 |
Chanson.
- Petite pièce de vers lyrique (ainsi nommée du latin cantio)
que l'on chante sur quelque air, et qui se divise en couplets : chaque
couplet est ordinairement terminé par un refrain. Cette forme n'est
devenue définitive que dans les temps modernes, et la chanson n'a
même commencé d'être un genre littéraire distinct
que vers le XVe siècle.
Chansons
anciennes
On a peu de documents sur la chanson chez
les Anciens : elle paraît avoir été religieuse et morale
chez les Égyptiens, les Hébreux, et, en général,
chez les anciens Orientaux. On lui reconnaît aussi ce caractère
chez les Grecs primitifs : de là les traditions poétiques
ou populaires sur Orphée .
Peu à peu ce genre de poésie se modifia, du moins chez les
Grecs; et si les poètes lyriques nous étaient parvenus moins
mutilés, nul doute qu'on n'y trouvât, sous le nom générique
d'odes
qu'on leur donnait, beaucoup de pièces analogues à celles
qui ont reçu chez nous le nom spécial de chansons, puisque
le recueil que nous possédons sous le nom d'Anacréon
renferme un grand nombre d'odes sur le vin et l'amour, thème le
plus ordinaire de nos chansons.
Les chansons érotiques abondaient
chez Alcée,
dont il nous reste aussi une sorte de chant militaire plein d'une mâle
vigueur. Les chansons de table qui se chantaient communément ne
roulaient pas toujours sur les plaisirs de la table : c'étaient
aussi des sujets de la morale la plus grave; quelquefois elles rappelaient
un événement public remarquable, comme le meurtre d'Hipparque
par Harmodius et Aristogiton; ou bien elles
contenaient quelque trait satirique; d'autres fois enfin elles appartenaient
au genre lascif.
La chanson à boire par excellence
était la scolie. On la chantait chacun à son tour, en tenant
une branche de myrte, que l'on se passait de main en main. La chanson d'Harmodius
et d'Aristogiton était une scolie. Nous possédons une très
belle scolie philosophique d'Aristote sur la
mort de son ami Hermias, Athénée
cite de Pindare six scolies, et Strabon
deux autres. On en cite également du satirique Timocréon,
son contemporain. Au reste, Athénée et Plutarque
nous ont conservé quelques échantillons complets ou partiels
des diverses variétés de la chanson grecque; ils roulent
sur toutes sortes de sujets ( le
t. IX des Mém, de l'Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres,
pages 338 et suiv.).
Il y avait : le Bucoliasme ,
chanson des bergers; le Lytherse, chanson des moissonneurs, ainsi
nommée d'un fils de Midas
qui s'occupait par goût à faire la moisson; l'Hymée
ou Epiaulie, chanson des esclaves qui puisaient de l'eau; l'Epinoste
ou Epimulie, chanson des meuniers; l'Epilène, chanson
des vendangeurs; l'Eline, chanson des tisserands; la Catabaucalèse,
chanson pour calmer les cris des enfants, et la Nummie, pour les
endormir; le Nomion, chanson des amants; la Calyce, chanson
des femmes; l'Harpalyce, chanson des filles; l'Hyménée
ou Epithalame, chanson des noces; l'Ialème et le Linos,
chansons funèbres, etc.
Chez les Romains, la chanson de table était
usitée : grave d'abord et morale, consacrée à l'éloge
des ancêtres et des personnages illustres, elle devint, dans les
derniers temps de la République, libre et lascive. Les modèles
de la chanson littéraire latine sont Catulle
et Horace; chez le premier, elle est toujours
érotique; chez le second, à la fois érotique et bachique.
Au reste, ces deux poètes ont beaucoup imité les Grecs, et
quelquefois même Catulle les traduit. Deux genres de chansons, qui
semblent particuliers aux Romains, sont la chanson de triomphe
: lo! triumphe!
Chansons
médiévales
Longtemps en France les chansons furent
écrites en latin, ce qui ne les empêchait pas d'être
populaires. Hildegaire, évêque de Meaux,
nous a conservé deux strophes d'un chant composé à
propos d'une victoire de Clotaire Il sur les
Saxons en 623, et que les femmes chantaient en dansant et en battant des
mains. Les trouvères et les ménestrels sont les précurseurs
de nos chansonniers. Au retour des Croisades, Les Refrains du sultan Saladin
avaient grande vogue dans les châteaux. A la même époque
appartient la chanson de Malbourg écrite à la louange d'un
chevalier espagnol surnommé le Membru; ce surnom, transformé
au XVIIIe siècle en celui de Malbroug,
donna de la popularité à la chanson, à cause du général
anglais duc de Marlborough, dont la vie et la mort n'avaient cependant
aucun rapport avec celles du croisé espagnol.
-
Chanson de
l'Absent (XIIIe siècle)
[Voici
une belle chanson, qu'on peut dire anonyme, car les manuscrits l'attribuent
à différents auteurs. C'est une jeune fille qui parle, séparée
de son fiancé, lequel est parti à la croisade.]
«
Je chanterai, pour mon coeur
Que
je veux reconforter;
Car
avec mon grand dommage,
je
ne veux mourir ni devenir folle,
quand
de la terre sauvage
Je
ne vois revenir personne,
Où
est celui qui m'apaise
Le
coeur, quand j'entends parler de lui.
Dieu!
quand ils crieront : En avant!
Seigneur,
aidez au pélerin,
Pour
qui je suis épouvantée;
Car
félons sont les Sarrasins.
Je souffrirai
mon dommage,
Tant
que verrai l'an passer;
Il
est en pélerinage;
Que
Dieu l'en laisse retourner;
Et
malgré tout mon lignage,
Je
ne veux trouver l'occasion
De
faire un autre mariage.
Fol
est celui que j'entends m'en parler.
Dieu,
quand ils crieront, etc.
Pour ceci
je suis en bonne attente
Que
j'ai reçu son hommage;
Et
quand la douce brise vente,
Qui
vient de ce doux pays,
Où
est celui qui me charme,
Volontiers
j'y tourne mon visage,
Et
lors me plaît que je la sente
Par
dessous mon manteau gris.
Dieu!
quand ils crieront, etc. »
|
Vers la fin du XIVe
siècle, au milieu des désastres de la lutte contre les Anglais,
la chanson commence à paraître avec ce caractère populaire
et national, satirique et gai, qui est resté imprimé à
la chanson française. Au XVe siècle
appartient la Chanson de l'homme armé, qui fut en vogue dans
toute l'Europe, et qui servit de thème à presque tous les
musiciens de l'époque, Dufay, Busnois Josquin Després, Tinctor,
Moralés, Palestrina, etc. ( l'Annuaire
de la Société de l'histoire de France, 1837.).
Chansons
modernes.
Au XVIe siècle,
une des chansons les plus répandues fut celle que l'on composa sur
la bataille de Pavie (1525) et sur la mort
de La Palice, chanson reprise plus tard par
La Monnoye. La guerre étrangère,
la guerre civile, les fureurs des Guerres
de religion, n'arrêtèrent pas la verve des chansonniers
: on chansonna les partisans et les ennemis de la Ligue,
les acteurs de la
Fronde,
Jacques II détrôné, pour qui on se battait, et Villeroi
battu, captif en même temps que vainqueur à Crémone;
on chansonna les embarras financiers de Louis XIV
pendant la guerre de Succession, la Régence, qui n'y prêtait
que trop, Soubise battu a Rosbach. Aussi a-t-on dit plaisamment, mais avec
autant de raison que d'esprit, que "l'ancienne monarchie française
était un gouvernement absolu tempéré par des chansons."
Mazarin, qui
connut si bien la nation, s'informant avec un peu d'inquiétude de
l'effet que de nouveaux impôts produisaient sur le peuple, disait,
dans son français italianisé: "Cante-t-il? - Oui, monseigneur.
- S'il cante, il payera." La chanson était l'opposition d'autrefois;
elle éclosait, pour ainsi dire, toute seule, et les noms des auteurs
des chansons qui furent le plus populaires sont inconnus aujourd'hui, et
le furent peut-être aussi de leur temps. Les chansons représentent
si bien l'esprit du peuple, qu'elles appartiennent à l'histoire
politique comme matériaux.
Dans l'histoire littéraire française,
les chansonniers de profession ont leur place. Les plus célèbres
sont : au XVe siècle, Olivier
Basselin; au XVIIe, maître Adam,
Benserade,
l'abbé Perrin, Linière, Dufrény, Boursault;
au XVIIIe, Panard, Collé, Boufflers,
l'abbé Latteignant, Gallet; Pirron, Favart, le vicomte de Ségur,
Piis, Badet, Laujon; au commencement du XIXe
siècle, Désaugiers, A.
Gouffé, les membres du Caveau, Rougemont, Ourry, Brazier,
Debraux,
et surtout
Béranger, qu'il faut nommer
à part.
La chanson française peut se monter
au ton de l'ode pour inspirer les sentiments les plus élevés
: on le voit par la Marseillaise
de Rouget de Lisle, et le Chant du Départ de
M.-J. Chénier.
Béranger a presque
atteint la gravité de l'histoire dans quelques-unes de ses chansons,
telles que : les Enfants de la France, le Cinq mai, Octavie,
et même, pour le fond au moins, la Cocarde blanche, les Mirmidons
ou les Funérailles d'Achille : mais il préféra
d'ordinaire la gaieté : ainsi le Roi d'Yvetot,
donné en 1812, se rapproche, par l'intention, des anciennes chansons
satiriques, et paraît dirigé contre la manie des conquêtes.
Sous la Restauration, Béranger,
écho du peuple, se fit une arme terrible de la chanson satirique
et politique; d'ailleurs, il réussit également bien dans
la chanson philosophique, la chanson à boire et la chanson érotique.
 |
En
bibliothèque - Dezobry, Rome
au siècle d'Auguste, tome III, page 160, et les chansons
satiriques et mordantes contre le triomphateur. Koester, De cantilenis
popularibus veterum Graecorum, Berlin, 1831; deux Mémoires de
La Nauze, Sur les chansons de l'ancienne Grèce (Mém.
de l'Acad. des Inscript., t. XIII); le Discours de réception
d'Étienne à l'Académie française, et celui
de Scribe (Moniteur universel du 30 janvier
1836); le Recueil manuscrit de Maurepas, à la Bibliothèque
nationale de Paris (60 vol.); le XXIIIe volume de l'Histoire littéraire
de la France : Histoire de la chanson, par Dumersan, en tête
d'un recueil des Chansons nationales de la France, 1845. |
|
|