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Mazarin

Jules Mazarin est un célèbre homme d'État français, né à Pescina (Abruzzes) le 14 juillet 1602, mort à Paris le 9 mars 1661. Son père était un Sicilien, Pietro Mazarini, de Palerme (mort à Rome le 14 novembre 1654), attaché à la grande famille des Colonna; sa mère, Ortensia Bufalini. Le jeune homme fit ses études chez les jésuites, au collège romain, tout en s'adonnant au jeu. Emmené en Espagne par Jérôme Colonna, Mazarin passa trois ans dans ce pays, d'abord à l'université d'Alcala, puis à Madrid où la passion du jeu faillit le retenir. Revenu à Rome vers 1622, il acheva ses études et fut reçu docteur in utroque jure. Quand éclata la guerre de la Valteline, il devint capitaine d'infanterie dans un régiment pontifical commandé par un Colonna, le prince de Palestrina; cette campagne lui révéla sa véritable vocation, qui n'était pas la guerre, mais la diplomatie. 
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Mazarin.
Le cardinal de Mazarin.

Les Barberini, neveux d'Urbain VIII, s'intéressèrent à lui et le firent entrer dans l'ambassade que le pape envoyait pour apaiser la guerre de Mantoue; pendant un an il négocia avec la France, la Savoie, l'Espagne; et le 26 octobre 1630, au moment où Espagnols et Français allaient en venir aux mains devant Casal, il courut bravement se jeter entre les deux armées en annonçant la paix. Ce trait de courage fonda sa réputation : représentant du pape aux traités de Cherasco (1631) et de Turin (1632), il quitta le costume militaire pour l'habit ecclésiastique. Bientôt la France l'attira : vice-légat d'Avignon (1634), puis nonce à Paris (1634-36), il déplut par ses sympathies françaises à l'Espagne, qui le fit renvoyer à Avignon (1636) et qui l'empêcha, malgré les efforts de Richelieu, de devenir cardinal (1638). Enfin, en 1640, il entra au service de la France et fit un heureux début en gagnant à la cause française les princes de Savoie (décembre 1640); un an après, le pape lui accordait le chapeau de cardinal. Lors de la conspiration de Cinq-Mars et du duc de Bouillon, celui-ci n'obtint sa grâce qu'en livrant Sedan; Mazarin signa la convention et vint occuper la ville. 

Confident de Richelieu, il employait sa souplesse à prévenir les chocs entre le roi et le ministre, tous deux aigris par la maladie. Richelieu le désigna comme son successeur, et mourut le 4 décembre 1642 ; le 5, des lettres patentes annoncèrent l'entrée de Mazarin au conseil, avec, des pouvoirs formulés d'une manière vague comme ceux de Richelieu, ce qui permettait de les étendre à toutes choses. Le nouveau ministre eut le mérite de défendre la mémoire et la famille de son prédécesseur contre la réaction qui commençait: Mais, en même temps, il préparait l'avenir : la reine Anne, à qui Louis XIII venait d'imposer un conseil de régence inamovible, reçut de lui, par le valet de chambre Beringhen et l'évêque Potier, des assurances répétées de soumission. Louis XIII mort, le parlement, dans le lit de justice du 18 mai, cassa le testament royal et donna l'autorité complète à la régente; le soir même, les anciens amis d'Anne d'Autriche apprirent avec étonnement que Mazarin était confirmé dans les fonctions de premier ministre, chef du conseil en l'absence des princes.

Mazarin était alors un homme de quarante ans, très beau, de manières élégantes. Lui qui disait : « Qui a le coeur a tout », gagna le coeur de la reine. Les lettres chiffrées de Mazarin et d'Anne d'Autriche, qu'on a réussi à lire, ne laissent aucun doute sur la réalité de cet amour, qui ne fut pas platonique. On a supposé un mariage secret entre la régente et le ministre; c'est une hypothèse gratuite : les cardinaux ne pouvaient pas se marier. On s'est aussi demandé si Mazarin a jamais été prêtre. En 1640, il fut créé cardinal laïque, avec une dispense; se fit-il recevoir prêtre vers la fin de sa vie, pour satisfaire la cour pontificale? C'est douteux, puisque les oraisons funèbres prononcées à Rome après sa mort le disent cardinal laïque. Quoi qu'il en soit, cette passion, beaucoup plus vive chez la reine que chez le favori, le rendit tout-puissant; plus heureux que Richelieu, il n'eut jamais, au milieu des plus grands dangers, à craindre une disgrâce royale.

Le nouveau ministre était un personnage fin et fourbe, aux manières humbles, au langage insinuant, doué d'un sang-froid et d'une persévérance qui laissaient peu d'accès au découragement. Toutes ces qualités lui furent nécessaires sous un roi mineur, en présence d'une noblesse turbulente, dans un pays qui haïssait les favoris et qui se rappelait Concini. Les Huguenots s'inquiétaient; sa tolérance les calma. Les paysans du Rouergue, les Croquants, se révoltaient; on les battit. Mais le principal danger vint de la cabale des Importants qui comprenait, à côté d'aventuriers ambitieux, des prélats honnêtes et des bourgeois du parlement; elle avait pour chef le duc de Beaufort. Une lutte sourde s'engagea entre les Importants et le ministre; la tentative d'assassinat dirigée par Beaufort contre Mazarin, sur le conseil de Mme de Chevreuse, amena la répression : le duc fut mis à Vincennes, les mécontents renvoyés dans leurs terres, et Mazarin demeura le maître. Il en profita pour continuer activement la guerre de Trente Ans; par bonheur, la régence avait à son service l'épée de Turenne et de Condé. Les victoires de Rocroi, Fribourg, Nordlingen et Lens, les campagnes de Turenne et de Fribourg, en Bavière, assuraient la victoire au Nord et au Nord-Est. Les Français furent moins heureux en Catalogne. En Italie, Mazarin se laissa quelquefois guider par des passions personnelles, par exemple quand il entreprit pour effrayer le pape Innocent X la longue et pénible campagne de Toscane (1646), mais il secourut mollement les Napolitains révoltés sous Masaniello, puis sous le duc de Guise. Enfin, après l'échec des négociations entamées avec l'Espagne, Servien signa les traités de Westphalie (1648), qui donnaient l'Alsace à la France et qui détruisaient la puissance impériale en Allemagne.

Mais pendant ce temps, à l'intérieur, la haine contre Mazarin grandissait. Les charges financières, devenues très lourdes par suite des guerres, étaient accrues encore par l'avidité du cardinal et de son acolyte, le surintendant Particelli d'Emeri; le parlement s'assura une popularité facile en combattant les impôts nouveaux, surtout l'édit du toisé, puis la taxe des aisés (1644). En 1647, le ministre semblait avoir surmonté ces obstacles; tout en dirigeant les affaires extérieures, il augmentait ses riches collections, introduisait pour la première fois l'opéra en France, et accordait quelques pensions à des hommes de valeur, à Descartes entre autres. Toutefois ce calme n'était qu'apparent, et l'opposition parlementaire devint formidable en 1648 (Fronde). L'arrêt d'union des quatre cours souveraines de Paris amena les délibérations communes de la chambre Saint-Louis; on y élabora un programme qui était la négation de toute l'oeuvre intérieure de Richelieu. Mazarin, qui attendait une occasion pour sévir, fit arrêter, après la victoire de Lens, le populaire conseiller Broussel; ce fut le signal de la journée des Barricades (26 août). Il fallait céder; une déclaration royale enregistrée le 24 octobre, le jour où étaient signés les traités de Westphalie, accorda en principe les demandes de la chambre Saint-Louis. Ce n'était qu'une feinte : dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649 la cour s'enfuit à Saint-Germain et, avec l'aide de Condé, commença le siège de Paris. Le traité de Rueil (avril) termina ce conflit. 
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La Journée des Barricades

« Le parlement s'étant assemblé ce jour-là de très bon matin, et devant même que l'on eût pris les armes, apprit le mouvement par les cris d'une multitude immense qui hurlait dans la salle du palais : Broussel! Broussel! et il donna arrêt par lequel fut ordonné que l'on irait en corps et en habit au Palais-Royal redemander les prisonniers; qu'il serait décrété contre Comminges, lieutenant des gardes de la reine; qu'il serait défendu à tous gens de guerre, sous peine de la vie, de prendre des commissions pareilles, et qu'il serait informé contre ceux qui avaient donné ce conseil comme contre des perturbateurs du repos public. L'arrêt fut exécuté à l'heure même : le parlement sortit au nombre de cent soixante officiers. Il fut reçu et accompagné dans toutes les rues avec des acclamations et des applaudissements incroyables : toutes les barricades tombaient devant lui.

Le premier président parla à la reine avec toute la liberté que l'état des choses lui donnait. Il lui représenta au naturel le jeu que l'on avait fait en toutes occasions de la parole royale; les illusions honteuses, et même puériles, par lesquelles on avait éludé mille et mille fois les résolutions les plus utiles et même les plus nécessaires à l'État ; il exagéra avec force le péril où le public se trouvait par la prise tumultuaire et générale des armes. La reine, qui ne craignait rien parce qu'elle connaissait peu, s'emporta, et elle lui répondit avec un ton de fureur plutôt que de colère :

" Je sais bien qu'il y a du bruit dans la ville; mais vous m'en répondrez, messieurs du parlement, vous, vos femmes et vos enfants."
En prononçant cette dernière syllabe, elle rentra dans sa petite chambre grise et elle en ferma la porte avec force.

Le parlement s'en retournait; et il était déjà sur les degrés, quand le président de Mesmes, qui était extrêmement timide, faisant réflexion sur le péril auquel la compagnie allait s'exposer parmi le peuple, l'exhorta à remonter et à faire encore un effort sur l'esprit de la reine. M. le duc d'Orléans, qu'ils trouvèrent dans le grand cabinet et qu'ils exhortèrent pathétiquement, les fit entrer au nombre de vingt dans la chambre grise. Le premier président fit voir à la reine toute l'horreur de Paris armé et enragé, c'est-à-dire il essaya de lui faire voir, car elle ne voulut rien écouter; elle se jeta de colère dans la petite galerie.

Le cardinal s'avança et proposa de rendre les prisonniers, pourvu que le parlement promît de ne pas continuer ses assemblées. Le premier président répondit qu'il fallait délibérer sur la proposition. On fut sur le point de le faire sur-le-champ; mais beaucoup de ceux de la compagnie ayant représenté que les peuples croiraient qu'elle aurait été violentée si elle opinait au Palais-Royal, l'on résolut de s'assembler l'après-dînée au palais, et l'on pria M. le duc d'Orléans de s'y trouver.

Le parlement étant sorti du Palais-Royal, et ne disant rien au peuple de la liberté de Broussel, ne trouva d'abord qu'un morne silence au lieu des acclamations passées. Comme il fut à la barrière des Sergents, où était la première barricade, il y rencontra du murmure, qu'il apaisa en assurant que la reine lui avait promis satisfaction. Les menaces de la seconde furent éludées par le même moyen. La troisième, qui était à la Croix du Tirouer, ne se voulut pas payer de cette monnaie; et un garçon rôtisseur, s'avançant avec deux cents hommes et mettant la hallebarde dans le ventre du premier président, lui dit :

 " Tourne, traître; et si tu ne veux être massacré toi-même, ramène-nous Broussel ou le Mazarin et le chancelier en otages. "
 Vous ne doutez pas, à mon opinion, ni de la confusion ni de la terreur qui saisit presque tous les assistants; cinq présidents au mortier et plus de vingt conseillers se jetèrent dans la foule pour s'échapper. L'unique premier président, le plus intrépide homme, à mon sens, qui ait paru dans son siècle, demeura ferme et inébranlable. Il se donna le temps de rallier ce qu'il put de la compagnie; il conserva toujours la dignité de la magistrature et dans ses paroles et dans ses démarches, et il revint au Palais-Royal au petit pas, sous le feu des injures, des menaces, des exécrations et des blasphèmes.

Cet homme avait une sorte d'éloquence qui lui était particulière. Il n'était pas congru dans sa langue, mais il parlait avec une force qui suppléait à tout cela; et il était naturellement si hardi qu'il ne parlait jamais si bien que dans le péril. Il se passa lui-même lorsqu'il revint au Palais-Royal, et il est constant qu'il toucha tout le monde, à la réserve de la reine, qui demeura inflexible.

Monsieur fit mine de se jeter à genoux devant elle; quatre ou cinq princesses, qui tremblaient de peur, s'y jetèrent effectivement. Le cardinal, à qui un jeune conseiller des enquêtes avait dit en raillant qu'il serait assez à propos qu'il allât lui-même dans les rues voir l'état des choses, le cardinal, dis-je, se joignit au gros de la cour, et l'on tira enfin à toute peine cette parole de la bouche de la reine :

" Hé bien! messieurs du parlement, voyez donc ce qu'il est à propos de faire. "
L'on s'assembla en même temps dans la grande galerie; l'on délibéra, et l'on donna arrêt par lequel la reine serait remerciée de la liberté accordée aux prisonniers.

Aussitôt que l'arrêt fut rendu, l'on expédia les lettres de cachet, l'on transmit les paroles, et le premier président montra au peuple les copies, qu'il avait mises en forme, de l'un et de l'autre : mais l'on ne voulut pas quitter les armes que l'effet ne s'en fût ensuivi. Le parlement même ne donna point d'arrêt pour les faire poser qu'il n'eût vu Broussel dans sa place. Il y revint le lendemain, ou plutôt il y fut porté sur la tête des peuples avec des acclamations incroyables. L'on rompit les barricades, l'on ouvrit les boutiques, et en moins de deux heures Paris parut plus tranquille que je ne l'ai jamais vu le vendredi saint. »
 

(Cardinal de Retz, Mémoires).

Mazarin se trouvait alors entre la vieille Fronde ou parti parlementaire, dirigée par le coadjuteur Paul de Gondi, et la jeune Fronde ou parti féodal, dirigée par Condé. Ce dernier se rendit-il insupportable par ses exigences, ou bien (comme l'a soutenu le duc d'Aumale dans l'Histoire des princes de Condé) le ministre chercha-t-il un prétexte pour se débarrasser d'un général trop glorieux? Ce qui est certain, c'est qu'une alliance avec la vieille Fronde lui permit d'emprisonner Condé, son frère Conti et son beau-frère Longueville (janvier 1650). Comme plusieurs provinces s'agitaient, il mène la cour en Normandie, en Bourgogne, en Guyenne, pour assurer l'ordre; la princesse de Condé ne peut se maintenir à Bordeaux, et Turenne, qui a fait défection, est battu à Rethel; à la fin de 1650 tout semble apaisé. Mais le cardinal ne tient pas les promesses faites à Gondi, et les deux Frondes se liguent contre lui. Mazarin quitte Paris; Anne d'Autriche, qui devait le rejoindre, est retenue prisonnière dans la capitale. A cette nouvelle la ministre court au Havre et délivre les trois princes, afin de regagner l'appui de Condé; cet espoir étant déçu, il se résigne enfin à quitter le royaume et se retire à Bruhl, près de Cologne.

Il envoya de là ses instructions à la régente, qui les exécuta de point en point, alors même qu'elle signait une déclaration violente contre lui. Paul de Gondi, devenu le cardinal de Retz, et Condé se disputaient le pouvoir; la reine mère, qui continuait à gouverner malgré la majorité du roi (septembre 1651), soutint la cause de Retz, et Condé finit par courir aux armes. Mazarin lève aussitôt des troupes et, sur un ordre formel et public du roi, revient prendre la direction des affaires (décembre). Après la bataille du faubourg Saint-Antoine et le départ de Condé pour les Pays-Bas, la soumission de Paris était proche; pour la faciliter, Mazarin céda aux prières du parlement royaliste de Pontoise qui l'exhortait à s'éloigner une seconde fois, et il se rendit à Sedan. Louis XIV rentra peu après à Paris (octobre 1652), et en février 1653 le cardinal revint à son tour avec tout l'appareil d'un souverain. Il se montra clément pour ses ennemis, car la rancune lui paraissait un sentiment inutile, donc mauvais; Retz avait été emprisonné (il s'évada bientôt), quelques frondeurs furent exilés dans les provinces; le reste obtint son pardon. Mais les révoltes provinciales furent vaincues et le parlement perdit tout rôle politique, surtout après la célèbre séance où Louis XIV vint lui parler le langage de l'absolutisme. Mazarin exerça jusqu'à sa mort le pouvoir le plus complet qu'un ministre ait jamais possédé.

Le cardinal, même pendant la Fronde, n'avait jamais négligé la lutte contre l'Espagne; il reprit les opérations et, comme la France était à bout de ressources, rechercha l'alliance anglaise. Les pourparlers engagés avec Cromwell dès 1652 se poursuivirent longtemps entre l'insinuant Italien et le rude et froid Anglais. Mazarin n'hésita pourtant pas à contrecarrer le projet, conçu par le Protecteur, d'organiser une vaste confédération protestante en Europe. Le traité de commerce et d'amitié conclu à Westminster (1655) prépara le traité défensif et offensif de Paris (1657) qui eut pour conséquences la bataille des Dunes et la prise de Dunkerque. En même temps Mazarin profitait de la mort de l'empereur Ferdinand III pour combattre les Habsbourg en Allemagne. Il parla même de leur enlever le trône impérial et mit en avant diverses candidatures, entre autres celle de Louis XIV

Le prince autrichien Léopold fut quand même élu, mais le cardinal forma la ligue du Rhin (1658) qui assurait l'intervention constante de la France en Allemagne. Les négociations avec l'Espagne aboutirent au traité des Pyrénées (1659), que Mazarin alla signer dans l'île de la Conférence, sur la Bidassoa : la France acquit l'Artois et le Roussillon; Condé rentra en grâce; Louis XIV, dont on avait un instant annoncé le mariage avec une princesse de Savoie, épousa l'infante Marie-Thérèse. Mazarin pacifia aussi le Nord : grâce à lui la Suède conclut avec la Russie, la Pologne et le Danemark, des traités qui lui conservèrent les conquêtes de Charles-Gustave. On a reproché à Mazarin quelques fautes diplomatiques: au traité des Pyrénées il aurait pu, d'après Saint-Evremond, prendre les Pays-Bas tout entiers; il abandonna le Portugal et rompit les liens d'amitié avec la Hollande et la Suisse, tandis que Richelieu avait toujours protégé les petites puissances; enfin le mariage avec l'infante, qui donnait à Louis XIV des droits sur la succession d'Espagne; prépara de longues guerres. Malgré ce qu'il peut y avoir de juste dans ces critiques, la politique étrangère de Mazarin avait abouti à de si beaux résultats qu'elle assura sa gloire.

Une gloire bien usurpée au demeurant, comme on le constate vite dès que l'on aborde son administration intérieure. Il était, comme le dit Retz, ignorantissime en ces matières; de là des fautes graves, et surtout la destruction complète de cette marine que Richelieu avait formée avec tant de soins. A cette ignorance, Mazarin joignit une avidité démesurée. Dépouillé de ses biens par la Fronde, il se refit une fortune gigantesque en exploitant la France. Il prenait à forfait les fournitures de l'armée et de la flotte, recevait les pots-de-vin des traitants, se faisait payer là nomination à n'importe quel office; il ne rougit pas de toucher une part dans les prises faites par les flibustiers qui allaient pirater sur les côtes de Hollande. Cette cupidité devint presque maladive : le tout-puissant cardinal trichait au jeu, pesait les pièces d'or gagnées pour se défaire des moins lourdes. Bien servi par son complice Fouquet, Mazarin devint possesseur d'immenses richesses; d'après l'évaluation la plus modérée, celle que donna Fouquet pendant son procès, il avait acquis au moins 50 millions. 

Tout en amassant avec frénésie, Mazarin dépensait largement: ses fêtes étaient célèbres par un faste royal, et surtout il unissait aux goûts artistiques de l'Italien la passion du collectionneur. Son palais, où se trouvera par la suite la Bibliothèque nationale, fut achevé par Mansard, décoré par les peintres Romanelli et Grimaldi, et devint un véritable musée, témoin l'inventaire de ses meubles (publié par le duc d'Aumale). Dans tous les pays, des courtiers achetaient pour lui des oeuvres d'art ou des objets de valeur; son bibliothécaire Gabriel Naudé réunit une superbe collection de livres et de manuscrits. Quant à son argent, Mazarin le destinait à sa famille. Très bon parent, trop bon parent même, il combla de faveurs son frère qui devint cardinal, son neveu qui fut duc de Nivernais; il fit faire de brillants mariages à ses nièces, les deux Martinozzi et les cinq Mancini; l'une de ces dernières fut unie au petit-neveu de Richelieu, qui devint duc de Mazarin. Avait-il songé un instant à couronner une de ses nièces reine de France, à marier Louis XIV avec Olympe, puis avec Marie Mancini pour laquelle le jeune prince eut une véritable passion? C'est possible; mais la résistance d'Anne d'Autriche et les hauteurs de Marie le guérirent bien vite de cette dangereuse ambition.

Le cardinal était devenu goutteux et malade; son médecin Guénaud lui annonça que la mort approchait. On le vit alors, s'il faut en croire Brienne, se promener dans ses galeries en exprimant le regret de dire adieu à ces belles collections « qui lui avaient tant coûté ». Mais son courage ne l'abandonnait pas; il dissimula ses souffrances et continua d'organiser des fêtes à Vincennes ou à Paris, par exemple celles où Molière joua l'Étourdi et les Précieuses ridicules devant Louis XIV. Pour mettre son héritage à couvert, il fit une donation générale de ses biens au roi qui les lui rendit. Alors Mazarin partagea sa fortune entre ses parents, légua ses livres à la Bibliothèque royale, et fonda le collège des Quatre-Nations dans le bâtiment où est aujourd'hui l'Institut. Il donnait en même temps ses derniers conseils à Louis XIV.

Nommé en 1645 surintendant de l'éducation du jeune prince, il avait choisi Villeroi comme gouverneur, Hardouin de Péréfixe comme précepteur. Longtemps cette éducation fut négligée, peut-être parce que Mazarin craignait de se rendre trop vite inutile. Mais dans les derniers temps il s'entretint souvent avec Louis XIV, l'initia aux affaires, lui recommanda des hommes tels que Colbert ou de Lionne, et finalement lui donna des instructions dont le roi mit une partie par écrit après la mort du cardinal (Chantelauze les a publiées). Son principal conseil était de ne jamais prendre de premier ministre. Le cardinal Mazarin était peu religieux; lui-même déclara dans ses derniers jours n'avoir jamais ouï une seule messe selon les intentions de l'Église. C'est cette liberté d'esprit, jointe à son grand sens politique, qui l'avait rendu si tolérant pour les réformés et les jansénistes. Désirant mourir d'une façon correcte, il se fit assister et instruire par Claude Joly, curé de Saint-Nicolas-des-Champs. Les contemporains déclarèrent que sa fin avait été plus d'un philosophe que d'un chrétien.

Mazarin, malgré ses services, n'eut pas comme Richelieu cette grandeur qui force l'admiration même chez les adversaires. Peu d'hommes furent aussi attaqués de leur vivant. Pendant la Fronde parurent les Mazarinades, ainsi appelées du titre que portait un libelle de Scarron. Retz a laissé de Mazarin un portrait terrible, étincelant d'esprit et de haine, mais c'est l'oeuvre d'un ennemi. Au XIXe siècle on a beaucoup étudié Mazarin : l'apologie du cardinal, indiquée à grands traits par Miguet, développée par Victor Cousin, est devenue complète dans les deux consciencieux ouvrages que lui a consacrés Chéruel. Cette tendance élogieuse a soulevé quelques protestations, surtout de la part de Chantelauze et de Loiseleur. D'ailleurs nous pouvons étudier Mazarin directement, d'une part dans sa correspondance, d'autre part dans les quinze intéressants carnets (conservés à la Bibliothèque nationale) où il notait les incidents quotidiens et les choses qu'il comptait dire à la reine ou aux principaux seigneurs. Nous voyons ainsi les deux faces du personnage : les carnets le font apparaître comme un courtisan rusé, préparant ses mensonges, faisant provision de commérages pour amuser la régente; les lettres montrent sa prodigieuse activité, son attention toujours en éveil sur les mouvements des ennemis, sur les pourparlers ou les campagnes à suivre. (Georges Weill).

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