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Perséphone,
ou Perséphoné, latin Proserpina,
- Nom sous lequel cette divinité est surtout connue). Elle appartient,
dans la religion des Grecs d'où
elle est originaire, au cycle des divinités chthoniennes, c.-à-d.
de celles qui incarnent la double idée de la Terre
productrice de tous les biens, particulièrement des biens qui servent
à la nourriture de l'humain dans le règne végétal,
et réceptacle commun où, par la mort,
vont aboutir toutes les existences. Sous sa première forme, elle
est en rapport avec Déméter que
le mythe lui donne pour mère; sous la seconde,
avec Hadès (ou Pluton,
chez les Romains), qui la ravit pour
faire d'elle son épouse. En réalité, Déméter
et Perséphoné sont deux faces diverses de la même personnalité
mythique, de la Terre qui produit tous les êtres, y compris l'humain,
et qui les reçoit finalement dans son sein, la mort des individus
étant une condition du renouvellement des espèces. En tant
qu'elle préside à la décomposition, Perséphoné
est d'aspect généralement sombre et terrifiant; Déméter,
au contraire, représente l'épanouissement de la vie. Mais
les traits particuliers à chacune sont souvent mis en commun, ce
qui a pour effet d'adoucir l'être de la fille, comme aussi de mêler
un élément de tristesse à celui de la mère.
Toutes deux forment un groupe indivisible, celui des deux déesses,
sans autre désignation, avec les épithètes communes
de grandes et de vénérables et le titre de souveraines. En
compagnie d'Hadès, d'Hermès
et d'Hécate psychopompe, elles constituent
la cour du monde souterrain, qui correspond à la cour lumineuse
des Olympiens auxquels Zeus
préside : Perséphoné est la Héra
des enfers comme Hadès (Pluton) en est
le Zeus.
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Le
rapt de Perséphone. Bas-relief de sarcophage.
Galerie des Offices. Florence.
Homère
déjà connaît Perséphoné celui donne le
vocable d'éminente; son nom le plus ancien n'exprime que l'idée
de l'anéantissement et de la mort violente; plus tard, ce nom se
change en Pherséphoné, celle qui produit et qui détruit;
les noms de Perséphassa et de Pherséphassa, qui appartiennent
à la poésie du VIe et du
Ve siècle av. J.-C., sont rattachés
par les uns à l'idée de lumière, le flambeau étant
l'emblème de la déesse, comme
il est celui d'Artémis et d'Hécate,
ou à celle d'une espèce de colombes
qui leur était consacrée. Par-dessus tout, Perséphoné
est la fille tout court, Coré; c'est sous ce vocable qu'elle est
honorée dans les mystères d'Eleusis
( Eleusinies),
à côté de Déméter,
en compagnie du Dionysos mystique surnommé
lacchos.
Sur un bas-relief célèbre, qui est à placer, dans
l'histoire de le sculpture grecque, autre les temps de Phidias
et ceux de Praxitèle, nous voyons ce dernier dieu sous les traits
d'un éphèbe
nu, placé entre Déméter muni du sceptre qui met sa
main droite dans la sienne, en signe d'union, et Coré qui, portant
le flambeau, pose amicalement une de ses mains sur sa tête comme
pour le couronner.
Le culte de Perséphoné,
inséparable de celui de Déméter
ou d'Hadès, est le patrimoine commun des
premiers peuples de Grèce, avant même l'arrivée des
Hellènes; nous le rencontrons, peu s'en faut, dans toutes les parties
de la Grèce continentale; il est particulièrement en honneur
dans l'Attique
où il fait le fond de la religion mystique d'Eleusis
aux portes d'Athènes et à Athènes même. Le plus
ancien monument de ce culte dans la littérature est l'Hymne homérique
à Déméter ,
conservée par un manuscrit célèbre de Moscou.
Cette oeuvre est la résultante d'un grand nombre d'hymnes moins
importants qui ont eu cours en Attique peu après la guerre de Troie.
L'épisode principal qui y est chanté et qui défraie
la poésie grecque à travers les siècles, pour passer
dans la poésie latine (Claudien encore
a écrit une sorte d'épopée
en raccourci sur ce thème), est l'enlèvement de Perséphoné
par Hadès, épisode au sens mystique,
allégorique, symbolique. Tandis que la déesse est occupée
à cueillir des fleurs dans un riant paysage, que dominent des hauteurs
rocheuses et tourmentées, le dieu des enfers,
épris de ses charmes, la surprend au milieu des nymphes
ses compagnes et l'entraîne de force dans le sombre royaume, sur
lequel s'ouvrent les cavernes des montagnes
voisines. Déméter désolée cherche son enfant
par la terre entière; dans son ressentiment, elle y fait régner
la famine; les humains et les autres mortels périraient si Zeus
ne s'interposait pas pour provoquer une réconciliation entre le
ravisseur et la mère : il est entendu que Perséphoné
régnera six mois aux enfers et qu'ensuite elle remontera Sur la
terre pour être toute à Déméter. Le sens de
ce mythe est clair; il exprime le mouvement de
la végétation qui meurt à l'approche de l'hiver
pour s'épanouir à nouveau avec le printemps .
Dans le culte, les fêtes d'un caractère triste, célébrant
le départ de Perséphoné, ont lieu en automne ;
la belle saison ramène la fête joyeuse du retour ( L'Année
et les Saisons ).
Les pays où ce mythe a été de préférence
localisé sont Eleusis et Hermioné
en Attique, Nysa et Héraclée en Asie Mineure; les poètes
romains l'ont surtout placé à Hipponium
et à Enna en Sicile. Il est l'explication du fait qui donne la fille
de la Terre
nourricière comme épouse au roi des enfers; il concilie les
deux points de vue sous lesquels l'imagination des Grecs se représentait
la divinité de la Terre, l'idée
de la richesse par l'efflorescence de tous les biens et celle de la mort
qui les engloutit tous, mais pour les restituer sous une forme nouvelle.
A cette idée la poésie orphique
a mêlé celle de la survivance des âmes
au delà de la vie et, en général, tous les renseignements
mystiques
et symboliques sur leur purification ou leur glorification dans des lieux
de tourments ou de récompenses idéales. Aussi Perséphoné
tient-elle une place, non pas seulement dans toutes les oeuvres littéraires
et philosophiques qui ont développé
les doctrines sur la destinée
des âmes, mais dans tous les monuments figurés
où est représenté le monde infernal. Elle a son rôle
dans les mythes d'Orphée et d'Eurydice,
d'Héraclès domptant les monstres
jusque dans le royaume d'Hadès, d'Ulysse
évoquant les ombres, de Thésée
et de Pirithoüs qui cherchent à
ravir à Hadès son épouse. Lorsque l'orphisme
dégénéra en spéculations de superstition
mystique et en pratiques théurgiques,
il identifia Perséphoné avec Hécate
et Artémis, et même avec Aphrodite
et Athéna transplantées dans le
monde infernal. C'est elle qui préside aux évocations des
morts,
et qui est au premier plan, partout ou est mise en relief l'action des
divinités chthoniennes.
Les représentations artistiques
de Perséphoné-Proserpina sont, dans la statuaire, peu nombreuses;
sous quelque forme qu'elles s'offrent, le type en est assez incertain.
La déesse est représentée sous les traits d'une jeune
femme d'expression grave et même triste, drapée dans une longue
robe, le cou légèrement découvert; son emblème
caractéristique est une longue torche, laquelle est aussi le signe
distinctif d'Hécate; parfois elle porte
le modius en tête. Une fresque de Pompéi
nous la montre assise sur un trône, avec le flambeau d'une main,
des épis dans l'autre; sa tête est couronnée d'épis
et à ses pieds est une corbeille remplie d'épis. La scène
du rapt est représentée sur des sarcophages et aussi sur
des vases peints. L'un de ces derniers (vase de Hope) a ceci de particulier
que la déesse placée sur un quadrige, en compagnie d'Hadès,
quitté sa mère d'un air satisfait : Hécate mène
les chevaux et Hermès
montre le chemin : l'ensemble est d'un bel effet de sérénité
et de majesté.
(J.-A. Hild). |
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