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Histoire de Samos
[Géographie de Samos]
Peuplée dès le Néolithique, l'île de Samos, hébergea ensuite, tour à tour, des Cariens, des Lélèges, et des Ioniens venus d'Epidaure. L'île appartint à la confédération ionienne et lui fournit ses plus habiles constructeurs de navires et ses hardis marins; Colaeus de Samos fut le premier Grec qui franchit les colonnes d'Hercule. Les poteries rouges de Samos furent réputées durant toute l'Antiquité. On vantait également les fruits, les roses de Samos et les bois de construction des pentes de la montagne. Le marbre, plus friable que celui de Paros, était pourtant apprécié. L'architecture et l'art plastiques furent très développés dès le VIIe siècle; plus tard, Rhoekos (Rhoecus), Theodoros et leurs élèves perfectionnèrent la fonte du bronze, le travail des pierres précieuses, etc. (La civilisation antique à Samos).

Le tyran Polycrate fut au VIe siècle chef du plus puissant Etat maritime de la mer Egée, allié d'Amasis, roi d'Egypte; indépendant des Perses, il repoussa une attaque des Spartiates et des Corinthiens. Il succomba à la trahison, et son frère Syloson amena une armée perse qui saccagea l'île. On la voit ensuite dans la fédération navale présidée par Athènes; elle s'insurge contre celle-ci et il fallut pour la réduire une grande expédition ou commandait Périclès. En 412, Samos est l'asile des démocrates chassés d'Athènes. Alcibiade en part pour chasser les oligarques (La rivalité d'Athènes et de Sparte). Samos demeure le quartier général de la flotte athénienne durant les années suivantes. Elle fut ensuite occupée par les divers maîtres de la mer Egée, les Ptolémées, les Séleucides, Mithridate, annexée en 84 av. J.- C. à la province romaine d'Asie. Auguste y hiverna après Actium. Elle redevint libre jusqu'à Vespasien et plus tard forma avec Rhodes, Cos, Chios, la province des Iles. Elle donna ensuite son nom à un thème byzantin comprenant Ephèse et Adramythium.

En 1550, les Turcs la pillent, et Selim la fait coloniser par le capitan pacha Ochiali (Le siècle de Soliman). Morosini la dévasta. Elle se distingua dans la guerre de l'Indépendance; le 17 août, la flotte et l'armée rassemblées à Mycale par Tahir-pacha pour envahir l'île furent dispersées par Canaris. L'île était gouvernée par le logothète Lycurgue. Elle fut cependant laissée à la Turquie par le protocole de Londres (1827); mais elle refusa de se soumettre et on finit le 11 décembre 1832 par lui concéder son autonomie, sous la garantie de la France, de la Russie, de l'Angleterre, moyennant un tribut de 67 500 F par an payé à la l'Empire ottoman. Elle eut alors pour capitale, Vathy et fut gouvernée par un prince grec non héréditaire, nommé par la Turquie, assisté d'une chambre de 26 députés élus par les Samiens. Le premier prince fut le Grec phanariote Etienne Vogoridès, qui résidait à Istanbul et faisait administrer Samos par un gouverneur. C'est seulement en 1913, que Samos sera rattachée à la Grèce.

Les temps anciens; colonisation de l'île de Samos

Entre traditions mythologiques et histoire.
Autrefois, dit un vieux mythe conservé par Héraclide de Pont, Samos était déserte; et il ne s'y trouvait que des monstres, appelés Néados, dont les mugissements faisaient trembler et brisaient le sol. Eustathe dit positivement que Samos était déjà habitée avant l'arrivée des Hellènes par des Pélasges, et que Héra était révérée dans cette île sous le nom de Pélasgia.

Selon des traditions mêlées de mythologie, Macarée, l'un des Héliades, chassé pour le meurtre de son frère de la ville d'Olénum en lonie (plus tard Achaïe), dans le Péloponnèse, se fixa sans obstacle à Lesbos; une colonie, venue de Thessalie, le rejoignit, et permit à son fils, Cydrolaüs, de prendre possession de Samos. Cette île fut partagée entre les conquérants, et, comme toutes celles où domina le famille de Macarée, porta le nom d'île des Bienheureux. A la même époque, ou peu de temps après, l'oracle d'Apollon lui envoya son second et son véritable fondateur. De Périmède, fils d'Oïnée, Phénix eut deux filles, Astypalée et Europe; la première devint l'épouse de Poséidon, et lui donna un fils , Arcée, qui fut roi des Lélèges; à son tour Ancée épousa Samia, la fille du fleuve Méandre, et il en eut Enudus, Samus et Halitherse. Ce roi des Lélèges peuple uni par le sang aux Pélasges ainsi que les Cariens, et qui porta de même ses émigrations dans l'Asie Mineure, avait fondé un établissement dans l'île de Céphallénie, et lui avait donné le nom de Samos, lorsque les dieux lui envoyèrent cet ordre  :

« Aracée, je veux qu'au lieu de Samos tu ailles habiter une île qui portera le même nom; aujourd'hui on l'appelle Phyllé. »
Il partit avec des Céphalléniens, auxquels se joignirent des Arcadiens, des Thessaliens et des Ioniens, se fixa dans le séjour que lui avait indiqué l'oracle, donna à l'île le nom qui lui est resté, fonda la ville d'Astypalée en mémoire de sa mère, développa la culture de la vigne et l'agriculture, et ne quitta l'île que pour se joindre aux héros conquérants de la Toison d'Or. Après lui régna son fils, soit qu'il fût né dans le pays, soit qu'il y fût venu avec une colonie de Céphalléniens et d'habitants d'Ithaque. C'est à cette époque, dont l'histoire est bien incertaine , qu'il faut rapporter la domination des Cariens dans l'île : la plupart des auteurs mentionnent ce fait; ils disent même que la domination carienne fut la plus ancienne à Samos, mais sans nous apprendre s'il y eut irruption violente ou accord et partage amical entre les Ioniens de Cydrolaüs et les Lélèges d'Ancée. 

Si l'on veut arriver aux faits bien positifs de son histoire, il faut descendre jusqu'au temps du grand établissement des Ioniens en Asie Mineure. Vers l'an 1188 avant J.-C., les Ioniens chassés de l'Egialée avaient cherché un refuge dans l'Attique. A la mort du roi Codrus, cinquante ans environ après leur établissement dans ce pays, Médon, l'un des fils du dernier roi, favorisé par la Pythie, ayant été nommé archonte, ses frères allèrent fonder diverses colonies. L'un d'eux, Nélée, se rendit d'abord à Naxos, puis dans l'Asie Mineure, et, après avoir triomphé de la résistance des Cariens, fonda la ville de Milet et les autres cités de la confédération Ionienne. 
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Les colonies de Samos

Le nombre et l'importance des colonies de Samos prouvent, mieux que tout autre témoignage, l'activité et l'étendue de son commerce, et montrent que les Samiens méritaient peut-être plus que les Phocéens d'être considérés comme les premiers navigateurs de la Grèce. 

La première colonie samienne fut celle de Samothrace, fondée lorsque Androclès, roi des Éphésiens, eut chassé Léogoras, fils de Proclès, vers 1100 avant J.-C. Une génération après l'établissement des Ioniens en Asie Mineure, des Samiens dépossédés par l'établissement de ce prince se réfugièrent dans cette Île, et changèrent son nom de Dardanie en celui de Samos de Thrace. Antipbon dit à ce sujet :

« Les anciens habitants de l'île, dont nous descendons, étaient Samiens. Ce fut la nécessité, non le bon plaisir, qui les conduisit dans leur second séjour. Un tyran les avait chassés de leur patrie; après avoir exercé des pirateries sur la côte de Thrace, ils s'emparèrent de Dardanie. » 
Le géographe Mélétius ne semble pas attribuer à ce fait historique la colonisation de Samothrace; car il dit que les habitants de cette île ayant été, secourus par les Samiens dans une disette, leur accordèrent en reconnaissance

le droit d'envoyer chez eux une coIonie. Samothrace à son tour répandit une partie de sa population sur les rivages voisins.

Anaea, cette ville  dont le nom apparaît souvent dans l'histoire de Samos, fut fortifiée à la même époque par Léogoras, qui s'y était réfugié. Elle devint depuis ce temps la retraite de ceux des Samiens qu'avait chassés le parti populaire; et lorsque l'île se mit dans l'alliance et la dépendance des Athéniens, sa colonie, jetée dans le parti contraire, ne cessa de fomenter des troubles dans la métropole et de chercher l'occasion d'y faire naître une révolution oligarchique. 

"Anaea, dit Étienne de Byzance, est située sur la côte de Carie, en face de Samos; son nom lui vient de l'amazone Anaea, qui y avait été nourrie, au dire d'Ephorus l'Anéen. A cette ville appartient l'illustre péripatéticien et historien Ménélas. »
La fondation de Périnthe doit remonter à la même époque. Les témoignages de Plutarque et de Scymnus de Chios ne permettent pas de douter que cette ville ait été une colonie samienne. Elle parvint à un degré assez élevé de prospérité et de puissance; son alliance avec les Athéniens et sa résistance aux armes de Philippe sont les principaux événements de son histoire.

A vingt milles de Périnthe, vers le sud, était Bisanthe, autre colonie de Samos, et lieu de naissance du poète élégiaque Phaidimus. Cette ville a pris plus tard le nom de Rhaidestos. Les avantages de sa position la conservèrent dans un état prospère, malgré les révolutions et les siècles; et lorsque Pococke visita les côtes de Thrace, il retrouva la colonie samienne toujours riche en vins et en blés, et encore assez florissante sous le nom de Rhodosto. 

Les Samiens paraissent avoir affectionné les côtes fertiles de la Thrace; ils y fondèrent encore, à une époque incertaine, entre Bisanthe et Périnthe, Héraeum-Tichos (cité d'Héra); cette ville était un comptoir samien, qui avait un temple consacré à la déesse protectrice de Samos.

Vers 625, Amorgos, île des Cyclades, habitée par des Naxiens, reçut une colonie que le grammairien Simmias amenait de Samos, son île d'origine. La Lybie fut aussi fréquentée par les Samiens. Ils fondèrent dans la grande Oasis une ville qui « appartient, dit Hérodote, à la tribu d'Eschrion, et se trouve à sept journées de Thèbes par le désert; ce lieu porte le nom d'île Fortunée ».

De Mycale à Ephèse le rivage asiatique appartenait à Samos; les Éphésiens lui avaient cédé la petite ville de Néapolis en échange de Marathésium. En Cilicie, elle avait fondé, en face de l'île de Cypre, Nagidos et Celendris, qui passaient pour les plus anciennes villes de cette contrée. Les Samiens exilés qui sous Polycrate avaient inutilement tenté de rentrer par force dans leur patrie fondèrent Cydonie (La Canée) en Crète. lis consacrèrent dans cette île un temple à Artémis-Dictynne. Pendant six années leur établissement fut prospère; mais au bout de ce temps les Éginètes, qui n'avaient pas déposé leur vieille inimitié contre les Samiens, vinrent les attaquer; vaincus dans un combat naval, les habitants de Cydonie allèrent demander à l'Italie une troisième patrie; ils se retirèrent en Campanie à Dicoearchia,qui devint plus tard Putéoli ou Pouzzoles (318 avant J.-C.).

Zancle fut la dernière colonie samienne. Thucydide et Hérodote ne s'accordent pas avec Pausanias au sujet de la fondation de cette ville. Thucydide dit que Zancle fut d'abord habitée par des brigands de Cume en Eubée, puis par d'autres colons du même pays; plus tard les Samiens et d'autres Ioniens, qui fuyaient la domination des Perses, chassèrent ces premiers possesseurs, et se mirent à leur place. Dans Hérodote les faits sont plus circonstanciés : après la bataille de Lada, dit-il, ceux des Samiens qui ne voulaient pas retomber sous le joug d'Eacès se rendirent à l'invitation que les Zancléens avaient faite aux Ioniens de venir à Calacte pour y bâtir ensemble une ville; quand ils arrivèrent en Sicile, ils apprirent que les habitants de Zancle étaient, avec leur roi Scythès, occupés au siège d'une ville voisine. 

Anaxilas, tyran de Rhégium, alors en guerre avec les Zancléens, engagea les Samiens à abandonner leur projet d'établissement à Calacte, et à s'emparer de Zancle, alors sans défenseur. Ce conseil plut aux Samiens; avertis de cette perfidie, ceux de Zancle appelèrent à leur secours Hippocrate, tyran de Géla. Ce prince accourut; mais il fit mettre aux fers le roi de Zancle et son frère, et les livra aux Samiens avec trois cents des principaux de la ville. Les dépouilles furent partagées de la sorte la campagne et ses productions avec la moitié des meubles et des esclaves fut livré à Hippocrate, le reste appartint aux exilés de Samos. La mauvaise foi et la trahison des Samiens furent punies; ils occupèrent quelque temps Zancle d'accord avec Cadmus, fils du roi dépossédé. Mais Anaxilas , tyran de Rhégium, les chassa en partie, ouvrit la ville à des hommes de toute origine, et, en souvenir du pays de ses ancêtres, lui donna le nom de Messène.

Pausanias nous offre encore un récit différent. Il reporte à une époque beaucoup plus ancienne les ravages exercés par des pirates sous les ordres de deux chefs, Cratémène de Samos et Périérée de Chalcis; il suppose l'existence de deux Anaxilas, dont le premier aurait vécu au temps de la deuxième guerre de Messénie. Ce tyran de Rhégium avait, dit-il, appelé les Messéniens, chassés de chez eux, au secours de Zancle, pressée par les pirates, et les Messéniens vainqueurs se seraient établis dans la ville et lui auraient donné leur nom. Selon cette version, Zancle n'est pas une colonie de Samos; un chef de pirates, seul, est Samien.

Tembrion et un descendant de Xuthus, Proclès, fils de Pityrée, se détachèrent du corps principal, que conduisait Nélée, et descendirent dans l'île de Samos. Les Cariens qui l'habitaient paraissent leur avoir opposé moins de résistance que ceux du continent. Bientôt un accord fut conclu, en vertu duquel l'île et même la ville principale (Samos) étaient partagées entre les anciens habitants et les nouveaux venus. Une partie de la ville prit du fleuve Chésius le nom de Chésie, l'autre conserva la dénomination antique d'Astypalée. Les Ioniens fondèrent en Asie Mineure et dans les îles de Chios et de Samos leurs douze ou, selon Vitruve, leurs treize villes , en souvenir de leur séjour dans le Péloponnèse; puis ils s'unirent par le lien fédératif du Panionium.

Hérodote  (I, 143 et 148) nous apprend que Panionium était le nom d'un temple construit en commun par les douze cités ioniennes, et où tous les ans chacune d'elles envoyait des députés pour régler les intérêts généraux;  il s'élevait sur le mont Mycale, et était consacré à Poséidon Héliconien.
Relations de Samos avec Ephèse et Priène.
Cette institution n'empêcha pas les villes nouvelles de devenir rivales, la mésintelligence ne tarda pas à éclater entre elles; Ephèse et Samos en donnèrent le premier exemple. Les Cariens du continent, massacrés pendant la conquête, réduits en esclavage, voyant leurs femmes et leurs filles devenues la proie des vainqueurs, nourrissaient contre ceux-ci une haine profonde, et cherchaient l'occasion de se soulever. A Samos, au contraire, ils avaient conservé une portion du territoire, et jouissaient des mêmes droits que les nouveaux venus. Ce fut pour Androclès, chef des Éphésiens, le prétexte d'attaquer Léogoras, qui avait succédé à son père Proclès dans la royauté de Samos; il l'accusa de favoriser les Cariens et de méditer une alliance avec eux contre la cause ionienne.

Les Samiens furent vaincus; une partie de cette population, que les vicissitudes de la guerre avaient déjà chassée du Péloponnèse et de l'Attique, s'exila encore une fois, et alla porter à une île située en face des rivages de la Thrace le nom de sa dernière patrie. Mais avec le reste de ses sujets Léogoras résista courageusement à cette fatalité qui semblait avoir condamné son peuple à une destinée errante. Forcé de quitter Samos, il se réfugia sur le continent, se fortifia dans la ville d'Anaea, demandant au pillage des moyens de subsistance, inquiétant Androclès et les Éphésiens. Enfin, après dix années de cette existence, son courage persévérant fut récompensé; à son tour il expulsa les usurpateurs, et put rentrer en possession de la conquête de son père. Ce triomphe des Ioniens de Samos semble avoir resserré les liens d'amitié qui les unissaient aux Cariens.

Priène, l'une des dix villes du continent, attaquée par ces derniers, demanda du secours aux habitants de Samos, au nom de leur commune origine; par dérision, au lieu des vaisseaux et de l'armée attendue, Léogoras envoya une petite barque. Néanmoins, les Priéniens furent vainqueurs; mais une haine implacable s'établit entre eux et les Samiens, et dès ce moment commencèrent des guerres sans fin au sujet des limites du territoire que ceux-ci prétendaient s'attribuer sur le continent.

Renversement de la royauté à Samos.
Après Léogoras, Samos dut continuer à être gouvernée par des rois pris dans la même maison; mais nous les perdons de vue, dans un intervalle de trois à quatre siècles, jusqu'à Amphicrate. Cette période, si elle n'est pas célèbre dans l'histoire samienne, ne fut cependant pas perdue pour l'accroissement des forces de l'île. C'est ainsi que 704 ans avant J.-C. le Corinthien Aminoclès, qui le premier avait donné aux vaisseaux la forme qu'ils conservaient encore au temps de Thucydide, fut chargé par les Samiens de leur construire quatre trirèmes. 

Adonnés à la navigation, héritiers des goûts de piraterie de la nation carienne, les maîtres de Samos apportaient tout leur soin à l'entretien de leur flotte, et ce fut un des premiers peuples qui chez les Grecs se rendirent redoutables sur mer. Amphicrate dès son arrivée au pouvoir (680 ans av. J.-C.) porta la guerre à l'extrémité de la mer Égée, dans l'île d'Égine; et les succès et les revers furent égaux des deux côtés. En même temps que les Samiens recherchaient au dehors a fonder une puissance maritime, au dedans ils étaient agités par des factions; le peuple et les grands menaçaient la royauté. 

Nous ne savons pas si entre les factions rivales il y eut une lutte de longue durée; mais la royauté y succomba, et Amphicrate fut le dernier roi de Samos. Cette île,s'étant déclarée libre, se donna des magistrats appelés Géomores, et il est à présumer que cette révolution ne s'accomplit pas sans violente, puisqu'un grand soulèvement des esclaves répond à ce changement. Mille esclaves se retirent sur l'Ampélus, et y vivent de brigandages. Après six années d'efforts inutiles pour les réduire, leurs anciens maîtres sont engagés par l'oracle à traiter avec eux, et pour s'en délivrer, ils leur abandonnent des vaisseaux, qui les conduisent à Éphèse. Peut-être cette révolte de leurs propres esclaves engagea-t-elle les Samiens à secourir Lacédémone durant la seconde guerre de Messénie

Dans le même temps la guerre éclata avec les Éoliens établis à Lesbos : les Samiens commencèrent les hostilités; mais leur gouvernement, encore mal affermi, souffrit de cette expédition : un de leurs généraux, que la faveur du peuple avait porté à cette dignité, Syloson, fils de Callitélès, s'empara de la tyrannie. Peu après ils intervinrent dans un différend entre Chalcis et Érétrie en Eubée, où ils prirent parti pour les Chalcidiens, et Milet pour les Erétriens. Plus tard, nous les trouvons arbitres d'un différend entre Chalcis et Andros au sujet d'Acanthe, que les Andriens obtinrent. Démotélès, qui régnait en 620, périt violemment, et les Samiens revinrent au gouvernement des géomores.

Révolutions intestines.
Mais il semble que l'administration de ces magistrats fut tyrannique; car une révolution liée à une guerre extérieure ne tarda pas à les renverser. Les Mégariens avaient attaqué Périnthe, colonie de Samos, et avant leur expédition s'étaient munis de chaînes pour leurs prisonniers. Les géomores envoyèrent à leur colonie un secours de trente navires sous les ordres de neuf généraux. Deux des navires périrent à l'entrée du port, frappés de la foudre; mais les autres , unis aux Périnthiens, furent victorieux et les Mégariens perdirent six cents prisonniers. Les Samiens de l'expédition armèrent les vaincus, et, revenant à Samos avec ce renfort, massacrèrent les géomores , et leur substituèrent l'autorité populaire. Quelques-uns des Mégariens obtinrent le droit de cité, et les chaînes qu'on avait mises sur eux et qui leur avaient servi, furent à cette occasion consacrées dans un édifice particulier, qu'on appela Pédétès. Le gouvernement du peuple n'eut pas une longue durée. Les guerres qu'il entreprit ne furent pas toujours heureuses : depuis déjà longtemps les hostilités étaient engagées sur la terre ferme avec Priène; les Samiens éprouvèrent un grand revers, et perdirent mille hommes dans un combat.

Entreprises des Samiens.
Peu après cependant ils eurent leur revanche. Les plus nobles et les premiers de Priène succombèrent en un lieu appelé le Chêne, et cette calamité laissa de longs souvenirs dans l'esprit des Priéniens; le sage Bias parvint seul à rétablir la paix entre les villes rivales. Au milieu de toutes ces guerres, la vie des Samiens était redevenue une vie de pirates, et dans leurs relations extérieures, comme sur la place publique, leur seule règle de conduite semblait être la force et le caprice. Ils s'emparèrent d'un présent que le roi d'Égypte Amasis destinait aux Lacédémoniens. 

« C'était un magnifique  corselet de lin, orné de figures d'animaux tissées d'or et de coton; chacun des fils de cet ouvrage était à lui seul un chef-d'oeuvre de patience et de délicatesse. » (Hérodote, III, 47).
Ils ravirent ensuite le cratère que les Lacédémoniens offraient à Crésus en retour d'un riche présent qu'ils avaient reçu de ce prince. Périandre, le célèbre et puissant tyran de Corinthe, n'avait pas été moins outragé. Voulant se venger des Corcyréens, qui avaient fait périr son fils Lycophron, il avait envoyé au roi de Lydie, Alyatte, trois cents enfants des principaux citoyens de l'île pour en faire des eunuques. Le navire qui les conduisait ayant relâché à Samos, les Samiens, instruits du dessein de Périandre, entraînèrent les jeunes garçons au temple d'Artémis, leur firent embrasser l'autel en suppliants; et comme les Corinthiens du navire s'opposaient à ce qu'on leur portât à manger,
ils instituèrent pour eux une fête sacrée, où les gâteaux du sacrifice leur servirent de nourriture; puis quand les Corinthiens se furent rembarqués, ils reconduisirent les enfants dans leur pays.

Histoire du tyran Polycrate.
La liberté dans laquelle vivaient les Samiens offrait trop de prise à la tyrannie pour subsister longtemps; l'un des hommes les plus fameux de l'antiquité la renversa : ce fut Polycrate, qui, autant par son génie que par sa fortune singulière, fut, après Pythagore, la plus grande illustration de Samos dans les temps anciens.

Il était fils d'Eacès, et avait deux frères, Pantagnote et Syloson. Les trois jeunes gens, avides de puissance et fiers de leur fortune et de leur crédit, résolurent de satisfaire leur ambition aux dépens de la liberté publique. Ils s'adjoignirent un petit nombre de complices, et choisirent pour l'accomplissement de leur projet la fête d'Héra. Profitant de l'instant où les principaux citoyens, prêts à accomplir le sacrifice, avaient déposé leurs armes à l'autel, ils les égorgent, puis s'emparent des lieux fortifiés, se retranchent dans la citadelle, et avec le secours des soldats de Lygdamis, tyran de Naxos, restent maîtres du pouvoir. Cette usurpation s'accomplit la quatrième année de la cinquante-neuvième olympiade (541 av. J.-C.), ou, selon Bentley, la troisième année de la cinquante-neuvième (566). Les trois frères se partagèrent d'abord le pouvoir : Polycrate prit le gouvernement de la tribu d'Astypalée, et donna à ses frères celle de Chèse et celle d'Aschrion. Mais leur bonne intelligence ne dura pas longtemps; Pantagnote fut mis à mort, Syloson exilé, et le plus habile des trois fils d'Eacès resta maître de toute l'île.

Les sages mesures que prit Polycrate pour augmenter les forces et le bonheur de toutes ses entreprises étendirent sa réputation dans l'Ionie, chez tous les Grecs et même dans les pays lointains. Le roi Amasis lui accorda une amitié que des présents mutuels cimentèrent. Avant de rien entreprendre, Polycrate avait eu soin de se créer une marine redoutable. Il fit construire des vaisseaux plus larges et plus profonds, et changer la forme de la proue de manière à les rendre plus légers; les navires construits sur ce modèle retinrent le nom de Samènes. Bientôt le tyran eut à sa disposition cent galères à cinquante rames; ses archers étaient au nombre de mille. A la tête de ces forces, il croyait n'avoir personne à ménager; il pillait indistinctement amis et ennemis : un ami, disait-il, me saurait plus de gré si je lui restitue quelque chose, que si je ne lui enlève rien du tout. Les îles voisines de Samos et plusieurs villes du continent furent conquises. Milet semblait alors puissante, Polycrate songea à faire alliance avec elle; mais l'oracle consulté à ce sujet lui répondit : 

« les Milésiens étaient forts autrefois. » 
Le tyran en déduisit que pour la ville ionienne les temps de prospérité étaient finis. Espérant mettre à profit le changement qu'annonçait l'oracle, il attaqua les Milésiens, fut vainqueur, et s'empara d'un corps de Lesbiens venus a leur secours. Ses prisonniers furent employés à creuser les fossés de la ville. Ce succès fut suivi de beaucoup d'autres, dans un grand nombre d'entreprises.

Le roi Amasis, surpris d'un bonheur que rien n'altérait, et songeant à combien de retours et à quelles vicissitudes est sujette la vie humaine, fit part à son allié des craintes que sa trop grande prospérité lui donnait pour l'avenir. Il lui écrivit en ces termes : 

« J'aime à apprendre les succès d'un ami et d'un allié, mais la constance de votre bonheur m'effraye; car je sais combien les dieux sont jaloux. Pour moi et pour ceux que j'aime je préfère des avantages mêlés de revers à une félicité que n'altère aucune vicissitude; car jamais je n'ai entendu parler d'un homme qui ayant été toujours heureux n'ait mal fini. Si vous voulez m'en croire. vous suivrez mon conseil contre votre fortune : voyez ce que vous aimez le mieux, et ce dont la perte vous serait le plus sensible, puis défaites-vous-en à jamais. Si la fortune persiste à vous entourer de ses faveurs sans y mêler de disgrâce, usez de mon remède." (Hérodote, III, 40).
L'avis parut sensé à Polycrate. Parmi ses bijoux les plus précieux, il avait une émeraude enchâssée d'or qui lui servait de cachet; ciselée par le célèbre Théodore, fils de Téléclès, cette émeraude était un chef-d'oeuvre du plus grand prix. Polycrate résolut de s'en défaire; un navire fut équipé, les matelots le conduisirent en pleine mer, et là, le tyran ôtant sa bague, la jeta dans les flots. Mais la fortune n'accepta pas ce sacrifice volontaire; quelques jours après, un pêcheur apporta au palais un gros poisson dans le ventre duquel on retrouva l'anneau de Polycrate. Effrayé d'une félicité si opiniâtre, le Samien recourut de nouveau aux avis de son allié, le roi d'Egypte. Mais Amasis crut sans doute que nul etfort n'arrêterait plus la destinée; car il se borna à rompre son alliance, parce qu'il craignait, ajoute Hérodote, que si quelque grand malheur survenait à Polycrate, il ne fût contraint à le partager en qualité d'ami et d'allié. Diodore attribue cette rupture à une cause plus vraisemblable : il dit que Polycrate, averti de se montrer moins cruel envers ses sujets et de mettre un terme à ses pirateries, méprisa l'avis du roi d'Égypte, et perdit son alliance.

Polycrate était alors au comble de la puissance : parmi tous les Ioniens, ceux de Chios et de Samos avaient seuls résisté aux armes de Cyrus, qui, n'ayant pas encore soumis la Phénicie, ne put entreprendre aucune expédition maritime. Polycrate osa s'attaquer au vainqueur de l'Asie. Les détails de cette guerre, consignés dans un livre qui a péri, ne nous sont pas parvenus; mais elle fut longue, et il paraît que, dans les hostilités, le temple d'Héra fut détruit. Toutefois, comme les Perses manquaient de marine, les principaux combats durent avoir lieu sur le territoire continental des Samiens.

Les guerres extérieures ne firent rien oublier à Polycrate de ce qui pouvait contribuer à l'embellissement de l'île et à l'ornement de sa cour. Il est vrai que son contemporain le plus illustre, qu'il avait inutilement tâché de s'attacher, Pythagore, quitta Samos. Mais les artistes de tout genre et les poètes accouraient en foule autour d'un prince qui savait encourager et récompenser le mérite. Anacréon le poète vécut avec lui, dit Strabon, et ses vers sont pleins de son souvenir. Suidas nous apprend que le poète lyrique Ibyeus, de Rhégium, passa à sa cour plusieurs années. Le Crotoniate Démocède, le plus habile médecin de cette époque, reçut deux talents pour une seule année de ses services à Samos. Les peintres, les musiciens, tous ceux qui pouvaient contribuer à l'embellissement des temples ou des palais du tyran, étaient retenus à grands frais. Afin de vaincre plus facilement la haine des Samiens pour sa domination, il s'efforça d'adoucir leurs moeurs; il les habitua à la vie dissolue des Lydiens; entre autres institutions singulières, il réunit dans une ruelle de la ville, appelée Laura, des femmes renommées pour leur galanterie et pour leur beauté.

Au faîte de sa grandeur et de sa fortune, Polycrate, se souvenant qu'il avait dû son élévation à l'intervention heureuse d'un tyran, s'était fait le protecteur de ceux qu'avait renversés du trône quelque révolution populaire. C'est ainsi qu'Arcésilas III, roi de Cyrène, chassé par les réformes du législateur Démonax, trouva à Samos un accueil hospitalier, et leva une armée dans l'île pour reconquérir ses États. Les dieux n'étaient pas non plus oubliés dans les largesses de Polycrate : ses soldats allèrent s'emparer au milieu de la mer Égée de l'île de Rhénée, et, sur son ordre, la consacrer à Apollon Délien, après l'avoir jointe par une chaîne à Délos dont elle était voisine. Des jeux magnifiques furent institués à Délos même. Mais, dans sa gloire et sa splendeur, Polycrate ne se rappelait pas sans effroi l'avertissement de son ancien allié, le roi d'Égypte, et déjà de sinistres présages venaient confirmer ses craintes : au sujet des jeux de Délos, il envoya consulter l'oracle pour savoir s'il fallait les appeler Pythiens ou Déliens, et il lui fut répondu ils sont pour toi Pythiens et Déliens. L'oracle lui faisait entendre par là, dit Suidas, que sa fin était prochaine.

Néanmoins, il ne perdait rien de sa puissance. Les efforts de quelques Samiens aidés par Lacédémone pour secouer le joug furent infructueux. Cambyse levait une armée pour porter la guerre en Égypte, Polycrate le pria de lui envoyer demander des troupes, et, choisissant ceux des Samiens qu'il savait le plus portés à la rébellion, il les fit embarquer sur quarante trirèmes, recommandant au roi de Perse de ne jamais les renvoyer à Samos. Ceux-ci allèrent jusqu'en Égypte, et s'en échappèrent aussitôt, ayant appris le sort qui leur était destiné; ou même, car il y a doute sur ce point, arrivés dans la mer de Carpathos, ils refusèrent d'aller plus loin. Toujours est-il qu'ils revinrent vers Samos, rencontrèrent les vaisseaux que Polycrate envoyait contre eux, combattirent, et furent vainqueurs; mais battus sur terre, ils se rembarquèrent et firent voile vers Sparte. Les longs discours de ces Ioniens furent mal accueillis des Spartiates; cependant on se décida à les secourir, moins par égard pour eux que pour punir les odieuses pirateries des Samiens. Une flotte nombreuse se dirigea vers l'île, assiégea la capitale, et la pressa vivement. Mais Polycrate, dans une sortie vigoureuse, secondé par les auxiliaires qui gardaient une tour à l'entrée du port, repoussa les ennemis, les poursuivit, et en fit un grand carnage. Généreux dans cette occasion, il fit faire des funérailles somptueuses à deux Spartiates, Archias et Lycopas, qui avaient trouvé dans le combat une mort glorieuse.

Après quarante jours de siège, les Lacedémoniens n'avaient fait aucun progrès; Polycrate leur distribua une grande quantité de monnaie de plomb doré. Séduits par ce présent, ils se retirèrent vers le Péloponnèse; leurs alliés, restés seuls, s'exilèrent, et après des courses aventureuses à Siphnos, qu'ils mirent à contribution, et à l'île d'Hydrée près du Péloponnèse, ils allèrent fonder en Crète la ville de Cydonie.

Rien ne semblait pouvoir porter atteinte à la prospérité de Polycrate; ses ressources s'augmentaient chaque jour, et il méditait la conquête des îles et de toute l'Ionie. Mais le moment fatal approchait où la fortune allait lui faire expier cruellement son bonheur passé. Orétès, satrape de Lydie, résolut de s'emparer de Samos; il était excité par les railleries de Mitrobate, gouverneur de Dascylium, qui lui reprochait de n'avoir pas le courage d'attaquer une île dont Polycrate s'était emparé avec quelques conjurés; de plus, il était irrité de ce que le tyran, recevant un jour un de ses ambassadeurs, n'avait pas daigné lui répondre ni même se tourner vers lui. Orétès savait combien Polycrate était avide de richesses; il lui fit tenir un message ainsi conçu :

« J'ai appris vos vastes desseins, et je sais que vos ressources n'y répondent pas; suivez un conseil favorable à nous deux : Cambyse veut me faire mourir, donnez-moi une retraite, je viendrai avec mes trésors, que nous partagerons, et vous aurez de quoi conquérir toute la Grèce. Si vous avez quelque doute au sujet de mes richesses, envoyez quelqu'un de confiance, à qui je les montrerai. »
Polycrate envoya son secrétaire Méandrius. Orétès, pour le tromper, fit emplir huit grands coffres de pierres, que l'on recouvrit de pièces d'or. Sur le rapport de Méandrius, Polycrate voulut partir; vainement ses amis et les devins tâchèrent de le retenir. Sa fille, tout en pleurs, lui dit qu'elle l'avait vu dans un songe sinistre suspendu dans les airs, baigné par les eaux du ciel et exposé aux rayons du soleil. Il persista dans sa résolution. Arrivé à Magnésie, il fut saisi par les affidés d'Orétès, mis à mort et exposé en croix (1re année de la 64e olympiade, 524 ans av. J.-C).

Méandrius.
Ceux des Samiens qui avaient accompagné Polycrate furent renvoyés par Orétès. Méandrius, chargé du gouvernement de l'île en l'absence du tyran, réunit aussitôt l'assemblée publique, et, après avoir élevé un autel à Zeus Libérateur, il déclare qu'il n'abusera pas de l'autorité qu'il a dans les mains, qu'il a toujours désapprouvé la puissance que Polycrate s'est arrogée sur ses égaux; il ne demande que six talents des biens du tyran et la charge sacerdotale dans sa famille. Mais l'un des principaux Samiens se lève, lui reproche d'être indigne d'aucune fonction, et lui demande de rendre compte de son administration. Averti des dangers qu'il courait en rentrant dans la vie privée, Méandrius résolut de garder le pouvoir; il se retira dans la citadelle, fit venir les principaux citoyens comme pour leur rendre des comptes, les fit saisir et enchaîner. Puis, comme il était tombé malade, son frère Lycarète, s'emparant de l'autorité, les fit mettre à mort. Mais ni l'un ni l'autre ne devait régner.

Syloson.
Syloson, frère de Polycrate, avait accompagné Cambyse dans son expédition d'Égypte; il s'y était lié d'amitié avec Darius, fils d'Hystaspe, alors simple compagnon du roi, et lui avait fait présent d'une riche chlamyde de pourpre qui avait attiré ses regards. Quand Darius fut devenu roi, il chargea Otanès, un de ses généraux, de conduire Syloson à Samos et de l'y établir. Les troupes perses n'éprouvèrent pas de résistance; Méandrius et ses partisans avaient seulement demandé la permission de se retirer avec la vie sauve. Mais tandis que les Perses étaient assis paisiblement sur la place publique, Méandrius, excité par les discours de l'un de ses frères, Charilée, fait prendre les armes aux troupes enfermées dans la citadelle, ouvre les portes, et tue un grand nombre des Perses les plus considérables. Cependant, les soldats d'Otanès, une fois remis de leur surprise, repoussent facilement les agresseurs.

Méandrius, se voyant perdu, s'enfuit par un souterrain qu'il avait fait pratiquer sous la forteresse, s'embarque avec tous ses trésors, et navigue vers Sparte. Ceux qui ne l'accompagnèrent pas furent passés au fil de l'épée; l'île entière fut ravagée et remise presque dépeuplée entre les mains de Syloson. Les cruautés de ce nouveau tyran firent encore périr ou forcèrent à l'exil un grand nombre de Samiens, et c'est alors que naquit ce proverbe : « Syloson nous a mis au large ». Les esclaves furent admis à repeupler l'île, et inscrits moyennant cinq statères dans la classe des hommes libres. Otanès lui-même, averti par un songe et tourmenté par une maladie, lui envoya de nouveaux habitants de l'île de Lemnos et d'Antandros, de Chalcédoine et de Byzance. Syloson, avancé en âge, ne dut pas gouverner longtemps; on n'a aucun détail sur sa fin, qui arriva vers 520.

Éacès.
Syloson eut pour successeur son fils Éacès. Celui-ci se trouva du nombre des Grecs auxquels fut confiée la garde du pont de l'lster, lors de l'expédition des Perses en Scythie, et il mérita la faveur de Darius en prenant parti pour Histiée de Milet contre Miltiade, qui voulait que le pont fût détruit. Il savait bien que si Darius périssait, l'Ionie pourrait recouvrer sa liberté, mais que les tyrans, n'ayant plus d'appui, seraient renversés. Il ne put cependant pas empêcher ses sujets de se déclarer pour les Ioniens révoltés. Aristagoras, peu satisfait du secours qu'il leur portait à regret, le renversa, et l'obligea à fuir auprès de Darius.

Samos pendant la révolte d'Ionie.
Dès ce moment Samos, reconstituée en démocratie, prit une part active à la rébellion de l'Ionie, et se distingua particulièrement dans le combat naval qui se livra au large de Chypre, et où les Ioniens restèrent vainqueurs de la flotte phénicienne. Lorsque l'Ionie fut menacée directement, les Samiens fournirent soixante vaisseaux à la flotte qui devait défendre Milet assiégée. Après les cent voiles de Chios et les soixante-dix de Lesbos, c'était le plus fort contingent de la flotte, qui tout entière se montait à trois cent cinquante-trois trirèmes. Mais cette fois, au lieu de s'illustrer comme dans le précédent combat, ils trahirent la cause commune. Leur ancien tyran était venu, à l'instigation des généraux perses, les provoquer à abandonner leurs alliés. Fatigués de la discipline rigoureuse que leur imposait le Phocéen Denys, commandant de la flotte, ils écoutèrent les propositions d'Éacès, et dans l'engagement général tous les capitaines de vaisseau, à l'exception de onze, quittèrent la ligne de bataille et s'enfuirent vers Samos. Leurs compatriotes accueillirent mal cette lâcheté :  contenus par les Perses, ils ne la punirent pas, mais ils gravèrent sur une colonne les noms de ceux qui avaient courageusement combattu. Plusieurs des habitants de l'île, dans la prévision du retour d'Éacès et de ses vengeances, s'exilèrent; ils acceptèrent la proposition que les habitants de Zancle en Sicile avaient faite aux Ioniens de bâtir une ville sur le territoire qui leur appartenait. Ceux qui demeurèrent subirent de nouveau le joug d'Éacès, ramené par les Phéniciens; au reste, ils durent à leur trahison d'être les seuls des Ioniens dont les temples et les monuments fussent épargnés. Le tyran rétabli par les Perses fut renversé par eux : Mardonius en passant par l'Ionie, lorsqu'il porta la guerre en Grèce, abolit toutes les tyrannies.

Samos pendant les Guerres médiques.
A l'époque des guerres Médiques, on voit Samos se diviser en deux partis : les citoyens riches et puissants tiennent pour les Perses, le peuple tend à favoriser la cause de la Grèce. Les Samiens, avec les autres Ioniens, furent contraints de fournir aux Perses l'équipage de cent vaisseaux. La veille de la bataille de Salamine, ils envoyèrent un messager a Thémistocle pour l'avertir des plans de l'ennemi, et lui promettre de faire défection le lendemain; mais deux de leurs chefs, Théomestor et Phylacus, combattirent pour les Perses avec une ardeur qui les fit distinguer. Théomestor obtint la tyrannie de sa cité en échange de ses services. Il n'en jouit pas longtemps. Après la victoire de Salamine les Samiens témoignèrent de plus en plus de leur sympathie pour les Grecs. L'armée navale des Perses, forte de deux cents navires, s'était retirée dans leurs ports; ils rachetèrent de leur argent cinq cents Athéniens qu'elle amenait prisonniers, les retirèrent et leur fournirent les moyens de retourner chez eux. Puis, à l'insu des Perses et de Théomestor, ils députèrent vers la flotte grecque, qui se tenait à Délos sans oser s'aventurer plus loin; leur ambassadeur Hégésistrate détermina par ses instances le commandant Léotychide à s'avancer jusqu'à Mycale, où, bien que désarmés, ils secondèrent leurs alliés de tout leur pouvoir. La victoire que les Grecs remportèrent délivra les Samiens de leur tyran. Les confédérés, reconnaissant la difficulté de protéger d'une manière efficace les Ioniens, eurent la pensée de les transporter en Grèce pour les y établir, à la place des peuples qui avaient soutenu l'invasion des Perses; mais les Athéniens s'opposèrent à ce qu'on déplaçât leurs colonies; les habitants de Samos conservèrent leur île, et après avoir prêté le serment entrèrent dans l'alliance grecque. Pausanias, que les Spartiates avaient mis à la tête de la flotte confédérée, se rendit odieux aux insulaires, qui recoururent à la protection des Athéniens, et leur déférèrent le commandement. Aristide conduisit les Samiens contre Byzance; en même temps ils prirent part aux succès par lesquels Cimon assurait leur indépendance. Le traité de 449 leur garantit la jouissance de leur liberté et la faculté de se gouverner selon leur désir.

Samos sous la domination d'Athènes. 
Les faits qui suivirent donnent à penser qu'ils se constituèrent en oligarchie. Dès ce moment dans l'histoire intérieure de Samos nous retrouvons une lutte continuelle entre les deux éléments aristocratique et populaire; dans l'histoire extérieure, le renouvellement de la guerre avec les autres Ioniens, puis avec la métropole. Le commerce et l'industrie prirent à ce moment chez les Samiens un développement considérable; leurs richesses s'accrurent, leur puissance maritime devint telle que peu s'en fallut, de l'aveu de Thucydide, qu'Athènes ne perdit l'empire de la mer. Tant de prospérité inquiéta les îles voisines, moins favorisées de la fortune, et surtout Athènes, d'autant plus jalouse que Samos était sa colonie; elle résolut de s'opposer à cette extension de forces, et l'occasion de le faire ne tarda pas à s'offrir.

Le différend éternel de Samos au sujet des terres qu'elle tenait auprès de Priène se renouvela avec les Milésiens. qui furent vaincus. Ils recoururent à Athènes; celle-ci, au nom de ses droits de métropole, intervint avec empressement; mais les Samiens refusèrent de cesser les hostilités et de soumettre le différend à l'arbitrage des Athéniens. Cette désobéissance et d'autres motifs, auxquels nous trouvons mêlé le nom de la célèbre Aspasie, firent éclater la guerre. Voici quelques lignes du récit de Plutarque à ce sujet : 

« Périclès fit décerner la guerre contre ceux de Samos en faveur de ceux de Milet, à la requête d'Aspasie, à cause que ces deux cités avaient guerre ensemble pour la ville de Priène, et étaient les Samiens les plus forts : mais les Athéniens leur commandèrent qu'ils eussent à laisser la voie des armes et à venir plaider leur différent devant eux pour leur en être fait droit : ce qu'ils ne voulurent faire. Par quoi Périclès y alla, et y abolit le gouvernement du petit nombre de la noblesse, prenant pour otages cinquante des principaux personnages de la ville et autant d'enfants, lesquels il mit en dépôt en l'île de Lemnos. »
Ces otages et le Perse Pissuthnès, qui leur était attaché, voulurent séduire l'Athénien à prix d'argent; mais il se montra incorruptible. Cependant les Samiens recouvrèrent leurs otages, grâce à Pissuthnès, et se révoltèrent. Périclès retourna vers eux; ils firent courageusement tête au péril, et il y eut une bataille navale près de l'île de Tragia Périclès avec quarante voiles fut vainqueur des ennemis, qui en avaient soixante-dix, et, poursuivant sa victoire, il assiégea les Samiens dans leur ville. Ceux-ci résistèrent, et firent des sorties fréquentes. Un renfort survint à Périclès; il quitta le siège, et fit voile vers la haute mer, à la rencontre de plusieurs navires phéniciens qui venaient au secours de Samos. Mais pendant son absence Mélissus, général des Samiens, fit une sortie contre les navires restés au siège de la ville; les Athéniens furent battus, perdirent plusieurs vaisseaux, et les assiégés purent s'approvisionner. Dans leurs précédentes victoires les Athéniens avaient imprimé une samène sur le front de leurs prisonniers; en représailles, les Samiens marquèrent d'une chouette ceux des Athéniens qu'ils avaient pris.

A la nouvelle de la défaite de ses lieutenants, Périclès accourut. Melissus s'avanca à sa rencontre, et fut repoussé; l'Athénien le suivit, et convertit le siège en blocus. Mais l'impatience de ses soldats ne put s'accommoder de tant de lenteur, et on livra à la ville des assauts fréquents, dans lesquels les machines de guerre nouvellement inventées (441) et mises en usage par un ingénieur du nom d'Artémon, au service de Périclès, rendirent de grands services. Après neuf mois de résistance opiniâtre, les assiégés cédèrent; leurs murailles furent rasées, tous leurs vaisseaux leur furent retirés, et une rançon considérable, payable en partie comptant, leur fut imposée; en garantie du second paiement, ils livrèrent des otages. Le Samien Duris accuse le général athénien d'avoir usé de la dernière cruauté envers ses prisonniers, d'avoir traîné à Milet, sur la place publique, et fait mourir de faim et achever sous le bâton les capitaines et les soldats des galères; mais les dénégations de Plutarque, le silence d'Aristote, d'Ephore, de Thucydide et le caractère de Périclès repoussent cette accusation. De retour à Athènes, le général victorieux prononça l'éloge funèbre des citoyens morts dans cette guerre. Il fut comblé d'honneurs; on le plaça au-dessus d'Agamemnon, pour avoir subjugué en neuf mois la cité la plus puissante de l'Ionie, tandis que le vainqueur de Troie était resté dix ans sous les murs d'une ville barbare. Cependant, l'orgueil et la haine une fois assouvis, il y eut parmi les Athéniens mêmes quelques sentiments de compassion pour la malheureuse cité que Périclès avait sacrifiée aux intérêts politiques d'Athènes. Au milieu de la foule qui félicitait le vainqueur, on raconte qu'Elpinice, soeur de Cimon, lui reprocha amèrement d'avoir triomphé non des Perses, des Phéniciens et des barbares, mais d'une ville soeur et alliée.

En effet, cette entreprise, nécessaire pour le maintien de l'empire d'Athènes, était comme le prélude des guerres intestines où toute la Grèce allait s'engager. Toutefois, elle eut pour résultat immédiat d'épouvanter les alliés d'Athènes et de les maintenir sous sa domination.

Samos pendant la Guerre du Péloponnèse.
Périclès ayant relevé le parti populaire, les partisans de l'oligarchie se réfugièrent à Anaea, et servirent de toutes leurs forces les Lacédémoniens. La quatrième année de la guerre du Péloponnèse, les Lesbiens s'étant ouvertement séparés d'Athènes, la jetèrent dans un grand embarras. Les Samiens d'Anaea s'unirent aux Cariens; et quand Lysiclès, général athénien, arriva avec douze vaisseaux pour prélever le tribut chez les alliés, ils l'attaquèrent, détruisirent en partie son armée, et le firent périr. Puis ils adressèrent au général de la flotte péloponnésienne, Alcidas, des représentations sur la manière dont il traitait les Ioniens qu'il avait fait prisonniers :

« les maltraiter était, disaient-ils, un mauvais moyen pour donner la liberté à la Grèce, et ces insulaires n'étaient que par nécessité dans l'alliance d'Athènes". (Thucydide).
Cette petite ville d'Anaea, très fortifiée, ne cessa d'inquiéter les Athéniens tant qu'ils maintinrent l'Ionie dans leur obéissance; tous les mécontents et les exilés, tous ceux qui ne pouvaient souffrir leur domination s'y réfugiaient, et de là favorisaient la navigation des Péloponnésiens en leur envoyant des pilotes. Lorsque les Athéniens entreprirent la guerre de Sicile, les Samiens les y accompagnèrent comme sujets et tributaires.

Après la funeste issue de cette expédition (413), les luttes intestines entre le peuple et les grands, c'est-à-dire entre le parti d'Athènes et celui de Sparte, se renouvelèrent. Chios s'était soulevée, et sa défection avait jeté les Athéniens dans un extrême embarras. Ceux-ci se résignèrent aux plus grands sacrifices, et firent partir, sous les ordres de Strombichide, un de leurs généraux, huit vaisseaux pour Samos; une galère samienne se joignit à sa flottille, et il se dirigea vers Téos. Mais Chalcidée, commandant de la flotte lacédémonienne, forte de vingt-trois voiles, navigua de Chios à Téos. Strombichide regagna prudemment Samos, d'où il ne put empêcher Alcibiade, uni alors aux Lacédémoniens, de soulever Milet; Samos fut le centre des opérations de la flotte athénienne pendant toute la dernière partie de la guerre du Péloponnèse. Les Athéniens, intéressés à ce qu'elle leur demeurât entièrement attachée, y virent avec plaisir et y favorisèrent une révolution du peuple contre les grands; trois vaisseaux, venus d'Athènes, aidèrent au soulèvernent du petit peuple, et deux cents des plus riches citoyens furent égorgés, quatre cents envoyés en exil. La faction victorieuse se partagea les maisons et les terres des proscrits, et reçut d'Athènes, par un décret, le titre d'alliée fidèle, avec la permission de vivre désormais sous ses propres lois. Elle prit en main l'administration de la république, et n'eut aucun commerce avec les riches qui habitaient la campagne.

Depuis ce moment, les Athéniens n'eurent pas de plus constant soutien que Samos. La vingtième année de la guerre du Péloponnèse (412), trois mille cinq cents hoplites, Athéniens et alliés d'Athènes, s'y réunirent pour aller assiéger Milet. Phrynichus, leur chef, remporta une victoire sous les murs de cette ville, et se refusa à courir les hasards d'une bataille contre les forces du Péloponnèse qui venaient à sa rencontre. Il se retira à Samos, y réunit sa flotte, et se borna à des courses sur les ennemis. Les Samiens tirent de leur côté quelques excursions, et prirent un certain nombre d'Érythréens, auxquels ils donnèrent la liberté à la condition de soulever leur cité contre les Péloponnésiens. Des expéditions nombreuses continuèrent à inquiéter les ennemis d'Athènes, et l'île fut le théâtre des intrigues d'Alcibiade et de Phrynichus. Ce dernier, par haine d'Alcibiade, qui alors s'efforçait de rentrer à Athènes, proposa au général spartiate, Astyochus, de lui livrer l'armée athénienne. Il était facile de la surprendre dans Samos, où elle se tenait et qui n'était pas fortifiée. Mais Astyochus, s'étant rapproché d'Alcibiade, dénonça cette trahison; Phrynichus, pour donner le change aux Athéniens, se montra résolu à défendre courageusement l'armée qu'il s'était proposé de livrer. Il apprit lui-même aux soldats que les ennemis attaqueraient le camp, et les engagea à relever les murs de Samos. Ils obéirent, et la ville dut à la haine mutuelle de deux Athéniens de recouvrer ses murailles, abattues par Périclès.

Sur ces entrefaites une brusque révolution éclata à Athènes : le pouvoir populaire fut renversé et remplacé par un gouvernement de quatre cents des principaux de la ville. Un changement semblable faillit s'effectuer à Samos, où ceux même qui d'abord s'étaient distingués par leur animosité contre l'oligarchie engagèrent les riches à rétablir cette forme de gouvernement. Non contents de se l'appliquer, ils voulurent la faire adopter par les habitants des îles voisines. Le général athénien Pisandre, grand partisan de l'oligarchie et l'un des promoteurs de la nouvelle révolution, fut envoyé à Thasos et dans d'autres endroits, pour y abolir l'état démocratique. A Samos, trois cents citoyens prirent en main la direction des affaires, sous les auspices du général athénien Charminus; mais bientôt une conjuration se forma contre eux. Tous les généraux d'Athènes présents dans l'île n'étaient pas également favorables à l'oligarchie. Léon et Diomédon jouissaient l'un et l'autre d'une grande considération parmi le peuple; et Thrasylle et Thrasybule, commandant le premier un corps d'hoplites, le second les trirèmes, se prêtèrent aux supplications des plus compromis du parti populaire. Ils représentèrent à leurs soldats, surtout aux hommes libres du Paralus qu'il était indigne des Athéniens de s'asservir au pouvoir des plus riches; ils les entraînèrent dans leur complot. Les factions rivales en vinrent aux mains; l'avantage resta au peuple- : trente des oligarques furent mis à mort, trois des plus compromis furent exilés, le reste obtint grâce; et c'est ainsi que les principes de la démocratie, d'autant plus menacés qu'une grande partie du peuple s'était d'abord montrée contraire à leur maintien, prévalurent et continuèrent à gouverner la cité samienne. Ce succès obtenu, les Samiens et l'armée, pleins de joie, voulurent en faire part à Athènes, ignorant le triomphe des Quatre-Cents. Chéréas, l'un de ceux qui avaient montré le plus de vivacité dans toute cette affaire, partit sur le Paralus. Mais arrivé dans la ville, il n'eut que le temps de se cacher; ses compagnons furent mis aux fers, et lui-même ne se rembarqua pas sans peine.

De retour dans l'île, il exagéra la situation d'Athènes, et montra les vainqueurs prêts à égorger les parents des soldats de Samos. Il anima si bien le peuple, qu'il fallut toute la sagesse des hommes modérés pour le contenir et l'empêcher d'exercer sur les partisans de l'oligarchie de cruelles représailles pour des méfaits imaginaires. Thrasylle et Thrasybule se contentèrent de réunir les soldats et les citoyens, et de faire jurer par les plus terribles imprécations, surtout aux partisans de l'oligarchie, qu'ils resteraient attachés à la constitution démocratique, qu'ils vivraient dans la concorde et poursuivraient vigoureusement la guerre du Péloponnèse. Tout ce qu'il y avait de Samiens en âge de porter les armes prêta ce serment. Ce fut alors un antagonisme déclaré entre Athènes livrée aux oligarques, et Samos, soutenue par l'armée restée démocratique. Celle-ci voulait maintenir l'état populaire, celle-là amener les soldats et les Samiens à l'oligarchie. Les soldats ne cédèrent pas; ils se donnèrent à Thrasylle et à Thrasybule, qui leur rappelèrent avec complaisance qu'ils étaient nombreux, bien armés, et qu'ils possédaient Samos, autrefois la rivale d'Athènes. En même temps ils s'apprêtèrent à combattre les Péloponnésiens, attentifs à profiter des discordes d'Athènes et de l'armée. Samos avait à ce moment beaucoup relevé ses forces navales; car Thucydide mentionne quatre-vingt-deux vaisseaux samiens, avec lesquels les généraux d'Athènes purent braver tous les efforts du chef péloponnésien Astyochus. Thrasybule, renforcé de Strombichide, continua la guerre extérieure, et en même temps négocia le rappel d'Alcibiade.

L'armée ne tarda pas à y consentir, et c'est à Samos que l'Athénien fit sa réconciliation avec ses compatriotes. Les Samiens partagèrent l'enthousiasme qu'il ne tarda pas à faire naître. Entre autres honneurs, il obtint le privilége d'une statue dans le temple d'Héra à côté de celle de la déesse). Son retour ne fut pas sans utilité; il rendit aux Athéniens de la ville et à ceux de l'armée le service d'empêcher entre eux une guerre civile.

Samos lui servit de quartier général dans ses diverses opérations militaires, et les Samiens continuèrent aux Athéniens leur amitié et leurs services. Ce fut à Samos que la flotte athénienne se retira après la défaite à Notium d'Antiochus, lieutenant d'Alcibiade. Conon et ses neuf collègues vinrent y prendre le commandement de la flotte qu'un décret leur conférait en remplacement d'Alcibiade; dix vaisseaux Samiens se joignirent à ceux qu'Athènes envoyait contre Callicratidas, et prirent part à la bataille des Arginuses (406). Enfin, nous retrouvons, sous le commandement d'Hippéus , général de l'île, les Samiens à la bataille d'Aegos-Potamos. Seuls ils ont suivi jusqu'à la fin la fortune d'Athènes; elle est prise, ils résistent encore; et c'est contre elle que Lysandre, après avoir établi la tyrannie des Trente, se dirige avec toutes ses forces navales. Rien n'égala le désespoir des Athéniens quand ils virent qu'on allait leur enlever cette belle colonie, cette alliée fidèle et constante. Ils supplièrent Lysandre de la leur laisser; mais le général se contenta de leur demander s'il était juste que ceux qui n'étaient pas leurs maîtres fussent les maîtres d'autrui. Le laconisme cruel de cette parole plut aux Grecs, qui en firent ce proverbe : Celui qui ne se possède pas même veut posséder Samos. Après la défaite des Athéniens, la défection avait été générale; la faction des nobles à Samos crut l'occasion enfin venue de réconquérir sa supériorité : elle appela de tous ses voeux Lysandre et les Lacédémoniens; mais le peuple, exaspéré par ses revers, égorgea tous ses ennemis, et s'apprêta à soutenir un siège. Lysandre pressa si vigoureusement les opérations, que bientôt il fallut capituler et se rendre à la seule condition que tout homme libre sortirait emportant un habit; les propriétés, les richesses privées et publiques furent à la discrétion du vainqueur (403). Lysandre rappela les exilés et ses fidèles alliés d'Anaea, établit à la tête des affaires un conseil de dix magistrats, avec, un commandant lacédémonien, Thoracius, qui reçut le titre d'harmoste, et ne quitta Samos qu'après y avoir restauré le parti oligarchique, qui, dans sa reconnaissance, lui consacra une statue à Olympie. Ceux des Samiens qui ne purent plier leur turbulence au nouveau régime s'exilèrent, et ces bannis allèrent partout chercher du service et répandre leur activité; c'est ainsi que dans l'expédition du jeune Cyrus, nous voyons l'un d'eux, Gaulitès, obtenir dans les conseils du prince une place distinguée et l'accompagner, jusqu'à Cunaxa.

Samos retombe sous l'influence d'Athènes.
Le gouvernement établi par Lysandre à Samos ne dura pas plus longtemps que la tyrannie constituée à Athènes. Conon, victorieux à Cnide, relève la puissance maritime d'Athènes il accourt aussitôt à Samos, et renverse l'harmoste. Les anciennes sympathies du peuple pour sa métropole se réveillent avec toute leur vivacité, et, comme Alcibiade et Lysandre, Conon a les honneurs d'une statue. Mais il quitte l'île, et trois généraux spartiates, qui se rendaient à Rhodes avec sept trirèmes, y abordent et relèvent la faction des nobles. C'est ainsi que la malheureuse Samos, agitée entre les deux partis, consumant ses forces à servir tantôt l'un, tantôt l'autre, se déchirait de ses propres mains, et achevait de ruiner ce qui avait survécu de sa puissance à tant de guerres et de calamités. L'un des généraux lacédémoniens, Téleutias, reçut de Samos un subside de quelques vaisseaux pour combattre les Athéniens (393). Les Samiens, abaissés et démoralisés par toutes ces dissensions intestines, suivaient la fortune des plus forts. Bientôt la paix d'Antalcidas les rejeta sous la domination Perse (387). Ces nouveaux maîtres leur firent subir de cruelles vexations, et les Athéniens eux-mêmes ajoutèrent aux misères de leur ancienne alliée en y faisant des descentes à main armée, pendant la durée de cette domination. Chabrias manoeuvrait autour de l'île pour s'emparer de son port, une flotte ennemie en gardait l'entrée. Il eut recours à un stratagème : plusieurs de ses vaisseaux passèrent devant les ennemis, et les provoquèrent. Les Perses abandonnèrent leur position pour les suivre, et pendant ce temps Chabrias fit avancer le gros de sa flotte, et s'empara du port.

Peu après, Iphicrate vint piller l'île; il y fit un grand butin, et se retira à Délos. Les Samiens lui envoyèrent des députés pour racheter ce qu'il avait pris. Il les accueille, traite avec eux, puis feint d'être subitement rappelé à Athènes; les Samiens ne s'étonnent ni ne s'inquiètent de son départ; lui, trompant leur bonne foi, fait force de voiles vers leur île, en trouve les défenseurs sans défiance, répandus dans la campagne, exerce de nouveaux ravages, et emporte un butin plus considérable.

C'est vers le même temps qu'Isocrate, tachant de persuader les Athéniens de s'emparer de toute l'île, leur disait : 

« Les côtes de l'Asie n'obéissant qu'avec répugnance au grand roi, il faut prendre Chios, Rhodes et Samos avant qu'elles ne soient fortifiées par de nouvelles garnisons".
Ce conseil fut suivi. Mille mercenaires, commandés par Timothée, allèrent attaquer Samos; mais ils combattirent sans grande énergie, parce que leur solde n'était pas payée. Timothée trouva des ressources dans l'île assiégée : elle abondait en fruits; il y fit une descente, recueillit et fit vendre tout ce qu'il put des productions du sol, distribua l'argent à ses soldats, et prit d'assaut la ville.

Dans la guerre sociale, lorsque le joug d'Athènes, redevenu pesant, révolta contre elle les Rhodiens, les habitants de Chios et les Byzantins, Samos demeura fidèle. Une flotte de cent vaisseaux des alliés vint l'attaquer après avoir dévasté Lemnos et Imbros; ils ravagèrent l'île, et assiégèrent sa capitale par terre et par mer. Pour délivrer cette ville, Iphicrate, Timothée et Charès firent diversion en se portant vers Byzance; ils y rappelèrent la flotte des rebelles. Le récit de Cornélius Népos donnerait à supposer, bien au contraire, que les Samiens avaient abandonné Athènes; les trois généraux, dit-il, assiégeaient Samos; Iphicrate et Timothée se refusaient à une bataille navale. Charès l'engagea seul, et fut vaincu; il écrivit à Athènes que sans ses collègues il eût pris la ville. Mais Cornélius Népos, plus éloigné des faits que Diodore, et biographe peu critique, est d'autant moins digne de foi en cette circonstance, que Pausanias nous apprend encore, par le passage déjà cité, que Timothée obtint des Samiens une statue, et ce n'est pas en les assiégeant qu'il eût mérité leur reconnaissance. Quoi qu'il en soit, Athènes continua à faire acte de souveraineté dans l'île de Samos, et y envoya dans ce temps-là deux mille colons, que l'on pourvut de bonnes terres (355).

Ainsi Athènes s'était comme incorporé l'île de Samos, et celle-ci, de son côté, renonçant à avoir une existence à part et indépendante, fit le sacrifice de toute ambition, et retrouva en s'adonnant au commerce des jours de paix et de prospérité. Philippe, devenu maître de toute la Grèce, laissa aux Athéniens la possession de cette île, qui était devenue comme une annexe de l'Attique; et Alexandre, dit Plutarque, confirma aux Athéniens la concession de son père et leur abandonna Samos libre et florissante. Mais lorsque, vers ses dernières années, il rappela par un décret, applicable à toute la Grèce, les exilés dans leurs diverses villes, les Athéniens ne virent pas revenir sans un vif mécontentement les Samiens qu'ils avaient dépossédés pour faire place à leurs deux mille colons. Mais en présence d'Alexandre il fallut se taire. La querelle, suspendue à la mort du roi, fut soumise à ses successeurs, et Perdiccas rendit aux Samiens leurs champs et leur ville, et les rappela après plus de quarante-trois ans d'exil. Polysperchon se montra moins favorable à Samos : l'exceptant du décret de liberté promulgué pour toute la Grèce, il la rendit à Athènes, parce que cette ville la tenait de Philippe. La malheureuse île disparaît alors, et on ne sait si, dans le conflit des successeurs d'Alexandre, elle prit parti pour quelqu'un d'entre eux. Un Samien, Thémison, commande, au centre de l'armée, les vaisseaux légers de Démétrius à la bataille navale de Salamine; mais Diodore ne dit pas s'il était envoyé par les Samiens ou s'il était venu comme simple aventurier. C'est vers cette époque que l'annaliste samien Duris gouverne cette île, si l'on doit ajouter foi au témoignage isolé d'Athénée.

Au milieu des grands événements survenus autour d'eux dans la Grèce et l'Asie, les Samiens et les Priéniens n'avaient pas déposé leur vieille inimitié; les champs de Barginétide étaient toujours l'objet de leurs contestations, et les guerres se succédaient entre eux pour les limites de territoire. Les marbres d'Oxford constatent la persévérance de cette querelle, et le voyageur anglais Chandler a retrouvé un document qui atteste que Lysimaque fut pris pour arbitre par les Samiens et les Priéniens. Ceux-ci avaient exposé tous leurs titres à la possession du territoire de Barginétide, et, autant qu'on le peut conjecturer par les marbres d'Oxford et par une inscription trouvée dans les ruines du temple d'Athéna à Priène, ils eurent gain de cause. Mais Samos en appela du jugement de Lysimaque à Ptolémée Philopator, qui était devenu son maître, et qui entretenait dans ses ports une flotte considérable. Ptolémée confirma aux Priéniens la possession du champ contesté, (222).

Samos sous l'influence et la domination des Romains.
Après les successeurs d'Alexandre, la domination romaine s'étendit sur la Grèce. En l'année 200 nous trouvons Samos dans l'alliance de Rome avec Attale et les Rhodiens, et un ambassadeur romain dénonce dans le sénat de la ligue Étolienne les plaintes des Samiens contre Philippe, roi de Macédoine. Celui-ci, pour se venger, équipe une flotte, et prend Samos, dont il fait le centre de ses opérations navales. En 197 Samos, avec le reste de la Grèce, recouvre, après la victoire de Flamininus , une ombre de liberté. Bientôt Antiochus, roi de Syrie, fit la guerre aux Romains; la commodité du port de Samos et sa situation en firent encore le centre des opérations de la guerre entre les Rhodiens et les Romains d'une part, et Antiochus de l'autre. Les Samiens étaient favorables aux premiers; mais Pausistrate, chef des forces de Rhodes, tomba dans un piège que Polyxénidas, amiral d'Antiochus, lui avait tendu; pris à l'improviste, il fut vaincu, et n'eut pour sauver son honneur que la ressource de mourir courageusement dans le combat. Samos, incapable de se défendre par elle-même, tomba sous la dépendance du vainqueur. Plus préoccupée de la possession de son petit territoire du continent que de sa liberté, elle soumet à Antiochus son éternel différend avec Priène, et les limites entre les deux peuples sont enfin fixées. Après la défaite du roi de Syrie, Samos se replaça sans peine sous le patronage des Romains.

Nous retrouvons Samos au temps où Aristonic proteste par les armes contre le testament d'Attale, roi de Pergame. Beaucoup de villes reconnaissent ce prince; mais Samos s'y refuse, et il la prend par force. A sa mort (129 avant J.-C.) Samos est comprise dans les villes d'Asie réduites en province romaine. Mais plus tard elle secoue ce joug, et cette alliée, jusqu'ici fidèle des Romains s'unit à Mitthridate. Ce soulèvement n'est pas heureux; et Sylla le lui fait expier durement. Il était encore à Samos quand des pirates s'en emparèrent, pillèrent la ville et ruinèrent le temple, jusque là respecté. Ce n'était là que le prélude des longues misères dont le despotisme des gouverneurs romains et les brigandages des pirates devaient accabler l'île de Samos. Son antique renommée d'opulence attirait vers elle tous ceux qui étaient avides de butin : proconsuls et pirates la dévastèrent à l'envi. Verrès, lieutenant de Dolabella en Asie, n'épargna ni le temple d'Héra ni les habitants de Samos. Les députés samiens allèrent en Asie exposer leurs plaintes à Caïus Néron, qui leur dit que les accusations de ce genre se portaient à Rome; ils n'eurent que la consolation d'entendre une sortie éloquente de Cicéron contre le spoliateur. 

L'administration bienfaisante de Quintus Cicéron, préteur en Asie, rendit un peu de calme à Samos, et sembla la faire renaître (62 avant J.-C.). Mais les exactions ne tardèrent pas à recommencer : Antoine leur ravit, pour Cléopâtre, les chefs-d'oeuvre de sculpture qu'ils avaient conservés. Octave, vainqueur à Actium, se déclara le protecteur de ceux que son ennemi avait opprimés; il passa une partie de l'hiver de l'année 30 avant J.-C. à Samos, et lui restitua deux de ses statues. Cette île lui plaisait, il y fit un second séjour; il y prit les insignes de son cinquième consulat, et y passa les deux hivers des années 21 et 20, en allant et revenant d'un voyage en Orient. Il avait été rejoint en 21 par Tibère. Mettant le comble à ses bienfaits, Octave devenu Auguste accorda à Samos la liberté. Ce fut alors que Samos fit une acquisition assez importante. L'île d'Icarie était presque inhabitée : des Samiens s'y établirent, et en exploitèrent les excellents pâturages. D'autres s'approprièrent une partie du rivage d'Éphèse. Caligula eut intention de rétablir le palais de Polycrate. Les divers empereurs qui se succédèrent jusqu'à Vespasien respectèrent l'apparence de liberté qu'Auguste avait accordée à Samos. Mais en 70 le nouvel empereur fit de l'île une province romaine, et supprima les derniers vestiges de son indépendance.

Samos pendant le Moyen âge et les Temps modernes

Samos sous le gouvernement impérial.
Après l'époque de Vespasien, depuis le moment où Samos fut réduite en province romaine, cette île tombe dans un oubli presque complet. On ne retrouve plus son nom que sur quelques monnaies impériales, qui nous attestent que Samos avait conservé dans le sein de l'Empire romain une position digne de son ancienne splendeur. Mais au moment où commencent les invasions des barbares, le silence de l'histoire devient encore plus profond, et la décadence de Samos et de tout le monde grec, retardée de plusieurs siècles par l'action politique des Romains, s'accomplit au milieu de calamités dont les historiens byzantins n'ont eu guère le courage de nous transmettre les tristes détails. De toutes les îles un peu importantes de la mer Égée, Samos est la plus oubliée des rares annalistes de ces temps; et nous n'aurons souvent qu'à mentionner, sans renseignements précis, la part qu'elle a dû recevoir des calamités générales de cette malheureuse époque.

Au IVe siècle de l'ère chrétienne les désastres de tout genre précédèrent, comme de sinistres présages, les incursions des barbares, qui commencèrent au siècle suivant. Les famines, la peste, les tremblements de terre se renouvellent à de courts intervalles. Bien que Samos ne soit pas mentionnée parmi les villes qui souffrirent le plus de ces fléaux, il est à penser qu'elle n'en fut  pas entièrement garantie. Elle dut notamment souffrir du tremblement qui, en 362 et 365, se fit sentir de la Sicile au Péloponnèse et à l'Arabie.

Sous les règnes de Julien, de Valentinien, de Valens, tandis que les prétendants à l'empire se disputaient la pourpre les armes à la main, des brigands tenaient la mer Égée et tout le littoral de l'Asie Mineure, qui avait toujours été le repaire des pirates. Samos dut leur servir de retraite dans ses rochers et ses détroits, et la première souffrir de leurs ravages. En 417 nouveau tremblement de terre général sur les côtes de l'Asie Mineure. Trente ans plus tard ce désastre se renouvelle, et ravage encore plus de contrées : Constantinople est bouleversée; des montagnes s'écroulent, d'autres sortent du milieu des plaines; la mer bouillonnant engloutit des îles, toutes celles de la côte sont maltraitées, et des secousses se font sentir six mois durant. En 747 une contagion meurtrière dévaste particulièrement les îles, et dure trois ans.

C'est vers ce temps que l'Empire ayant été partagé en thèmes, Samos dut aux souvenirs qui se rattachaient à son nom, bien plus qu'à l'importance qu'elle avait conservée, de devenir le chef-lieu du XVIe thème de l'Orient, qui s'étendait sur le continent depuis Magnésie, Tralles, Éphèse, Myrine, Téos, Lébédos, etc., jusqu'à Adramytte (Edremit), et qui était divisé en deux turmes, Ephèse et Adramytte.

Incursions des Sarrasins.
Bientôt aux ravages des pirates, qui s'étaient postés dans les écueils et sur les rivages voisins de Samos, se joignirent les fréquentes incursions des Sarrasins. Maîtres de la Crète en 824, ils se répandirent, de cette île dans toutes celles de la mer Egée qu'ils ne cessèrent d'infester sous Michel II. Sous Michel III, l'ivrogne, Petronas, frère de l'ambitieux Bardas, gouverneur de Lydie et d'Ionie, et par conséquent de Samos, est chargé du soin de repousser les courses des Sarrasins des côtes et des îles de sa province. En 882, sous Basile, une flotte arabe, partie de l'île de Crète, ravage sur son passage toutes les îles jusqu'à l'Hellespont. Enfin sous Léon VI, en 888, les Sarrasins descendent à Samos, et font prisonnier le préteur Paspala, son gouverneur. Quatre chroniqueurs nous ont conservé une mention sèche et brève de cet événement, qui consomma la ruine de Samos. Nulle part on ne sent mieux que dans ces froides indications des annalistes byzantins toute l'apathie et l'impuissance du gouvernement du Bas-Empire. 

Cependant l'île ne tarda pas à rentrer sous la domination grecque; puis les incursions et les ravages des Sarrasins recommencèrent. En 904 presque tous les habitants des îles de la mer Egée sont forcés de fuir derrière les remparts de Thessalonique; mais Thessalonique est prise avec vingt-deux mille de ses défenseurs. Cependant, un général grec, Himère, bat l'ennemi; prompts à prendre leur revanche, les Sarrasins arment trois cents vaisseaux, en donnent le commandement à deux chrétiens renégats, Damien, émir de Tyr, et Léon de Tripoli. Himère s'avance à leur rencontre, et livre combat auprès de Samos, dont Romain Lécapène était gouverneur. La bataille fut acharnée et sanglante, la victoire, longtemps disputée, resta aux Sarrasins. Himère n'échappa qu'avec peine, et se retira à Mytilène (911). Damien, poursuivant le cours de ses succès, songea à s'emparer de toute la mer Egée. Il attaqua d'abord une ville de Carie, Strobèle, dans le golfe Céramique; mais la mort arrêta l'exécution de ses projets.

En 960 Samos vit les préparatifs de la grande expédition grecque, qui, sous les ordres de Nicéphore Phocas, enleva la Crète aux Sarrasins. Les vaisseaux s'étaient réunis au port de Pygèle, au sud d'Éphèse. Cinquante ans plus tard, Basile Argyre, gouverneur de l'île, fut choisi pour réprimer la révolte des habitants de Bari. Il avait pour collègue Contoléon, gouverneur de Céphallénie. Tous deux furent battus par Méli, citoyen de la ville rebelle, le même qui, trahi par les siens, privé de sa femme et de son fils, livrés aux Grecs, se fit l'auxiliaire des Normands, et contribua à ravir à l'Empire ce qu'il conservait dans l'Italie méridionale. Un autre gouverneur de Samos, David d'Achride, fut vainqueur d'un chef russe, Chrysochis, parent de Vladimir, qui, à la tête de quelques barques, avait battu le préfet maritime d'Abydos et s'était avancé jusqu'à Lemnos (1023).

L'île de Samos était un poste difficile à défendre. On lui choisissait pour gouverneur des hommes de guerre expérimentés. Quatre ans après la victoire de David, nous trouvons encore un gouverneur de Sames à la tête des forces navales de la mer Egée. George Théodoracane, uni à Bériboès, gouverneur de Chio, livre combat aux Sarrasins dans les Cyclades, leur prend douze vaisseaux, et dissipe le reste de leur flotte. Sous le règne de Constantin IX Monomaque, que l'impératrice Zoé avait tiré de son exil à Lesbos pour le revêtir de la pourpre, Constantin, parent de Michel V Calaphate, étant devenu suspect au nouvel empereur, fut relégué à Samos (1042), après avoir eu les yeux crevés. A la fin de ce même siècle, un aventurier turc, Tzachas, s'étant formé une marine avec l'aide d'un habitant de Smyrne, s'empara de Phocée, Clazomène, Lesbos, Chios et Samos.

Samos au temps des croisades.
Bientôt les expéditions de Palestine amenèrent les Chrétiens occidentaux dans les mers du Levant. Venus comme auxiliaires, les Latins furent rendus hostiles aux Grecs par la mauvaise foi d'Alexis Comnène. Ce fut entre les deux peuples une rivalité continuelle, tantôt sourde, tantôt déclarée, pendant tout le temps des croisades. Les républiques marchandes de l'Italie commencèrent alors à disputer aux Grecs le commerce de l'Asie et la domination des îles de la mer Egée. On vit les Pisans, les Génois, puis les Vénitiens faire la guerre à l'Empire; les prétentions de l'empereur, la puissance des républiques maritimes, les rivalités d'intérêts donnaient nécessairement lieu à des hostilités dont les îles de la mer Egée étaient souvent le théâtre. 

L'année 1124, sous Jean Comnène, Dominique Michel, doge de Venise, ayant à se plaindre de la cour de Constantinople, qui lui avait refusé des honneurs qu'elle accordait à ses prédécesseurs, parcourut la mer Egée, à la tête de la flotte vénitienne, et il saccagea Rhodes, Chios et Samos. L'Empire grec resta en possession de ces îles, que les Vénitiens n'occupèrent qu'un moment; mais ce fut pour les perdre d'une manière définitive, après les événements qui produisirent l'établissement des Latins à Constantinople, en 1204. Samos avec Chios, Rhodes, Lesbos, Lemnos, et toutes celles qui s'étendent entre Andros et le continent devinrent le partage des Francs. Mais on sait combien fut prompte la décadence de cet Empire latin, fondé par les croisés.

Dès 1233 Jean Ducas, empereur de Nicée, reprit Samos, Rhodes et les principales îles de ces parages. Depuis ce moment on ne parle plus de Samos, qui dut rester une possession des empereurs byzantins. Tandis que les Génois ou les Vénitiens combattaient pour la possession de Lesbos, et fondaient une colonie puissante à Chios, on ne voit pas qu'ils aient songé à la conquête de Samos. Sans doute toujours en proie aux ravages de ces ennemis permanents qui faisaient leur séjour dans ses deux détroits, peu ou peut-être pas cultivée, déjà infestée par le paludisme du fait de l'accumulation des eaux dans sa plaine orientale, Samos voyait chaque jour diminuer le nombre de ses habitants, et elle n'avait plus aucun des avantages qui auraient pu attirer les étrangers et exciter leurs convoitises.

Samos sous la domination des Turcs.
En 1453 les ravages que les Turcs y exercèrent, après s'en être emparés, lui portèrent le dernier coup. Ses derniers habitants émigrèrent, et pendant un siècle les bêtes sauvages errèrent seules à travers les forêts abandonnées de ses montagnes. De temps en temps quelque seigneur Turc faisait une descente dans l'île pour s'y livrer au plaisir de la chasse. Enfin, vers 1550, l'amiral Kilidj-Ali, frappé de la beauté du sol, obtint de Soliman la permission de repeupler Samos. Il fit à cet effet, venir un grand nombre d'habitants de la côte voisine et de Mytitène. A la mort de Kilidj-Ali, cette île, qui était devenue sa propriété, rentra dans le domaine du sultan (1587). Peu à peu la population de Samos augmenta; les villages se repeuplèrent, des endroits nouveaux furent habités; l'antique industrie de la poterie fut exploitée de nouveau. Un peu de culture, un peu de commerce, lui redonnèrent quelque vie et quelque activité. La plupart des nouveaux habitants étaient Grecs, et l'île, qui avant son dépeuplement avait un évêque suffragant de Rhodes, tomba dans la dépendance du patriarche de Constantinople, qui la faisait administrer par un vicaire.

Cet état de choses dura cent ans. Puis les habitants de Samos, demandant avec instances un archevêque, il leur fut accordé, et il eut pour suffragant l'évêque de Nicaria. Mais cette dernière île, étant trop pauvre pour entretenir un évêque, il fut supprimé, et l'archevêque de Samos demeura sans suffragant. Ce dignitaire n'était pas élu sans certaines formalités : à son arrivée, il montrait son firman; les Proesti, premiers de l'île, le menaient à l'église archiépiscopale, où il faisait un discours et donnait sa bénédiction. De là il allait trouver le papas de chaque église, qui lui remettait un présent de quinze à vingt piastres. La première année chaque ecclésiastique lui donnait quatre piastres, et les suivantes deux. Tous les fermiers payaient la première année vingt-huit aspres, et vingt-quatre les suivantes. Les consécrations et les mariages, la bénédiction des eaux et des troupeaux fournissaient le surplus des revenus; les laitages et les fromages du jour de la bénédiction appartenaient à l'archevêque. Mégalè-Chora, capitale nouvelle de l'île, devint la résidence de l'archevêque. C'était là qu'une partie des habitants venaient lui demander la permission de se marier. A l'autre extrémité de Samos, à Karlovassi, un substitut du prélat était chargé d'accorder cette permission. Pour l'obtenir il fallait payer une piastre, deux si l'on était étranger, trois ou quatre au second ou au troisième mariage. Les papas étaient, au dire de Tournefort, d'une ignorance extrême; plusieurs ne savaient même pas lire, et célébraient la messe en la récitant par coeur.

Telle était au XVIIe siècle l'administration religieuse de Samos, ainsi qu'un archevêque lui-même nous l'apprend. Elle était, on le voit, assez onéreuse, mais ce n'était rien en comparaison des vexations des agents turcs. Ceux-ci, qui faisaient également leur séjour à Mégalè-Chora, étaient le cadi et l'aga, le premier chargé de la justice et le second du commandement militaire et de l'impôt. L'archevêque jugeait en première instance; mais l'appel était porté au cadi. Les Samiens payaient aux Turcs plusieurs sortes de contributions. D'abord le vacouf, impôt religieux perçu pour l'entretien des mosquées. La mosquée de Samos avait été détruite par les Vénitiens : les Turcs, obéissant à un précepte de la loi, ne l'avaient pas relevée; mais les habitants de Samos étaient restés assujettis au vacouf qui se percevait au profit de la mosquée de Tophana, à Galata. Ce tribut s'élevait annuellement à quatre-vingt mille piastres. Les autres impôts étaient : le karateh, ou capitation, exigible des hommes mariés, des orphelins mâles et de tous les étrangers qui abordaient dans l'île. Si on n'avait pas d'argent, il fallait vendre son bien ou mendier pour satisfaire à l'impôt. L'aga était héritier des biens de tous ceux qui ne laissaient pas d'enfants mâles. Les agas turcs étaient en général ingénieux à inventer des impôts vexatoires. 

C'est ainsi que le jour où il devait faire le recensement des troupeaux l'aga de Samos s'adjugeait tout le beurre qui se trouvait dans les diverses maisons; de plus il exigeait de chaque habitant le don d'une chèvre, qu'il forçait de racheter cinq ou six aspres. Une année il demanda un peu de soie pour sa ceinture. Les habitants, afin de se le concilier, lui en donnèrent un panier; tous les ans il en exigea la même quantité, arrêtant ainsi l'essor de cette industrie naissante. Dans la crainte d'un soulèvement contre ses exactions, il entretenait des espions dans toute l'île, et les proesti des villages ne rougissaient pas souvent de jouer ce rôle et de se faire les délateurs de leurs compatriotes. Les agents, quoique presque tous Samiens, imitaient son exemple. On les appelait musafarides; ils ne cultivaient pas leurs terres, mais les affermaient pour vivre auprès de leur maître, dont ils servaient sans scrupule les volontés. A la moisson, l'aga envoyait chez tous les colons un de ses musafarides, qui devait être logé, nourri, défrayé par son hôte; le musafaride était chargé de faire payer la dîme des grains, dont il évaluait la valeur à son gré; la dîme se payait en argent. Enfin, le vin, l'eau-de-vie, l'huile, la soie étaient soumis à une redevance.

Quoique accablés d'exactions par le cadi, l'aga, les musafarides, l'archevêque même et les papas, les Samiens trouvaient encore dans l'heureuse fécondité de leur sol assez de ressources pour subsister et faire un peu de commerce. Chaque année ils exportaient pour la France, au temps de Tournefort, trois barques de froment, une barque de laine et une barque de fromage. Les melons, les pastèques, les fèves, les lentilles, les haricots fournissaient abondamment à la subsistance des colons. Dans les montagnes s'élevaient toujours ces beaux châtaigniers dont le fruit nourrissant était la ressource des plus pauvres. Les perdrix, les grives, les bécassines, les lièvres s'étaient multipliés sans obstacle pendant que Samos était demeurée déserte. Enfin, on recueillait dans l'île trois mille barils d'un muscat qui eut été excellent avec d'autres procédés de fabrication. Celui de Karlovassi, mieux préparé, était le meilleur de l'île et se conservait une année entière. Vathi faisait aussi le commerce des vins. On ne parle pas ici de la pêche des éponges, qui semble une ressource et une industrie plus récentes. 

A l'époque du voyage de Tournefort le costume des Samiens, qui n'a guère dû changer depuis, ressemblait a celui des Turcs : il se composait d'une longue robe avec une ceinture, aux reins et un surtout léger. Les femmes avaient une robe retenue par une ceinture et sur la tête un morceau de toile blanche. Les jeunes femmes tressaient leurs cheveux, noués en bas par une chaîne d'or ou d'argent pendante sur l'épaule.

Guerre de l'indépendance : résurrection de Samos (1821). 
L'état de Samos tel que nous venons de le retracer dura, avec les légères modifications que le temps et les changements de gouverneur apportaient seuls, depuis l'époque où l'île fut repeuplée jusqu'au temps de la guerre de l'indépendance. Samos y prit une part active. Voici, d'après Raffenel, quelle était la situation de cette île au moment où cette guerre éclata  :

« L'île de Samos était peuplée de Grecs cultivateurs. On y comptait environ 40,000 âmes; elle relevait du gouverneur d'Échelle-Neuve, Élez-Aga, qui y entretenait un cadi et quelques janissaires. L'île, entrecoupée de montagnes fort élevées, est extrêmement riche en productions végétales [...]. Toutes les collines sont couronnées de plantations d'oliviers, et chaque année les Européens y font des chargements d'huile. Mais les Samiens, sans marine, voyaient passer tout leur commerce en des mains étrangères, et les bénéfices étaient absorbés par les grands propriétaires. Aussi, on petit dire qu'à l'exception de quelques grandes fortunes, la masse des Samiens était malheureuse; c'est cependant au milieu de telles circonstances que l'insurrection y éclata. » (Raffenel, Histoire complète des évènements de la Grèce).
L'assassinat du vénérable patriarche de Constantinople, Grégoire, fut l'occasion du soulèvement. Les primats de l'île, rassemblés à Vathi, proclamèrent l'indépendance; le peuple massacra le cadi et ses soldats, depuis longtemps odieux par leurs iniquités, et toute la campagne de l'île répondit à l'insurrection des villes. Le conseil des anciens, présidé par l'archevêque, décida qu'on enverrait tout de suite deux des archontes à Psara pour y faire part de la révolution qui venait de s'opérer. Les consuls des puissances chrétiennes, pris presque tous parmi les habitants de Samos, s'empressèrent de sacrifier une position qui les mettait sous le couvert d'une protection étrangère pour se dévouer à leur île. En peu de jours 6000 hommes furent armés; quelques Samiens qui avaient servi dans les troupes russes, ou pris part à l'expédition des Français en Égypte se chargèrent de l'instruction des recrues. L'insurrection avait eu lieu au mois d'avril; en juin, l'armée samienne, vaillante et bien ordonnée, se montait à 10,000 soldats. La nouvelle de ce soulèvement déconcerta les Turcs et anima les Grecs, Samos ne tarda pas à devenir le refuge d'un grand nombre de proscrits; on y accourut de Scio (Chios), de Smyrne (Izmir), de Scala-Nova (Kusadasi). Ce concours de population eut un fâcheux résultat, celui d'amener la disette; mais les Grecs d'Hydra et d'lpsara vinrent au secours des Samiens; de plus, les craintes qu'inspirait la nouvelle des préparatifs faits par les Turcs pour la réduction de l'île en éloignèrent tous ceux qui n'étaient pas résolus aux dernières extrémités. Les femmes , les enfants, les vieillards furent transportés dans les îles voisines; il ne resta à Samos que ceux qui pouvaient la défendre. Le nombre des guerriers s'était assez accru par l'émigration pour élever l'armée à 20,000 hommes. En même temps Vathi fut entouré de fortifications; plusieurs batteries s'élevèrent à l'entrée du port; le reste de l'île, du côté du continent, était suffisamment protégé par ses rochers à pic et ses côtes escarpées. Un accord parfait régnait en même temps parmi les autorités populaires; les troupes étaient pleines d'ardeur; Samos était devenue le point d'appui le plus solide de l'insurrection hellénique. Cette ferme direction du mouvement était due à l'évêque de Samos. 

Pour éviter à leur île les misères d'une invasion, les Samiens résolurent de porter eux-mêmes la guerre chez les Turcs et d'ouvrir la campagne. Deux ou trois mille hommes débarquèrent pendant la nuit sur le continent, et rapportèrent, un butin considérable. Une semaine après ce premier succès, les Samiens firent un second débarquement; les villages de la côte d'Asie furent saccagés, leurs défenseurs massacrés, et, grâce à la supériorité de leur tactique, les Samiens se retirèrent sans presque avoir éprouvé de pertes. Pendant longtemps ils continuèrent leurs incursions, et le terreur qu'ils inspiraient était si grande, que tout le rivage était abandonné à cinq ou six heures de marche de la mer. En même temps leurs navires rapportaient de tous les ports de l'Europe des armes et des munitions de guerre; des vaisseaux légers couvraient la mer Egée, et répandaient la terreur parmi les Ottomans.

Cependant le sultan Mahmoud préparait tout pour une répression énergique. Cinq vaisseaux de ligne furent équipés et chargés de soldats; le lieu de leur réunion, avant d'attaquer Samos, était Mételin (Mytilène). En même temps plus de 50,000 hommes étaient réunis à Kusadasi. Mais tous ces préparatifs furent vains; les Turcs du continent se dispersèrent, après avoir presque détruit Kusadasi; et les vaisseaux s'en retournèrent à Constantinople, après que l'un d'eux, de soixante-quatorze canons, eut été détruit par quatre petits bricks grecs, dans le golfe d'Edremit. Les Samiens, délivrés du péril qui les avait menacés, sentirent croître leur audace; les succès qu'ils obtinrent au commencement de 1822 compensèrent la double défaite de l'amiral grec Tombasis.

Tentative des Samiens sur Chios.
Au mois de mars de cette année les Samiens tentèrent une entreprise très hasardeuse, qui eut les effets les plus désastreux. Depuis déjà longtemps ils méditaient la conquête de Chios, et entretenaient dans cette île des intelligences. Dans les premiers jours de mars ils y débarquèrent trois ou quatre mille hommes, auxquels se joignit un nombre à peu près égal d'habitants de la campagne. Cette petite armée marcha sur la ville, en massacrant tous les Turcs qu'elle rencontrait sur son passage. Incapables de résister, les Turcs se retirèrent dans la citadelle avec les principaux citoyens sciotes et les primats qui refusaient de s'unir aux Samiens. Ceux-ci, indignés, maltraitèrent la ville et bloquèrent étroitement la forteresse. Le sultan, instruit du nouveau trait d'audace des habitants de Samos, et comprenant toute l'importance de la possession de Chios, ordonna sur-le-champ aux pachas et gouverneurs de l'Ionie de réunir le plus de troupes qu'il leur serait possible. Cinquante mille Turcs se rassemblèrent à Tchesmé. 

L'espoir du pillage, la promesse que Chios et Samos seraient abandonnées à leur discrétion, communiquèrent aux Ottomans la plus grande ardeur pour cette expédition. Le capitan-pacha, commandant de l'expédition, s'efforça d'abord de ramener les rebelles par l'intermédiaire des papas et de deux évêques qui leur furent envoyés; mais autant les premiers de l'île étaient favorables aux Turcs, autant les gens de la campagne s'étaient jetés avec ardeur dans le parti des Samiens. L'amiral débarqua aussitôt 6000 hommes : les insurgés marchèrent à leur rencontre; mais les Sciotes (= habitants de Chios), mal exercés au combat, prirent la fuite et entraînèrent les Samiens dans leur défaite. Les Turcs, vainqueurs, marchèrent sur la ville, détruisirent tout ce que les Samiens y avaient respecté, et en firent un monceau de cendres. Logothetis, chef des Samiens, se réfugia avec sa troupe dans les montagnes; quelques bandes de pillards qui s'étaient risqués à leur poursuite furent taillés en pièces près de Néochori. Mais peu de jours après les Grecs éprouvèrent une déroute complète en cet endroit. Néochori fut dévasté, comme la capitale de l'île, et Chios tout entière fut couverte de ruines.

Les Samiens repoussent toutes les attaques des Turcs.
LesTurcs, satisfaits de ce succès, songeaient à débarquer à Samos pour lui faire subir le même sort. Ils complétaient leurs préparatifs à Kusadasi, lorsque deux brulôts grecs, incendiant le vaisseau amiral et faisant périr le capitan-pacha, détournèrent de l'île le péril qui la menaçait. Les Samiens recommencèrent alors leurs incursions et leurs ravages sur le continent. La victoire des Grecs à Malvoisie, les éclatants succès du capitaine Iorgaki d'lpsara, redoublèrent la confiance des Samiens. Ces hardis insulaires ne cessaient de désoler les côtes de l'Asie Mineure; ils avaient ruiné tous les villages du pachalik de Kusadasi, et les Turcs du continent avaient fui, depuis l'embouchure du Méandre jusqu'aux plaines d'Éphèse (Selçuk). Le bonheur des Samiens avait été si constant, qu'ils ne mettaient plus de bornes à leur audace; il n'y avait plus d'ennemis dans les plaines du littoral où ils avaient coutume de porter leurs ravages; ils résolurent de s'engager en avant à la poursuite des Turcs. 

Le 25 octobre deux mille hommes débarquèrent pendant la nuit, et, suivant le cours tortueux du Méandre, marchèrent sur la ville de Guzel-Hissar, pour la piller. Mais le trajet était trop long; ils furent surpris par le jour à huit kilomètres de cette ville. Une armée turque, conduite par l'aga, fait une sortie, et s'avance à leur rencontre. Les Samiens, ne se croyant pas assez forts pour résister, se retirent, mais en saccageant tout sur leur passage. La petite ville de Kélibeh et plus de vingt hameaux turcs furent détruits; cinq mille Turcs furent massacrés ou périrent dans les flammes. L'aga n'avait pas osé poursuivre vigoureusement les Samiens; ils se rembarquèrent sans obstacle, et l'île célébra joyeusement ce triomphe.

Ces ravages continuèrent dans le courant des années 1822 et 1823; le rôle de Samos dans la guerre de l'indépendance était rendu considérable par cette diversion continuelle de ses habitants, devenus la terreur du littoral ennemi. En 1824 la Porte fit les plus grands efforts pour en finir avec l'insurrection grecque. Au mois d'avril une grosse flotte, composée en partie de vaisseaux nouvellement construits, fut rassemblée dans le port de Constantinople, pendant qu'une multitude de navires de l'Asie et des îles n'attendaient que la présence du capitan-pacha sur les côtes d'Asie Mineure pour se joindre à lui. Le projet de celui-ci était de réduire lpsara d'abord, Samos ensuite, puis tous les points de la mer Egée. Mais Samos, habituée par des succès continuels à ne plus craindre, méprisait la nouvelle attaque que méditaient les Turcs, et comptait la repousser comme les précédentes. Bien peuplée, se recrutant chez elle, suffisant à l'entretien de son armée, administrée par des magistrats qui correspondaient avec le gouvernement central sans dépendre de lui, Samos avait le bonheur d'être à l'abri de ces discordes qui divisaient les autres Grecs. Son armée, aguerrie par trois années de combats, bien disciplinée, exercée par des officiers habiles, pouvait défier des forces turques beaucoup plus considérables.

L'amiral ottoman quitta les Dardanelles au commencement de mai, et gagna Mytilène, point de ralliement ordinaire des flottes turques. De là il envoya aux habitants de l'Asie Mineure une proclamation par laquelle il leur ordonnait de se réunir à Kusadasi pour envahir Samos. Dès que les Turcs furent rassembles leur premier acte fut le massacre des Grecs qui étaient restés Izmir et à Kusadasi. Cependant, une armée turque s'organisa dans les campagnes d'Éphèse pour surprendre Samos. Chaque jour le désir du butin attirait au camp de nouveaux soldats, qui espéraient piller Samos comme on avait pillé Chios. Le capitan-pacha avait promis de venir avec sa flotte aider au débarquement; mais, retenu par la résistance indomptable du chef Diamanti dans le petit rocher de Scopélos, sur la côte de Thessalie, il se faisait attendre. Les Turcs, impatients de ces retards, étaient allés en foule à la tente du vizir, et l'avaient sommé de leur procurer des barques pour passer le détroit. Le vizir, craignant une sédition, réunit tous les bâtiments qu'il put trouver, et les mit à leur disposition. Après qu'on en eut rassemblé un nombre suffisant, toute la soldatesque turque s'embarqua pendant la nuit, comptant bien surprendre Samos. Mais les Samiens étaient sous les armes; les batteries étaient montées, chaque anfractuosité du rivage cachait des soldats, et du haut des rochers des hommes déterminés se tenaient prêts à descendre pour incendier les chaloupes ennemies et intercepter la retraite. Tout se passa selon le voeu des insulaires; les barques furent presque toutes consumées, puis cinq mille hommes se montrèrent tout à coup, en poussant de grands cris; les détachements de la côte accoururent, les Turcs, culbutés, dispersés, furent livrés à un carnage horrible. Quelques-uns se jetèrent dans les montagnes; ils y furent poursuivis et traqués comme des bêtes sauvages; il en périt plus de six mille. La victoire n'avait coûté aux Samiens que quelques soldats. Ce désastre porta un coup mortel à l'expédition de Kusadasi : ceux des Turcs qui y étaient restés s'enfuirent dans l'intérieur, comme si les vainqueurs de Samos eussent été à leur pour suite.

Ce fut seulement après la double expédition d'Ipsara, et quand cette île eut succombé, que l'amiral turc, retiré à Mételin, reprit ses projets contre Samos. Les pachas de l'Asie Mineure reçurent de nouveau l'ordre de rassembler leurs troupes à Kusadasi, où lui-même promettait de se rendre. Les Turcs d'Asie n'avaient accueilli cet ordre qu'avec terreur; ils se souvenaient que Samos avait été depuis son insurrection le tombeau de plus de vingt mille Turcs, et dans toute l'Anatolie : « aller à Samos » était passé en proverbe pour dire aller à la mort. Ce découragement général nuisait aux vues du pacha : il n'avait pas assez de troupes de débarquernent pour entreprendre seul l'expédition; il resta à Mételin, différant encore l'exécution de ses menaces. Tout le temps du Courban-Baïram se passa dans la rade de Mételin. Enfin , ayant appris qu'un corps de 12,000 hommes venait d'être réuni dans la plaine d'Ephèse / Selçuk, le capitan-pacha sortit en mer, et courut vers Chios, pour échapper aux Grecs qui mouillaient toujours dans les eaux d'lpsara. Il avait dix-huit bâtiments de guerre et quatre fois plus de vaisseaux de transport. De Scio il se dirigea, le 2 août 1824, vers Selçuk. Mais à la hauteur du cap Saint-Elie on vit paraître une flottille de vingt-cinq ou trente petits navires grecs. 

Malgré l'inégalité des forces, le courageux Saktouris, vice-amiral de la flotte de Miaoulis, qui les commandait, résolut de combattre. Les Grecs furent vainqueurs : une partie des vaisseaux turcs fut coulée à fond, le reste fut chassé jusqu'à Smyrne et à Mételin. L'expédition de Samos était encore ajournée. Alors Chosrou-Pacha, l'amiral turc, désespérant de s'en emparer de vive force, eut recours à la trahison. Samos contenait une population d'environ 60,000 hommes; tous ses habitants n'étaient pas également dévoués à la cause de l'indépendance. Une partie des Grecs qui s'étaient retirés à Samos des îles voisines, ou du continent, n'avaient eu que le désir d'échapper au massacre dont ils étaient sans cesse menacés par les Turcs. Il y avait donc trois partis dans la population de Samos : l'un, composé d'hommes timides et prudents, conseillait la fuite, comme unique moyen de salut; l'autre, parmi lesquels le pacha cherchait ses traîtres, demandait la soumission; le parti du plus grand nombre était celui de la résistance. Cependant le pacha gagna quelques traîtres; mais ils furent découverts et forcés de prendre la fuite pour échapper aux menaces de mort que le peuple de Samos proférait contre ceux qu'il appelait le parti turc.

Le capitan-pacha, voyant échouer ses intrigues, forcé cependant de faire une tentative sur Samos pour obéir à son maître, alla radouber ses vaisseaux à Mytilène. Les Turcs rassemblés par son ordre à Izmir et à Kusadasi le pressaient de hâter son expédition; il lui fallut bien reprendre la mer. Ce fut le 9 août 1824 qu'il appareilla. Les Samiens avaient mis à profit le répit dû à la victoire de Saktouris pour renouveler, leurs préparatifs de défense. Les femmes, les enfants, tous ceux qui au moment du péril ne pouvaient être d'aucun secours, furent transportés au centre de l'île. On cacha également dans les montagnes les munitions, les vivres, les choses précieuses. Les plantations furent arrachées, les villages incendiés; Vathi elle-même, devenue le chef-lieu de l'île, fut détruite. Les Samiens dévastèrent leur île pour ne rien laisser aux Turcs, que la perspective du pillage avait attirés non moins que la soif de la vengeance.
Le 10 août l'amiral turc s'avança vers le détroit de Samos; son plan était de prendre sur ses vaisseaux en passant les Turcs rassemblés à Selçuk, de les jeter dans l'île à Karlovassi, et d'attaquer lui-même par mer. Mais Saktouris fit voile à sa rencontre, et le déconcerta. 

Un premier combat eut lieu le 11, et fut à l'avantage des Grecs; le 12 il y eut un engagement général, et une ruse de Saktouris lui assura encore le succès; pendant sept journées la lutte se renouvela, toujours journées aux Grecs. Le 19, malgré ses pertes considérables, les Turcs avaient encore quarante-trois vaisseaux de guerre et autant de bâtiments de transport; il résolut de finir par un coup hardi. Ses vaisseaux de charge, protégés par la moitié de ses vaisseaux de guerre, avaient réussi à prendre à bord la plupart de ses soldats du continent; ils devaient, pendant que l'amiral occuperait Saktouris, jeter les Turcs dans l'île. Mais l'amiral Miaoulis, attendu par les Samiens comme un libérateur, allait enfin arriver; un petit navire d'Hydra en avait apporté la nouvelle. Pour gagner du temps, les Samiens feignirent de vouloir capituler; le croissant fut arboré dans l'île, et on engagea le capitan-pacha à envoyer un parlementaire. Celui-ci fit avancer des chaloupes; son envoyé fut retenu quelque temps en négociations, puis renvoyé sans accommodement. Chosrou, en fureur, voulut commencer aussitôt l'attaque. Ses troupes prirent terre dans une anse isolée, où les Grecs n'avaient qu'un petit corps d'observation.

Mais déjà les vaisseaux de Miaoulis étaient arrivés et avaient engagé le combat : par une manoeuvre habile, les amiraux grecs coupèrent la ligne ennemie, et Saktouris s'attaqua directement aux vaisseaux turcs qui tentaient le débarquement. La bataille fut générale et très acharnée; la canonnade se faisait entendre au loin sur le rivage, et les vaisseaux et Samos tout entière disparaissaient dans un vaste nuage de fumée. La confusion était terrible parmi les vaisseaux turcs, dont les marins étaient peu exercés à la manoeuvre, Leur artillerie, mal dirigée, ne nuisait presque qu'à eux-mêmes; tandis que le feu des Grecs faisait dans leurs équipages les plus grands ravages. Un instant cependant les Turcs eurent l'avantage du vent, et la position des Grecs allait devenir critique, lorsque les plus braves capitaines de la flotte, Canaris, Varnikiotis, Raphalia, Robotsis , s'élancent au milieu des Turcs montés sur leurs brulôts. Canaris s'avançait le premier; d'une main il tenait le gouvernail, de l'autre il agitait en l'air son bonnet de matelot. Il aborda une frégate de cinquante-quatre canons, y mit le feu, et la fit sauter avec tout son équipage. Une frégate de quarante-huit, un brick tunisien de vingt canons eurent le même sort; les Turcs, épouvantés, prirent la fuite, et Samos fut encore sauvée. Les Turcs avaient perdu plus de deux mille hommes dans la bataille; trois mille, qui avaient été débarqués, étaient restés sans secours à la merci des Samiens; trois vaisseaux avaient été brûlés, deux coulés à fond; vingt bâtiments de charge avaient été pris; la bataille du cap Santa-Marina était décisive. 

Deux nouvelles victoires, dans la rade d'Halicarnasse et près de l'île de Chio, remportées sur les débris de la flotte ottomane réunis à celle des Égyptiens, écartèrent de Samos tout danger. Les troupes restées à Scala-Nova et à Ephèse se débandèrent, et, retournant dans leurs foyers, allèrent porter à l'extrémité de l'empire la terreur du nom grec et la réputation guerrière des Samiens.

La conduite des Samiens fut toujours la même pendant toute la durée de la guerre : leur résolution et leur courage ne se démentirent pas un seul instant. Cependant l'île n'avait que peu de rapports avec le gouvernement de la Grèce continentale. Devenue une sorte de république indépendante, elle continuait à se suffire à elle-même; elle continua aussi à inquiéter pendant plusieurs années les côtes de l'Asie Mineure et à tenir en échec les Turcs dans le partie orientale de la mer Egée.

L'île de Samos à la fin de la domination turque.
Après la bataille de Navarin (1827), lorsque l'intervention des trois premières puissances de l'Europe eut assuré à la Grèce la possession de la liberté pour laquelle elle avait si généreusement combattu, un instant on pensa donner aux îles une organisation particulière et en former un État séparé sous le nom de royaume de l'Archipel. Mais ce projet n'eut pas de suite. Les Sporades orientales, parmi lesquelles Samos tenait le premier rang, trop rapprochées de l'empire turc pour entrer sans difficulté dans l'association Hellénique, furent rendues à la Porte. Mais, par égard pour la noble conduite des habitants de Samos, on insista pour que cette île eût une administration spéciale, et pour que son gouverneur, choisi par la Porte, fût pris parmi les chrétiens du rite grec. Le gouvernement turc consentit à cette proposition; et si Samos n'obtint pas la reconnaissance complète de son indépendance, du moins elle ne perdit pas tout le fruit de ses efforts pour la conquérir.

Beaucoup de ses habitants, plus compromis dans la guerre contre les Turcs, ou plus impatients d'un joug odieux, quittèrent Samos, comme d'autres Samiens, qui, dans l'Antiquité, avaient préféré l'exil au repos dans une île opprimée par un tyran. Les Samiens qui allèrent demander en Grèce des établissements y reçurent des terres; mais beaucoup d'entre eux, mal protégés, sans argent pour les premiers frais de leur installation, forcés en outre d'indemniser les Turcs expropriés en vertu de la convention passée entre la France, l'Angleterre et la Russie, furent obligés de retourner dans leur île, qui venait d'obtenir son gouverneur particulier et même un pavillon distinct. 

Lorsqu'en 1830 Poujoulat  a touché à l'île de Samos, il l'a trouvée assez tranquille, sous la nouvelle administration. Les Turcs l'avaient entièrement abandonnée à elle-même. Il y régnait bien encore un peu d'exaltation. Logothétis, qui avait gouverné Samos pendant toute la guerre de l'indépendance et dirigé les opérations de son énergique résistance, s'était retiré à Nauplion, d'où il adressait à ses compatriotes d'ardentes proclamations et proposait un projet de réformes. Pour s'accréditer davantage, il avait pris le nom de Lycurgue.

« Toutes les fois que la voix du nouveau Lycurgue se fait entendre, dit Michaud, la fermentation est grande dans les dix-huit villages de Samos. Toutefois, l'évêque de l'île, les papas et les caloyers, qui possèdent plus de la moitié des terres, voudraient temporiser, car il leur paraît plus raisonnable de mourir doucement avec les Turcs que, de vivre quelques jours et de périr en suite violemment avec les Hellènes. »
Dans les décennies qui suivirent, la situation de l'île est à peu près restée la même. Le tanzimat lui a laissé sa demi-indépendance; elle n'était pas comprise dans le gouvernement de l'Archipel, et elle continua à former une province à part.

Samos fut finalement placée sous la souveraineté de la Grèce en 1913, à l'issue de la Guerre des Balkans. (L. Lacroix).

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Dictionnaire Territoires et lieux d'Histoire
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