyage, selon toute vraisemblance, a dût être exécuté. Et malgré les détails du récit, peu crédibles, peut-être a-t-on ici quitté enfin le domaine de la mythologie, et de ses îles plus ou moins fortunées, pour entrer dans celui de la géographie. Mais alors à quelles îles est-il fait référence? La même question ne va plus cesser de se reposer aux époques ultérieures, avec une réponse toujours aussi difficile, et parfois même impossible. Pendant tout le Moyen âge, et même au-delà, le fantastique restera aux aguets et toujours prompt à submerger le réel.

Brittia

Les Bretons de la presqu'île française plaçaient le séjour des morts à l'Ouest, par delà l'océan Atlantique. Plusieurs légendes se rapportent à cet embarquement des morts vers la Brittia mythique. Elles se sont localisées à la pointe du Raz, en face de l'île de Sein, près de l'Enfer de Plogoff. Près de l'embouchure de la Meuse, on cite une autre bouche de l'enfer, Helvoets fuiss, que Pline désigne sous le nom d'Helium.
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Ces croyances paraissent avoir été communes aux populations de l'Armorique et jusqu'à la Hollande actuelle. Tzetzès raconte que sur cette côte, en face de la Grande-Bretagne, vit un peuple de pêcheurs qui se charge de transborder les morts. La nuit on les appelle et on frappe à leur porte; ils se lèvent et trouvent des barques étrangères sur lesquelles sont les âmes invisibles des morts; ils les conduisent avec une célérité miraculeuse à l'île de Brittia; ils y débarquent leurs passagers et, sans voir personne, entendent des voix qui appellent chacun par son nom; ils repartent alors sur les barques qui sont très allégées.

Procope place l'île mythique de Brittia à 200 stades des bouches du Rhin entre la Grande-Bretagne et Thulé. Claudien connaissait aussi ces récits qu'il embrouille avec ceux de l'Odyssée. Philémon disait que les Cimbres appelaient l'océan Septentrional mer des Morts (mare mortuum); on trouve dans le roman de Lancelot du Lac aux côtés de cette autre île mythique d'Avalon, et dans l'Hamlet (acte Ill, sc. I) de Shakespeare des échos de ces vieilles croyances. On rencontre dans Plutarque des détails sur un continent transatlantique, séjour des bienheureux. Les poèmes celtiques du Moyen âge sont remplis de récits du même genre. 

Les îles Eternelles

Si les Anciens ont effectivement découvert des îles dans l'Atlantique dans lesquelles ils ont le plus souvent cru reconnaître des lieux attachés à leurs mythes, la connaissance de ces îles se perdit au Moyen âge, à tel point que leur exploration devint une entreprise de découvertes nouvelles, après un intervalle de plusieurs siècles, Et l'Océan eut de nouveau ses légendes d'îles merveilleuses, tant pour l'Europe chrétienne que pour le monde musulman dilaté jusqu'aux extrémités occidentales de l'Afrique et de l'Andalousie

A l'ouest, les Arabes avaient des notions aussi étendues, quoique moins exactes, que celles des Romains et des Grecs. Les géographes arabes mentionnent diverses îles à l'identification incertaine, parmi lesquelles les îles Eternelles, dans l'Océan Atlantique, et qui pourraient être une ressouvenance des îles Fortunées de l'Antiquité. Les récits concernant ces lieux énigmatiques se répandirent-ils dans la chrétienté? On pourrait le croire à certains traits de ressemblance qu'on voit percer dans les légendes en circulation dès le XIe siècle, chez les diverses nations de l'Europe, sur les navigations de quelques saints personnages à travers l'Océan occidental, et dont quelques-unes vont durablement féconder l'imaginaire géographique.

Les îles de Saint Brandan

Les cartographes du Moyen-âge ne se contentaient pas de placer à l'ouest le Paradis Terrestre; ils semaient encore dans l'Océan un certain nombre d'îles imaginaires, qu'ils plaçaient sous le patronage de quelque saint renommé, et associaient ainsi leur désir d'étendre les connaissances géographiques et de les concilier avec les données religieuses. 

Parmi les îles fantastiques, inventées par la crédulité des cartographes, une des plus célèbres est I'île de Saint Brandan. Ce n'est pas en effet seulement dans la légende que s'est conservé le souvenir du saint Irlandais; nous en trouvons la trace persistante dans la géographie du Moyen-âge, et même dans la géographie moderne

Vincent de Beauvais est à peu près le seul écrivain sérieux qui, au XIIIe siècle, ait protesté coutre la réalité des découvertes de Brandan. 

« Cette légende est remplie de détails apocryphes, écrivait-il, je la crois fausse de tout point ». 
Ses contemporains au contraire l'ont acceptée, sans même en discuter l'authenticité. Tous les traités géographiques de l'époque, toutes les cartes mentionnent l'île découverte par le saint voyageur. Dans un manuscrit du XIe siècle, conservé à la bibliothèque de Turin, sont déjà marquées sur l'Océan des îles encore anonymes, mais qui seront bientôt désignées par le nom du saint, qui passait pour les avoir découvertes. 

Saint-Brandan sur les cartes.
Honorius Augustodunensis, en parle dans son lmago Mundi composée en 1130. La mappemonde de Jacques de Vitry et l'Imago Mundi de Robert d'Auxerre (1265) mentionnent l'île du saint irlandais. Dans le portulan du XIVe siècle que l'on conserve à la bibliothèque de Saint Marc à Venise, non loin de la côte occidentale de l'Irlande, une île relevée d'enluminures et d'or est désignée par cette légende : « La montagna de Sto Brandan ». 

Dans la carte vénitienne des frères Pizzigani en 1367, dans celle d'un anconitain dont le nom est effacé, conservée dans la bibliothèque de Weimar et portant la date de 1424 , dans celle du génois Beccaria en 1435, le groupe de Madère est intitulé Iles Fortunées de saint Brandan.  Nous la trouvons aussi marquée sur la carte de Behaim, c'est une grande île occidentale placée près de l'équateur. 

Quand ces parages de l'Océan furent mieux connus, on transporta l'île de Saint-Brandan, avec des dimensions beaucoup moindres, dans l'ouest de l'Irlande, ainsi qu'on le voit au XVIe siècle sur les cartes d'Ortelius; puis elle disparut tout à fait de l'Océan occidental pour s'aller réfugier dans l'Océan Indien, où nous la reverrons en compagnie de Cerné ou Kerné (l'île énigmatique du Périple d'Hannon).

A la recherche de Saint-Brandan.
La curiosité fut si vivement excitée par cette île imaginaire et l'on crut si fermement à sa réalité qu'on n'en finit plus pendant plusieurs siècles de la chercher, et même de croire l'avoir retouvée. Une singulière et persistante illusion géographique a d'ailleurs contribué faire croire à l'existence de cette île errante. De temps à autre les habitants de Madère croyaient voir à l'horizon se profiler les contours de cette île : aussitôt ils s'embarquaient, mais au moment où ils distinguaient les sinuosités de la côte et les moindres détails de la campagne, soudain elle disparaissait en s'abîmant dans les flots et les vapeurs de la mer. 

Même après Christophe Colomb, on la cherchait encore. Les Portugais, quand ils arrivèrent en Amérique, croyaient l'avoir retrouvée (Les Grandes Découvertes). En 1517, lorsque Emmanuel de Portugal abandonna ses prétentions sur les Canaries, il y comprit expressément l'île cachée. En 1526 une expédition partit des Canaries à sa recherche, sous le commandement de Fernando de Troja et de Fernando AIvarez, mais elle ne fut pas plus heureuse que les précédentes. 

En 1570 un certain Pedro Velha affirma qu'il avait débarqué dans cette île, et même qu'il y avait remarqué des traces de pas humains doubles de l'ordinaire. Aux environs paissaient de nombreux troupeaux. Au moment où les matelots s'apprêtait à le poursuivre, une tempête s'éleva qlui les força de regagner leur navire. En un instant ils perdirent la terre de vue, et, lorsque la tempête fut passée, ils ne purent jamais retrouver l'île mystérieuse.

La  véracité de ce récit fut confirmée par une enquête solennelle dirigée par Pedro Ortez de Funez, inquisiteur de la Grande Canarie, et, sur la foi de ces renseignements pourtant bien vagues, Fernando de Villalobos, régidor de Palma, voulut encore tenter l'aventure, mais il ne réussit pas davantage. 

Comme pourtant les apparitions se multipliaient, et que toutes les fois elles étaient constatées parmi grand nombre de témoins, une véritable fièvre de curiosité s'empara des Canariens.

En 1604 départ de Lorenzo Pinedo et G. Perez de Acosta. En 1721 doit Juan de Mur, gouverneur de l'archipel, confie à Gaspard Dominguez un navire qui part de Santa-Cruz et y rentre après plusieurs mois de courses inutiles sur l'Océan. L'île était toujours en vue, mais nul ne pouvait se vanter d'y avoir débarqué. 

Le 3 mai 1759 près de quarante personnes l'apercevaient encore distinctement. Elle paraissait consister en deux grandes montagnes séparées par une vallée, et, avec un télescope, la vallée semblait remplie d'arbres.

Peut-être ne faut-il y voir qu'un phénomène physique, quelque mirage. Cette explication est d'autant plus plausible que les dessins de cette île fantastique la représentent comme allongée du nord au sud avec deux cimes illégales séparées par une dépression : ce qui rappellerait tout à fait l'île de Palma quand on l'aperçoit du large en venant de Ténériffe ou de la Gomera. Il se pourrait  que, des Canaries, grâce à la réfraction, ou découvrit Palma ou toute autre île de l'archipel.

L'île des Sept Cités

Une autre légende chrétienne, celle de l'île de Sept Cités, eut un grand retentissement au Moyen âge, et contribua à tourner l'attention publique vers les mers occidentales, où déjà quelques savants s'accordaient à trouver l'emplacement du Paradis Terrestre. Ou racontait qu'à l'époque de la conquête de l'Espagne par les Arabes, après la défaite de Xérès de la Frontera et la disparition du roi Roderik, sept évêques, sous la direction de l'un d'entre eux, l'archevêque de Porto, s'embarquèrent, suivis de leurs ouailles, et poussèrent droit devant eux sur l'Océan. Après une longue navigation, ils abordèrent une Île inconnue et s'y fixèrent après avoir brûlé leurs vaisseaux. Comme ils étaient sept et que chacun d'eux se construisit une demeure particulière, l'île prit le nom d'île des sept Cités. Elle a depuis figuré sur un certain nombre de cartes. Martin Behaim sur sa fameuse carte de Nuremberg (1492) la dessinait déjà. Même après la découverte de l'Amérique, Fernand Colomb croyait à l'existence de cette île.

Dans la péninsule espagnole persistait la tradition selon laquelle un grand nombre de Wisigoths s'étaient soustraits à la domination arabe et avaient trouvé un refuge dans l'île des Sept Cités. Aussi comprend-on que cette légende se soit fidèlement conservée dans les souvenirs populaires, et même qu'avec le temps elle ait été embellie et augmentée. Bientôt, en effet, on ne se contenta plus de mentionner l'île mystérieuse, on prétendit l'avoir retrouvée. 

En 1447, un Portugais, poussé par la tempête dans l'Atlantique, aurait débarqué dans une île inconnue où il trouva sept villes, dont les habitants parlaient le portugais. Ces derniers auraient voulu le retenir, car ils se refusaient à toute communication avec leur ancienne patrie, mais il parvint à s'échapper et revint en Portugal, où il raconta à don Henri de Viseu ses étonnantes aventures. Ce prince réprimanda vivement le capitaine pour s'être enfui sans avoir complété ses renseignements, et le marin effrayé ne reparut plus. Néanmoins cette histoire fit du bruit : les érudits de l'époque identifièrent la prétendue découverte avec l'île phénicienne mentionnée par Aristote et par Diodore de Sicile. Dès lors elle prit place sur les cartes, sous le nom que nous lui connaissons, île des Sept Cités. On n'avait même pas perdu l'espoir de la retrouver. Le 10 novembre 1475,  don Fernando Telles, un Portugais, se faisait donner l'investiture des îles qu'il pourrait découvrir dans l'Océan, et il était expressément stipulé que cette donation pourrait s'étendre au Sette Cidades, dont on avait perdu la trace. Le 3 mars 1486 un autre Portugais, de Terceira, Fernando Ulmo, se faisait donner une autre île qu'il supposait être celle de Sette Cidades, et le contrat de cession était enregistré par devant notaire. Même après la découverte de l'Amérique, l'île mystérieuse ne disparut pas. Elle figurait encore sur le planisphère de Henri II, et jusque sur la carte de Mercator en 1569.

Antilia

Une autre île que les cartographes du Moyen âge mentionnent encore fréquemment, et souvent même confondent avec l'île des Sept Cités, est l'île Antilia. Les uns trouvent un certain rapport entre Antilia et l'Atlantide; les autres, versés dans la connaissance des langues orientales, ont pensé qu'Antilia correspondait au Djeziret-el-Tennyn ou île des serpents des cosmographes arabes; en effet, sur quelques cartes du XIVe et du XVe siècle est figurée une île près de laquelle un homme est dévoré par des serpents. Cette île s'appelle Antilia, ce qui pourrait bien être la traduction de l'arabe Tennyn. On a encore prétendu que l'étymologie d'Antilia était ante insula, île antérieure, et, dans ce cas, Antilia ne serait qu'une réminiscence de cette île mystérieuse de l'Océan qu'Aristote' nommait antiporymos et Ptolémée' aprositos

Quelle que soit l'origine de cette dénomination, elle existe, et c'est à nous de suivre sa fortune à travers les cartes et les traités géographiques.

Pedro de Médina, écrivain espagnol du XVIe siècle, rapporte que, dans un Ptolémée offert au pape Urbain VI, qui régna de 1378 à 1389, il remarqua l'île Antilia qui portait la légende suivante : 

« Isla insula Antilia, aliquando a Lusitanis est inventa, sed modo quando quaeritur, non invenitur ».
Il est probable qu'il ne s'agit ici que d'une de ces cartes supplémentaires que les savants ajoutaient aux manuscrits de Ptolémée, au fur et à mesure des découvertes géographiques, afin de mettre en quelque sorte au courant leur auteur favori, car nous ne trouvons l'île Antilia marquée sur aucune des cartes datant du XIVe siècle. Il est vrai qu'on a encore voulu trouver l'Antilia sur la carte dressée en 1367 par Pizzigani. On distingue en effet sur une île très à l'ouest dans l'Atlantique  deux statues figurées avec la mention suivante :
« Hae sunt statuae quae stant ante ripas Antilliae, quarum quae in fundo ad securandos homines navigantes, quare est fusum ad ista maria quousque possint navigare, et foras porrecta statua est mare sorde quo non possint intrare nautae ».
Mais la carte de Pizzigani est d'une lecture difficile. Ad ripas Antilliae se lit tout aussi bien que Ad ripas Atullio, et méme Ad ripas istius insulae. Ce n'est donc pas au XIVe, siècle qu'on trouve l'Antilia mentionnée avec précision.

A vrai dire la première indication certaine de l'Antilia ne peut être fixée qu'a l'année 1414, époque à laquelle, d'après Behaim, un navire espagnol s'approcha pour la première fois de cette île et la fit connaître à l'Europe. Dès lors l'Antilia figure en effet sur presque toutes les cartes. On la retrouve sur le Portulan Ancônitain de 1474, conservé a la bibliothèque grand-ducale de Weimar, et sur celui du Génois Beccaria ou Becclaria conservé à la bibliothèque de Parme. La carte du Vénitien Andréa Bianco, dressée en 1436, et publiée par Formaleoni en 1789, celle du Génois Bartolomeo Pareto, dressée en 1455 et publiée par Andrés, la mappemonde de Fra Mauro en 1457 et la carte d'Andrea Benincasa dressée en 1476 mentionnent pareillement l'Antilia. Le mathématicien florentin Toscanelli, qui fut le correspondant de Colomb et le confirma dans sa résolution de chercher à l'occident la route des Indes, avait dessiné avec soin une carte du voyage à entreprendre dans cette direction, et l'Antilia y figurait comme station intermédiaire sur la route de Lisbonne aux Indes par l'ouest. Dans la lettre qui accompagnait cette carte, il parle de l'Antilia comme d'un pays connu : 

« Depuis l'île Antilia que vous connaissez, jusqu'à la très noble île de Cippangu, etc. ».
Malheureusement la carte de Toscanelli est perdue, et il est a peu près impossible d'évaluer avec précision les distances fixées par l'érudit florentin.

Il est vrai que nous possédons le globe dressé quelques années plus tard par Behaim , et qui n'est à ce qu'on croit qu'une reproduction de la carte de Toscanelli. Or l'Antilia y est marquée sous le 33e de longitude occidentale. Ortelius et Mercator la dessinent encore dans leurs atlas. En général toutes ces cartes lui donnent une forme rectangulaire, et en font un pays à peu près aussi grand que l'Espagne. Les côtes sont décrites avec une grande apparence d'exactitude. On y retrouve les mêmes détails que dans ces terres imaginaires du pôle nord ou du pôle sud qu'on dessina avec tant de soin dans les atlas jusqu'au XVIIIe siècle. Donc à partir de XIVe siècle tous les marins ont cru à l'existence de l'Antilia. 

Antilia disparaîtra des cartes quand le Nouveau-Monde sera découvert. Si aujourd'hui ce nom s'applique encore a tout un archipel, c'est l'effet d'un pur hasard géographique. Colomb, Oviedo, Acosta, Gomara et les premiers historiens espagnols de l'Amérique ne parlent jamais de l'Antilia. Les mappemondes ajoutées suivant l'usage aux éditions de Ptolémée ne la mentionnent pas davantage. Sur les cartes de Juan de la Cosa ou de Ribeira il n'y a pas trace du nom des Antilles. Dans le recueil italien de Toutes les îles du monde par Benedetto Bordone, dans l'Isolario de Porcacchi, dans la Cosmographie d'André Thevet, dans la Description des Indes par Herrera,  jamais ne figure le nom d'Antilles.

L'archipel qui porte aujourd'hui ce nom est désigné sous la dénomination de Lucayes, Caraïbes, ou bien encore de Camercanes. Sans doute Pierre Martyr d'Anghiera avait déjà proposé ce nom dans ses Décades, et Amerigo Vespucci, la seule fois qu'il cite Colomb, parle aussi d'Antilia, mais, malgré cette double autorité, le nom d'Antilles, pendant encore tout un siècle, devait être inconnu. C'est seulement à partir du XVIIe siècle que la grande célébrité des cartes de Wytfliet et d'Ortelius, qui, sans doute par souvenir d'érudition, avaient fait revivre cette appellation, fixa pour toujours sur les cartes d'Amérique le nom d'Antilles.

L'Antilia n'a donc été qu'un mythe géographique, mais auquel ou cessa de croire beaucoup plus vite qu'on ne l'avait fait pour l'île de Saint Brandan. Seulement, par un singulier hasard, aucune terre ne porte aujourd'hui le nom du saint Irlandais, tandis que le magnifique archipel de la mer du Mexique a conservé le nom qui ne lui fut définitivement attribué que longtemps après sa découverte. Ce mythe, quelle qu'ait été sa fortune, nous prouve donc, une fois de plus, combien était profondément gravée dans les esprits la croyance à l'existence d'îles ou de continents dans l'Océan Atlantique.

L'île de Brasil

Nous en dirons autant pour l'île de Bracie, Berzil ou Brasil que les cartes du Moyen âge dessinaient au milieu de l'Atlantique. On les trouve, par exemple, sur le portulan médicéen de 1381. La carte catalane de 1375 en mentionne même deux sous le même nom et la carte des frères Pizigani (1367) en compte jusqu'à trois : la première au sud sous le parallèle de Gibraltar, la seconde au sud-ouest de l'Irlande, accompagnée de deux navires et d'un homme dont on ne voit plus que la tête, car il est dévoré par des serpents; la troisième au nord de la précédente avec une bête fantastique qui enlève un homme dans sa gueule : elle porte l'inscription : lade Mayotus sen de Bracir. Elle est dénommée Brazil sur le portulan de Mecia de Viladestes (1413), les cartes d'Andrea Bianco (1430) et Fra Mauro (1437), et toujours elle figure à l'ouest de l'Irlande. 

Nous lui trouvons le même nom et la même position dans les Ptolémées de 1513 et de 1519, dans le très curieux atlas manuscrit de la bibliothèque de la Faculté de Montpellier, composé peu après le voyage de Magellan, dans le portulan de Malartic qui date de 1535, dans le Ramusio de 1556 et dans l'Isolario de Porcacchi (1572); un siècle et demi après la colonisation des Açores par le Portugal on continuait à placer une île de Brazil au nord ou au nord-ouest de Corvo. Les atlas de Lafreri (1566), d'Ortelius et de Mercator (1587) marquaient encore ce nom. Le souvenir de cette île errante s'est même conservé jusqu'à nos jours dans le Brazil Rock, rocher ou plutôt fond rocheux indiqué sur les cartes modernes de l'Atlantique à quelques degrés à l'ouest de l'extrémité la plus occidentale de l'Irlande.

L'identité de ce nom avec celui d'une des plus vastes contrées du nouveau monde peut paraître singulière. Indiquerait-elle quelque mystérieux pressentiment de la découverte d'Alvarès Cabral? Il n'est pas besoin d'aventurer cette hypothèse. Il en est en effet de Brasil comme d'Antilia. Ces noms furent appliqués à des terres inconnues avant d'être fixées définitivement. Par un curieux hasard, un bois rouge, propre à la teinture des laines et des cotons, commença à désigner le pays d'où on le tirait, Malabar et Sumatra; puis ce nom fut appliqué à une île de l'Océan où on crut le retrouver, et enfin à la contrée américaine qui l'a conservé.

Il se pourrait encore que Brésil rappelât le souvenir de la terre mystérieuse chantée par les bardes irlandais et gallois. Ce mot peut en effet se décomposer en deux racines gaëliques, breas grand et î île. Le Brésil serait alors la grande île, et correspondrait à Traig Mar le grand rivage ou Tiir Mar la grande terre, dont parle la légende de Condla le Beau. Aussi bien rappelons, à titre de curiosité, qu'en Angleterre on crut longtemps à l'existence de cette île mystérieuse. 

« Le 15 juillet 1480, des navires appartenant à John Jay le Jeune, jaugeant 80 tonneaux, sortirent de Bristol pour naviguer à l'ouest de l'Irlande jusqu'à l'île de Brassyle. Le 18 septembre (1481?) on apprit que Thomas Lloyd, le marin le plus expert de l'Angleterre, qui commandait l'expédition, après une navigation de près de neuf mois, battu par la tempête, avait été forcé d'entrer dans un port d'Irlande pour laisser reposer ses navires et ses matelots, sans avoir découvert ladite île ».
Même au XVIIe siècle l'île de Brasil ou O'Brazil n'était pas encore oubliée. Voici en effet ce que nous lisons dans un ouvrage publié en 1684 : 
« Des îles d'Aran et du continent de l'ouest paraît souvent visible l'île enchanteresse que l'on nomme O'Brasil et en irlandais Beg'aran ou la petite Aran, aujourd'hui bannie des cartes de navigation. Est-ce une île réelle rendue inaccessible par ordre spécial de Dieu comme une sorte de paradis terrestre, ou bien le résultat d'une illusion produite par de légers nuages apparaissant à la surface de la mer; ou encore faut-il y reconnaître le séjour de quelques mauvais esprits? Ce sont là des questions qu'il ne nous appartient pas de juger » (O'Flaherty, A chorographical description of West or H. Iar Connaught, 1684).
Que le mot de Brasil ait pour origine le nom d'un bois de teinture ou qu'il soit comme l'écho d'une vieille légende, nous rangerons cette contrée parmi les îles fantastiques, ou plutôt parmi ces terres voyageuses dont le souvenir s'est perpétué par la tradition, et qui n'ont conquis qu'à une époque relativement moderne la certitude de leur existence.

Dans ces mêmes parages, c'est-à-dire entre l'Irlande, Terre-Neuve et les Açores sont également marquées les deux îles Mayda ou Asmaïde et Isla Verde. Après la découverte de l'Amérique, elles figurent avec régularité sur les cartes, mais leur position est incertaine. De nos jours elles sont encore marquées, ou plutôt signalées, comme écueils à éviter, et sous les noms de Maïda et de Green Rock. Leur existence n'est donc nullement problématique.

La persistance des illusions

L'oeil cherche vainement aujourd'hui, sur les cartes de l'océan Atlantique méridional, quelques îles qu'une longue habitude avait, en quelque sorte, stéréotypées sur les cartes antérieures. Depuis le commencement du XVIe siècle, en effet, se reproduisaient constamment, au voisinage de l'équateur, vis-à-vis de la côte de Guinée, les îles de Saint-Mathieu et de la Sainte-Croix; puis vers le tropique, dans l'ouest des îles de Martin-Vas ou (Martin Vaz), celles de l'Ascension et de Sainte-Marie d'Août; et enfin, mais beaucoup plus tard, entre les îles de Martin Vaz et de Tristan da Cunha, celle de Saxembourg. La critique géographique, appuyée des vérifications des navigateurs, les a successivement effacées : Saint-Mathieu et Saxembourg ont persisté les dernières. 

On a donné quelques indications sur Saint-Mathieu et de la Sainte-Croix à la page consacrée à Annobon, l'île avec laquelle on les a confondus, et sur l'Ascension et de Sainte-Marie d'Août à celle consacrée aux îles de la Trinidade et Martin Vaz, qui jouent vis-à-vis d'elles un rôle similaire. Disons seulement ici quelques mots à propos de Saxembourg

Saxembourg (Sachsenburg).
Voici donc la dernière de ces îles chimériques dont nous avions à parcourir la série. Son histoire est plus récente un pilote hollandais, Lindert Lindeman, d'Enckhuysen, la signala en 1670, comme l'ayant rencontrée sur le parallèle de 30° 47 sud, par une longitude de 20° à l'ouest du méridien de Paris, et lui donna le nom de Sachsenburg. Dès ce moment, elle fut indiquée sur les cartes nautiques, et y demeura longtemps sans qu'il s'élevât aucun doute sur son existence ni sa position. Cependant, à la fin du XVIIIe siècle, Horsburgh passa deux fois sur son emplacement sans en avoir connaissance; et en 1801, le Français Baudin, puis l'Anglais Flinders firent vainement la recherche de cette île. Mais voilà qu'en 1804 l'Américain Galloway, capitaine du navire Fanny, croit l'apercevoir au loin, du haut de ses mâts, l'ayant en vue pendant quatre heures consécutives, distinguant bien un pic au milieu, et un mamelon arrondi à l'un des bouts; seulement la longitude était de 2° plus occidentale. Mieux encore, en 1809, un autre Américain, le capitaine Long, du navire Columbus, retrouva Saxembourg par 30° 20' de latitude australe, mais par une longitude bien plus occidentale que ses devanciers, 30° 41' à l'ouest du méridien de Paris; et son indication, communiquée directement au gouverneur anglais du cap de Bonne-Espérance, puis reçue de seconde ou troisième main par le gouverneur de Sainte-Hélène, était si précise, qu'elle ébranla les convictions de Horsburgh et de Flinders. Mais enfin, le chevalier du Plessis-Parseau , commandant en 1823 la flûte la Moselle, le baron de Bougainville en 1824 sur la Thétis, et Dumont d'Urville en 1826 sur l'Astrolabe, firent de nouvelles recherches, si étendues et si exactes, de la prétendue île de Saxembourg, dans toutes les positions où elle avait été signalée, que force fut de reconnaître qu'elle n'avait aucune existence réelle, et qu'elle devait être rayée définitivement des cartes où elle figurait. (D'Avezac / Gaffarel / Gravier / C. Malte-Brun)

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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