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La généralisation

La généralisation est l'opération intellectuelle par laquelle l'esprit forme des idées générales, en dégageant le général du particulier, et à l'en séparant, afin de le voir séparément. L'esprit comprend ainsi dans une notion unique les qualités communes à un nombre indéterminé d'objets. Par exemple, si, après avoir observé un passereau, un échassier, un gallinacé, un palmipède, etc., j'abstrais l'ensemble de leurs caractères communs, j'obtiens l'idée générale d'oiseau.

La généralisation est de deux sortes, médiate et immédiate. Dans le premier cas, l'esprit part des notions concrètes et individuelles des êtres ou des faits; puis, par l'abstraction et la comparaison volontaire, il forme ensuite les notions générales d'espèce, de genre, de classe, etc. :

1° L'expérience ne nous offre que des objets on des êtres particuliers : tel ou tel chêne, tel ou tel cheval. Par l'abstraction, nous détachons de ces objets une ou plusieurs qualités qui n'existent pas séparément dans la réalité

2° Nous comparons ensuite une ou plusieurs qualités abstraites d'un objet avec une ou plusieurs qualités abstraites d'un autre objet, et nous jugeons que ces qualités sont identiques.

 3° Enfin, et c'est là ce qui constitue essentiellement la généralisation, nous pensons cet ensemble de qualités abstraites communes à plusieurs objets particuliers comme le type d'une classe, c'est-à-dire d'un nombre indéfini d'objets du même genre, et nous formons ainsi une idée générale; par exemple l'idée de chêne, l'idée de cheval. 

(Les modes et les rapports généralisés, et reconnus comme les mêmes ou comme divers, deviennent des caractères communs ou différents. La présence de caractères communs dans plusieurs objets fait réunir ces objets en un groupe, auquel nous ajoutons par la pensée tous ceux que nous supposons avoir les mêmes caractères; nous appliquons à cet ensemble la notion d'unité, et nous avons une espèce. De même, en saisissant les caractères communs entre plusieurs espèces, et appliquant à l'ensemble la notion d'unité, on obtient un genre, et ainsi de suite.)

Plus le nombre de qualités abstraites prises pour former une idée générale est restreint, plus il y a d'objets particuliers auxquels cette idée générale est applicable. D'où cette formule que l'extension et la compréhension d'une idée générale sont en raison inverse l'une de l'autre. En effet, l'extension d'une idée générale se mesure au nombre d'êtres qu'embrasse cette idée; la compréhension, au nombre des propriétés qu'il a fallu considérer pour former l'idée générale. 

La compréhension renferme le nombre de qualités communes aux individus contenus dans une classe; l'extension, le nombre de ces individus. La généralisation immédiate ne résulte pas de la comparaison; elle ne doit rien à la volonté. C'est une opération de la raison qui consiste à s'élever au nécessaire et à l'absolu, au moyen du contingent et du relatif : ainsi, à l'occasion de l'idée d'un temps limité, nous concevons nécessairement l'idée du temps sans limite. Cette sorte de généralisation donne un résultat tout différent de la première. Par celle-ci on obtient des principes qui résultent de recherches volontaires, longues et laborieuses; dans le second cas, certains principes nous apparaissent d'eux-mêmes et comme malgré nous; ils ont pour caractères d'être spontanés, nécessaires, universels. Ce ne sont plus des idées générales, mais universelles. 

La généralisation a une triple utilité :

1° elle simplifie la connaissance en nous permettant de réunir en une seule idée un grand nombre d'idées particulières; 

2° elle rend le langage possible. Sans la généralisation, il faudrait un nom spécial, un nom propre pour tout objet individuel; 

3° elle est posée comme la condition de la science. Comme l'a dit Aristote, il n'y a de science que du général. La science est l'explication des choses, et expliquer, c'est ramener à une loi générale.

Les philosophes ont été, de tout temps, très divisés sur le point de savoir quelle est la véritable nature des idées générales. Ce problème a reçu trois solutions différentes : celle des réalistes, qui enseignent que les idées générales correspondent à des réalités distinctes; celle des nominalistes, pour qui les idées générales ne sont que des noms, des souffles de voix, flatus vocis; enfin, celle des conceptualistes, pour qui les idées générales sont des formes de la pensée humaine correspondant aux rapports qui existent entre les êtres et qui sont réels comme les êtres eux-mêmes, quoiqu'ils en soient inséparables. (R. / NLI).

Formation de l'idée générale

I. - Opérations préliminaires. 
1° Comparaison : pour découvrir les caractères communs à plusieurs objets, il faut rapprocher ces objets, afin d'éliminer les différences et de ne conserver que les ressemblances.

2° Abstraction : avant de former une seule idée, d'un caractère commun à plusieurs objets, il faut avoir successivement constaté dans chaque objet ce caractère, à l'exclusion des autres. 

Lorsque ces deux opérations sont simultanées on parle d'abstraction comparative.

II. - Généralisation proprement dite : jugement.
La généralisation proprement dite consiste à juger que l'idée abstraite des caractères communs à plusieurs objets convient à un nombre indéfini d'objets semblables, présents, passés, futurs, en un mot qu'elle détermine un genre, une classe. Généraliser, c'est donc comparer un certain nombre d'objets, abstraire l'ensemble de leurs qualités communes et penser cet ensemble comme le type d'une classe.

III. - Base de ce jugement.
La comparaison des divers objet aboutit à constater que leurs éléments communs constituent des ressemblances essentielles, tandis que les différences qui les séparent sont simplement accidentelles. Alors l'esprit juge qu'il peut étendre ces caractère communs (dont l'ensemble forme la compréhension de l'idée générale à tous les objets comparés qui constituent un genre. Exemple : les humains sont munis d'organes corporels, doués de sensibilité et de raison mais les uns sont bruns, les autres blonds; les uns petits, les autres grands les uns ignorants, les autres instruits, etc. Laissant de côté les caractère accidentels de couleur des cheveux, de grandeur, de science, on dira : l'humain est l'animal raisonnable (admettons ici, pour les besoins de l'illustration, cela et les autres spécificités prêtées aux humains...). Cette idée générale convient, à tous les hhumains passés, présents et futurs.

L'acte, par lequel l'esprit juge que tel élément d'un groupe est essentiel et tel autre accidentel, peut avoir besoin d'un certain nombre d'expériences avant de se produire; mais, quand il se produit, c'est un acte d'intuition. D'après Aristote et les Scolastiques, c'est la fonction propre de l'esprit, de l'intellect actif, de découvrir l'essentiel dans l'accidentel, l'universel dans le singulier. 

« Cette faculté, dit Paul Janet, pourrait être conçue à l'image de l'expérience sensible, mais sous un forme intellectuelle. » 
C'est-à-dire qu'à la différence des sens proprement dits, ce « sens de l'essentiel et de l'universel » n'a pas besoin d'organe physiologique. Il s'exerce sur les sensations et les images et, dans ces choses accidentelles, particulières, relatives, il perçoit l'essentiel, l'universel, l'absolu.

Remarque : pour fixer le travail de la généralisation, comme de l'abstraction, il faut recourir aux mots abstraits et aux noms communs ce sont les seuls signes propres à exprimer les idées abstraites et géné rales, qui n'ont pas de réalités formellement correspondantes dans la nature.

Propriétés de l'idée générale

Tout concept ou idée générale a deux propriétés fondamentales :
I. - La compréhension : c'est l'ensemble des éléments, des qualités qui constituent l'idée générale. Elle en est comme le contenu. Exemple : la compréhension de l'idée d'humain au point de vue physiologique est animal, vertébré, mammifère, bimane.

II. - L'extension : c'est l'ensemble des individus ou espèces auxquels s'applique l'idée générale. L'extension de l'idée d'homme embrasse tous les humains, passés, présents, futurs.

Loi : l'extension et la compréhension des idées sont en raison, inverse l'unie de l'autre. Si la compréhension augmente, l'extension diminue; si l'extension diminue, la compréhension augmente. Ex. la compréhension de l'idée d'humain est : animal, vertébré, mammifère, bimane : l'extension de cette idée embrasse tous les individus humains. Si l'on ajoute à la compréhension la qualité de blond, l'extension diminue, car cette qualité élimine les humains bruns. L'idée d'être est celle qui a l'extension maxima, puisqu'elle s'applique à tous les êtres, réels ou possibles ; c'est le genus generalissimum des Scolastiques; mais aussi a-t-elle la compréhension minima; elle ne contient qu'un seul élément. Les idées individuelles, ne représentant qu'un individu, n'ont pas proprement d'extension, tandis que leur compréhension est, pour ainsi dire, illimitée.

Hiérarchie des idées générales

Elle consiste à subordonner les idées générales suivant le degré de leur généralité. Le degré de généralité des idées est déterminé par leur extension et, à son tour, leur extension est limitée par leur compréhension. Voici, comme exemple, un tableau qui s'inspire de l'échelle dite de Porphyre (Isagoge, C, II, n. 24), philosophe de l'école d'Alexandrie :
 
Être
Possible
Existant
Existant
Accidentel
Substantiel
Substance
Incorporelle
 corporelle 
Corps
Inorganique (minéral)
organique ou vivant 
Vivant
Insensible (végétal)
Sensible (animal)
Animal
Irraisonnable
Raisonnable (humain)
Individus de l'espèce humaine : Paul, Virginie, Jacques-Henri, etc.

Voici donc la compréhension métaphysique du :
 

I. - Minéral être existant substantiel corporel
II. -Végétal  "  "  "    organique
III. - Animal " "  "      sensible
IV. - Humain  "  "  "        raisonnable

Division des idées générales

I. - On range les idées générales en trois groupes.
Idées générales de : 
1° Substances ou d'êtres. Ex. : idées de pierre, de plante, d'animal, d'humain.

2° Modes ou manières d'être :

 a) simples. Ex. : plaisir et douleur, température, couleur;

b) complexes. Ex. : tempérament, caractère; vertu.

3° Rapports. Ex. : idées de grandeur, succession, coexistence, causalité, finalité.
II. - Transcendantaux.
Les Scolastiques ont appelé transcendantaux les idées les plus générales qui dépassent (transcendunt) tous les genres et s'appliquent à tous les êtres sans exception. Ce sont les idées d'être, d'unité, d'identité, de vérité, de bonté. Ils disaient : Ens, unum, verum, bonum convertuntur. Tout être est un, vrai, bon et réciproquement (Suarez, Disputationes metaphysicae, Disp. III).

III. Universaux : (universalia) (Bossuet, Logique L. I, § 44 à 50) 
Les Universaux sont les les cinq termes de Porphyre :

Genre :  idée de l'ensemble des caractères communs à plusieurs espèces. Exemple :  animal (qui a pour caractères : être, existant, substantiel, corporel, organique, sensible) est un genre par rapport à l'espèce homme et à l'espèce cheval, parce qu'il a des caractères qui conviennent à l'une et à l'autre. (On remarquera qu'ici l'emploi du mot genre s'étend au-delà de celui qui en est fait par les naturalistes, comme dans la classification binomiale de Linné).

Espèce : idée de l'ensemble des caractères communs à un nombre indéfini d'individus. Exemple : animal raisonnable; cette idée convient à tous les individus humains, passés, présents et futurs.

3° Différence spécifique : idée du caractère essentiel que chaque espèce ajoute à l'idée du genre pour le déterminer. Elle sert à distinguer une espèce du genre qui la contient et des autres espèces du même genre. Exemple : le genre animal est indéterminé, il peut s'appliquer à l'homme et au cheval. Si on lui ajoute : raisonnable ou irraisonnable, il ne convient plus qu'à l'homme.

La raison est donc la différence spécifique de l'humain, parce qu'elle est le caractère essentiel, qui distingue l'espèce humaine du reste du genre animal et de l'autre espèce, du genre animal, l'espèce cheval. La différence spécifique est donc une qualité de l'essence.

4° Propre : idée d'une qualité qui découle nécessairement de l'essence d'un être (laquelle nous est donnée par le genre prochain et la différence spécifique. Ex. : animal raisonnable constitue l'essence de l'humain). Il convient à une espèce tout entière, à cette espèce seule, et lui convient toujours : Quod convenit omni, soli et semper. Ex. : la faculté de parler est le propre de l'humain. Étant posée son essence d'animal raisonnable, cette perfection en découle nécessairement.

5° Accident idée d'une qualité qui peut être présente ou absente, sans que l'essence de, cet être soit changée. Ex. : être blond ou brun, savant ou ignorant, c'est chose accidentelle pour l'humain.

Une même idée peut être tout à la fois genre et espèce, genre par rapport aux idées moins générales qui lui sont subordonnées, espèce par rapport à une idée plus générale à laquelle elle est subordonnée. Ex. : l'idée d'animal est espèce par rapport au genre vivant; elle est genre par rapport aux espèces raisonnable, irraisonnable.

Genre suprême : celui qui renferme l'idée la plus générale : l'être. Ce genre ne peut donc être espèce, puisqu'il n'y a rien au-dessus de lui.

Espèce infime : celle qui n'a au-dessous d'elle aucune autre espèce, mais seulement des individus. Exemple : l'espèce humaine. Elle ne peut donc être genre.

Genre prochain d'une espèce : celui qui contient immédiatement, sans l'intermédiaire d'un autre genre, dans son extension l'espèce en question. Ex. : animal est le genre prochain des espèces humain et cheval.

Genre éloigné : celui qui ne contient pas immédiatement l'espèce, mais ne l'atteint que par des genres intermédiaires. Exemple : substance est un genre éloigné par rapport à humain; les genres intermédiaires sont corps, vivant, animal.

IV. - Catégories d'Aristote.
Aristote avait distribué les idées générales en dix classes ou catégories, que les Scolastiques, après Boèce, appelèrent les dix prédicaments. Les deux genres suprêmes sont substance et accident. Le genre accident est subdivisé en neuf genres : quantité, qualité, relation, action, passion, lieu, temps, situation, manière d'être. 

Problème des universaux

Ce problème doit être examiné à un double point de vue :
A) Psychologique : quelle est la nature des idées générales? qu'y a-t-il dans notre esprit quand nous pensons une idée générale?

B) Métaphysique : quelle est leur valeur? A quoi correspondent les idées générales dans la réalité? Ont-elles un objet en dehors de nous?

C'est une question importante, puisqu'elle implique la question même de la valeur de la science. Aussi n'est-il pas étonnant qu'elle ait été agitée de tout temps. Elle constitue dans l'Antiquité le fond de la controverse relative à la théorie des idées; elle groupe autour d'elle au Moyen Age toutes les doctrines philosophiques; elle reparaît encore sous des formes différentes dans la philosophie moderne. On peut ramener à quatre les solutions données à ce problème : le Nominalisme, le Conceptualisme,
le Réalisme exagéré, le Réalisme modéré.

I. - Nominalisme.
Le Nominalisme est la doctrine élaborée par Roscelin, chanoine et professeur à Compiègne (mort vers 1121) et Guillaume d'Occam (vers 1280-1347), et à laquelle se sont ralliés notamment Pierre d'Ailly, chancelier de l'Université de Paris, évêque de Cambrai (1350-1425); Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris (1364-1429).

Les universaux n'ont aucune réalité, ni objective, hors de l'esprit, ni subjective, dans l'esprit.

Réaliser les universaux, c'est multiplier les êtres sans nécessité; or Entia non sunt multiplicanda sine necessitate. Les universaux ne sont donc que des noms généraux, flatus vocis. Dans la réalité et dans l'esprit, tout est individuel.

L'Ecole anglaise (Hume, Berkeley, Stuart Mill, etc.), Condillac et Taine ont accepté cette doctrine, mais en la transformant : l'idée générale n'est qu'une image particulière, une image composite. Seulement cette image, en vertu des lois de l'association, rappelle un nombre indéfini d'images semblables.

II. - Conceptualisme
Le Conceptualisme est la théorie défendue par Abélard (1079-1142), Locke (1632-1704). On y ramène aussi le Criticisme de Kant (1724-1804).

Les universaux n'ont aucune réalité objective, c'est-à-dire en dehors de nous, mais ce ne sont pas de purs mots. Ce sont des conceptions de l'esprit, des formes subjectives de la pensée. Les individus seuls sont réels, mais l'esprit peut les classer d'après leurs caractères communs; de là les idées générales. Exemple :  les humains individuels existent seuls; mais nous avons une idée, qui condense leurs qualités communes l'humanité; cette idée n'existe que dans notre esprit, mais du moins nous la pensons. C'est ainsi qu'Abélard voulait concilier le Nominalisme et le Réalisme.

III. - Réalisme exagéré.
Ce qu'on appellera ici le Réalisme exagéré est une doctrine qu'Aristote attribue à Platon; c'est du moins la doctrine de certains platoniciens. Elle a été défendue au Moyen Age par Guillaume de Champeaux (XIIe s.), archidiacre de Paris, puis évêque de Châlons.

L'universel est seul réel. Exemple : l'humanité, l'humain en soi, existe indépendamment des humains particuliers et de l'esprit qui la conçoit. Les individus, Paul, Virginie, etc., ne sont des humains que par leur participation à cette réalité. Aussi entre tous les individus de la même espèce ou du même genre il y a unité d'essence.

Critique au point de vue :

A) Psychologique.
Il s'agit de savoir quelle est la nature de l'idée générale. Est-elle distincte des mots et des images ou se résout-elle en mots et en images?

L'idée générale n'est pas : 

1° Un simple mot : le Nominalisme contient une part de vérité, à savoir :
a) Le langage fixe les idées générales. 

b) Nous ne pensons pas sans le secours d'une image, qui est le plus souvent une image sonore, un mot.

c) Les mots peuvent remplacer les idées, parce qu'ils leur ont été associés et en sont les signes. C'est ainsi que par exemple dans les calculs d'arithmétique ou d'algèbre on pense avec des mots. Mais les mots ne sont rien sans la pensée; sans elle, ils n'auraient aucune signification; le langage ne serait qu'un « pur psittacisme ». (Leibniz).

2° Une image : l'image composite se fait par une fusion spontanée et lente d'images semblables; l'idée générale est l'oeuvre de l'activité intellectuelle.
Objection des Nominalistes.
L'indéterminé ne peut pas plus exister dans la pensée que dans la réalité; toute représentation est nécessairement particulière; par conséquent l'idée générale, étant indéterminée, ne peut exister.

Réponse :

a) On peut rétorquer l'argument : le nom commun, quand il est pensé, est lui aussi une représentation particulière; donc le nom commun ne peut exister.

 b) Comment donc l'idée peut-elle être générale? En tant qu'elle existe dans l'esprit, en tant qu'elle est pensée, elle a une existence particulière et déterminée. Mais, comme elle contient toujours les mêmes caractères communs et constants qui constituent son identité, l'esprit perçoit cette identité et la rapporte à toute la classe d'individus ayant ces caractères communs. Ainsi cette idée, bien que, comme diraient les Scolastiques, particulière entitative, en tant qu'elle existe dans la pensée, est générale terminative, en tant qu'elle convient à un nombre indéfini d'espèces ou d'individus.

B) Métaphysique. 
On se demande ce qui répond objectivement, en dehors de nous, à l'idée générale. La réponse varie avec les systèmes. Le Nominalisme et le Conceptualisme disent que rien de réel ne correspond à l'idée générale, car celle-ci, par exemple l'animalité, l'animal en soi, n'est qu'un mot ou un concept de l'esprit. Les êtres individuels, par exemple les animaux ont seuls une réalité objective. 

Le Réalisme exagéré prétend au contraire que les idées générales existent en dehors de l'esprit et existent seules réellement : par exemple, l'animal en soi existe seul; les animaux particuliers n'ont qu'une réalité d'emprunt; ils ne sont animaux que par leur participation à l'animalité, dont ils ne sont que les modes accidentels.

Critique : les idées générales, par exemple l'animalité, ne peuvent exister dans la réalité; car tout ce qui existe dans la réalité est défini et déterminé; or les idées générales sont indéterminées; elles ne peuvent donc exister dans la réalité. C'est pourquoi Antisthène disait avec raison à Platon : 

« Je vois bien le cheval, mais la chevaléité je ne la vois pas. »
 Cependant les idées générales ont une valeur objective; elles représentent un ensemble de caractères qui existent réellement dans les individus. C'est la réponse apportée par le réalisme modéré.

IV. Le Réalisme modéré.
Le Réalisme modéré a été soutenu par Aristote, Saint Anselme (1033-1109), Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Duns Scot (XIIIe s.), Bossuet, Leibniz, etc. Les idées générales ne sont ni de simples mots, ni de pures conceptions de l'esprit, ni des entités existant en soi. Elles existent, non en elles-mêmes, mais à la fois dans la réalité et dans l'intelligence, quoique diversement : Fundamentaliter in re, formaliter in intellectu. L'intelligence trouve existant dans les individus, par exemple dans les hommes, certains caractères communs (animal, raisonnable), qu'elle isole par abstraction des qualités particulières ou notes individuantes (par exemple : petit, grand, blond, brun, etc.). Ce sont ces propriétés communes des individus qui constituent le fondement réel de l'idée générale : fundamentaliter in re. Mais, sous sa forme abstraite, dégagée des caractères concrets et particuliers, l'idée générale n'existe que dans notre esprit : formaliter in intellectu.

Les individus passent et disparaissent, les espèces et les genres demeurent. Il y a donc un modèle (exemplar) suivant lequel nous concevons la réalisation des individus, différents par leurs caractères accidentels, mais semblables par leur conformité avec le type générique et essentiel. Pour les partisans de ce point de vue, ce modèle ne peut exister que dans l'intelligence de celui qui a créé toutes choses. Les universaux existent donc dans l'intelligence divine à l'état de causes exemplaires, de modèles et de types, d'après lesquels les choses ont été faites. Par conséquent, concevoir des idées de genres et d'espèces, c'est concevoir le plan même de la création; et les classifications naturelles sont des copies plus ou moins fidèles des classifications divines.

Remarque : certains commentateurs estiment que Platon plaçait aussi les Idées dans l'intelligence divine; telle est l'interprétation de Saint Augustin.

Usage de la généralisation.

A. - Utilité :

I. - La généralisation simplifie la connaissance et la rend plus distincte en ramenant la pluralité à l'unité. Elle substitue, à la multitude innombrable des choses et des qualités accidentelles, l'idée de leur essence, de leurs caractères constitutifs et permanents : exemple, l'humain est un animal raisonnable.

II. - Elle donne une portée sans limites à la pensée : toute idée générale représente un nombre indéfini d'objets : exemple, l'idée d'animal convient à tous les animaux présents, passés, futurs.

III. - Elle met de l'ordre dans la pensée : en groupant les idées générales d'après leurs ressemblances, on forme une hiérarchie d'idées, coordonnées et subordonnées les unes aux autres. Cette classification des idées, fruit de la généralisation, rend possible la classification des êtres. 

IV. - Elle conditionne la science : il n'y a pas de science du particulier, car : 

1° Chaque être individuel renferme un nombre indéfini de caractères accidentels, que l'intelligence est incapable de connaître pleinement et qui changent à chaque instant. 

Les caractères essentiels, qu'atteint la généralisation, sont au contraire peu nombreux et immuables. 

2° Les sciences seraient impossibles sans la généralisation :

a) les sciences déductives, parce que la déduction va du général au particulier;

 b) les sciences inductives, parce que l'induction, qui formule les lois, est la généralisation d'un rapport de causalité (V. Méthode des sciences physiques).

V. - Elle conditionne le langage : sans le secours des idées générales, qui s'expriment par des noms communs, il faudrait des noms propres pour chaque être, pour chacune de ses qualités, pour chacun de ses rapports : par exemple pour chacun des grains d'un tas de blé ou de sable, pour chaque idée. La pensée serait accablée et l'entente mutuelle impossible. Aussi les noms communs forment-ils la presque totalité des langues. Les noms propres eux-mêmes, comme le constatent Leibniz et Max Müller, ne sont souvent que des substantifs généraux pris particulièrement : par exemple; Platon = le large d'épaules; - Cicéron = le pois chiche; - Fabre = l'ouvrier; - Constant (qui désigne une qualité) etc.
B. - Abus : la généralisation ne fait connaître que les caractères communs à une classe d'êtres; or les esprits habitués à généraliser sont portés :
I. - A généraliser trop ou trop vite, à attribuer à toute une catégorie d'êtres ce qui ne convient qu'à quelques-uns. Mal dirigée, l'habitude de généraliser développe l'esprit systématique. 

II. - A se borner aux caractères communs et essentiels, qui ne suffisent pas pour connaître pleinement un objet particulier. Il faut les compléter par l'étude des caractères individuels.

Comparaison des diverses sortes d'idées

I. - Concrète ou singulière : représentation d'un objet ou d'un phénomène individuel, avec tous les éléments qui le composent : par exemple, idée de cet homme, de tel sentiment, de telle volition.

II. - Abstraite : représentation d'un seul élément d'un objet par exemple, l'idée de la blancheur d'une feuille de papier.

III. - Générale : représentation de toute une classe d'êtres : par exemple, l'idée d'humain, d'animal. 

Toute idée générale est abstraite; mais toute idée abstraite n'est pas générale : par exemple, la couleur de telle fleur. Cette idée abstraite n'est pas générale, parce qu'elle ne convient qu'à une fleur. 

L'idée singulière ne semble être au fond qu'une combinaison d'idées générales; elle ne doit son caractère singulier qu'à son association avec un nom propre ou avec une image.

IV. - Collective : représentation d'éléments qui conviennent à l'ensemble des objets composant la collection, mais non à chaque objet pris à part : ex. :. l'idée d'armée, de ville. On ne peut pas dire de chaque soldat ou de chaque habitant qu'il est l'armée, la ville.

Au contraire, l'idée générale convient également à tous les individus compris dans son extension : par exemple, l'idée d'humain s'applique à tous les êtres humains : Paul, Virginie, etc.

V. - Universelle : représentation d'éléments qui conviennent à tous les objets. Les idées universelles comprennent les notions premières suivantes : être, unité, identité, raison, cause, substance, fin, loi, vérité, bonté.

VI. - Comparaison entre l'idée universelle et la générale :

1°. - L'idée générale ne convient qu'à certaines catégories, classes d'objets-: par exemple, l'idée d'humain, d'animal ; - l'universelle convient à tous les objets : par exemple, tout a de l'être, de l'unité, une cause, une loi, etc.

2° Les idées générales, pour la plupart, sont le fruit de laborieux efforts, et quelquefois le temps, amenant de nouvelles recherches, peut les modifier. Le progrès des sciences montre que c'est peu à peu, par des expériences multiples, qu'on s'est élevé aux idées générales, aux classifications et aux lois. Des modifications ont été aussi introduites à la suite d'études plus approfondies : tels êtres qui semblaient appartenir à telle classe ont été transportés dans une classe différente. 

Les idées universelles s'imposent à notre esprit par leur évidence immédiate. Aussi, quand elles nous apparaissent pour la première fois, il nous semble que nous les connaissons depuis longtemps. Elles sont, conséquemment, immuables; c'est à peine si on a introduit quelques changements dans leur définition.

3° Les idées générales demandent un effort, un apprentissage : combien d'esprits sont étrangers aux idées de lois, de genres, d'espèces?

 Les idées universelles sont nécessairement dans toute intelligence; elles sont communes à tous les humainss. Sans doute, sous leur forme abstraite et réfléchie, elles ne sont accessibles qu'au terme d'une éducation. Mais tous les hommes les comprennent et les appliquent spontanément : par exemple, l'enfant sait parfaitement ce qu'est une cause, une fin, etc., bien qu'il soit incapables de les définir.

Antériorité de l'idée générale

Il ne s'agit pas de savoir si l'esprit connaît le particulier avant le général, car il semble manifeste que la connaissance commence par la conscience des phénomènes psychologiques relatifs à la sensibilité qui sont concrets et particuliers. II s'agit de la connaissance des idées l'esprit débute-t-il par les idées singulières ou par les générales, quand il élabore la matière de la connaissance, c'est-à-dire les données expérimentales (sensations et images) qui sont concrètes et individuelles ?

I. - Au point de vue philologique, d'après Max Müller, « nous commençons par connaître les idées générales », parce que les racines primitives des mots expriment des idées générales. Mais Michel Bréal conteste cette assertion et pense que les racines, dont nous avons connaissance, ne sont pas primitives, mais dérivées de racines antérieures, dont nous ignorons le sens et qui ont pu être individuelles. La philologie laisse donc la question en suspens. Si la théorie de Max Müller était vraie, il en résulterait simplement que l'humain ne parle pas avant d'avoir des idées générales, mais non pas que les idées générales soient antérieures aux idées singulières.

II. - Au point de vue psychologique, la question a été très discutée, Saint Thomas est pour l'antériorité des idées générales, Suarez pour la priorité des idées singulières. Voici ce qui ressort de ces débats :

1°, Il n'y a pas, à proprement parler, d'idées singulières. Celles qu'on nomme ainsi ne sont en réalité que des idées générales singularisées. La priorité revient donc aux idées générales.

2° Il faut distinguer entre l'idée générale confuse et l'idée générale distincte. Il semble que l'esprit débute par l'idée générale confuse, ne contenant que des caractères vagues pouvant s'étendre à beaucoup d'êtres. C'est ainsi que le petit enfant donne le nom de koko à tous les oiseaux et celui de papa à tous les hommes. Il lui faut du temps pour discerner son père des autres hommes et tel oiseau de tel autre. C'est pourquoi l'idée générale précise et distincte (ex. : l'humain est l'animal raisonnable) suppose la comparaison entre plusieurs hommes individuels. On peut donc conclure que si l'idée générale distincte est postérieure aux notions individuelles, l'idée générale confuse est, au contraire, antérieure aux notions individuelles. La priorité reste donc aux idées générales. (G. Sortais).

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