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Une amulette
est un préservatif imaginaire auquel la crédulité et la superstition
attribuent la vertu d'écarter des personnes ou des animaux
auxquels il est attaché les influences malfaisantes, les sortilèges,
les dangers; les événements fâcheux, les maladies, la mort elle-même,
ou de les délivrer des douleurs physiques et des souffrances morales.
Ce mot, féminin au XVIe
siècle (d'Aubigné), masculin au XVIIe
(Académie), redevenu féminin depuis
Châteaubriand, vient du bas-latin-
amuletum,
que Vossius considère comme une abréviation d'amolimentum et fait
dériver d'amoliri, écarter, repousser, chasser, mais qui parait
plutôt tirer son origine de l'arabe-
hamâlet,
de hamala, porter. C'est, en effet, de l'Orient, de la Mésopotamie
et peut-être de l'Inde ,
que l'usage des amulettes se répandit d'abord en Grèce
où on leur donnait les noms de perlammata, periapta,
phylakteria,
et de là en Italie
où on les appelait ligatura, alligatura.
Il faut se garder de confondre l'amulette
avec le talisman. Elle s'en distingue par son caractère général, indéterminé,
bien qu'il puisse y avoir des amulettes douées d'une vertu particulière;
le talisman exerce une action positive et restreinte aux objets auxquels
on l'applique. Ils ont cependant un point de ressemblance; tous deux sont
impersonnels, inconscients. C'est ce qui les différencie du fétiche,
bien que le mot fétiche vienne du portugais-
feitiço,
qui a le sens vague d'amulette et de talisman, et qui souvent est assimilé
à l'un ou à l'autre.
La croyance
aux amulettes existe surtout chez les populations où le sentiment de la
causalité et des rapports des choses, bien
que présent, n'est encore éclairé par aucune expérience.
Innombrables sont les amulettes recherchées par les populations traditionnelles
de l'Afrique ,
de l'Amérique
et de l'Océanie .
A dire vrai, on les retrouve encore en grand nombre au sein des sociétés
les plus développées. La nature humaine semble se prêter facilement
en tous pays à la confiance dans ces objets de culte ou de vénération.
Il n'est donné qu'à un petit nombre de fermes intelligences de se dégager
d'une pareille faiblesse. Mais ceux en qui le tour d'esprit scientifique
n'est pas suffisamment cultivé ne peuvent se défendre d'ajouter foi Ã
l'intervention de puissances occultes. A leurs yeux, par exemple, le fait
qu'un paratonnerre guide et détourne la foudre n'a rien de plus on moins
extraordinaire que le pouvoir, attribué a la lumière d'un flambeau, d'écarter
les mauvais esprits. Au lieu de reporter à leurs véritables causes, Ã
l'enchaînement des circonstances, au concours d'événements ordinaires,
à des coïncidences fortuites, à l'action des lois physiques ou physiologiques,
tel changement imprévu qui s'est produit dans leur fortune, telle réaction
qui s'est opérée brusquement dans leur organisme, ils y voient l'influence
miraculeuse d'un objet qui leur est complètement étranger. Si cet objet,
par surcroît, rappelle certaines croyances religieuses, la foi en sa vertu
s'enracine, se propage, s'étend aux objets de même nature et finit par
dégénérer en grossières superstitions. A ces considérations viennent
s'en ajouter d'autres, d'un ordre inférieur. Il est à supposer que, dès
les âges les plus reculés, les humains, voyant que les moyens naturels
de conserver leur santé et leur vie étaient souvent inutiles, s'attachèrent
à tout ce qui se présenta et crurent le premier fourbe qui essaya de
leur en imposer. Ils se laissèrent d'autant plus aisément persuader,
qu'ils s'imaginèrent que, si les remèdes offerts ne leur faisaient pas
de bien, ils ne leur feraient pas de mal. La force de l'imagination
suppléant à celle qui manquait auxdits remèdes, plusieurs furent convaincus
qu'ils en avaient reçu du soulagement. Si l'on ajoute à cela que ces
remèdes n'étaient ni rebutants, ni douloureux, comme ceux dont faisait
usage la médecine ordinaire, et que la religion les autorisait, on conviendra
qu'il n'en fallait pas davantage pour décider le peuple à les employer.
C'est en Orient, nous l'avons dit, que
prit naissance la croyance aux amulettes telles qu'elle a été connue
en Europe .
Les anciens Persans, pour chasser les
mauvais esprits et se préserver de différents maux, appliquaient sur
diverses parties du corps des tahvids ou toavids, espèce de bandelettes,
ornées des sentences d'un certain roi Féridoun.
Pline
parle d'un Zachalias de Babylone qui avait
dédié à Mithridate un livre dans lequel
il démontrait l'action des pierres précieuses sur la destinée des humains.
Les cylindres persépolitains, les abraxas que les Gnostiques
introduisirent plus tard en Occident, n'étaient autre chose que des amulettes
empruntées à la Syrie et à L'Egypte.
Ephèse
était renommée pour la rédaction de formules mystérieuses, dont il
n'était pas nécessaire de comprendre le sens, mais dont les syllabes
devaient être exactement reproduites dans les invocations. Nous citerons
comme exemple les cinq mots cabalistiques qu'Hésychius nous a conservés
: Aski, Kataski, Lix, Tetrax, Damnameneus. Les quatre premiers,
s'ils ont une signification, appartiennent à quelque langue inconnue;
le cinquième désigne un des trois Dactyles,
inventeurs de la métallurgie et fondateurs des initiations de Samothrace.
Le plus usité de ces termes magiques fut
abracadabra,
recommandé par Serenus Samonicus comme remède
souverain contre les hémorragies.
Les Hébreux
possédaient de nombreuses amulettes nommées tothaphoth. S'autorisant
de la lettre même des déclarations du Pentateuque ,
où, dans un but purement moral, il est recommandé aux fidèles d'observer
les commandements de Dieu, de « les lier comme
un signe sur leurs mains, comme un bandeau sur leur front, de les écrire
sur les poutres et les portes de leurs demeures », ils avaient pris l'habitude
d'attacher à leur bras gauche ou de mettre autour de leur tête de larges
philactères, ou bandes de cuir sur lesquelles étaient écrits des passages
du Pentateuque; ils les considéraient comme des préservatifs contre
les maladies, et, en voyage, contre les voleurs. Les femmes juives portaient
également en forme de bijoux, et surtout de
boucles d'oreilles, des figures de serpents, lekachim, qui, Ã l'exemple
du serpent d'airain élevé par Moïse dans le
désert, étaient censées écarter les esprits malins et les animaux venimeux.
C'était déjà l'application du principe similia similibus curantur.
Les Hébreux avaient encore d'autres amulettes. Ils prétendaient tenir
les plus efficaces de Salomon. Le Talmud
défend seulement de les porter le jour du Sabbat.
Ils attribuaient une vertu merveilleuse au mot abracalan prononcé
selon les règles, et principalement aux noms de Sabbaoth et d'Adonaï,
faits non pour des êtres créés, mais pour le Créateur seul.
L'Egypte avait ses anneaux magiques, ses
feuilles de papyrus, couvertes d'inscriptions, roulées et cousues dans
du linge, ses animaux sacrés, mille préservatifs que les amateurs collectionnent
aujourd'hui à prix d'or. Certaines pierres enfilées au milieu de colliers
d'enfants étaient les emblèmes de diverses divinités ou les symboles
de la vérité et de la justice (Thmei). Le premier juge du pays portait,
à ce qu'affirme Diodore de Sicile, un collier
de saphirs au centre duquel brillait une pierre de cette espèce. On en
a trouvé une semblable sur une statue représentant le jeune dieu Harpocrate.
L'image de Sérapis, enfermée dans le chaton
d'une bague, servait d'amulette contre l'envie. Amulettes encore les innombrables
figurines déposées dans les tombeaux égyptiens, les scarabées,
les basilics gravés sur des pierres ou des
métaux précieux.
Les religions de l'extrême Orient, le
brahmanisme, le bouddhisme,
le taoïsme, etc. ont à l'envi développé
en Inde, au Tibet ,
en Chine ,
au Japon ,
la foi aux charmes destinés à éloigner les maléfices et à mettre les
humains à l'abri des maux sans nombre auxquels ils sont exposés.
Les papiers d'or et d'argent des Chinois,
les maximes de Confucius et de Mencius,
dont ils couvrent leurs monuments publics et privés, n'ont pas d'autre
but. Le Dalaï- lama envoyait autrefois des
sachets de ses déjections aux souverains asiatiques qui les gardaient
toujours sur eux en guise de porte-bonheur. Les bouddhistes de
Sri-Lanka
s'appliquent sur leurs membres malades des images de démons
qui doivent les guérir infailliblement.
Ni les Grecs
ni les Romains n'échappèrent à la
contagion. La théogonie d'Hésiode et d'Homère
en porte témoignage. Le poète de l'Odyssée
met son héros à l'abri des enchantements de Circé
au moyen d'une plante appelée môlu. Pour éloigner des temples
les influences malignes, on plaçait devant leurs portes du laurier, de
l'aubépine, du nerprun. La fleur de l'ellébore avait raison des maladies
les plus incurables.
« Si on
la répand avec des paroles consacrées, écrit
Pline,
elle purifie le bétail. »
Au moment de partir pour un voyage, beaucoup
de personnes mettaient une feuille de laurier dans leur bouche en vue de
prévenir les accidents. Des herbes réputées magiques et dont on se ceignait
quelquefois le front, comme le rappelle Virgile
dans sa septième églogue, le corail, l'ambre,
divers coquillages rendaient la santé aux malades, ou détournaient l'envie
et le mauvais oeil (fascinum, la
jettatura des Italiens modernes).
Les métaux, l'or notamment, avaient une vertu phylactérique. Pour éloigner
d'un enfant tout maléfice, il suffisait de tracer avec des instruments
de fer trois cercles sur la terre, ou de les figurer autour de sa tête.
La famille Servilia croyait sa fortune liée
à un trépied de cuivre. Le scholiaste de Théocrite
vante le son des métaux, celui du cuivre en particulier, comme souverain
pour faire évanouir les apparitions funestes et effacer du coeur toute
trace de souillures. Cette action du son des métaux s'accroissait en raison
de son intensité. C'est à cette croyance qu'est due l'invention des cloches.
On les employa d'abord pour calmer les vents et les tempêtes, écarter
la grêle et mettre en fuite les démons. Puis on s'en servit pour le culte
divin. L'idée vint naturellement d'en faire de minuscules réductions;
on commença par les adapter à la main des enfants; peu à peu on les
transforma en ornements, en pendants d'oreilles; on en enchâssa dans des
bracelets et dans des bagues. Toutes portaient des inscriptions telles
que :
« Je détourne
le mauvais oeil »; ou : « Je chasse les apparitions »; ou « Je dissipe
l'envie-».
Une clochette de ce genre, trouvée à Rome
sur le mont Esquilin, a pour devise
:
« Je suis
soumise aux yeux ».
On fit un tel abus de la cloche-amulette,
même dans l'Eglise chrétienne, que
Chrysostome
dut s'élever avec énergie contre cette superstition. Les dames ne se
bornèrent pas à cette parure. Une grande partie des bijoux antiques ont
été faits et portés dans une pensée superstitieuse.
Les pierres servaient aussi d'amulettes.
Un poème orphique
(Lithika) célébrait les vertus de celles dont on faisait l'usage
le plus fréquent. L'agate détruisait l'effet
des piqûres d'araignées et de scorpions; le diamant dissipait la mélancolie;
le jaspe facilitait l'élocution, attirait la pluie en temps de sécheresse,
neutralisait l'action des breuvages enchantés; l'améthyste
détournait la grêle et les sauterelles, comme le corail les typhons et
la foudre.
Les animaux entraient pour une large part
dans ces croyances. Une simple dent de hyène dirigeait droit au but les
flèches des guerriers, un de ses os garantissait les femmes des fausses
couches, ses nerfs ou son oeil leur rendaient la fécondité, sa moelle
calmait le délire. La graisse du loup, le fiel de la chèvre
ou d'un chien noir, les oreilles et le foie du
rat, le talon du porc, la langue du caméléon, l'oeuf du serpent,
les guêpes, les chenilles, les limaçons, les cloportes, les fourmis,
les araignées, produisaient des effets divers, mais déterminés. Un tout
petit serpent, l'échénéis, avait le don de maintenir un navire immobile
sur les flots en fureur.
Mais ce sont les peuples soumis à l'islam
qui ont toujours eu et ont encore la foi la plus ferme dans la vertu des
amulettes contre les influences occultes. Ils possèdent sur la matière
plusieurs traités dont le plus célèbre est celui d'Albouni. Celles qui
ont à leurs yeux le plus de valeur sont les phylactères dont ils se couvrent
le corps, et sur lesquels figurent des versets du Coran ,
et principalement les deux derniers chapitres appelés al-mouawwidatâni,
c.-à -d. les chapitres préservatifs, parce qu'ils commencent par ces mots
: "Je cherche un préservatif, je me réfugie", et dont l'un est destiné
à prémunir contre les malheurs qui peuvent atteindre le corps, l'autre
contre les dangers qui menacent l'âme. Les musulmans qui ne les mettent
pas sur leurs vêtements les renferment dans des sachets de soie ou de
brocard, de minimes dimensions, qu'ils attachent avec des rubans à leur
cou, à leurs bras, à leur ceinture, ou dans des boîtes et des étuis
d'or et d'argent dont ils ne se séparent ni jour ni nuit, pas même pour
se mettre au bain. Ils ont encore des anneaux magiques, des pierres précieuses,
une foule d'objets divers, bulles, disques, croissants, mains représentant
le nombre 5, feuilles où sont gravées des conjurations contre les démons,
destinés à préserver de toutes sortes de maux et à procurer toutes
sortes de biens, et qui doivent leur merveilleuse puissance autant à leurs
propriétés naturelles qu'à leurs formes symboliques. Ces amulettes portent
le nom de douaa, voeux et prières. Leurs possesseurs en mettent
partout, au cou des bêtes, aux cages des oiseaux; ils en suspendent aux
boutiques dans l'espoir d'attirer les clients. Les derviches, les marabouts
leur en délivrent, contre espèces sonnantes, pour amener le succès de
leurs entreprises : s'ils échouent, c'est leur faute, ils ont négligé
quelque cérémonie, oublié ou mal prononcé quelques formules; s'ils
réussissent, il faut en rendre grâce à la relique, elle est toujours
infaillible.
Les sociétés de l'Occident se laissèrent
de bonne heure envahir par ces superstitions. Le développement en fut
surtout favorisé au Moyen âge par la
décadence complète où était tombé l'art médical. Les empiriques,
trop ignorants pour opposer un traitement rationnel à certaines maladies,
engagèrent ceux qui en étaient atteints à porter sur eux des substances
auxquelles on supposait des vertus prophylactiques. Les remèdes étaient
partagés en deux classes : les physiques, ceux qui étaient doués de
propriétés occultes; et les rationnels,
eaux qui permettaient de se rendre compte de l'effet médical, tels que
l'opium, le camphre, l'assa-foetida, l'iris de Florence, la valériane,
Ces agents, échauffés par la chaleur du corps, produisaient des émanations
qui pouvaient dans quelques cas exercer une influence salutaire, mais n'avaient
pas les propriétés miraculeuses que leur attribuait le charlatanisme.
Amulettes
chrétiennes
L'usage des amulettes
existant à la fois chez les juifs et chez
les païens, les chrétiens devaient être
naturellement amenés à l'adopter.
Bien des superstitions
antiques ont même persisté. Dans les Lapidaires
du Moyen âge on trouve enregistrées toutes les vertus qu'on prêtait
soit, comme autrefois, Ã certaines pierres, soit aux intailles antiques.
Mais il ne sera ici question que des amulettes d'un caractère nettement
chrétien. On a trouvé dans les plus anciens cimetières chrétiens des
objets qui ont incontestablement ce caractère. Tels sont ces poissons
d'ivoire, de verre ou de bronze qui, percés d'un trou, se portaient au
cou et, en vertu d'un symbolisme bien connu, rappelaient le Christ.
Ces petits objets partent des inscriptions telles que SOSAIS "sauve", qui
ne laissent aucun doute sur l'idée qu'on y attachait.
Une même signification
s'attachait aux images symboliques gravées souvent sur les anneaux chrétiens.
Plus tard se répandit l'usage des médailles de dévotion. Sur ces médailles,
ordinairement en bronze, on plaçait fréquemment la croix ou le monogramme
du Christ. Très souvent encore on se contentait de percer d'un trou
quelque monnaie d'un empereur chrétien
ainsi décorée. C'est une médaille de ce genre que, d'après un hagiographe,
saint Germain d'Auxerre suspend au cou de sainte
Geneviève. On y représentait aussi des épisodes sacrés tels que
l'adoration des Mages, le sacrifice d'Isaac,
le martyre de saint Laurent, etc., avec des légendes exprimant de pieux
souhaits. Cette coutume ne fit que se développer au Moyen âge; on possède
de cette époque une foule de médailles
en plomb qui ont ce caractère; beaucoup se vendaient dans les lieux de
pèlerinage célèbres ainsi la vente des
médailles en plomb de saint Pierre et de saint
Paul était un des revenus des chanoines de la
basilique vaticane. Antérieurement au Moyen âge on gravait quelquefois
aussi sur un objet destiné à être porté des formules auxquelles on
attribuait une influence salutaire: telle est une feuille d'or où se lit
un exorcisme contre Satan, qui a été trouvée
en Syrie et peut remonter au IIe siècle, L'idée de protection attachée
à tous ces objets leur faisait souvent donner le nom de phylacteria.
Une classe différente
est celle des petits reliquaires portatifs destinés également à être
pendus au cou et qui contenaient soit des sentences de livrés saints,
soit des fragments de la croix du Christ, soit
des reliques des martyrs. On les trouve désignés
tantôt sous le même nom que les précédents, phylacteria, tantôt sous
le nom d'encolpia. Divers textes de saint Jérôme, de saint Chrysostome,
etc., signalent la coutume de porter ainsi au cou de petits exemplaires
des livres sacrés ou de parties de ces livres auxquels on attribuait une
vertu matérielle. Au VIIe siècle le pape Grégoire
Ier envoyait à la reine lombarde Théodelinde deux « phylactères
» contre les maléfices : un exemplaire des évangiles dans une petite
botte, une croix contenant un fragment de la vraie croix (Greg. epistol.,
XII, p. 7). Les encolpia appartenant à cette dernière classe étaient
très répandus à partir du IVe siècle et on en possède encore des spécimens
anciens. Quant aux reliques des saints, ce n'est pas ici le lieu de rechercher
comment s'en introduisit le culte. En tout cas l'habitude d'en porter dans
de petites boîtes, capsae, analogues à nos médaillons, s'est
promptement répandue. Saint Amateur, évêque d'Auxerre
à la fin du IVe siècle et au commencement du Ve siècle, aurait été
reconnu comme un fidèle par des personnes étrangères parce qu'il avait
au cou une capsa de ce genre (Acta Sanct., mai, t. I, p. 57). L'Eglise,
si elle n'a pas toujours considéré sans défiance ces divers usages (V.
par ex. saint Jérôme, Comment. in Matth., V, 23), a fini par les
admettre et les consacrer. Au contraire elle a vivement prohibé les amulettes
qui se rattachaient à des croyances profanes ou hérétiques. A cette
catégorie appartenaient les amulettes gnostiques
qui nous sont parvenues en si grand nombre ( Abraxas).
Saint
Augustin (Sermons, CLXIII), saint Jérôme (Epist., LXXXV,
3), etc., les condamnent formellement comme superstitions diaboliques.
Il en était de même de celles ou se mêlaient dans des formules obscures
les idées chrétiennes et les idées judaïques. (B.). |
L'astrologie,
renchérissant à la même époque sur la médecine, multiplia le nombre
et l'usage des amulettes. On recherchait de préférence les objets présentant
certains signes ou figures dans lesquelles on faisait résider leur efficacité.
Leur valeur dépendait des conditions astronomiques dans lesquelles elles
avaient été préparées. Avec les progrès des sciences et la diffusion
de l'instruction, elles ont perdu de leur importance. Si forte cependant
est la tendance qui pousse l'esprit vers le merveilleux et le surnaturel,
que des hommes remarquables n'ont pu s'empêcher d'y croire. On sait que
le grand Pascal avait cousu de ses propres mains
dans la doublure de son vêtement un papier et un parchemin couverts d'inscriptions
mystiques, qu'il portait comme une égide contre les attaques du doute
et le retour de ces incertitudes désespérées qui l'avaient poursuivi
à certaines époques de sa vie. Le célèbre Robert
Boyle, pour arrêter les fréquents saignements de nez auxquels il
était sujet, avait recours à la poudre de crâne humain. Van
Helmont, esprit vraiment supérieur, et Zwelfer, savant médecin, prétendaient
que les trochisques de crapaud préservaient de la peste. Aujourd'hui encore,
des gens fort instruits portent dans leurs poches des marrons pour être
guéris des hémorroïdes, ou des sachets anti-aploplectiques. Telle tireuse
de cartes, telle diseuse de bonne aventure, s'enrichit par la vente, Ã
des prix très élevés, de sachets de soie renfermant de prétendues amulettes.
Que de gens croient à l'influence d'un collier d'ambre sur la santé d'un
enfant! Combien s'imaginent que des morceaux de liège au cou des femelles
des animaux domestiques peuvent leur faire passer le lait!
Ce dernier détail nous amène à parler
d'un usage des amulettes très répandu dans les campagnes. Jusqu'au XIXe
siècle, on les emploie constamment pour préserver et guérir le bétail
des maladies contagieuses, qu'elles contribuaient plutôt à propager et
à perpétuer. On les divise en trois classes : les profanes, les surnaturelles
et les sacrées. Les premières consistent dans l'application de moyens
mécaniques. Un cheval s'est-il fourbu? on lui met sur les reins des sachets
de sel ou de cendre, et aux quatre jambes des manchettes de paille. Un
boeuf a-t-il des coliques? on lui serre la queue avec des liens de foin.
Pour l'avertin, on renferme les fleurs, les feuilles et les racines de
diverses plantes, des poudres, des sels, du mercure, de l'antimoine, dans
des sacs, des bottes, des tubes de verre, et on les suspend au cou, Ã
la queue, à la crinière, aux oreilles, au licol des animaux. Si toutes
les formalités ont été observées, si l'on a exclu les femmes indisposées,
si l'application en a été faite par des vierges, si la conjonction des
planètes ou quelque autre obstacle ne s'opposent pas à l'effet de l'amulette,
le mal n'aura aucune suite. Ou bien l'on suspend certaines substances dans
les écuries, dans des bouteilles vides et débouchées.
Les amulettes surnaturelles sont connues
sous les noms de charmes, sorts, follets, etc. On prend des poils
de l'animal à guérir ou à préserver, coupés à une certaine place
et à une heure marquée. On trace au-dessus de lui des lignes droites,
des courbes, des signes de croix. Certains le remettent aux soins d'esprits
qui ne veulent pas être troublés dans leurs fonctions.
Les amulettes sacrées n'ont de mérite
que lorsque les autres demeurent inefficaces. On fait des octaves, des
neuvaines pour les bêtes malades; on prie tel ou tel
saint,
selon la nature du mal. Saint Martin, saint Georges, saint Eloy ont la
charge des chevaux; saint Luc, saint Frambourg, saint Joseph, celle des
bêtes à cornes; sainte Geneviève, celle des bêtes à laine; d'autres,
celle des ânes, des mulets, des abeilles; un a la clavelée dans ses attributions,
un second la gale; celui-ci s'est fait une spécialité de la rage, celui-lÃ
de la ladrerie. Ou bien encore on arrose les animaux d'eau bénite, on
les exorcise en vers latins, on dit des messes, on fait des processions.
Tout est bon pour les paysans crédules, et pour les prêtres qui abusent
de leur ignorance.
Les superstitions
de même nature répandues parmi les société archaïques de l'Océanie,
de l'Afrique et de l'Amérique, pourraient fournir matière à d'interminables
développements. Nous n'y insisterons pas. Il importe toutefois de remarquer
que dans ces cultures, l'objet auquel est attribuée une puissance mystérieuse,
qui doit procurer des chasses ou des pêches abondantes, préserver
d'accidents ou de maladies, se confond facilement avec l'idée même de
la divinité : l'amulette est pour le symbole du divin. Il faut observer
également qu'elle ne sert pas seulement de préservatif, mais aussi de
moyen d'attaque; on en fait autant usage pour nuire aux autres que pour
se défendre. On conçoit si la cupidité a le champ libre. Aussi une foule
de rusés imposteurs remplissent les fonctions de prêtres, de prophètes,
de devins, de sorciers,
de médecins. Les chefs les favorisent et trouvent en eux de puissants
auxiliaires. Ils ont des remèdes pour tous les maux imaginables, une infinité
de moyens de procurer tout ce que le coeur désire. Ainsi dans tous les
temps, sous toutes les latitudes, chez tous les peuples, s'est maintenue
la croyance aux amulettes. Pour beaucoup d'esprits, elles paraissent nécessaires,
ou du moins plus efficaces que tout autre remède. La foi,
lit-on dans les Evangiles ,
transporte les montagnes. Démontrez à tel malade qu'un sachet qu'on lui
a prescrit de porter constamment sur lui n'a pas les vertus dont il le
supposait doué, la fièvre le reprend, son âme se laisse abattre par
la crainte, il s'abandonne au désespoir, il se croit perdu. Que de médecins,
pour soutenir l'imagination de leurs patients, et travailler à leur guérison,
sont obligés d'avoir recours à des prescriptions sans valeur par elles-mêmes!
Ils opèrent avec le prestige de leur situation ou de leur nom. Possunt
quia passe videntur. Est-ce un bien, comme on l'a prétendu? Nous n'oserions
l'affirmer. Est-ce un mal? Pas davantage. Mais le devoir de quiconque pense,
réfléchit et se possède lui-même est de travailler à dissiper ces
illusions et à ramener les esprits de ceux
qui en sont victimes à la saine appréciation des faits naturels et Ã
la réalité des choses. (Bonhoure). |
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