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Le
progrès (du latin progressus) est l'avancement vers la
mieux. La propriété qu'ont les
individus
et les sociétés de se rapprocher de la perfection se nomme
Perfectibilité. L'avancement dans le bien-être est un progrès
matériel; l'avancement dans les sciences,
un progrès intellectuel; l'avancement dans le bien, un progrès
moral.
Les progrès de l'individu sont nécessairement bornés
par la faiblesse de ses organes et par le durée de sa vie; mais
la société peut faire des progrès bien plus décisifs.
Le progrès ne peut être le même en toutes choses : il
est clair que les humains impuissants à changer les conditions naturelles
de leur vie physique; les périodes d'enfance, de jeunesse, de maturité
et de vieillesse, que cette vie peut contenir, sont au-dessus de leur volonté,
et il ne dépend pas plus d'eux de grandir que d'atteindre à
un âge avancé. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est de donner
par l'exercice à leurs membres la souplesse et la force, et de concourir
à leur santé par une hygiène bien entendue.
Dans le domaine des
lettres et des beaux-arts, qui dépendent de l'inspiration individuelle,
le travail d'un humain ne petit aussi ajouter que fort peu de chose à
celui de ses devanciers : il serait difficile, par exemple, de soutenir
qu'il y a de plus grands poètes qu'Homère,
de plus grands philosophes que Platon, de plus
grands orateurs que Démosthène,
de plus grands sculpteurs que Phidias.
Lorsqu'il s'agit de progrès littéraire et artistique, on
ne doit pas songer aux individus, sous peine d'engager d'insolubles querelles,
comme celle qu'on soutint autrefois sur les Anciens et es Modernes. II
en est autrement des sciences et des arts industriels : il y a là
des principes reconnus, des faits acquis, des
procédés éprouvés, dont la tradition se transmet
d'âge en âge, et qui, dispensant d'entreprendre les mêmes
recherches et les mêmes expériences, permettent de marcher
toujours à des conquêtes nouvelles.
Quant au progrès
non seulement une société pendant le cours de son existence,
mais encore des sociétés successives les unes sur les autres,
il est de toute évidence: le progrès de la Grèce sur
l'antique Orient et des temps modernes sur la société gréco-romaine
est manifeste dans les institutions politiques, dans les conditions de
la vie sociale, dans l'industrie, dans les sciences. Ceux qui contestent
ce progrès objectent que les génies des temps modernes ne
surpassent point ceux de l'Antiquité : il en peut être ainsi;
mais c'est dans la société en général qu'il
faut chercher la trace d'un perfectionnement continu, et l'on ne saurait
nier que la diffusion des lumières est plus grande, le niveau commun
des intelligences plus élevé au XIXe
siècle que pendant le Moyen âge.
On dira, pour combattre
la doctrine du progrès, que la civilisation était plus avancée
dans les derniers temps de l'Empire romain que durant les siècles
qui suivirent sa ruine; ce fait est incontestable : mais on ne peut rien
conclure d'un tel rapprochement; de même que l'on ne comparerait
pas un enfant avec un homme parvenu à l'âge mûr, il
n'y a pas rien d'opposer une société qui commence à
une société qui finit. L'humanité peut bien, d'ailleurs,
reculer à certains égards; car, selon la remarque ingénieuse
de Mme de Staël, elle n'avance pas en ligne
droite, mais en spirale. Le Moyen âge, inférieur à
l'Antiquité sur beaucoup de points, la surpasse par d'autres.
Un des personnages
d'Homère disait : "Nous valons mieux
que nos pères, et nos enfants vaudront mieux que nous." Cette
pensée n'avait pas la valeur d'une doctrine, car l'Antiquité
n'a jamais possédé l'idée du progrès et de
la perfectibilité humaine (sauf peut-être si l'on se tourne
vers la "théorie" des âges d'Hésiode,
qui il est vrai envisage plutôt une décadence qu'un progrès).
Peut-être n'existait-il pas derrière elle une assez grande
quantité de faits dont l'observation pût lui révéler
le lien qui les unissait et les faisait concorder tous vers un même
but. D'ailleurs, les Anciens avaient une préoccupation trop vive
de l'influence qu'exerçaient les individus dans la vie sociale,
pour n'être point détournés de chercher la loi des
événements; ils étaient animés d'un égoïsme
de cité, qui ne tenait aucun compte des nations étrangères
dans le tableau des destinées humaines.
Or, l'idée du progrès exclut tout développement isolé
et indépendant; elle suppose l'humanité, c.-à-d. la
communauté d'organisation, d'affections et de but de tous les humains
entre eux.
On a parfois dit
que c'est au christianisme
que le monde doit cette sympathie
qui a confondu dans une même affection tous les membres de l'espèce
humaine, et qui a pu les faire considérer comme un seul être
vivant à travers les siècles ( St
Augustin, Cité de Dieu ,
X, 14). Au moins, l'idée du progrès
semble-telle bien être une idée forgée dans la société
occidentale (qui n'est pas seulement chrétienne). Elle est aussi
toute moderne. Francis Bacon est un des premiers
qui l'aient hautement exprimée (De Augm. scient., liv. II
et VIII), mais il l'appliqua uniquement à l'histoire des lettres
et des sciences. Pascal
a formulé avec une admirable précision la loi
de la perfectibilité, lorsqu'il a traité De l'autorité
en matière de philosophie : il s'indigne que l'on puisse croire
que les Anciens ne nous ont plus laissé de vérités
à connaître, et, distinguant nettement les vérités
qui dépendent de la religion
et celles qui dépendent des sens et du raisonnement,
il déclare que les premières ne peuvent être changées
et augmentées par les humains. La loi de la perfectibilité
lui sert, non pas à nier le christianisme - supposé révélé
et immuable -, mais à établir les limites respectives de
la religion et de la science. II déplore l'aveuglement des gens
qui repoussent les découvertes physiques au nom de l'autorité,
et innovent au nom de la raison dans les vérités
religieuses.
L'idée du
progrès ne se présente pas chez Malebranche
avec l'étendue et l'originalité qu'elle possède dans
Pascal
: elle naît du sentiment da supériorité
que donnait aux humains du XVIIe siècle
un magnifique mouvement des lettres, des arts et des sciences; elle est
plutôt l'expression de l'orgueil des Modernes qui se révolte
contre l'Antiquité, que la conscience d'une loi. C'était
une des vérités dont Leibniz était
le plus convaincu, que, dans la nature, tout est
nécessairement enchaîné, progressivement gradué.
II est le premier qui ait formulé l'idée du progrès
par la loi de continuité; cette
formule, généralisée depuis, a joué un grand
rôle dans les systèmes panthéistes
modernes; elle a enfanté l'unité
continue de Geoffroy Saint-Hilaire
et le progrès continu des rédacteurs de la Revue encyclopédique.
Charles
Perrault est, après Pascal, celui qui a eu la conscience la
plus claire et la plus large de la loi de perfectibilité : il développa
ses idées à l'occasion de la querelle sur les Anciens et
les Modernes; mais, à la différence de Pascal, qui se gardait
de conclure du monde physique au monde moral, et d'appliquer à la
religion sa loi de la marche des sciences, il généralisa,
et confondit sous une même loi la vie terrestre et animale, la vie
de l'humanité, auxquelles il reconnaissait des âges successifs
d'enfance, de jeunesse de virilité et de vieillesse. Vico
imagina trois âges de développement dans la vie de chaque
peuple; mais il parut méconnaître le progrès des peuples
les uns sur les autres ( Philosophie
de l'Histoire).
C'est à Turgot
qu'appartient le mérite d'avoir donné à l'idée
du progrès toute son importance : il l'a présentée
avec la puissance absolue d'un axiome, et en a
fait l'application la plus nette à l'histoire,
à la politique, à la morale, aux
religions ,
à l'industrie, aux lettres; aux sciences, aux arts, en un mot à
toutes les manifestations de l'activité humaine. Désormais
la philosophie possède une formule
claire et précise, féconde en applications. L'Allemagne l'emprunte
à la France : Kant proclame à son
tour que les phénomènes sociaux,
comme tous les autres phénomènes de la nature,
peuvent être ramenés à des lois;
Herder,
avec la magie de sa magnifique imagination et l'enthousiasme de sa belle
âme, embrasse l'histoire universelle au point de vue de la perfectibilité,
mais il se laisse aller, avec
Bonnet, à
un système de transformation progressive. des êtres ( Palingénésie)
qui fait que son histoire de la création entière est un panthéisme
confus, où l'humanité n'a que la vie fatale d'un des règnes
de la nature; Lessing, partant de cette idée
que, les religions doivent se modifier à mesure que l'humanité
se transforme, n'accorde aux révélations de l'Ancien Testament
et de l'Évangile
qu'un caractère transitoire, et prophétise, au nom de la
perfectibilité, une révélation nouvelle. Par un autre
genre de racourci, Condorcet a soutenu qu'il
n'existe pas de terme assignable au progrès humain : pour lui, les
facultés de l'homme doivent se perfectionner indéfiniment,
les maladies disparaître, la vie se prolonger, l'égalité
parfaite s'établir entre les nations, entre les classes, et même
entre les sexes, une langue universelle servir de lien à tous les
peuples, et finalement l'homme atteindre à l'immortalité
sur une terre immortelle. Telle est la marche qu'a suivie l'idée
du progrès dans les temps modernes. (B.).
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Collectif,
L'humain,
l'humanité et le progrès scientifique, Dalloz-Sirey,
2009.
2247086225
"Enfant
à la carte", clonage humain, médecine régénérative,
nanotechnologies, immortalité, etc. Ces solutions proposées
par les technosciences nous invitent à nous questionner non seulement
sur la conception, la représentation et la place de l'être
humain dans la nature et dans l'univers, mais aussi sur le rôle du
progrès scientifique : est-il toujours au service de l'humain? Ou
bien l'homme tendrait-il à devenir le jouet de ce progrès?
L'humanité serait-elle captive des biotechnologies ? Quelles sont
les limites éthiques à poser? Avant tout, la première
question à envisager dans ce contexte n'est-elle pas " Et l'Homme
dans tout ça? ", comme le fait Axel Kahn dans son ouvrage éponyme?
Cet ouvrage est le fruit des discussions du huitième séminaire
d'experts de l'Institut international de recherche en éthique biomédicale
(IIREB). Les contributeurs de divers horizons et disciplines ont été
choisis pour fournir une approche multidisciplinaire des rapports entre
la personne humaine et le progrès scientifique. Ces experts nous
font partager leurs questionnements, leurs appréhensions et leurs
réflexions.
Marc
Augé, Où
est passé l'avenir? Panama, 2008. - Durant
des siècles et des siècles, le temps fut porteur d'espoir
pour les sociétés humaines. On attendait que l'avenir apporte,
selon les cas, apaisement, évolution,
maturation, progrès, croissance ou même révolution.
Ce n'est plus le cas. L'avenir semble avoir disparu. Un présent
immobile s'est abattu sur le monde, désactivant l'horizon de l'histoire
aussi bien que les repères temporels des générations.
D'où provient cette éclipse du temps? Pourquoi l'avenir s'est-il
évanoui, dans les consciences individuelles comme dans les représentations
collectives? Existe-t-il des remèdes, ou des issues de secours?
Pour répondre à ces interrogations, Marc Augé scrute,
avec précision et clarté, les dimensions multiples de la
mondialisation, notamment ses aspects politiques, scientifiques, symboliques.
Il éclaire ainsi à mesure les racines de la crise actuelle
de la temporalité, et indique une solution d'espoir. (couv.).
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