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Pierre-Augustin
Caron de Beaumarchais est un écrivain, auteur
dramatique, spéculateur, horloger et agent secret né
à Paris le 24 janvier 1732, mort dans
la même ville le 18 mai 1799. Sa famille, originaire de la Brie ,
n'avait pas abjuré après la révocation de l'édit
de Nantes, mais son père, André-Charles Caron, se convertit
en 1721, et se maria l'année suivante, après s'être
fait recevoir maître horloger. De cette union naquirent dix enfants.
Pierre-Augustin fut le septième. Il montra de très bonne
heure un esprit vif, un caractère joyeux et un coeur aimant qui
le firent choyer de ses parents aussi bien que de ses soeurs aînées.
Pour une raison que l'on ignore, - tout simplement peut-être par
mesure d'économie -, Caron fit suivre à son fils les cours
d'une école située à Alfort et qui n'a pas laissé
d'autre trace dans l'histoire de l'enseignement; bien que Beaumarchais
se soit de temps à autre permis quelques citations'
latines, il est vraisemblable qu'il
ne reçut là qu'une instruction purement professionnelle,
car, au lieu de tourner ses ambitions vers le barreau ou la chicane, il
entra modestement comme apprenti chez son père. Il s'y distingua
bientôt assez pour inventer un échappement dont la découverte
lui fut contestée par Lepaute.
Un autre eût cédé sans
doute aux revendications injustifiées de son tout-puissant confrère.
Mieux avisé, le jeune Caron en appela, tout de suite à l'équité
de l'Académie des sciences, excellent
juge en pareille matière, et aussi, ce qui était alors une
véritable nouveauté, à l'opinion publique; le Mercure
de France tint ses lecteurs au courant de l'affaire et inséra
tout au long un certificat formel délivré à Caron
fils par Dortous de Mairan, Mignot de Montigny et J.-B. Le Roy. Cette première
passe d'armes et l'habileté très réelle, parait-il,
que le jeune horloger avait acquise dans son art, lui valurent l'accès
de la cour. Il eut l'honneur de présenter au roi une montre dont,
sur son ordre, il dut démontrer le mécanisme aux courtisans,
et d'en construire pour Mme de Pompadour une
autre « qui n'avait que quatre lignes de diamètre ».
Toute son ambition se bornait encore à satisfaire aux commandes
réitérées de la famille royale et à briguer
le titre d'agrégé de la Société
Royale de Londres (1754). Ce fut alors
qu'il fit la connaissance de Mme Franquet, plus jeune de beaucoup que son
mari, contrôleur de la bouche du roi et de l'extraordinaire des guerres.
Bientôt M. Franquet céda ses
charges au jeune homme qui prit d'un « très petit fief »,
dont la situation topographique n'a jamais été nettement
déterminée, le nom de Beaumarchais; c'est désormais
sous celui-ci qu'il fut connu. Quelques-mois plus tard, Franquet mourut,
et sa veuve n'attendit pas l'expiration de l' « an du deuil »
pour épouser son amant. Cette mort et ce mariage furent l'origine
de calomnies atroces qui poursuivirent Beaumarchais toute sa vie et qui
se renouvelèrent lorsque, moins d'un an après, sa jeune femme
succomba aux atteintes d'une fièvre putride. La famille de celle-ci
ne craignit pas d'user de telles armes pour disputer à Beaumarchais
un héritage qui, en effet, lui fut enlevé.
Il lui restait heureusement sa charge de
contrôleur de la maison du roi, l'amitié du financier Paris-Duverney,
et la protection de Mesdames, filles de Louis XV,
auxquelles il enseignait la harpe, et dont il dirigeait les concerts intimes;
faveurs qui lui avaient suscité de nombreux envieux, et qui amenèrent
même un duel, où il blessa mortellement son adversaire. L'affaire
ne s'ébruita pas, grâce à la générosité
de celui-ci et aux démarches des princesses près de leur
père. C'est également par elles qu'il obtint du roi une visite
à l'Ecole militaire, dont
Duverney , était le fondateur et l'intendant. En retour, le vieux
financier lui procura un intérêt élevé dans
diverses affaires, et lui avança 560,000
livres pour acquérir une charge de maître des eaux et forêts
qu'il ne put obtenir. Il se rabattit alors sur le titre de secrétaire
du roi et sur les fonctions de lieutenant général des chasses
au bailliage de la Varenne du Louvre. En 1764
il partit pour l'Espagne ,
appelé à la fois par des affaires de famille (entre autres
la réparation éclatante des outrages du fameux José
Clavijo à l'une de ses soeurs), et par de vastes entreprises
commerciales et financières, telles que le défrichement de
la Sierra Morena, dont Duverney devait faire les fonds : il en fut pour
ses peines. Mais ce voyage d'Espagne eut sa part d'influence dans la conception
du type de Figaro
et des intrigues où, dix ans plus tard il devait par deux fois se
débattre.
-
Statue
de Beaumarchais, à Paris (angle de la rue Saint-Antoine et de
la rue des Tournelles).
(©
Photo : Serge. Jodra, 2009).
A cette date Beaumarchais s'ignorait encore
lui-même, et, tout imbu des doctrines dramatiques de Diderot,
il s'essayait dans la tragédie bourgeoise
dont le Fils naturel
et le Père de famille
étaient les prototypes. Eugénie, représentée
au Théâtre-Français, le 29 janvier 1767, n'obtint qu'un
succès très contesté, et Grimm
ne se montra pas bon prophète en écrivant à sa clientèle
royale et princière :
«
Cet homme ne fera jamais rien, même de médiocre. »
La donnée, à laquelle l'affaire
de Clavijo et de Marie-Louise Caron n'était
certainement pas étrangère, ne laissait pas que d'être
invraisemblable. Eugénie, fille d'un gentilhomme du pays de Galles ,
croit, avoir épousé lord Clarendon, mais, en réalité,
le mariage a été consacré par un faux chapelain, et
le séducteur se propose de convoler avec une riche héritière
au moment où sa victime vient le poursuivre à Londres.
La scène se passait d'abord en France ,
mais la censure exigea qu'elle fût transportée en Angleterre ,
ce qui la rendait un peu plus acceptable. Malgré de nombreuses lectures
dans les salons et le talent de ses interprètes, Eugénie
n'eut alors que dix représentations, et ses rares réapparitions
ne lui ont jamais porté bonheur. Néanmoins la trouée
était faite et Beaumarchais comptait désormais parmi les
gens de lettres. En imprimant sa pièce, il la fit précéder
d'un Essai sur le drame sérieux où il reprenait et
développait les théories de Diderot.
L'année suivante, Beaumarchais épousait
encore une riche veuve, Mme Lévesque, dont il eut un fils. Tout
en exploitant, de compte à demi avec Paris-Duverney, la forêt
de Chinon, d'où il écrivait
à sa femme des lettres empreintes
de ce vif sentiment du paysage que Rousseau
et Diderot semblaient avoir seuls éprouvé,
il faisait représenter un nouveau drame,
les Deux Amis ou la Négociant de Lyon (Théâtre-Français,
13 janvier 1770), dont la chute fut plus irrémédiable encore
que celle d'Eugénie.
Sa seconde union ne fut guère plus
longue que la première. Mme de Beaumarchais mourut le 21 novembre
1770, et son fils Augustin ne lui survécut que de deux ans. La fortune
que Mme Lévesque avait apportée était en viager et
disparut avec elle. Enfin, comme pour achever d'accabler un jouteur moins
robuste, le vieux Paris-Duverney s'éteignait à quatre-vingt-sept
ans (17 juillet 1770), léguant sa fortune à son petit-neveu,
le comte de La Blache, qui se flattait de haïr Beaumarchais «
comme on aime une maîtresse ». Il le lui fit bien voir. Se
sentant près de sa fin, Duverney avait procédé à
un règlement de compte avec son associé d'où il résultait
que Beaumarchais lui restituait 160,000 F
de billets au porteur et consentait à résilier leur traité
pour l'exploitation de la forêt de Chinon. De son côté,
Duverney lui donnait quittance de tous comptes antérieurs, reconnaissait
lui devoir 15,000 F payables à sa volonté
et s'engageait à lui prêter pendant huit ans et sans intérêts
une somme de 75,000 F. Le comte de La Blache
prétendit que la signature était fausse, que Beaumarchais
avait ajouté au-dessus des articles dont son oncle n'avait pas eu
connaissance, ce qui tendait à transformer le créancier en
débiteur et faisait peser sur lui une accusation de faux. L'instance
engagée aboutit cependant tout d'abord à deux arrêts
rendus en faveur de Beaumarchais par les Requêtes de l'hôtel
(22 février et 14 mars 1772). La Blache en appela devant la grand-chambre,
c.-à-d. devant le parlement recruté par Maupeou et qu'un
incident de ce procès allait achever de perdre dans l'opinion publique.
Cependant, Beaumarchais avait écrit
les paroles et la musique d'un opéra-comique intitulé le
Barbier de Séville
et, sur le refus de l'un des acteurs de la Comédie-Italienne auxquels
il l'avait présenté, l'avait transformé en une comédie
que le Théâtre-Français s'était empressé
d'accepter. Les répétitions mêmes suivaient leur cours
lorsque survint la querelle suscitée à Beaumarchais par le
duc de Chaulnes. Celui-ci l'accusait de l'avoir supplanté auprès
d'une ancienne maltresse, Mlle Ménard, et après l'avoir provoqué
durant une des audiences de Beaumarchais comme lieutenant de la Varenne
du Louvre, il engagea avec lui, dans sa maison
de la rue de Condé, une lutte corps à corps dont le scandale
fut tel que le duc de la Vrillière se vit obligé d'interner
M. de Chaulnes à Vincennes pendant
que Beaumarchais, d'abord laissé libre, était, par lettre
de cachet, conduit au For-l'Evêque .
La Blache en profita pour réclamer le jugement en appel qu'il sollicitait.
Le rapporteur était ce fameux conseiller Goëzmann dont Beaumarchais
ne put obtenir audience que moyennant deux cents louis partagés
entre lui, sa femme et leurs intermédiaires et auxquels il dut ajouter
quinze autres louis destinés, lui disait-on, au secrétaire
de Goëzmann. On sait quel rôle joua cette dernière somme
dans le procès que Goëzmann eut l'imprudence d'intenter à
Beaumarchais, lorsque celui-ci, débouté par la grand-chambre
et condamné à tous les dépens, eut obtenu la restitution
de sa première avance et réclamé vainement la seconde.
Pas un avocat ne voulut alors se charger
de sa cause, tant le cas parut mauvais et le plaideur suspect. Forcé
de se débattre seul contre toute la magistrature ameutée,
abandonné par l'opinion publique qui l'allait bientôt porter
en triomphe, Beaumarchais sentant aussi quelle arme lui mettait aux mains
la vénalité arrogante de son juge, et parfois aidé
de la collaboration bénévole de son père ou de sa
soeur Julie, rédigea coup sur coup ses quatre factums qui, publiés
à peu d'intervalle les uns des autres, furent un véritable
événement.
«
Il n'y a point, écrivait Voltaire au
marquis de Florian, de comédie
plus plaisante, point de tragédie
plus attendrissante, point d'histoire mieux contée et surtout point
d'affaire épineuse mieux éclaircie... »
Il écrivait aussi à d'Alembert
:
«
Quel homme! Il réunit tout : la plaisanterie, le sérieux,
la raison, la gaieté, la force, le touchant, tous les genres d'éloquence,
et il n'en recherche aucun, et il confond tous ses adversaires et il donne
des leçons à ses juges. »
Ceux-là vont répétant
et font répéter partout qu'il n'est pas l'auteur de ses Mémoires,
et qu'on sait à quelle officine il s'approvisionne.
«
Que ne font-ils écrire les leurs par la même plume! réplique
Beaumarchais »
Et Rousseau, consulté,
répondait :
«
Je ne sais pas s'il les compose; mais je sais bien qu'on ne fait pas de
tels Mémoires pour un autre. »
Le 26 février 1774, la grand-chambre
condamna Beaumarchais au blâme, ainsi que Mme Goëzmann, et mit
le mari hors de cour. Ce jugement inique, qui assimilait l'accusateur à
l'accusé, souleva une réprobation dont le prince de Conti
tout le premier donna le signal en venant chercher Beaumarchais dans son
carrosse pour le conduire au Temple .
Malgré ces témoignages d'estime
auxquels Beaumarchais moins que tout autre ne pouvait rester insensible
(« ce n'est pas tout que d'être blâmé, lui disait
spirituellement Sartines, il faut encore être
modeste »), sa situation financière et sociale n'en était
pas beaucoup meilleure. Dans l'ancienne jurisprudence le blâme frappait
de mort civile celui qui en était l'objet. Il s'en était
fallu de six croix que Beaumarchais ne fut condamné au carcan, à
la marque et aux galères. Les poursuites exercées par le
comte de La Blache l'avaient forcé à quitter sa belle maison
de la rue de Condé, et il ne pouvait même pas, sous le coup
de sa condamnation, songer à faire jouer le Barbier de Séville ,
dont les répétitions avaient été suspendues.
Il ne lui restait qu'une ressource : c'était d'obtenir ce qu'on
appelait d'un terme bizarre des « lettres de relief du temps »,
c.-à-d. un délai d'appel, qui, une fois expiré, rendait
le jugement irrévocable, mais il les fallait mériter par
quelques actions d'éclat.
Précisément alors l'indolence
de Louis XV s'inquiétait de la multiplicité
des pamphlets qui pullulaient en Angleterre
et en Hollande
: l'un d'eux, annoncé sous le titre de Mémoires secrets
d'une femme publique, visait directement Mme Du
Barry; l'auteur était un libelliste fameux et d'un réel
talent, Ch. Théceneau de Morande. Il s'agissait de trouver un homme
énergique et habile, qui s'abouchât avec Morande et parvint
à lui arracher jusqu'au dernier exemplaire de son livre. Beaumarchais
accepta, non sans répugnance, cette singulière mission, et
le tirage des Mémoires secrets fut anéanti tout entier
sous ses yeux dans un four à chaux des environs de Londres
(avril 1774). Sur ces entrefaites le roi mourut et Beaumarchais perdit
ainsi le seul bénéfice qu'il entendît tirer du rôle
auquel il s'était prêté.
-
Beaumarchais
(1732-1799), par J.-M. Nattier.
Ici se place l'épisode le plus étrange
d'une carrière où, certes, ne manquent ni les expéditions
aventureuses, ni les conjonctures singulières, celui qui a le plus
exercé la sagacité de ses biographes et la sévérité
de ses adversaires et dont les détails, sinon le fonds, n'ont été
pleinement éclaircis que vers la fin du XIXe
siècle. Les pamphlets, on le sait,
n'avaient pas plus épargné Marie-Antoinette,
dauphine, qu'ils ne devaient lui faire grâce durant son règne
et après sa chute. L'un des thèmes favoris de leurs auteurs
était précisément la stérilité prolongée
de la future héritière du trône : on en connaît
aujourd'hui les motifs, mais en 1774 l'impatience gagnait les serviteurs
les plus dévoués du jeune roi et faisait la part d'autant
plus belle aux médisants que le comte de Provence et le comte d'Artois
n'avaient pas encore non plus fait souche. Un pamphlet intitulé
: Avis à la branche espagnole sur ses droits à la couronne
de France à défaut d'héritier, allait, disait-on,
être imprimé simultanément à Londres
et à Amsterdam
par les soins d'un aventurier qui se faisait appeler tantôt Hatkinson,
tantôt Angelucci et se qualifiait de « juif vénitien
».
Beaumarchais s'offrit à traiter
avec l'auteur, ou plutôt le colporteur de cet écrit, en stipulant
que le roi lui donnerait un sauf-conduit dont il minuta lui-même
le texte et qu'il plaça dans une boîte en or suspendue à
son col. Muni de ce talisman, il repart pour Londres sous le nom de Ronac
(anagramme de Caron), obtient, « par
une intrigue de valet », communication de l'Avis, traite avec
Angelucci, repasse en Hollande, s'assure de la destruction du second exemplaire
et déjà chante victoire; mais il apprend qu'Angelucci en
a conservé un troisième et qu'il gagne l'Allemagne
à franc étrier. Beaumarchais n'hésite pas, s'élance
à sa poursuite, crève les chevaux de poste et rejoint le
juif dans un petit bois près de
Neustadt. Une lutte s'engage dans laquelle il est aisément vainqueur,
Angelucci demande grâce, Beaumarchais lui enlève le fameux
volume et lui rend la liberté; au moment où il s'apprêtait
à regagner sa voiture, il est assailli par trois brigands; l'un
d'eux lui porte un coup de poignard qui glisse sur la boîte du sauf-conduit
et lui fait une entaille au menton, un autre le renverse, mais à
ce moment le postillon, inquiet de cette absence prolongée, sonne
du cor et les trois brigands disparaissent dans les profondeurs de la forêt.
Telle est la version que Beaumarchais fit
immédiatement circuler sous forme de deux longues lettres adressées
à ses amis Roudil et Gudin de la
Brenellerie, écrites pendant qu'il descendait en barque le Danube
jusqu'à Vienne. La mystification est
aujourd'hui percée à jour. Le fait seul d'avoir suivi à
la piste et retrouvé à point nommé son fuyard était
déjà par lui-même suffisamment invraisemblable. Les
documents d'archives retrouvés et publiés par Alfred d'Arneth
ont établi que Beaumarchais n'avait pu être attaqué
en plein jour, au mois d'août, dans un bois fort clairsemé
et sans que les paysans qui moissonnaient aux alentours aient rien entendu;
de plus, la déposition du postillon établissait que le voyageur
s'était fait avec son propre rasoir la blessure dont le sang l'avait
inondé; mais si l'attaque était une feinte destinée
à stimuler l'intérêt de Louis
XVI et de Marie-Thérèse pour un serviteur si zélé,
il faut se garder de conclure que le pamphlet
était sorti de la plume de Beaumarchais et qu'Angelucci n'a pas
existé; seulement cette fois - et ce n'est pas la seule - Beaumarchais
paya le tort d'avoir eu trop d'esprit.
A peine débarqué à
Vienne, Beaumarchais sollicite une audience
de l'impératrice, n'en obtient une que de son chambellan qui le
prend de haut avec lui; quelques heures plus tard, il est arrêté
et gardé à vue dans sa chambre. Sa blessure, le faux nom
sous lequel il voyageait, la mission dont il se prétendait chargé,
son insistance à ne vouloir confier son secret qu'à l'impératrice
seule l'avaient rendu suspect et on le tenait sous clé jusqu'au
retour d'un courrier expédié en France .
Enfin, au bout de trente et un jours de détention, on le relâche
sur les instances de Sartines; l'impératrice
lui fait offrir, à titre de dédommagement, mille ducats qu'il
refuse et un diamant qu'il accepte. Il repart aussitôt pour Paris.
Le délai de six mois que lui accordait la loi était expiré,
mais l'opinion publique, que son procès, ses mémoires et
sa condamnation avaient si profondément émue, réclamait
le rappel de l'ancien Parlement et, par suite, la destitution des juges
qui l'avaient condamné. Détail caractéristique, ce
fut à Beaumarchais lui-même que les ministres demandèrent
un mémoire justiticatif de ce rappel et il contribua ainsi à
provoquer l'édit du 12 novembre 1774. En même temps on levait
l'interdit qui pesait depuis deux ans sur le Barbier de Séville .
On en connaît la donnée :
un seigneur espagnol, le comte Almaviva, s'est épris d'une jeune
fille (Rosine), gardée à vue par son tuteur (Bartholo). Il
désespère de l'aborder jamais, quand il rencontre son ancien
valet Figaro qui lui offre ses bons offices et les mille et un tours de
son sac. Grâce à lui, le comte, déguisé en soldat,
puis en maître de chant, pénètre chez le docteur, parvient
à remettre un billet à Rosine, trompe toutes les surveillances
et berne si adroitement Bartholo qu'il est forcé de consentir au
mariage. De ce fonds assurément rebattu et qui offre des analogies
frappantes avec divers canevas de la comédie italienne et du théâtre
de la Foire, Beaumarchais avait tiré tour à tour une
farce jouée chez Le Normant d'Etioles
(le complaisant mari de Mme de Pompadour),
puis un opéra-comique, comme on l'a vu plus haut, enfin une comédie
où subsistaient les tracas de ces « avatars » et qui
passa elle-même par d'innombrables remaniements de détail.
La première représentation (23 février 1775) ne fut
pas un triomphe. De l'aveu même de l'intime ami et confident de Beaumarchais,
Gudin de la Brenellerie,
«
la comédie qui nous avait enchantés à la lecture nous
parut longue au théâtre. Une
surabondance d'esprit amenait la satiété et fatiguait l'auditeur
[...]. Beaumarchais supprima un acte, transporta une scène du premier
au second et donna ainsi une marche égale et vive qui soutenait
l'attention et laissait goûter tout le charme des détails.
»
Ainsi allégé, le Barbier
de Séville
fournit au théâtre français et, on peut le dire, à
la littérature tout entière
un type de plus : Figaro n'est pas une copie du valet malin et raisonneur
de l'ancienne comédie : c'est un homme qui a fait tous les métiers,
accepté toutes les situations, toujours supérieur aux événements,
médiocrement scrupuleux sur le choix des moyens, dévoué
à ses intérêts comme à ceux qu'il sert; en un
mot c'est Beaumarchais lui-même, et il était d'autant plus
difficile de s'y tromper que l'auteur avait semé à pleines
mains dans le dialogue les allusions à
ses propres mésaventures. Le Barbier est donc à la
fois une comédie étincelante
et un pamphlet d'une rare audace.
Le blâme subsistait toujours. Pour
obtenir sa réhabilitation, Beaumarchais accepte une troisième
fois de donner la chasse aux libellistes dont l'industrie florissait plus
librement que jamais à Londres et
à Oxford et s'efforce en même
temps de recouvrer les papiers d'Etat que détenait un autre aventurier
célèbre, M. ou Mlle d'Eon. Quoi qu'on
en ait dit, il ne fut ni la dupe, ni le complice de ce personnage ambigu
qui, en échange de ses bons offices auprès de la cour de
France ,
l'accabla d'injures verbales ou écrites. Quant aux pamphlets, il
finit par se lasser de ce pourchas toujours inutile et dans une lettre
à Sartines il en donnait la raison :
«Tout
cela, disait-il, a des branches qui vont si haut qu'il y a peut-être
autant de danger à le soustraire d'un côté qu'il y
a d'inconvénients à le laisser aller de l'autre. »
Et il lui faisait clairement entendre que
les véritables instigateurs de ces infamies tenaient de près
au trône, car leur but incontestable était de provoquer la
scission du ménage royal. Rentré à Paris
(mars 1776), Beaumarchais présenta au Conseil une requête
tendant à obtenir des lettres de relief de temps qui, d'abord rejetée,
fut enfin exaucée le 12 août, sur la plaidoirie de Target;
le 6 septembre suivant, le Parlement, toutes chambres réunies, annula
la sentence du 26 février 1773 et lui rendit son état civil,
ainsi que ses fonctions de juge de la Varenne du Louvre. L'arrêt
fut accueilli par des acclamations et Beaumarchais porté en triomphe
jusqu'à sa voiture.
Les soins de sa réhabilitation ne
lui avaient fait oublier ni la revanche qu'il entendait tirer de La Blache
(l'affaire était pendante devant le parlement d'Aix ),
ni l'organisation d'une entreprise commerciale et maritime considérable.
Sous la raison sociale Roderigue, Hortalez
et Cie, il avait créé
une flottille de quarante navires dont le premier emploi fut le ravitaillement,
secrètement encouragé par Louis XVI,
des insurgents d'Amérique
( L'histoire des Etats-Unis ).
Bien qu'il ait reçu plus tard les félicitations publiques
du Congrès, il engagea dans cette opération une grosse somme
(plus de cinq millions) dont, après d'interminables débats,
ses héritiers ne purent recouvrer qu'une faible part. Un de ses
vaisseaux combattit même en ligne avec la flotte royale à
la bataille de la Grenade ,
son capitaine y fut tué et sa mâture désemparée.
Il reçut cette nouvelle au moment où il courait à
Aix-en-Provence soutenir sa cause en personne devant le Parlement qui,
après cinquante-neuf audiences, débouta La Blache et le condamna
à 12,000 livres de dommages-intérêts,
que le vainqueur convertit en dot pour quelques jeunes filles pauvres de
la ville.
Entre une requête en faveur des négociants
calvinistes privés de leur état
civil et un plan de création de la caisse d'escompte, entre une
réplique au Mémoire justicatif de la Cour d'Angleterre
sur ses agressions maritimes et une polémique avec Mirabeau
sur les entreprises des eaux de Paris concédées à
MM. Perrier, polémique où Beaumarchais, qui avait raison
dans le fond, rencontra pour la première fois un adversaire à
sa taille, il avait trouvé le temps d'écrire une grande comédie
en cinq actes dont Figaro était, cette fois encore, le principal
personnage. Il était à ce moment même aux prises avec
les comédiens français touchant le règlement de ses
droits d'auteur sur le Barbier de Séville ,
querelle qui aboutit plus tard à la constitution de la Société
des auteurs dramatiques dont il fut le véritable fondateur; néanmoins
la pièce avait été reçue d'emblée (1781);
il ne restait plus qu'à la faire jouer. Il lui fallut passer alors
par « la coupelle austère » de six censeurs (Coqueloy
de Chaussepierre, Suard, Guidi, Gaillard, Desfontaines et Bret), promener
sa « grave personne et son fol ouvrage » de salon en salon,
où l'on s'étouffait pour le lui entendre lire, refuser les
offres de Catherine II, s'assurer du crédit
de la reine et du comte d'Artois contre la résistance du roi, de
Monsieur et du garde des sceaux, recevoir un contre ordre formel au moment
même d'une répétition aux Menus-Plaisirs et savourer
les applaudissements qui en accueillirent une autre à Gennevilliers,
chez M. de Vaudreuil, enfin, en feignant de croire à une chute,
arracher à Louis XVI une tardive autorisation.
Conçu vers 1775, terminé
en 1778, le Mariage de Figaro ,
repris et retouché suivant les circonstances et un peu aussi suivant
les rancunes de l'auteur, attendit cinq ans l'heure de se montrer au grand
public ; elle sonna le mardi 27 avril 1784. L'intrigue, plus neuve et plus
hardie que celle du Barbier de Séville ,
roule tout entière cette fois sur la rivalité du maître
et du valet. Figaro, concierge du château d'Aguas-Frescas, veut épouser
Suzanne, la camériste de la comtesse; Almaviva prétend ressusciter
à prix d'or, pour la circonstance, le fameux « droit du seigneur
» auquel il a solennellement renoncé. De cette concurrence
naissent les quiproquos burlesques ou gracieux que chacun courait : le
rôle du page Chérubin où Beaumarchais semble avoir
incarné toutes les grâces et toutes les corruptions de son
siècle, la reconnaissance de Figaro et de Marceline, sa mère,
qui, sur l'ordre du comte, a failli devenir sa femme, les méprises
croustillantes de la scène du bosquet, enfin la réconciliation
finale. Le Mariage ne serait pas le chef-d'oeuvre de la comédie
française au XVIIIe siècle
qu'un fragment seul suffirait à en immortaliser le souvenir : ce
fameux monologue du cinquième acte où Beaumarchais, sous
le masque transparent de Figaro, repassant sa vie entière, prenait
la plus spirituelle et la plus audacieuse des revanches contre ses ennemis
passés et présents-:
«
Que je voudrais tenir l'un de ces puissants de quatre jours!... »
Sophie Arnould avait prédit que le
Mariage de Figaro
tomberait cinquante fois de suite : en réalité il eut, fait
sans précédent, soixante-huit représentations consécutives.
Un tel succès n'alla pas sans représailles et non plus sans
quelques-unes de ces réclames où Beaumarchais, devançant
son siècle, était passé maître, telle que l'idée,
après tout généreuse, de consacrer le produit de la
cinquantième représentation à l'oeuvre des pauvres
mères nourrices, ce qui lui attira un déluge d'épigrammes,
de chansons et de caricatures.
Il eut le tort d'y répondre et la bizarre idée de comparer
le plus acharné de ses adversaires à « l'insecte vil
de la nuit sur lequel la servante hollandaise bat l'osier tous les matins
». Il visait Suard, mais le comte de Provence prit ou feignit de
prendre l'allusion pour lui. Il obtint sans peine de Louis
XVI, fort irrité contre l'auteur du Mariage, un ordre
d'arrestation et, par une véritable dérision, ce ne fut ni
la Bastille ,
ni Vincennes, ni même le For-l'Evêque
que Louis XVI avait assigné comme prison à Beaumarchais,
ce fut Saint-Lazare, lieu habituel de détention des jeunes libertins
incarcérés à la requête de leur famille. Les
ennemis de Beaumarchais trouvèrent d'abord la raillerie du meilleur
goût et il y eut recrudescence de satires
écrites, dessinées ou chantées : à la réflexion,
cependant, on s'aperçut que si le pouvoir suprême trahissait
ainsi sa faiblesse par de tels emportements, il n'y avait plus de sécurité
pour personne. Ridicule la veille, Beaumarchais fut le lendemain l'objet
d'une sympathie universelle. Sa captivité d'ailleurs ne fut pas
longue moins de cinq jours après, l'ordre fut révoqué
et Beaumarchais, qui ne voulait sortir que « jugé et justifié
» dût, bon gré mal gré, retourner à ses
affaires.
Elles se multipliaient à l'infini.
Pendant qu'il faisait construire à grands frais sa fameuse maison
du faubourg Saint-Antoine dont il ne subsiste actuellement aucun vestige
et qu'il légitimait par son mariage avec Mlle de Willer-Mawlaz la
naissance de sa fille Eugénie, il imprimait au fort de Kehl ,
transformé en un vaste établissement typographique, l'édition
la plus somptueuse et la plus complète qu'on eût donnée
jusqu'alors des oeuvres de Voltaire, il encourageait
de son argent ou de sa plume les inventeurs en quête de la direction
des ballons, enfin il composait avec Salieri
un opéra d'un nouveau goût auquel
il songeait depuis 1775. Les répétitions en étaient
même commencées lorsqu'il se trouva impliqué dans une
affaire déjà ancienne et où il s'était gratuitement
compromis. En 1781, un banquier, alsacien, G. Kornmann, avait obtenu contre
sa femme une lettre de cachet sous la prévention d'adultère
et la détenait dans un couvent. Rien ne prouve que Beaumarchais
ait eu d'autre motif de venir en aide à Mme Kornmann que le désir
de plaire à ses commensaux et débiteurs, le prince et la
princesse de Nassau-Siegen. L'incident remontait à 1781 et Beaumarchais
avait eu depuis, comme on l'a vu, bien d'autres sujets de préoccupations,
lorsque parut, en 1787, un formidable Mémoire sur une question
d'adultère, de séduction et de diffamation pour le sieur
Kornmann contre la dame Kornmann, son épouse, le sieur Baudet de
Jossan, le sieur Pierre-Augustin-Caron de Beaumarchais et M. Le Noir, conseiller
d'Etat et ancien lieutenant général de police. L'auteur
de ce factum était un avocat alors inconnu, Nicolas Bergasse, fervent
adepte des pratiques de Mesmer dont Beaumarchais
s'était ouvertement moqué, et qui voulait à tout prix
se faire jour.
Dans ce mémoire, le véritable
séducteur, Daudet de Jossan, était moins vilipendé
que M. Le Noir, alors en disgrâce, et surtout que Beaumarchais, car
Bergasse, non content de rappeler son infériorité dans sa
passe d'armes récente avec Mirabeau,
remettait en circulation les soupçons odieux qui avaient plané
sur son premier mariage et sur la mort de M. et Mme Franquet, lui contestait
la paternité de ses Mémoires
contre Goëzmann et La Blache, et l'accusait, en propres termes, de
« suer le crime ». Bientôt la mêlée devint
générale et le point de départ de l'affaire fut oublié
dans cette guerre à outrance de pamphlets,
d'assez mince valeur pour la plupart, mais où les amateurs de scandale
trouvaient leur compte. Beaumarchais, après trois répliques,
où n'apparaît que rarement sa verve d'autrefois, finit par
où il aurait dû commencer : il attaqua Bergasse en diffamation
et le fit condamner à 1000 livres de dommages-intérêts.
Tarare, représenté
au milieu de tout ce tumulte, épuisa rapidement le succès
de surprise qui l'avait accueilli tout d'abord. Ce poème philosophique,
où les éléments ne jouaient pas un rôle moins
important que les hommes, paru à bon droit obscur et ennuyeux. Vainement
Beaumarchais accommoda-t-il quelques scènes au goût du jour
en 1790 et en 1792; vainement d'autres retouches prolongèrent-elles
l'existence de Tarare jusqu'en 1819, l'arrêt du public fut
toujours le même et l'on est en droit de se demander comment, si
Beaumarchais put concevoir un pareil scénario, - contemporain, paraît-il,
du Barbier de Séville ,
- il ne l'a pas immédiatement abandonné, Sa dernière
tentative dramatique fut la Mère coupable, jouée assez
obscurément en 1792 sur l'éphémère théâtre
du Marais (rue de Sévigné)
dont il était le commanditaire: c'était, dans sa pensée,
la dernière partie de la tétralogie formée par Tarare,
le Barbier de Séville
et le Mariage de Figaro .
Si dramatique qu'en fût la pensée première, elle ne
laissa pas que de surprendre, lorsqu'on revit Almaviva si fringant jadis,
transformé en moraliste et recevant la confession de sa femme qui
expiait par un long supplice moral la surprise et la violence d'un lâche
séducteur. On reprocha surtout à Beaumarchais de s'être
vengé de Bergasse en lui laissant jouer, sous l'anagramme de Begearss,
le rôle de « l'autre Tartufe ». Malgré une fort
belle scène au quatrième acte, la Mère coupable
est depuis longtemps reléguée au rang des simples curiosités
littéraires.
-
Portrait
de Beaumarchais, d'après
un
pastel de Perroneau.
Représentant du Tiers et président
du district de Sainte-Marguerite lors des élections aux Etats
généraux, Beaumarchais fit partie de la Commune
provisoire de Paris, mais, après avoir répondu une fois
de plus à la cabale qui entreprit de l'en chasser, il se retira;
il se contenta de fournir, tant en aumônes qu'en contributions diverses,
plus de 100,000 francs aussi bien pour subvenir
aux misères très réelles dont il était entouré
que pour apaiser la rumeur qui l'accusait de cacher des armes et du blé
les visites domiciliaires qu'il eut à subir ou même qu'il
provoquait révélèrent seulement l'existence de milliers
d'exemplaires du Voltaire de Kehl .
Les dénonciations cependant se renouvelaient de plus belle et Beaumarchais
crut prudent de faire partir pour Le Havre
sa femme et sa fille. L'acquisition de fusils rachetés en Hollande
et qu'il voulait revendre au gouvernement français servit de prétexte
aux dénonciations de Chahut et de Manuel, dénonciations que
Beaumarchais avait publiquement réfutées. Après deux
nouveaux envahissements de son hôtel par le peuple qui n'y commit
d'ailleurs aucun dégât, il fut arrêté le 23 août
1792 et conduit à l'Abbaye .
L'intervention d'une femme qui avait été
sa maîtresse et celle de Manuel le firent relâcher le 30. Réfugié
non loin de Paris pendant les massacres des
prisons, il revient solliciter de Lebrun, ministre des relations extérieures,
le moyen de faire entrer en France
ces fusils retenus à Tervère (Zélande). Lebrun le
renvoie au conseil exécutif provisoire qui lui accorda les pouvoirs
nécessaires. Beaumarchais part pour la Hollande et Londres,
y apprend qu'il est dénoncé par Lecointre à la Convention
et veut revenir aussitôt à Paris, afin de se disculper, il
en est empêché par un ami qui lui avait avancé dix
mille livres sterling et qui trouve expédient de s'assurer de sa
personne et de sa dette en le faisant retenir à la prison du Ban
de la Reine.
Il y rédige un volumineux mémoire
divisé en sept parties ou « époques », et, lorsque
son fidèle caissier, Gudin de La Ferlière, est parvenu à
réunir et à lui faire passer la somme nécessaire à
sa rançon, il revient à Paris; il publie son factum sous
ce titre : Beaumarchais à Lecointre ou Compte rendu des neuf
mois les plus pénibles de ma vie, le répand à
6000 exemplaires et réfute point par point les griefs accumulés
contre lui avec la même liberté d'allures, sinon avec la même
gaieté, que vingt ans auparavant devant le parlement Maupeou. Lecointre
reconnaît qu'il a été trompé, le comité
militaire déclare qu'il a besoin de ces fusils et Beaumarchais est
mis en demeure de les amener coûte que coûte en France .
Cependant le cabinet anglais, instruit de leur destination par les dénonciations
mêmes de Lecointre, déclare les fusils de bonne prise et s'apprête
à mettre l'embargo sur eux, lorsque le négociant, qui a retenu
Beaumarchais en prison, s'en porte acquéreur. Beaumarchais, revêtu
du titre de commissaire de la République, arrive en Angleterre ,
sous le nom de Pierre Charron, s'efforce de revendiquer sa cargaison, la
revend jusqu'à trois fois à des acheteurs fictifs, la dirige
même sur les Etats-Unis
dans l'espoir de la faire atterrir à l'un des ports français,
se voit abandonné par le Comité
de Salut public qui ne répond plus à ses missives et
finalement abandonne la partie; les fusils sont livrés aux Anglais
pour un prix dérisoire.
Traqué en Angleterre, et en Hollande
comme agent de la Convention,
déclaré à Paris émigré, sa famille dispersée,
son hôtel confisqué, il se réfugie à Hambourg,
si pauvre, dit-il, qu'il est obligé de ménager une allumette
pour la faire servir deux fois, mais ne se laissant pas abattre par la
fortune et adressant au Directoire,
du fond de son grenier, des mémoires sur le percement de l'isthme
de Panama
( L'histoire du Canal de Panama )
ou sur le développement du commerce de la mer Noire .
Enfin, au mois de juillet 1796 il revint à Paris, recouvra sa maison
dévastée, maria sa fille, poursuivit le remboursement de
ses créances sur les deux Républiques, assista en personne
à une brillante représentation de la Mère coupable
au Théâtre-Français et s'endormit du dernier sommeil
dans la nuit du 17 au 18 mai 1799. Cette fin solitaire provoqua un soupçon
de suicide aujourd'hui tout à fait abandonné.
«
Je n'ai point le mérite d'être auteur, disait Beaumarchais
dans son Essai sur le drame sérieux, le temps et les talents
m'ont également manqué pour le devenir. »
La postérité n'a pas ratifié
ce trop modeste aveu. Beaumarchais, à défaut d'études
approfondies et sans faire métier d'écrivain, a pris et gardé
dans les lettres françaises
un rang dont il ne saurait déchoir. Polémiste, il a élevé
un simple débat judiciaire à des hauteurs inconnues avant
lui, et cette misérable chicane est mieux qu'une cause célèbre
: le début du quatrième mémoire est, au dire de Sainte-Beuve,
«
un des plus admirables morceaux que nous puissions offrir dans la littérature
oratoire. Cela peut être mis en regard des plus mémorables
endroits qu'on cite dans les dernières Provinciales
».
Si le dramaturge et le librettiste sont mis
aujourd'hui à leur véritable rang, si Beaumarchais, toujours
selon Sainte-Beuve, n'a été poète qu'en créant
Chérubin, il est sans conteste le premier auteur comique de son
siècle,
car
« pour être bien moins nés que ceux de Molière,
a dit Nisard, ses enfants n'en vivent pas moins de la même vie ».
Ce n'est pas ici le lieu de rechercher les
emprunts qu'il a pu faire comme son glorieux ancêtre aux littératures
italienne et espagnole; mais,
fussent-ils prouvés, il est hors de doute qu'il a refrappé
et mis en circulation des types devenus siens par la puissance et l'originalité
du relief. Le premier aussi, il s'est préoccupé d'établir
ses personnages dans un cadre nettement déterminé, attachant,
comme Victor Hugo, un soin minutieux aux costumes
et aux détails de mise en scène; il a rendu ainsi là
tâche facile aux artistes nombreux qui ont illustré ses oeuvres
et aux acteurs qui les ont interprétées.
En dépit des réserves qu'il
peut soulever, le rôle du polémiste et de l'auteur comique
reste intact. Il n'en va pas de même de sa vie publique et privée
: le perpétuel contraste qu'elle offre et qu'on s'est efforcé
de retracer ici à grands traits ne rend pas la tâche facile
au biographe. Mieux connue aujourd'hui qu'elle ne pouvait l'être
des contemporains eux-mêmes, elle n'offre ni le tissu d'horreurs
auxquels Bergasse, Gorsas et cent autres se sont efforcés de donner
créance, ni les vertus d'un Grandisson que l'aveuglement paternel
se plaisait à saluer dans le jeune Caron; mais sans prendre au pied
de la lettre le témoignage, suspect par sa naïveté même,
de Gudin de la Brenellerie, on a fini
par rendre justice à tant de qualités et de séductions
: Beaumarchais ne pressentait-il pas cette tardive équité
dans cette réplique du Mariage de Figaro ,
dont Lescure a fait la spirituelle épigraphe de son Eloge
:
«
Une réputation détestable!... - Et si je vaux mieux qu'elle?...
»
Quant à ses affaires, si embrouillées,
si hérissées de procès (il n'en soutint pas moins
de trente), il y portait, selon le mot de Fontanes, plus de facilité
que d'industrie, et il y était plus trompé que trompeur.
«
La fortune, qu'il dut à des circonstances heureuses, dit-il encore,
s'est détruite par un excès de bonhomie et de confiance dont
on pourrait donner des preuves multipliées. »
Elles ne manqueraient pas, en effet, car il
serait facile d'alléguer l'exemple de la part prise aux armements
d'Amérique sur lesquels sa succession perdit plus de trois millions,
ou de l'entreprise de Kehl qui se solda par plus de 500,000
francs de déficit.
Les portraits
originaux de Beaumarchais sort peu nombreux : on connaît surtout
par la gravure ceux de Cochin et d'Augustin de Saint-Aubin (tous deux de
profil). Deux autres portraits subsistent aujourd'hui : une peinture
à l'huile de J.-M. Nattier, datée de 1755, et un pastel
de Perronneau. (Maurice Tourneux).
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Les
anciennes éditions de Beaumarchais.
- Sans parler ici des réimpressions, traductions, adaptations des
deux chefs-d'oeuvre de Beaumarchais dont H. Cordier a tenté le dénombrement,
il faut nous contenter de mentionner les éditions collectives données
par Gudin (1809, 7 vol, in-8), par Furne (1828, 6 vol. in-8), avec notice
par Saint-Marc Girardin, et par Ed. Fournier (1875, gr. in-8 à deux
col.). Citons à part l'édition du Théâtre
(1869-1875, 4 vol. in-8), due à Heylli et Marescot et qui renferme
pour la première fois les variantes des manuscrits appartenant à
des dépôts publics.
La
majeure partie des brouillons des mémoires, des comédies
et des parades, ainsi que presque toute la correspondance de Beaunarchais
(comprenant le plus souvent ses propres minutes) resta dans sa famille.
D'autres papiers, emportés sans doute par lui lors d'un de ses voyages,
ont été retrouvés à Londres en 1863 par Ed.
Fournier et Fr. Michel et acquis par la Comédie-Française.
Enfin, il a passé dans les ventes d'autographes,
outre d'assez nombreuses lettres écrites par Beaumarchais ou à
lui adressées, des dossiers de correspondance commerciale avec ses
représentants d'Amérique ou avec ceux de l'imprimerie de
Kehl.
En
librairie. - Beaumarchais, Théâtre,
Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro, La Mère coupable,
Flammarion, 1993.
René
Pomeau, Beaumarchais ou la bizarre destinée, PUF, 1987; Jean-Claude
Brisville, Edouard Molinaro, Sacha Guitry, Beaumarchais, l'insolent,
Gallimard 1996.
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