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Agrippa d'Aubigné

Théodore Agrippa'd'Aubigné  est un écrivain français, né le 8 février 1552 en l'hôtel Saint-Maury près de Pons, en Saintonge, mort à Genève le 29 avril 1636. Fils d'un père qui, mêlé à toutes les luttes religieuses de son temps, était un Huguenot aussi austère que brave, Agrippa d'Aubigné, dès sa jeunesse, se prononça pour la Réforme dont il devait être un des plus ardents défenseurs. Il n'oublia pas en effet les paroles de son père à Amboise, lui montrant, aux créneaux du château, les têtes des conjurés victimes des haines des Guises
« Mon enfant, il ne faut pas que ta teste soit espargnée après la mienne pour venger ces chefs pleins d'honneur : si tu t'y espargnes, tu auras ma malédiction. » 
Son éducation, confiée à des précepteurs de mérite, fit de lui un lettré, maître des langues anciennes, car à sept ans il traduisait le Criton.

Après quelques années passées à Genève où il acheva ses études, d'Aubigné retourna en France; nature ardente et généreuse, il ne tarda pas à se jeter dans la mêlée des guerres civiles en soldat de fortune. Il guerroya comme partisan en Saintonge, se trouva à Jarnac, monta à la brèche à Pons et partout se montra vaillant et du nombre de ceux « qui dansent au son des tambours ». Une terrible maladie devait mûrir son caractère avant l'âge.

Par une maladie
Qui me mit à la mort, je retrouvay la vie,
écrivait-il plus tard. Retiré dans sa terre des Landes, il s'éprit de Diane Salviati, fille du châtelain de Talcy, noble amour qui « lui mit en tête la poésie française », et lui inspira le Printemps, recueil de sonnets, de ballades et d'idylles que traverse le souffle de l'affection la plus pure. Maître des secrets les plus importants, dépositaire des pièces de la conjuration d'Amboise, d'Aubigné répondit à Salviati qui lui proposait d'en faire argent, en les jetant an feu, disant : 
« Je les ay bruslées de peur qu'elles ne me bruslassent. »
La différence de religion empêcha son union avec Diane, malheur dont ne se consola jamais d'Aubigné et qui fut la cause de la fin prématurée de celle qu'il aimait. Echappé, grâce à une circonstance fortuite, à la Saint-Barthélemy, d'Aubigné sauva, avec une petite troupe de réformés, la ville de Mer en jetant dans la Loire les assassins d'Orléans. Après la paix de La Rochelle, Henri de Navarre voulut avoir près de lui ce vaillant soldat « qui ne trouvoit rien trop chaut » et qui allait devenir le plus sincère des conseillers comme le plus fidèle des amis.
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Agrippa d'Aubigné.
Agrippa d'Aubigné (1552-1636).
(Musée de Bâle).

Les années qui suivirent la Saint-Barthélemy trouvèrent d'Aubigné mêlé aux fêtes et aux intrigues de la cour ou Henri de Navarre était prisonnier des Guises. Compagnon de plaisir des princes, il  mena pendant quelques années la vie des gentilshommes de son temps, mettant l'épée au vent et faisant « mascarades, balets et carousels desquels il était seul inventeur » jusqu'au jour où, voyant la misère du parti huguenot, il réveilla Henri de son indifférence en lui disant :

« Quel esprit destourdissement vous fait choisir d'estre valet ici, au lieu d'estre maitre là. »
En janvier 1576, Henri de Navarre fuyait la cour, suivi de son ami Agrippa d'Aubigné qui allait mettre à son service ces rares qualités qui faisaient dire à Brantôme « qu'il était bon pour la plume et le poil, très sçavant et très éloquent, et bien disant s'il en fut oncques ». Il assista à toutes les rencontres des guerres qui suivirent et, grièvement blessé à Castel-Jaloux (1577), sur son lit de souffrance dicta les premiers vers des Tragiques qui devaient illustrer son nom, et doutant alors si la mort ne viendrait pas bientôt l'interrompre. Plus tard, c'est au milieu des camps qu'il continuera son ouvrage. Jamais la Muse française n'avait été à pareille école. Il le dit fièrement :
Je n'escris plus les feux d'un amour inconu,
Mais par l'affliction plus sage devenu,
J'entreprens bien plus haut, car j'apprens à ma plume 
Un autre feu, auquel la France se consume.
Ces ruisselets d'argent, que les Grecs nous feignoyent, 
Où leurs Poëtes vains beuvoyent et se baignoyent, 
Ne courent plus ici; mais les ondes si claires 
Qui eurent les sapphirs et les perles contraires
Sont rouges de nos morts; le doux bruit de leurs flots, 
Leur murmure plaisant heurte contre des os. 
Telle est, en escrivant, ma non-commune image 
Autre fureur qu'amour reluit en mon visage, 
Sous un inique Mars, parmi les durs labeurs 
Qui gâtent le papier et encre de sueurs. 
Au lieu de Thessalie aux mignardes vallées, 
Nous avortons ces chants au milieu des armées, 
En délassant nos bras de crasse tout rouillez, 
Qui n'osent s'esloigner des brassards despouillez. 
Le luth que j'accordois avec mes chansonnettes 
Est ores estouffé de I'esclat des trompettes;
Icy le sang n'est feint, le meurtre n'y defaut, 
La mort joue elle mesme en ce triste eschaffaut; 
Le Juge criminel tourne et emplit son urne; 
D'ici, la botte en jambe, et non pas le cothurne, 
J'appelle Melpomène en sa vive fureur...
Après la paix de cette même année, d'Aubigné brisa avec son maître, refusa de le suivre, mais le Béarnais par sa belle humeur regagna l'affection de son écuyer, qui de nouveau se jeta dans les luttes civiles et prit part à tous les combats qui se livrèrent pendant la guerre dite des Amoureux (1580). Sa réputation de vaillant soldat  n'avait fait que grandir et les Réformés regardèrent à lui comme à un chef capable de « relever l'enseigne d'Israël ». A la tête de quelques troupes il battit l'estrade dans le Poitou, s'empara de l'île d'Oléron, mais tomba bientôt après entre les mains de ses ennemis qui le condamnèrent à mort. Il échappa grâce à un échange, mais, découragé, voulut renoncer à cette dure vie de partisan. Une fois de plus, Henri de Navarre le rappela à son service et d'Aubigné assista à Coutras (1587). L'année suivante, il devint gouverneur de Maillezais.

Les guerres civiles touchaient cependant à leur fin Henri allait devenir catholique; Agrippa d'Aubigné, qui avait suivi son maître aux sièges de Paris, de Rouen, et assisté aux grandes batailles de ce temps, Arques (1589), lvry (1590), condamna sévèrement l'abjuration de celui qui était le chef du parti huguenot et se retira dans ses terres. Rien ne devait ébranler sa fidélité à ses croyances; il devint l'âme des Assemblées politiques des Réformés, qui, se souvenant des trahisons sans nombre dont ils avaient été victimes, voulurent assurer la liberté de leur conscience comme la sécurité de leur vie. Aussi ne se trouva-t-il pas mêlé aux négociations qui aboutirent à la signature de l'édit de Nantes (1598), triomphe de la politique de modération et de justice après les grandes luttes du XVIe siècle. Cependant resté fidèle à Henri IV, d'Aubigné devenu vice-amiral des côtes de Saintonge, ambitionnait de le seconder dans ses grands projets, lorsque le roi tomba sous le couteau de Ravaillac. Nul n'avait été plus libre avec le Béarnais et ne l'avait servi avec plus de dévouement; aussi la régente désira-telle gagner le chef huguenot, mais d'Aubigné, comprenant les dangers qui menaçaient son parti, résista avec énergie au duc de Bouillon qui voulait obtenir des Réformés l'abandon des places de sûreté. Les divisions profondes qui éclatèrent à l'Assemblée de Saumur (1611) préparèrent la décadence des affaires de la Religion, et déterminèrent Agrippa d'Aubigné prenant occasion de son âge à quitter « les assemblées publiques, estant devenues telles, disait-il, que des femmes publiques ».

L'année 1615 le retrouva cependant en armes dans le soulèvement du prince de Condé qui devait aboutir à ce traité de Loudun qui « fut une foire publique d'une générale lascheté et de particulieres infidélitez ». Peu après ces événements il se retira à Saint-Jean-d'Angély, ayant cédé la place dont il était gouverneur à Rohan (1619). Un an plus tard ses instincts guerriers se réveillèrent au moment où se déclara la guerre de la reine-mère, mais la paix promptement conclue le décida à terminer dans la retraite une vie traversée par tant de luttes, et à prendre « le chevet de sa vieillesse et de sa mort à Genève ».

Il y fut reçu (1er septembre 1620) avec les plus grands honneurs, et appelé à s'occuper des fortifications de cette ville et plus tard de celles de Berne. Mais pour avoir quitté la France il n'en suivait pas moins avec ardeur les luttes religieuses qui allaient amener avec la défaite de Rohan et la chute de La Rochelle la ruine du parti réformé. 

La fin de sa vie fut attristée par l'apostasie de son fils Constant, baron de Surimeau (né vers 1584), qui, perdu de crimes et de dettes, vendit les secrets du parti protestant; et « cela déchira l'amitié d'entre le père et le fils ». Constant mourut misérablement, non pas en Martinique comme ou le répète souvent, mais à Orange en 1645, laissant un fils Charles, père de la duchesse de Noailles, et une fille qui devait être Mme de Maintenon. D'Aubigné avait trouvé par contre dans son fils naturel Nathan (né en 1601) un digne héritier de la noblesse de son caractère, et lui avait donné son nom. Mathématicien distingué, il fit honorer les d'Aubigné et c'est dans sa descendance que le célèbre historien de « la réformation en Europe au temps de Calvin », Merle, choisit la compagne dont il devait prendre le nom sous lequel il a été connu, Merle d'Aubigné.

Retiré au château du Crest, d'Aubigné, après avoir perdu depuis de longues années sa première femme Suzanne de Lezay, épousa dans sa vieillesse (1623) Renée Burlamacchi, d'une famille patricienne de Lucques. II s'éteignit doucement, redisant encore le vieux psaume de la Réforme :

La voici l'heureuse journée
Que Dieu a faite à plein désir.
Les oeuvres d'Agrippa d'Aubigné, écrites au milieu des feux des guerres civiles, devaient survivre à la chute de la cause qu'il avait représentée avec tant de noblesse et de bravoure. Restées longtemps dans un oubli immérité à cause des haines religieuses qui poursuivaient leur auteur, elles ont pris place parmi les grandes oeuvres littéraires du XVIe siècle. Les Tragiques, donnez au public par le larcin de Prométhée; Au Dezert (en 1616), par L. B. D. D. (Le Bouc Du désert, nom sous lequel le vieux chef huguenot se désignait souvent; le Dezert indique le village de Maillé près Fontenay-le-Comte (Vendée), résidence favorite d'A. d'Aubigné) sont  d'un poète à la psychologie ardente, qui relève des Prophètes d'lsraël et peut se réclamer de Juvénal.

Au cours de ces années de dévouement à sa cause, tous les germes de grandeur déposés en lui par la nature et par l'éducation se sont épanouis magnifiquement dans cet ouvrage. Sans doute sa loyauté se mêle d'ostentation, sa bravoure de jactance, son indépendance d'orgueil. Mais, jusque dans ses défauts, il incarne l'âme du parti huguenot : âme de héros. Divisés en sept livres qui portent ces noms étranges, Misères, les Princes, la Chambre dorée, les Jeux, les Fers, Vengeances, le Jugement, les Tragiques font revivre, dans des vers où la pensée est servie par une langue d'une rare puissance, toutes les misères et toutes les hontes de ces temps qu'Agrippa d'Aubigné avait traversé. A côté d'incorrections étranges se placent des images d'une sublime grandeur, qui font de d'Aubigné le précurseur de Corneille

Point de plan; point de modèles : les Tragiques ne se classent dans aucun genre défini. D'Aubigné y a déversé pêle-mêle les passions d'un coeur trop plein, et son désordre a souvent choqué des esprits façonnés par la discipline classique. Mais ce poète peut bien se passer de l'ordre et de la mesure, s'il atteint au sublime; il peut bien manquer de talent, s'il ne manque pas de génie.

Une inspiration lyrique domine son premier livre, les Misères. Le réalisme des peintures et aussi l'accent de certaines prières en font la vigoureuse originalité. Mais cette inspiration est plus trouble que chez Ronsard, moins égale. Avec les livres Il et III, les Princes et la Chambre dorée, c'est la satire, c'est l'indignation,, qui font leur entrée dans la poésie française; jamais jusque-là un aussi beau torrent d'injures n'avait roulé avec pareille impétuosité. Dans les derniers livres enfin, l'inspiration épique l'emporte sur les autres; dans ce livre des Feux, par exemple, où d'Aubigné célèbre la constance des martyrs huguenots :

Le printemps de l'Église et l'esté sont passés,
Si serez vous par moy, verds boutons, amassés; 
Encor esclorrez vous, fleurs si franches, si vives.
Bien que vous paroissiez dernieres et tardives!
On ne vous lairra pas, simples de si grand pris,
Sans vous voir et flairer au celeste pourpris.
Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise 
Vous avez esjoui l'automne de l'Église...
Dieu vit donc de ses yeux, d'un moment, dix mil ames 
Rire à la Verité en despitant les flammes 
Les uns qui, tout chenus d'ans et de sainteté, 
Mouroyent blancs de la teste et de la piété; 
Les autres, mesprisans au plus fort de leur aage 
L'effort de leur plaisir, eurent pareil courage 
A leurs virilités; et les petits enfans, 
De qui I'ame n'estoit tendre comme les ans,
Donnoyent gloire au grand Dieu, et de chansons nouvelles 
S'esgayoient à la mort au sortir des mamelles.
La Bible a modelé la personnalité de ce Huguenot à l'image et à la ressemblance d'un Ézéchiel. Elle lui inspire d'adapter sans cesse les Écritures aux faits de l'histoire contemporaine, d'amplifier à l'infini les moindres de ces faits par une interprétation toute pénétrée de l'esprit biblique. Dans l'imagination d'Agrippa d'Aubigné, les personnages, les sites, les événements de la vie quotidienne deviennent les personnages, les sites, les événements que le commerce des Livres saints lui avait rendus familiers. L'Église réformée, c'est le peuple d'Israël; toute province où pénètre le Calvinisme devient la terre de Chanaan ; la France catholique est le royaume d'Égypte; Catherine de Médicis est l'impie Jézabel. Associées à un passé si lointain et si sacré, les pauvres réalités contemporaines se transfigurent. Ces comparaisons et ces images emplissent l'esprit du lecteur de la vague et sublime persuasion que l'Église de Dieu est une, que les  Réformés, qui la prolongent jusqu'à nous, sont revêtus de sa majesté, et que, depuis les temps bibliques jusqu'à Henri de Navarre, une même histoire se poursuit, celle des élus et de leur indomptable énergie, l'histoire dont le triomphe du Très-Haut et le salut des humains sont l'éternel enjeu. D'Aubigné emprunte aux prophètes cette forme lyrico-épique si propre à traduire leur exaltation, leurs images brûlantes, leurs alliances imprévues de métaphores familières et de métaphores sublimes, et leur hantise de Yahveh.

Les Tragiques ne parurent que sous Louis XIII, en 1616. C'était trop tard : on voulait alors croire que les passions que le poème traduisait s'étaient, apaisées ou éteintes. On voulait oublier.
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Les frères ennemis

Le poète compare la France à une mère qui nourrit de son lait deux enfants; mais l'un d'eux, jaloux de son frère, l'arrache du sein maternel.

« Ce volleur acharné, cet Esau [Esaü, ici dissyllabe] malheureux
Faict degast du doux laict qui doit nourrir les deux;
Si [= tant] que pour arracher a son frere la vie,
Il meprise la sienne, et n'en a plus d'envie.
Mais son Jacob, pressé d'avoir jeusné mesui [jusqu'aujourd'hui (magis hodie)],
Estouffant quelque temps en son coeur son ennui,
A la fin se defend, et sa juste colere
Rend a l'autre un combat dont le champ est la mere 
Ni les souspirs ardents, les pitoyables cris, 
Ni les pleurs rechauffez ne calment les esprits; 
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble, 
Leur conflict se rallume et faict si furieux 
Que d'un gauche [= sinistre] malheur ils se crevent les yeux. 
Cette femme esplorée en sa douleur plus forte 
Succombe a sa douleur, mi vivante, mi morte. 
Elle void les mutins tous dechirez, sanglans, 
Qui ainsi que du coeur, des mains se vont cerchans. 
Quand pressant a son sein d'une amour maternelle 
Celui qui a le droit et la juste querelle, 
Elle veut le sauver; l'autre qui n'est pas las, 
Viole, en poursuivant, l'asile de ses bras. 
Adonc [= alors (ad tunc)] se perd le laict, le suc de sa poictrine;
Puis, aux derniers abois de sa proche ruine, 
Elle dit : « Vous avez, felons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté. 
Or [= maintenant] vivez de venin, sanglante geniture; 
Je n'ai plus que du sang pour vostre nourriture! »
 

(Agrippa d'Aubigné, extrait des Tragiques, livre des Misères).

D'Aubigné avait vu de trop près les hommes de ce siècle, qui fut si grand,et s'était trouvé mêlé à des événements trop importants pour ne pas être tenté d'en raconter l'histoire. C'est à cette cause que nous devons la publication de l'Histoire universelle du sieur d'Aubigné, dédiée à la postérité(Maillé, 1616-1620, 3 vol. in-fol.). Il y a fait là peinture « d'un temps calamiteux, plein d'ambitieux desseins, de fidélitez et infidélitez remarquables, de vertus relevées et d'infames lachetés ». Il s'agit d'un ouvrage que l'on oa dit digne de Tacite, du moins sous le rapport de la grandeur des idées et de la noblesse des sentiments. On y trouve aussi une conseption très élevée des devoirs de l'historien qui doit « se garder des haynes fraisches et des intérêts encore en fleur », mais en même temps des défauts de composition nés d'un désir de symétrie que les études historiques ne comportent pas. Cependant la richesse des documents qu'elle renferme, les souvenirs personnels de d'Aubigné qui la remplissent lui donnent une valeur de premier ordre. 

Agrippa d'Aubigné avait toutes les austérités huguenotes et toutes les hardiesses gauloises, preuve en soit ce pamphlet qui lui valut les censures genevoises : Les aventures du baron de Faeneste (Maillé, 1617), où il flagelle de haut les gens sans conviction. Habile « à trousser l'épigramme », il ne redouta pas, dans la Confession catholique du Sire de Sancy, de flétrir ces changements de religion trop à la mode déjà aux jours de la Ligue. On doit citer encore parmi ses oeuvres, le Divorce satyrique ou les amours de la reine Margueritte, le Printemps, Petites oeuvres meslées, etc.

La critique moderne a rendu au vaillant Huguenot la place d'honneur que méritait son génie et l'Académie française s'est honorée en proposant, en 1884, sa vie et son oeuvre comme sujet du prix d'éloquence. Sainte-Beuve a pu dire avec raison qu'il représente « un type accompli de la noblesse ou plutôt de la gentilhommerie protestante, brave, opiniâtre, raisonneuse et lettrée, guerroyant de l'épée et de la parole, avec un surcroît de point d'honneur et un certain air de bravade chevaleresque ou même gasconne qui est à lui ». (Frank Puaux).
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Le jugement dernier

« Vous avez dict, perduz : « Nostre nativité
N'est qu'un sort [= hasard]; nostre mort, quand nous aurons esté, 
Changera notre haleine en vent et en fumée. 
Le parler [= la parole] est du coeur l'estincelle allumée. 
Ce feu esteint, le corps en cendre deviendra; 
L'esprit, comme air coulant, parmy l'air s'espandra; 
Le temps avalera [ = dévorera] de nos faicts la memoire, 
Comme un nuage espais estend sa masse noire »...

O enfans de ce siecle, o abusez mocqueurs, 
Imployables esprits, incorrigibles coeurs, 
Vos esprits trouveront en la fosse profonde
Vray, ce qu'ils ont pensé une fable en ce monde. 
Ils languiront en vain de regret sans mercy. 
Vostre ame a sa mesure [= autant qu'elle pourra] enflera de soucy. 
Qui vous consolera? L'amy qui se desole, 
Vous grincera les dents au lieu de la parole.
Les saincts vous aymoient-ils? Un abysme est entre eux; 
Leur chair ne s'esmeut plus, vous estes odieux. 
Mais n'esperez-vous point fin a vostre souffrance? 
Point n'esclaire [ = luit] aux enfers l'aube de l'esperance.
- Dieu auroit-il sans fin esloigné sa merci? 
- Qui a peché sans fin souffre sans fin aussi. 
La clemence de Dieu fait au ciel son office,
Il desploye aux enfers son ire et sa justice.... 
Transis, desesperez il n'y a plus de mort, 
Qui soit pour vostre mer des orages le port. 
Que si vos yeux de feu jettent l'ardente veue 
A l'espoir du poignard, le poignard plus ne tue. 
- Que la mort, direz-vous, estoit un doux plaisir!
La mort morte ne peut vous tuer, vous saisir. 
Voulez-vous du poison? En vain cet artifice.
Vous vous precipitez? En vain le precipice. 
Courez au feu brusler; le feu vous gellera.
Noyez vous; l'eau est feu, l'eau vous embrasera. 
La peste n'aura plus de vous misericorde. 
Estranglez vous; en vain vous tordez une corde.
Criez après l'enfer. De l'enfer il ne sort 
Que l'eternelle soif de l'impossible mort. »
 

(Agrippa d'Aubigné, extrait des Tragiques, livre du Jugement).


En librairie - Ouvrages d'Agrippa d'Aubigné : Les Tragiques (prés. Frank Lestringant), Gallimard Poésie, 1995; Oeuvres, Gallimard, coll. La Pléiade, 1969.

Gilbert Schrenck, Agrippa d'Aubigné, Memini (Bibliographie des écrivains français), 2001.

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