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Probabilité

La théorie philosophique de la probabilité appartient à cette partie préliminaire de la logique qu'on pourrait appeler logique générale et où les notions nécessairement impliquées dans toutes les autres parties de la logique doivent être dégagées et discutées, comme, par exemple, les notions de vérité, d'erreur, d'évidence; de probabilité, de certitude, etc. Soit, en effet, une énonciation quelconque: si nous l'envisageons au point de vue de sa crédibilité, elle nous apparaîtra nécessairement ou comme certaine, ou comme probable, ou comme douteuse, selon que nous aurons toutes les raisons d'y croire et aucune de n'y pas croire, on que les raisons d'y croire l'emporteront sur celles de n'y pas croire, ou que les unes et les autres seront également puissantes ou également absentes.

La probabilité se trouve ainsi placée comme une intermédiaire, comme un milieu, entre la certitude et le doute. Cependant entre ces trois termes, doute, certitude et probabilité, il y a cette différence que le mot certitude désigne tout à la fois un état de l'esprit (je suis certain, dit-on, de ce que j'affirme) et un caractère des choses ou de nos assertions relatives aux choses (le fait, dit-on, est certain; et on parle aussi de la certitude d'un théorème; d'une loi de physique, etc.); le mot doute ne s'applique qu'à un état de l'esprit, dans un sens purement subjectif : on dira bien, il est vrai, d'un fait qu'il est douteux, mais il n'y a pas de terme pour désigner la qualité intrinsèque, objective, qui le rend tel, à moins qu'on n'emploie le terme possibilité, à défaut du terme dubitabilité qui n'existe pas, tandis qu'au rebours le mot probabilité ne s'emploie jamais que dans un sens objectif, pour désigner un caractère des choses ou des jugements que nous portons sur elles. Le terme subjectif correspondant serait, au dire des logiciens, le terme opinion ou encore le terme croyance (au sens étroit du mot) auquel s'opposerait le terme science. Ainsi la certitude serait le caractère de la science; la probabilité; celui de l'opinion ou de la simple croyance. 

Quoi qu'il en soit de ces imperfections du vocabulaire logique, on qualifie de probables, tantôt dès faits pris en eux-mêmes, et c'est ainsi qu'on parle de morts probables, d'incendies probables, etc., tantôt des jugements et raisonnements que nous portons sur les choses, et c'est ainsi qu'on dira d'une hypothèse physique, d'une théorie économique ou philosophique qu'elles sont plus ou moins probables. Cependant la première acception se ramène au fond à la seconde; Stuart Mill remarque ainsi : 

« Il ne faut pas oublier que la probabilité d'un événement n'est pas une qualité de l'événement même, mais simplement un nom exprimant le degré de confiance que nous ou d'autres pouvons avoir dans son arrivée. En soi, un événement n'est pas simplement probable, il est certain. Si nous savions tout, nous saurions positivement qu'il arrivera ou qu'il n'arrivera pas; mais sa probabilité pour nous n'exprime que le degré d'assurance que nous pouvons avoir de son arrivée d'après ce que nous savons actuellement.»
La probabilité d'un fait peut donc toujours se ramener à celle de la proposition qui en affirme la réalisation passée, présente, ou, plus ordinairement, future; et la probabilité d'une proposition en général dépend du rapport des raisons que l'on a d'y croire aux raisons de n'y pas croire. Or ce rapport est tel, dans certains cas, qu'un peut l'évaluer et l'exprimer mathématiquement ; et la probabilité est alors dite mathématique. Quand il en est autrement, elle est dite morale. (Cournot propose de l'appeler aussi philosophique.) Toutes les fois que les raisons pour et contre la vérité d'une opinion sont ou peuvent être considérées comme des unités de même nature et équivalentes entre elles, et qu'elles sont d'ailleurs toutes connues ou qu'on peut sans inconvénient faire abstraction de celles qui ne le sont pas, il n'y a évidemment à tenir compte que de leur nombre, et par suite la probabilité qu'elles déterminent peut se représenter par une fraction qui a pour numérateur le nombre des raisons favorables et pour dénominateur le nombre total des raisons favorables et contraires. 
Soit, par exemple, une urne contenant 20 boules absolument pareilles, sauf la couleur, 15 blanches et 5 rouges, la probabilité qu'on tirera une blanche dépend ici uniquement de la proportion numérique des blanches et des rouges, et elle s'exprime par la fraction 15/20 ou 3/4. A ce point de vue, il y aura doute quand le numérateur sera égal à la moitié du dénominateur (1/2, c.-à-d. autant de raisons pour que contre) et certitude quand le numérateur sera égal au dénominateur 2/2, ou l'unité : toutes les raisons pour, aucune contre. 
Le calcul des probabilités a reçu un certain nombre d'applications non seulement aux loteries et jeux de hasard, mais encore, par l'intermédiaire de la statistique, aux assurances. Il peut servir aussi dans les sciences à déterminer indirectement les effets et les causes. Ainsi étant donnée une cause constante et générale agissant dans un très grand nombre de cas, l'effet qui se reproduit dans le plus grand nombre de ces cas est probable. ment l'effet de cette cause, et cette probabilité, toutes choses égales d'ailleurs, est d'autant plus grande que le nombre de cas considérés est plus grand.

Toutefois, la probabilité mathématique ne donne qu'une fausse précision, lorsqu'il s'agit de jugements dont les raisons sont de natures très diverses et sans commune mesure. On doit alors se contenter de la probabilité morale on philosophique dans laquelle il s'agit moins de compter les raisons que de les évaluer, en ayant même égard aux raisons ignorées dont la vérité des jugements peut dépendre. Ainsi il serait absurde, dans une affaire criminelle où dix témoignages sont favorables et quinze contraires, d'en conclure que l'accusé est probablement coupable, et que cette probabilité est de 15/25 ou de 3/5, car ces témoignages n'ont pas tous la même valeur, et rien ne prouve qu'ils représentent la somme de tous les indices possibles pour ou contre la culpabilité de l'accusé. On se contente donc la plupart du temps de la probabilité morale, même dans les sciences positives où une hypothèse est d'autant plus probable qu'elle s'accorde avec un plus grand nombre de faits connus et que le nombre des faits inconnus où il pourrait s'en rencontrer qui la contredisent est, autant qu'on en peut juger, plus restreint. 

De même la probabilité du raisonnement par analogie croit en raison directe du nombre et de l'importance des analogies constatées entre les deux objets qu'il rapproche et en raison inverse du nombre et de l'importance des différences constatées ou présumées. En somme, la probabilité n'est exclue que des sciences mathématiques dont le domaine est tout entier occupé par la certitude; elle tient une grande place dans les sciences physiques et une plus grande encore dans les sciences naturelles et les sciences morales. Dans la vie pratique, on n'agirait pour ainsi dire jamais si l'on ne devait se décider que d'après les certitudes: il n'est presque pas de jugement où l'esprit ne doive réserver la part de l'inconnu. Par conséquent, le rôle de la probabilité, dans les opinions et les affaires humaines, est incomparablement plus étendu que celui de la certitude. (E. Boirac).

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