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Originaire de la
civilisation védique de l'Inde
(deuxième et premier millénaire avant J.-C.), l'hindouisme offre
une très grande diversité de croyances et de pratiques. Il ne se reconnaît
aucun fondateur ou autorité religieuse. L'hindouisme est basé sur de
nombreux textes : les plus anciens sont les hymnes
connus sous le nom de Védas ;
viennent ensuite les commentaires appelés Brâhmanas
( Brahmanisme),
qui sont de date plus récente; plus voisins de nous encore sont les manuels
de dévotion, intitulés Sutras et Upanishads ,
et les recueils de légendes ou Puranas .
Cette religion est caractérisée par la
disparition des anciens dieux védiques, réduits à l'état d'entités
nominales, par le détrônement, en tant que dieu suprême, de Brahmâ
(mascul.) et son association avec deux dieux nouveaux, Vishnou
et Shiva (Çiva), pour constituer la Trinité
indienne, ou Trimourtî, expression des trois
états actifs de l'Ame universelle correspondant aux trois qualités essentielles
(gounas) : Brahma se transformant en Brahmâ, le créateur, avec
la qualité de radjas (activité); en Vishnou, le conservateur,
avec la qualité de sattva (bonté); en Shiva le destructeur, avec
celle de tamas (obscurité, passion). Ces dieux eux-mêmes sont
vénérés dans leurs manifestations plutôt que dans leur propre personne
: Vishnou dans ses incarnations (avatâras),
surtout dans celles en Krishna et en Râma,
et Shiva dans les personnifications féminines de son énergie, les shaktis
(çaktîs)
: Pârvatî, Prithivî,
Kâli,
Dourgâ, etc. De là , les vishnouistes
et les shivaïstes, formant les deux grandes sectes.
Le culte hindouiste concerne une ou plusieurs
divinités, le plus souvent avec la prière rituels au sein de la propre
maison des croyants. Le culte a été profondément modifié dans le sens
de la superstition par l'invasion des cultes
archaïques, du mysticisme et du tântrisme,
culte des shaktis de Shiva au moyen de cérémonies
magiques, de pratiques de sorcellerie, de
formules, figures et gestes mystiques (mantras, vidjas, yantras, moudrâs).
Ces pratiques, qui constituent presque exclusivement la religion des
classes populaires, sont enseignées dans une série volumineuse de livres
nommés Tântras.
Quant aux lois morales, elles ont pour
sanction la transmigration de l'âme, ou atman,
et ses innombrables incarnations dans des corps de dieux, d'hommes, d'animaux
et de démons; seulement, Ie salut, la libération
et la métempsycose (mokalia ou
moukti)
s'obtient par l'absorption de l'âme du juste en Vishnou
ou en Shiva, au lieu que ce soit en Brahma.
La plupart des hindous croient ainsi que l'âme est éternelle, et passe
par un cycle de naissance, la mort et la renaissance (samsara),
déterminé par les aspects positifs ou négatifs du karma, ou les conséquences
de ses actions. Le but de la vie religieuse est d'apprendre à agir de
manière à atteindre enfin la libération de son âme, échapper au cycle
des renaissances.
Ajoutons la vertu rédemptrice attribuée
par la religion hindoue à certains pèlerinages
(notamment à celui du Gange )
et à la prononciation in articulo mortis des noms sacrés de Vishnou
ou de Shiva, qui a le pouvoir d'ouvrir immédiatement aux fidèles les
portes des paradis respectifs de ces dieux.
L'hindouisme
à l'épreuve des siècles
II est impossible de marquer l'époque
où l'hindouisme a pris définitivement sa physionomie actuelle; il est
sans doute du même âge que la littérature
dont il se réclame; mais la date des Puranas ,
des Againas, des Tantras
est sujette à hypothèses. La question se pose même si complexe qu'il
est téméraire d'en espérer une solution; les livres sacrés de l'hindouisme
se présentent comme la refonte parfois tardive de textes anciens, identiques
en partie à leurs modèles, en partie aussi transformés.
Autrefois, par un étrange retournement,
l'hindouisme a été présenté comme l'héritier à peine déguisé du
bouddhisme
antérieur; l'adresse des brahmanes aurait
substitué au rituel égoïste et sec de la tradition védique une religion
d'amour et de foi, servilement copiée sur le type du bouddhisme. En fait,
à travers les maigres renseignements épars, l'hindouisme nous apparaît
comme antérieur à la prédication même du Bouddha
Sakyamouni.
Les hymnes védiques
dessinent la figure de Shiva-Roudra
en un relief vigoureux, avec une intensité de vie et de réalisme qui
détonne dans ce panthéon sacerdotal; le haut rang qu'ils assignent d'autre
part à Vishnou ne cadre pas avec le rôle effacé
qu'ils lui font jouer dans l'histoire céleste. Les personnages qui doivent
former leur cortège se laissent dès lors entrevoir dans une sorte de
pénombre.
Plus tard, la mythologie populaire du bouddhisme
trahit une imitation évidente et ne s'explique que par un hindouisme étrangement
analogue à l'hindouisme moderne. Les épopées brahmaniques,
Ramayana
et Mahabharata ,
longtemps ballottées au gré d'une critique fantaisiste entre le Xe
siècle av. J.-C. et le Xe ap. J.-C., mais
rendues finalement à une vénérable antiquité, sont fondées sur le
système complet de
l'hindouisme.
Les monnaies
des Indo-Scythes ( L'histoire de la
Bactriane )
attestent la puissance du shivaïsme aux premiers temps de l'ère chrétienne,
et Vasoudeva, synonyme de Krishna, figure dans
leur onomastique royale. Les inscriptions des premiers siècles de l'ère
chrétienne exaltent la dévotion des plus puissants souverains à Shiva,
à Vishnou, au Soleil.
Les biographies plus ou moins romanesques du grand docteur Sankara,
le champion de l'adualisme védantique, énumèrent un nombre considérable
de sectes réformées ou anéanties par leur héros, vers la fin du VIIIe
siècle.
Les uns adoraient Vishnou sous des aspects
divers : Bhaktas, Bhagavatas, Vaichnavas, Pancharatras, Vaikhanasas, Karmahinas;
d'autres lui préféraient Shiva : Shaivas, Raudras, Ugras, Bhaktas, Jangamas,
Pashupatas; d'autres adressaient leur culte à Brahma,
à Agni, au Soleil, soit immatériel, soit concret,
à Ganesh et ses six formes, aux épouses diverses
des dieux, à Indra, à Kouvéra, à Yama, Ã
Varuna,
à Garuda, à Sécha, à Soma, aux Esprits,
à l'espace, aux corps célestes, aux lieux saints.
L'intervention de Sankara,
si puissante que fût sa personnalité, n'a pas sensiblement modifié le
développement de l'hindouisme; la propagande armée, souvent fanatique,
de l'islam, ne l'a entamé qu'assez faiblement;
les prédications des missionnaires chrétiens
ne l'ont pas ébranlé.
-
Kala
Bhairab, forme terrifiante du dieu Shiva, à Katmandou (Népal).
Loin de s'éteindre ou de se transformer,
l'hindouisme gagne en vigueur et en force d'expansion; les chemins de fer
ont rapproché les pèlerinages et multiplié
les pèlerins; les routes ouvertes dans des contrées où elles étaient
inconnues ont donné passage au brahmane en
quête d'aventures; les chefs gonds ou bhils invoquent de
fantaisistes généalogies pour se rattacher aux héros classiques; des
tribus tenues à l'écart s'encadrent bon gré mal gré dans le système
des castes et y introduisent leurs dieux, leurs légendes et leur iconographie.
La caste est à la fois l'arme de conquête et aussi l'arme de défense
de l'hindouisme; l'individu enserré dans ce réseau n'en peut plus sortir;
la mort civile et la mort sociale l'attendent à l'issue.
D'autres forces encore, moins tyranniques,
mais également puissantes, maintiennent la tradition : l'éducation domestique,
sans aucun complément d'instruction, abandonnée aux femmes, ignorantes
autant que dévotes; l'enseignement des écoles primaires, nécessairement
fondé sur les textes classiques où la religion pénètre et domine toutes
les idées; l'influence spirituelle du gourou,
qui ne perd pas de vue son initié et le visite à des intervalles périodiques
pour l'entretenir du devoir et du salut; les fêtes religieuses qui traduisent
à l'esprit, aux oreilles et aux yeux, dans des cérémonies, des récits,
des images, des spectacles, les incidents de l'histoire divine; la lecture
publique des grandes épopées, parsemée de commentaires instructifs et
de leçons édifiantes; enfin et surtout le sentiment religieux des Hindous
et qui se trahit dans leur constante préoccupation du salut, dans leurs
conversations pieuses, dans leur goût de dilettantes pour les controverses
théologiques et qui les porte toujours à écouter le premier prédicateur
venu. Quel que soit l'avenir politique et économique réservé à l'Inde
du XXIe siècle, son avenir religieux reste
assuré pour longtemps encore.
Les
mythologies hindouistes
La mythologie
des Hindous est particulièrement complexe. Une certaine confusion s'ajoute
à cela, qui provient à la fois de la nature des documents et du caractère
des dieux. Les documents que nous possédons sur cette mythologie datent
d'époques très différentes.
Or les mythes hindous n'ont pas cessé
de se modifier; le panthéon indien n'est pas demeuré immuable; depuis
la composition du premier hymne védique jusqu'à la compilation des dernières
Puranas ,
l'imagination mythologique n'a jamais été en repos. En second lieu, la
langue des diverses sources mythologiques, et en particulier des hymnesvédiques ,
est loin d'être connue avec certitude. Il n'est pas rare que des exégètes
très savants donnent à une phrase, parfois même à un mot, des interprétations
très diverses, sinon contradictoires. Enfin les dieux eux-mêmes et les
mythes que les Védas nous font connaître ne sont pas fixés avec
précision : suivant la pittoresque expression de Bréal, le métal où
ils ont été coulés est encore en fusion.
La mythologie
du dharma brahmanique.
Le brahmanisme,
c'est l'héritage de la tradition védique, comme centre des croyances
et des cultes propres aux Aryens de l'Inde .
On peut y discerner les conceptions propres à la caste guerrière, celles
qui se rapportent particulièrement à la caste sacerdotale, et enfin les
croyances populaires. A cet ensemble vint s'ajouter la mythologie plus
abstraite des Brâhmanas .
Mythologie
de la caste guerrière.
Longtemps avant que dans l'Inde ait apparu
la caste brahmanique, les ancêtres des Indo-Iraniens, répartis en Asie
occidentale sans fixation encore définitive, adoraient des dieux dont
le caractère convient à une aristocratie conquérante. Ces dieux sont
énumérés comme les garants du traité dont le souvenir nous fut conservé
par les tablettes de Boghazköy (Ptéria en Cappadoce ).
Il s'agit d'une paix conclue vers 1400 avant J.-C. entre Mattinaza, roi
des Mitanniens, et Subbiluliuma (Suppiluliuma), roi des Hittites.
Les témoins cités s'appellent Indra, Mitra,
Varouna
et les Nâsatyas. Les trois premiers au moins se présentent comme des
dieux-rois. Ils font contraste avec les dieux cultuels dont la notion sera
précisée par la caste brahmanique, en pays indien.-
Les mythes
de la royauté
Passé
l'âge védique, il faut signaler certains rites kshatriyas qui suscitèrent
des mythes du pouvoir suprême. A l'exécution
de ces rites, les brahmanes, pour ne laisser
échapper aucune occasion d'emprise sur la caste rivale, ne manquèrent
pas de coopérer.
Fréquentes comme
des investitures ou exceptionnelles comme un sacre, les cérémonies de
l'aristocratie visaient à pourvoir leurs
bénéficiaires de l'autorité du noble ou du roi; et de même que toute
divinité tend à devenir dieu absolu, le moindre roitelet se conçoit
souverain sans égal.
D'où le mythe désormais
obsédant du cakravartin, régulateur du dharma universel,
souverain s'égalant à un démiurge. Ici se
marque la plus décisive influence de la Perse
sur l'Inde, parmi tant d'affinités originaires
et permanentes. Le cakravartin unit à la vigueur d'Indra
la prestigieuse légitimité de Varouna.
L'ashvamedha,
sacrifice du cheval, fut le plus solennel de
ces rites. La divagation d'un cheval sacré - cet animal, constant symbole
du Soleil - marque la prise de possession, par
le souverain exceptionnellement puissant qui effectue ce culte, des quatre
points cardinaux, par conséquent de toutes choses. Un quasi-accouplement
de cette bête et de la reine fonde par surcroît la fécondité de la
nature.
Rien n'est épargné
pour la splendeur d'une cérémonie par laquelle
un potentat désormais s'identifie à l'astre solaire, cour de l'univers.
Voilà le kshatriya érigé en centre du monde. |
Mythologie
de la caste sacerdotale.
Quoiqu'elle tire ses principales origines
de vieilles pratiques aryennes, la mythologie de la caste sacerdotale correspond
à une phase postérieure : c'est la religion d'Agni.
Par contraste avec la simplicité de la religion d'Indra,
celle-ci, la religion des brahmanes, comporta d'indéfinis développements.
Mythologie
populaire. Les démons.
La conception indienne des démons
est assez particulière et présente d'ailleurs des aspects très divers.
Au début, la ligne de démarcation entre
les démons et les dieux n'est pas très nette. On traduit généralement
Dévas
par dieux, et Asouras par démons mais, en fait,
les uns comme les autres sont essentiellement des êtres doués d'une puissance
remarquable et mystérieuse qui se manifeste à la fois par des caractères
moraux et des attributs physiques. Varouna, par
exemple, qui jouit d'un prestige moral extraordinaire, est donné pour
un asoura, tandis qu'Indra, incontestablement moins affiné, est un deva.
Le soleil, Soûrya, est appelé le chapelain asourique
des Dévas.
D'une manière générale, il est évident
que les divinités populaires, peu ou pas aryennes d'origine, sont décrites
comme démoniaques par les Aryens. Certaines d'entre elles sont restées
des démons jusqu'à nos jours. Les autres ont
été incorporées plus ou moins tardivement au panthéon brahmanique,
conservant presque toujours d'ailleurs certaines particularités qui révèlent
leur origine. Par exemple, les formes terrifiantes du culte de Shiva,
sous son aspect destructeur, le fait que tous les démons sont parmi ses
sectateurs, et qu'il est parfois appelé seigneur des démons (Bhoûtapati),
semblent bien indiquer l'origine non aryenne de cette divinité.
La
mythologie abstraite des Brâhmanas.
Les abstractions des plus récentes collections
d'hymnes ouvrent la voie à une scolastique
sacerdotale. Les Védas
avaient mentionné : Vishvakarman, l'agent universel; Prajâpati, le maître
des créatures; Brihaspati, le maître de la formule; Shraddhâ, la foi.
Brâhmanas
et Upanishads
vont égaler à Prajâpati, à Brihaspati, soit des forces religieuses
comme le brahman, soit des notions métaphysiques
comme l'âtman, soit d'anciennes figures mythiques comme le Purusha
(Pouroucha).
Brahman, terme neutre, bien plus
ancien que le nom masculin du dieu Brahmâ, désigne
l'essence de la caste brahmanique, comme Kshatram désigne l'essence
de la caste kshatriya. Toute existence, toute connaissance dépendront
du brahman, comme tout l'ordre social a sa clef de voûte dans la caste
brahmanique.
Brahman, c'est encore Om
(Aum), la syllabe sacrée, l'âme éternelle qui pénètre tout l'univers
et qui en est la cause.
La mythologie
syncrétique de l'hindouisme.
Prolongement ou développement tardif
du brahmanisme, l'hindouisme est le fruit
de la mixture sociale, religieuse, mythologique, produite par l'interpénétration
des rites, des croyances, des superstitions les plus disparates de l'Inde .
Ce syncrétisme s'opéra sous l'égide des brahmanes,
la caste la plus instruite, qui se sont donnés pour vocation de maintenir
l'héritage de la tradition védique. Mais l'histoire de l'hindouisme est
celle des concessions que dut faire l'orthodoxie à des croyances, à des
pratiques nouvelles ou étrangères, cette orthodoxie ne pouvant se sauver
elle-même qu'en consacrant ce qu'elle n'était pas capable d'exclure.
Il en a résulté une mythologie qui s'est élaborée pour l'essentiel
autour de deux dieux : Vishnou et Shiva.
Vishnou.
Le Vishnou de l'hindouisme ajoute un grand
nombre de fantaisistes développements au Vishnou, par comparaison peu
personnalisé, de l'âge védique, principe lumineux «-pénétrant
» (vich) tout l'univers qu'il parcourt en trois enjambées. Les
âges ultérieurs figurent ce dieu bleu foncé, vêtu de jaune, chevauchant
l'aigle Garouda, tenant de ses quatre bras massue,
conque, disque et lotus. Le ciel vaikountha, sur lequel il règne,
est d'or, et ses palais sont de pierres précieuses. Les eaux
cristallines du Gange tombent sur la tête de Drouva,
puis des sept richis, et gagnent ensuite la terre. Vishnou siège
sur des lotus blancs, ayant à sa droite la brillante,
la parfumée Lakshmî, son épouse, qui, née
du barattement de la mer et aspergée par
le Gange, dont des éléphants versent l'eau par des aiguières
d'or, associe l'idéal de l'amour et de la beauté au prestige du dieu
suprême.
-
Vishnou
et l'oiseau solaire Garouda.
(Népal,
XVIIe ou XVIIIe
s. Musée de Patan).
Photos
: © Serge Jodra, 2011.
Voici quelques noms ou épithètes de ce
premier principe : Svayambhou (Swayambhu), qui existe par soi-même; Ananta,
l'infini; Yajñeshvara, le seigneur du sacrifice; Hari, le ravisseur (qui
s'empare des âmes pour les sauver); Janârddana, celui qui capte l'adoration
des gens; Moukounda, le libérateur; Madhava, fait de miel; Keshava, le
chevelu (ses cheveux étant les rayons solaires); Nârâyana
(source et refuge des êtres). La variété de ses formes s'explique historiquement
par la fusion de dieux et de demi-dieux divers en une figure unique, sous
l'action d'un sentiment particulier, sorte de piété inconnue au brahmanisme
primitif, que les Hindous appellent bhakti, et qui est faite de
confiance, d'amour et de don de soi à la divinité.
Dans les intervalles entre les créations
successives, Vishnou sommeille sur les eaux cosmiques,
couché sur le serpent Shecha qui lui fait un dais de ses sept têtes en
éventail. Cet assoupissement n'est pas la mort, mais un état où la virtualité
du dieu mûrit lentement pour éclore ensuite en un nouvel univers. Ces
alternances de repos et d'activité, bien qu'elles durent chacune des milliards
de siècles, sont régulières et sûres comme un rythme organique : l'Inde
les considère comme l'inspir et l'expir de la divinité. A chaque cycle
de création correspond un « avatar »
(littéralement : descente) du dieu Vishnou. Ces avatars sont en principe
au nombre de dix, mais la richesse de l'imagination populaire a largement
dépassé ce nombre.
Shiva.
Si le vishnouisme est caractérisé par
une tendre dévotion, la religion de Shiva se fonde bien davantage dur
l'ascétisme. Le dieu Shiva n'est pas un Bhagavat,
mais un Ishvara, un Seigneur et Maître. Bien qu'il porte le cordon
brahmanique, il est chef de gens sans aveu, comme les démons
et les vampires; chef aussi de ceux qui ont
répudié la société, les ascètes. On le désigne de la même épithète
qu'une secte jaïniste : «-digambara
», nu, « vêtu d'espace ». Un chapelet de têtes de morts orne
parfois sa poitrine.
La personnalité de Shiva
fourmille de contrastes. Dévorant comme le temps, il se montre miséricordieux.
Indifférent aux plaisirs, il est partout adoré comme principe de la génération,
sous les espèces du lingam (phallus). Toute
son activité atteste cette conviction, également partagée par l'hindouisme
et le bouddhisme, que le même principe doit
être l'origine du bien et du mal, de la misère et du salut. La philosophie
shiivaïte, destructrice d'illusions, ne conduit ni à l'inaction, ni au
pessimisme.
Au contraire, c'est cette sagesse même qui permet de s'intégrer harmonieusement
au grand « jeu » (lîlâ) de la vie du monde, et d'y prendre part
en dansant, de tout son coeur, de toute sa joie.
-
Shiva
Nataraj (Shiva dansant).
Le shivaïsme nous donne une splendide
synthèse cosmique, où la vie et la mort ne cessent de s'engendrer l'une
l'autre, mais où la vision lucide et sereine les domine toutes deux.
Les mythes cosmogoniques.
Les mythes
cosmogoniques indiens sont fort nombreux : tantôt le monde est représenté
comme issu du corps d'un être arthropomorphique gigantesque, Purusha,
offert en sacrifice et découpé par les dieux;
tantôt la création de l'univers est attribuée, sous des formes diverses,
à un démiurge nommé Prajapati, qui fait
sortir successivement de lui-même tous les êtres; tantôt enfin les mythes
hindous rapportent que l'Univers au début ne se composait que d'eau, et
que le monde terrestre y naquit soit d'une motte de glèbe qui s'y forma,
soit d'un oeuf doré qui apparut tout d'un coup, et d'où sortit le créateur
Prajapati :
Les Védas
considèrent le monde - ciel, atmosphère, terre - tantôt comme construit
à la façon d'une oeuvre d'art, tantôt comme issu d'un développement
organique. Le Xe livre des hymnes opère
la transition entre les mythes védiques et la spéculation philosophique
des brahmanes.
Avant l'être et le non-être, un chaos
aquatique et ténébreux. Puis un germe de vie, doué d'unité, vient Ã
naître en développant une sorte de chaleur spontanée, le tapas
- à la fois échauffement, sueur et ferveur ascétique. Ce principe ressentit
et manifesta ensuite le besoin d'engendrer (X, 129).
Selon une autre explication, il y eut un
géant primordial, homme cosmique, Pouroucha ou Purusha (le Mâle). Les
différentes parties du monde sont ses membres, et dans son unité cet
individu constitue tant le premier sacrificateur que la première victime
(X, 90). Ce terme de pouroucha désignera dans la métaphysique ultérieure
le principe spirituel.
Dans l'oeuvre de la création intervient,
en des sens différents selon les traditions, un oeuf
d'or, hiranyagarbha. Produit par les eaux primitives ou mis au monde
par Prajâpati, cet embryon donne naissance au dieu suprême, par exemple
le Brahman (Shatapatha Brâhmana, VI, i,
i, 10). Dans cet oeuf étaient les continents, les mers, les montagnes;
les planètes et les divisions de l'univers; les dieux, les démons
et l'humanité. On dit que Brahmâ naquit : c'est une manière familière
de dire qu'il se manifesta (Vishnou-purâna). Au bout de mille ans,
l'oeuf s'ouvre et Brahmâ, qui en sort, médite
et commence l'oeuvre de la création.
Voyant la terre enfoncée sous les eaux,
il prend l'aspect d'un sanglier et, plongeant, la soulève sur ses défenses.
Les vieilles divinités védiques sont, à cette époque, ravalées Ã
un rang inférieur, même Varouna et Indra,
qui ont contribué, une fois créés les éléments essentiels du monde,
à en établir les dimensions. Le brahmanisme
conserve ainsi l'antique croyance védique selon laquelle les dieux maintiennent,
sans l'instituer, l'ordre fondamental des choses.
Des dieux à profusion.
Il n'est pas possible de grouper les divinités
de la mythologie hindoue en un tableau systématique; aucun document ne
nous a transmis pour elles des généalogies analogues à celles que nous
trouvons pour le panthéon grec dans
Hésiode
et dans Homère. Les principales de ces divinités
sont : Dyaus, le ciel lumineux; Prithivi, la Terre;
Aditi, la mère des Adityas, dieux très populaires, dont le nombre varie
suivant les mythes, et dont le plus puissant est Varuna;
Indra, le plus précis et le plus personnel de
tous les dieux védiques, le maître du tonnerre et le vainqueur du serpent
Vritra;
Agni, le dieu du feu;
Soma, dieu solaire; Ushas, la déesse de l'Aurore; les deux Açvins, qui
semblent correspondre aux Dioscures de la
mythologie grecque; les Maruts,
dieux de la tempête, des vents et de la pluie, etc. Ce sont là des êtres
d'une extrême complexité, dont la physionomie demeure pourtant très
vague. L'imagination indienne les a constamment remaniés et transformés.
Leurs aventures ressemblent à un chaos de mythes, où tout est confusion
et contradiction. Bergaigne s'est pourtant efforcé de. ramener ces mythes
à l'unité :
« La mythologie
des Aryas védiques, écrit-il dans l'introduction de son ouvrage sur la
Religion védique, est étroitement liée à leur culte, et ces deux aspects
de leur religion doivent être étudiés simultanément. Le sacrifice védique,
par les rites mêmes qui le constituent, ou tout au moins par la plupart
des formules ou ces rites sont décrits, nous apparaît d'abord comme une
imitation de certains phénomènes célestes. Les phénomènes dont il
s'agit peuvent se ramener à deux groupes: ceux qui accompagnent le lever
du soleil et que j'appellerai phénomènes solaires; ceux qui accompagnent
après une longue sécheresse la chute de la pluie, et que j'appellerai
phénomènes météorologiques. Dans l'un et l'autre groupe, la mythologie
védique distingue des éléments mâles et des éléments femelles : l'élément
mâle est, dans les phénomènes solaires, le soleil lui-même; dans les
phénomènes météorologiques, l'éclair .
Les éléments femelles correspondants sont l'aurore et la nue [...].
Ces divers éléments sont susceptibles de représentations diverses qui
constituent l'anthropomorphisme et le zoomorphisme mythologiques [...].
Les figures d'animaux les plus fréquentes sont,
pour les mâles, l'oiseau, le cheval ailé ou
non, le taureau et le veau;
pour les femelles, la cavale et surtout la vache.
Entre les êtres des deux sexes s'établissent, soit sous leur forme humaine,
soit sous leurs formes animales, des rapports mythiques représentant les
relations supposées des éléments entre eux.»
Tel serait donc, d'après cet auteur, le principe
général de la mythologie hindoue. On a été tenté de s'inspirer de
cette idée pour interpréter les très nombreux mythes de l'Inde .
Ainsi le combat d'Indra contre le serpent Vritra
ne serait-il qu'une image mythique destinée à exprimer que « l'éclair
fend les nuages orageux et les oblige à laisser tomber la pluie et Ã
laisser voir le soleil ». On ne saurait être trop ciconspects devant
ce genre d'interprétations, qui fait fi de la polysémie des mythes, qui
fait justement toute leur force.
-
En
Inde, les dieux sont partout...
L'eschatologie
hindouiste
Selon le Rig-Véda, les morts sont
ou ensevelis, ou incinérés. La crémation se répandit de plus en plus,
et passa pour la façon normale d'atteindre, dans l'autre monde, un habitat
définitif, au Soleil ou aux étoiles.
Plus tard, toutes sortes de distinctions
apparaissent. Seul le principe spirituel, asu ou manas, va au Soleil, emporté
vers cet astre par Agni.
Selon le Shatapatha Brâhmana, il
y a deux voies pour les justes : vers les Pères (pitri) et au Soleil,
plus une autre pour les méchants, l'enfer (nâraka).
Alors que dans les Védas
le royaume de Yama était un paradis pour les
bons, dans les Purânas
il est aussi un lieu d'expiation pour les méchants.
--
La philosophie
hindouiste
Au point de vue philosophique,
l'hindouisme est le produit de l'école védânta
et d'autres dont la doctrine peut se résumer en la formule : « une essence
unique sans seconde », c'est-à -dire « que Brahma
(neutre, l'âme universelle, Paramâtman) seul existe réellement; l'existence
en apparence distincte (vyâvahârika)
de l'univers créé par la Mâyâ de Brahma est
une illusion; l'univers est Brahma, procède de Brahma et se résorbe en
Brahma ».
C'est par le fait
de son union avec la matière inintelligente,
qui l'enveloppe au moment de son incarnation, que l'âme
individuelle (djivâtman) des êtres, parcelle de l'essence de l'Ame
universelle, contracte la tare d'avidyâ (ignorance), qui lui fait
prendre le monde extérieur et son propre corps pour des réalités.
Le but de la religion
est de détruire cette ignorance, avant qu'elle puisse s'absorber dans
le sein du Paramâtman. ( La
philosophie
indienne). |
Selon les Upanishads ,
il faut discerner l'acheminement à Brahmâ,
fruit de la connaissance parfaite, obtention d'un séjour d'où l'on ne
revient pas, et l'acheminement au ciel, d'où, après jouissance de la
rétribution méritée, l'on revient naître ici-bas.
Ainsi apparaît une distinction qui prendra
le plus vigoureux relief dans la foi des bouddhistes
: d'une part, la transmigration (samsâra) sans fin, condition normale
de l'existence; d'autre part, la possibilité de s'affranchir à jamais
de cette transmigration, c'est-à -dire l'acquisition du nirvâna,
pour ceux qui ont compris à fond la structure des choses.
Les cieux sont un lieu où l'on possède
les mêmes biens que sur cette terre, mais sans risquer les inconvénients
de l'existence terrestre. On s'y trouve nanti d'un corps glorieux. La notion
d'enfer, qu'on découvre pourtant dans l'Atharvavéda ,
s'est généralisée postérieurement. Elle ne présente pas un caractère
largement indo-européen comme l'idée d'une résidence des bienheureux
dans la lumière céleste. (A19 / NLI / MG / Sylvain Lévi).
 |
En
librairie - J.
Varenne,
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2002. - Louis Renou, L'hindouisme, PUF (QSJ), 2001. - Yse Tardan-Masquelier,
L'hindouisme,
des origines védiques aux courants contemporains, Bayard / Centurion,
1999. - Madeleine Biardeau, L'hindouisme, anthropologie d'une civilisation,
Flammarion (Champs), 1997. - De la même, Autour de la déesse hindoue,
EHESS, 1995. - De la même, Mâyâ, ou le rêve cosmique dans la mythologie
hindoue, Fayard, 1987. - Jean-Christophe Demariaux, Pour comprendre
l'hindouisme, Le Cerf, 1995. - Keith Dowman et Kevin Dubriski (photos),
Lieux de pouvoir de Katmandou, sites sacrés hindous et bouddhistes
de la vallée du Népal, Courrier du Livre, 1995. - Alain Daniélou,
Les mythes et les dieux de l'Inde, Le Rocher, 1994. - Marie Lecomte-Tilouine,
Les dieux du pouvoir, Les Magar et l'hindouisme au Népal central,
CNRS, 1993. - Olivier Herrenschmidt,
Les meilleurs dieux sont hindous,
L'Âge d'homme, 1990.
André Padoux, Mantras et diagrammes rituels dans l'hindouisme,
CNRS, 2002. - Sitara Eggeling, Mandalas hindous, Courrier du livre,
2001. - M. Rasiwala, Textes mystiques hindous, Le Signe, 2000.
Max
Weber, Hindouisme et Bouddhisme, Flammarion (Champs), 2003. - Ram
Swarup, Foi et intolérance, un regard hindou sur le christianisme et
l'islam, Le Labyrinthe, 2000. - Daryush Shayegan, Hindouisme et
soufisme
(une lecture du "Confluent des Deux Océans"), Albin Michel,
2000. - Jackie Assayag, Au Confluent des deux rivières, EFEO, 1995.
- Amanda Coomaraswamy, Hindouisme et Bouddhisme, Gallimard (Folio),
1995. - Gerry L'Tang, La grâce, le sacrifice et l'oracle. De
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du Septentrion, 1998. - Jean Benoist, Hindouismes créoles, Mascareignes,
Antilles, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1998.
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