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Épigramme

Le mot Épigramme, qui a aujourd'hui le sens de trait piquant, satirique, signifiait proprement inscription, et est venu du grec epigrammata, dérivé du verbe epigraphô, inscrire, de épi = sur, et graphein = écrire.

L'épigramme tire son nom des inscriptions que les anciens mettaient aux tombeaux, aux statues, aux temples, aux palais et aux arcs de triomphe. Ce n'étaient d'abord que de simples monogrammes. On fit dans la suite de petites pièces de vers  n'ayant pour la plupart que de 2 à 8 vers; et les petits poèmes gardèrent le nom d'épigrammes). On en trouve des exemples dans le IVe livre d'Hérodote, 88, et dans le VIIe, 228. De sa première signification, le mot passa à un sens plus étendu, et désigna toute pièce de vers qui ne dépassait pas la longueur ordinaire d'une inscription. C'est de ce genre que sont les pièces contenues dans l'Anthologie grecque

Chez les Romains, les épigrammes ne sont que des pièces mordantes, censurant un abus par un bon mot, frondant un ridicule par une pensée fine, acérée, caustique. Telles sont celles de Catulle, et surtout de Martial

Chez les Modernes, la malignité est le trait essentiel de l'épigramme : c'est une satire en abrégé, n'ayant souvent que deux vers, mais pouvant en avoir davantage, et terminée par un bon mot fin et piquant. Marot, La Fontaine, Linière, J.-B. Rousseau, Voltaire, Piron, Lebrun, etc., ont manié avec succès l'épigramme. Dans Lebrun, elle a souvent un caractère d'amertume et de fiel.

Le mot épigramme est resté longtemps masculin; il était encore de ce genre vers le milieu du XVIIe siècle, ainsi que nous le voyons dans Corneille et comme le prouve le titre d'un recueil fort peu connu, dont l'auteur, tout aussi inconnu lui-même, ne figure dans aucune biographie. Tout ce qu'on en sait, c'est qu'il vivait dans la première moitié du XVIIe siècle. Voici, d'ailleurs, le titre de son petit livre : les Joyeux épigrammes du sieur de La Rigaudière (Paris, 1634). 
En grèce et chez les Alexandrins.
En Grèce, l'usage des inscriptions a été répandu surtout par deux sortes de monuments, les tombeaux et les objets déposés en offrandes dans les temples des dieux. Ces inscriptions destinées à conserver le souvenir du mort ou du donateur étaient d'abord en prose; le vers, donnant plus de relief et de durée à la pensée, se substitua de bonne heure à la prose, et l'usage des inscriptions rythmées s'étendit surtout à partir de la fin du VIe siècle. Elles furent écrites d'abord en vers épiques; telles sont les inscriptions apocryphes d'Hérodote (trépieds d'Apollon Isménien), celle du tombeau de Midas, citée par Platon, celles du coffre de Kypsélos, reproduites par Pausanias. C'est peut-être Archiloque qui, le premier, se servit pour l'épigramme du vers élégiaque, qui en devint la forme propre et définitive. Néanmoins, elle garda longtemps son caractère de simplicité et de naturel; elle ne devint que très tard un jeu d'esprit raffiné dont la galanterie ou la raillerie faisaient le fond. Parmi les écrivains les plus anciens, à qui l'on attribue des épigrammes, il faut citer Pisandre de Rhodes, Sapho, Hipparque, le fils de Pisistrate, qui fit placer sur les Hermès des routes de l'Attique deux inscriptions : l'une indiquait le nom du dème, l'autre donnait un conseil pratique, enfermé dans un pentamètre, comme celui-ci :
« Ceci est un souvenir d'Hipparque; ne trompe pas un ami. »
Anacréon de Téos paraît avoir aussi composé des épigrammes funéraires ou votives, d'un ou de deux distiques. Mais le maître du genre est Simonide de Cos; chez lui, l'épigramme acquiert des qualités remarquables, de la briéveté et de l'élégance dans la forme, de la grâce et de l'élevation dans la pensée, sans toutefois s'éloigner des cadres primitifs. C'est lui qui plaça dans la bouc des guerriers tués aux Thermopyles les deux vers si justement célèbres :
 « Etranger, va dire aux Lacédémoniens que nous sommes ici, couchés, dociles à la parole qu'ils avaient dite. »
Mais l'épigramme ne prend son caractère moderne qu'à l'époque alexandrine. Les Alexandrins ont pour elle une prédilection marquée; ils y ont excellé, grâce à leurs défauts comme à leurs qualités. Ils sont passés maîtres dans ces petites compositions dont l'esprit et le fini du langage sont le principal mérite. Entre leurs mains, elle se transforme. Sans doute on trouve encore un grand nombre d'épigrammes votives, mais le tour en est cherché, ingénieux et porte bien la marque de l'école; les épigrammes funéraires abondent toujours, mais autrefois le poète ne cherchait qu'a conserver sous une forme élégante et concise le nom et le titre du personnage mort, le plus souvent connu par sa fortune, ses écrits ou ses exploits. Au contraire, dans les épigrammes alexandrines, on rencontre des morts de toute condition, naufragés obscurs, pauvres gens sans histoire, jeunes filles et enfants prématurément enlevés; le poète compose alors, dans cette forme concise, une sorte d'élégie en miniature; s'il arrive à exprimer un sentiment délicat et vrai en quelques vers parfaitement ciselés, terminés par un trait, il produit les chefs-d'oeuvre du genre; telle est cette petite pièce de Callimaque : 
« A trois ans Astyanax jouait autour d'une citerne; sa muette image l'y attira. - Du fond de l'eau, la mère retira l'enfant submergé; elle regardait s'il avait encore un peu de vie. - Il n'a pas souillé les eaux, le petit; mais sur les genoux de sa mère il s'est assoupi et dort d'un profond sommeil. » 
Mais l'épigramme s'attaque maintenant à bien d'autres sujets. Tous les minces événements de la vie lui servent de thème : on fait des épigrammes sur la mort d'une cigale, sur les abeilles, sur les comptes d'un souper, sur un coiffeur dont la pommade fait tomber les cheveux : c'est la monnaie courante de la flatterie adressée aux puissants et surtout aux femmes. L'amour ou plutôt la galanterie fournit aux épigrammatistes une matière inépuisable, et c'est là surtout que se créait alors tout l'arsenal des métaphores amoureuses que les Alexandrins transmettront, en passant par les élégiaques romains, à la littérature érotique des Temps modernes. Inutile de dire que ces sortes de pièces sont souvent licencieuses. 

C'est encore aux Alexandrins qu'il faut faire remonter l'invention de l'épigramme dans le sens moderne du mot, c.-à-d. de l'épigramme satirique: les écoles adverses se lancent des épigrammes; Callimaque et Apollonius y font assaut de malignité. En un mot, au IIIe siècle av. J.-C., l'épigramme a pris tous les tons, épuisé toutes les ressources. Ses procédés sont des plus variés : dialogues, comparaisons, énumérations, pointes affinées, rapprochements inattendus et jusqu'au calembour, elle emploie tout ce qui peut donner quelque relief à la pensée ou au sentiment; elle occupe la place que tiendront plus tard dans la littérature l'épigramme et le sonnet; elle se rapproche même plus encore du sonnet que de l'épigramme par la nature des sujets comme par le fini du travail. Les rivaux et les successeurs de Callimaque, qui ne peuvent plus que suivre ses traces, sont innombrables.

A Rome.
L'épigramme ne fut pas moins cultivée à Rome qu'en Grèce; ce peuple, incomparable pour le style lapidaire, devait y exceller nécessairement sans pouvoir toutefois inventer des formes nouvelles. Elle fut cultivée à toutes les époques, et l'on trouve les représentants de l'école des vieux poètes aussi bien que les imitateurs des Alexandrins; un des derniers écrivains latins de talent n'a composé même qu'un recueil d'épigrammes dans plusieurs mètres différents. L'épigramme funéraire ou dédicatoire est cultivée déjà par Ennius et ses successeurs, tantôt en hexamètres, comme dans la dédicace de L. Memmius à Hercule Victor, tantôt en distiques, comme dans l'épitaphe de Cornelius Scipio Hispanus; c'est Varron dans ses Imagines qui en fait l'usage le plus considérable; cet ouvrage renfermait sept cents portraits de grands hommes de la Grèce et de Rome, avec des inscriptions en vers. Au VIIe siècle de Rome, une foule d'écrivains composa dans cette forme des petits poèmes de circonstance, souvent satiriques, d'ordinaire érotiques. Les plus illustres sont Calvus et Catulle, qui fit surtout une violente guerre d'escarmouches à César et à son entourage.

Des hommes politiques s'essayent également dans ce genre de composition, tels que l'orateur Hortensius, C. Memmius, Q. Scevola, plus tard Auguste lui-même; dans les premiers temps de l'Empire, on cite Domitius Marsus, Pedo, Goetulicus, sans compter les femmes telles que Cornificia, Sulpicia. Sous Domitien, Martial produit le chef-d'ouvre et le modèle du genre : un livre est consacré aux spectacles, les deux livres de Xenia appartiennent au genre descriptif et votif; les petites pièces des douze autres livres sont presque toutes satiriques; l'esprit le plus malin y abonde, mais elles brillent aussi par une licence. On ne sera pas étonné de trouver parmi ses successeurs Ausone qui s'essaya dans toutes sortes d'imitations, et après lui on versifia longtemps encore des épigrammes, surtout en forme d'inscriptions funéraires. Au VIe siècle, Luxorius composa un recueil d'épigrammes, et c'est de la même époque que remonte la collection de petits poèmes, qui est la base de l'Anthologie latine. (A. Waltz).
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Chez les Modernes.
Cette forme malicieuse de la poésie devait se faire une place dans la littérature française. Mellin de Saint-Gelais, qui vécut au XVIe siècle, fut un des premiers et des plus méchants épigrammatistes français. Il eut une foule d'imitateurs, dont les plus célèbres furent Clément Marot, Boileau, Piron : ce genre d'esprit devint très à la mode; un auteur se faisait presque un nom dans la société avec une bonne épigramme. C'était une des armes des querelles littéraires; aussi l'employa-t-on à la riposte autant qu'à l'attaque : en voici un exemple de Baour-Lormian et de Lebrun. Le premier attaqua ainsi : 

Lebrun de gloire se nourrit,
Aussi voyez comme il maigrit.
Le second riposta, avec la même brièveté : 
Sottise entretient l'embonpoint,
Aussi Baour ne maigrit point.
Boileau, et surtout Racine, ont laissé quelques épigrammes remarquables sur des sujets littéraires.

La vogue de l'épigramme ne disparut pas au XVIIIe siècle et, jusqu'en 1789, on en trouve de fort piquantes. Au commencement de la Révolution, les grandes réformes qu'elle inaugurait furent l'objet de vives épigrammes que l'on a conservées dans un volumineux recueil, qui présente encore de l'intérêt, les Actes des Apôtres. Depuis cette époque, le genre a beaucoup perdu de sa popularité : Lebrun et Chénier firent cependant quelques bonnes épigrammes. Le lyrisme romantique l'acheva. Cependant, on en trouvera encore quelques traces dans les couplets de vaudeville. (Ph. B. / PL / P.).
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Deux épigrammes de F. de Linière

Les Endettés

« Je vois d'illustres cavaliers 
Avec laquais, carrosse et pages 
Mais ils doivent leurs équipages, 
Et moi j'ai payé mes souliers. »
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Sur Mazarin

« Ci-gît que la goutte accabla 
Depuis les pieds jusqu'aux épaules,
Non Jules qui vainquit les Gaules, 
Mais bien celui qui les gaula.. »
 

(F. de Lignière).
 
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Dictionnaire Le monde des textes
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