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Littérature française
La littérature française au XIXe siècle
et au début du XXe s.
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Le théâtre
-V. Hugo (Cromwell, Hernani, les Burgraves, Ruy Blas, Marion Delorme), A. de Vigny (Chatterton), A. de Musset (On ne badine pas avec l'amour, Lorenzaccio, les Caprices de Marianne), A. Dumas père (Antony), Ponsard (Lucrèce), Scribe (Une chaîne, le Verre d'eau), C. Delavigne (l'Ecole des vieillards), A. Dumas fils (La Dame aux camélias, le Demi-monde, La Question d'argent, la Femme de Claude), E. Augier et J. Sandeau (Le gendre de M. Poirier), E. Rostand (Cyrano de Bergerac), Meilhac et Halévy (Froufrou), Sardou (Madame Sans-Gêne), Labiche (Le Voyage de monsieur Perrichon), Courteline,
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La poésie
Lamartine (Harmonies poétiques et religieuses, Méditations, Jocelyn), Hugo (La Légende des siècles, les Contemplations, les Châtiments), A. de Musset, A. de Vigny (Poèmes antiques et modernes), C. Delavigne (Les Messéniennes), Th. Gautier, Banville, Nerval, Baudelaire'(Les Fleurs du mal, Petits poèmes en prose), Leconte de Lisle (Poèmes antiques, Poèmes barbares), J.-M. de Hérédia'(Les Trophées), F. Coppée, Sully-Prudhomme, Mallarmé, Verlaine, Rimbaud
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La prose
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• Le roman et les genres apparentés
Mme de Staël (Corinne, Delphine), Chateaubriand (René, Atala, les Natchez),  X. de Maistre (Voyage autour de ma chambre,la Jeune Sibérienne), Sénancour (Obermann) Lamartine (Confidences, Graziella), Nodier, Vigny (Cinq-Mars), A. de Musset (Confession d'un enfant du siècle), G. Sand (La Mare au Diable, Indiana), Nerval (La Bohème galante, Aurélia), Th. Gautier (le Capitaine Fracasse),
La prose (suite)
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• Le roman (suite)
Hugo (Notre-Dame de Paris, Les Misérables, les Travailleurs de la mer, Quatrevingt-Treize), A. Dumas (Les Trois Mousquetaires, le Comte de Monte-Cristo), E. Sue (les Mystères de Paris), Paul Féval (le Bossu), H. de Balzac ((la Comédie humaine), Stendhal (Le Rouge et le Noir, la Chartreuse de Parme), E. About (le Roi des Montagnes, Les mariages de Paris et les mariages de province) E. Fromentin, Les Goncourt (Madame Gervaisais), Alphonse Daudet, G. Flaubert (Madame Bovary, Salammbô, l'Education sentimentale), P. Mérimée (Colomba), Emile Zola (Thérèse Raquin, les Rougon-Macquart), Jules Verne, (Le Tour du monde en 80 jours), Hector Malot, Pierre Loti, Paul Bourget (l'Etape), etc.
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L'histoire
Chateaubriand (Génie du Christianisme, les Martyrs), A. Thierry, Guizot, Mignet, Michelet, Renan, Fustel de Coulanges
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La critique
Mme de Staël (De l'Allemagne), , Nisard, Saint-Marc Girardin, Villemain, Sainte-Beuve, Taine, F. Brunetière, J. Lemaître, E. Faguet, etc. 
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• Les intellectuels, le mouvement des idées
J. de Maistre (Les Soirées de Saint-Péterbourg), B. Constant, Royer-Collard, E. Girardin, Anatole France-
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Le Romantisme, le Symbolisme

La Bohème

La tradition classique disparut avec la société dont elle avait été l'idéal. Les Romantiques firent le 1789 littéraire et proclamèrent la liberté de l'écrivain. Au XIXe siècle il y a bien encore des « écoles » et des coteries, mais il n'y a plus de règles ni de prétendu bon goût tyranniques. Le public qui lit n'est plus limité à la haute société. Il devient chaque jour plus nombreux et plus divers, si bien que toutes les théories, tous les genres, tous les tons peuvent avoir leurs partisans.

Libre, la littérature est aussi tout entière moderne dans son esprit. Les attaches sont rompues avec l'Antiquité grecque ou latine. Ou bien l'on imite les auteurs contemporains et les littératures du Nord (Angleterre, Allemagne, plus tard Russie et Scandinavie); ou bien l'on subit la contagion des méthodes et de la mentalité des savants qui réalisent chaque jour de nouveaux prodiges. Mais à cela se réduit l'unité du siècle. Il est au contraire très nettement divisé, par les mouvements dominants (à défaut d'être exclusifs), en trois périodes de caractère divergent :

Une période romantique, jusqu'aux abords de 1848. En France, on ne la fait guère commencer qu'en 1820, l'influence de Chateaubriand et de Mme de Staël ne s'étant pas exercée sur l'époque impériale, classique avec obstination. Mais, à cette date, le romantisme est déjà en plein roulement sur l'autre rive de la Manche, et il a presque terminé son cycle de l'autre côté du Rhin;

Une période réaliste et naturaliste, qui va de 1848 à 1880 environ. Au romantisme, ou du moins à l'élément sentimental du romantisme s'oppose le goût de l'objectivité, de la pérennité, de la rigidité scientifique prétendue, de la plasticité de l'art;

Une période symboliste, qui revient à ce que le romantisme avait de subjectif, enveloppé, et aux méthodes de suggestion plutôt qu'à celles de description et d'analyse. On peut la faire durer jusqu'à 1900 et même quelques années au delà, puisqu'elle fait la transition avec la littérature du XXe siècle, dont elle est aussi une composante.

Au seuil du XXe siècle, la production littéraire n'a jamais été plus intense, mais aussi plus variée et plus confuse. Deux faits pourtant sont à noter. D'abord le public qui lit s'est considérablement accru, mais aussi très divisé. Chacun se spécialise selon ses goûts ou ses besoins. On lit pour s'instruire, et alors des ouvrages techniques, ou pour se distraire, hâtivement. De plus en plus, dans la vie moderne, si haletante, le temps manque (déjà!) pour une lecture prolongée et désintéressée. Les périodiques, revues ou journaux, font au livre une concurrence d'autant plus redoutable qu'un certain nombre ne sont guère que des entreprises industrielles.

Ensuite, et par suite, le domaine littéraire s'est sensiblement rétréci. Tandis qu'au XVIIIe siècle il comprenait même la philosophie, l'art et la science, il semble désormais s'être réduit au théâtre et au roman. Les publications philosophiques ou scientifiques ont un caractère purement professionnel. On publie encore des vers, mais ils ne trouvent plus beaucoup de lecteurs. L'histoire et la critique achèvent de se constituer en sciences et se détachent de la littérature.
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Les Salons au XIXe siècle

Les Salons littéraires n'ont pas eu, au XIXe siècle, la même importance qu'au temps des Lumières. Mais plusieurs méritent encore d'être mentionnés :

Salon de Mme de Staël.
Fille du ministre Necker, très liée avec l'élite de la société intellectuelle de Paris. Mme de Staël (1766-1817) exerça une réelle influence sur la littérature, en faisant de son salon, sous le Premier Empire, le foyer des hommes de lettres de toutes nationalités. Lorsqu'elle fut exilée par Napoléon, qui la craignait. elle se retira à Coppet, près de Genève et ne rouvrit ses salons qu'à la Restauration.

Salon de Mme Récamier.
Amie de Mme de Staël, Mme Récamier (1777-1849) fut longtemps à la tête d'une sorte de club littéraire. à tendances libérales mais modérées. Ses réceptions étaient très fréquentées. C'est elle qui fit connaître l'écrivain mystique Ballanche (1776-1847).

Salon de la Princesse Mathilde.
Fille de Jerôme Bonaparte, cousine de Napoléon III, elle eut sous le Second Empire un salon qui se piquait de tendances littéraires. Il est difficile de savoir quelle influence ce petit club privé eut sur les lettres à une époque où les meilleurs écrivains étaient opposés à la politique napoléonienne.

Salon de Mme Adam.
Bien plus nette est l'influence de ce salon où Juliette Lamber, veuve du Préfet de la Seine Ed. Adam, reçoit toutes les notabilités de la littérature. Née en 1836, elle a consacré pour ainsi dire sa vie à l'avancement des idées féministes.

Epoque romantique

Le romantisme a régné dans la littérature française pendant toute la première moitié du XIXe, siècle. Il a enrichi et retrempé la langue française, régénéré la poésie, vivifié l'histoire, transformé le théâtre, rajeuni enfin la critique. 

On appelle romantiques les écrivains qui, au début du XIXe siècle, s'affranchirent des règles de composition et de style établies par les auteurs classiques. En France, le romantisme fut une réaction contre la littérature classique nationale, tandis qu'il fait, en Angleterre et en Allemagne, le fonds primitif et essentiel de la culture nationale. De  traditions gréco-latines, la littérature française avait été classique depuis la Renaissance. Au contraire, la littérature anglaise et la littérature allemande ne s'asservirent que momentanément à la discipline du classicisme; et ce qu'on appelle proprement  romantisme chez les Anglais et chez les Allemands, c'est la période littéraire où la littérature de ces pays reprenant conscience d'elle-même, répudia l'imitation française. 

En France, le romantisme procède de la révolution morale qui, après la révolution sociale et politique, transforma toutes les façons de penser et de sentir. Il avait déjà eu, pendant le XVIIIe siècle, maints précurseurs, entre autres J.-J. Rousseau. Ses deux principaux initiateurs furent Mme de Staël et Chateaubriand. Si différents qu'ils puissent être l'un de l'autre, Chateaubriand et Mme de Staël n'en concoururent pas moins à une oeuvre commune. Tous deux remirent en honneur la religion chrétienne, le Moyen âge, les antiquités indigènes; tous deux inaugurèrent la renaissance du lyrisme, opprimé depuis Malherbe par la discipline classique; tous deux enfin répandirent la connaissance des littératures étrangères, et, par là, ils acclimatèrent la culture française à des beautés jusqu'alors inconnues ou dédaignées.

Les romans historiques de Walter Scott, les poésies de Byron et des lakistes, le Faust de Goethe, les drames de Schiller, la Divine Comédie, le romancero espagnol, toutes ces oeuvres, traduites, imitées, commentées, stimulèrent vivement l'inspiration des poètes français, sans parler des récits de voyages ou des ouvrages d'érudition littéraire, qui ouvraient à l'esprit de nouveaux horizons.

Ce qui caractérise essentiellement le romantisme, c'est la prédominance de la sensibilité et de l'imagination sur la raison; en un mot, l'individualisme. De là, dans tous les genres qui reproduisent la vie humaine, comme le genre romanesque et le genre dramatique, la substitution du particulier à ce général que le rationalisme classique avait ou pour domaine propre; de là, le réveil de la poésie lyrique; de là enfin la rupture définitive avec les règles et les modèles, avec tout ce qui restreint l'expansion du génie individuel.

Les principales étapes du mouvement romantique sont marquées par la publication des Méditations de Lamartine (1820), des Poèmes antiques et modernes d'Alfred de Vigny (1822), des Odes de Victor Hugo (1822) ; par l'apparition de la brochure de Stendhal : Racine et Shakespeare (1822), qui mène l'attaque contre les classiques; par la formation du premier cénacle autour de Charles Nodier, à l'Arsenal (1823), la fondation de la Muse française (1823), puis du Globe (1824), journaux sympathiques aux novateurs; par la préface de l'édition de 1826 des Odes et Ballades, où Hugo revendique la liberté dans l'art; par la publication de la préface de Cromwell (1827), où il demandait l'union du sublime et du grotesque, et où il affirmait que « tout ce qui est dans la nature est dans l'art » ; par la réunion du second cénacle autour de Victor Hugo.
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Les souvenirs de la vieillesse

« Le plus doux privilège que la nature ait accordé à l'homme qui vieillit, c'est celui de se ressaisir avec une extrême facilité des impressions de l'enfance. A cet âge de repos, le cours de la vie ressemble à celui d'un ruisseau que sa pente rapproche, à travers mille détours, des environs de sa source, et qui, libre enfin de tous les obstacles qui ont embarrassé son voyage inutile, vainqueur des rochers qui l'ont brisé à son passage, pur de l'écume des torrents qui a troublé ses eaux, se déroule et s'aplanit tout à coup pour répéter, une fois encore avant de disparaître, les premiers ombrages qui se soient mirés à ses bords. A le voir ainsi, calme et transparent, réfléchir à sa surface immobile les mêmes arbres et les mêmes rivages, on se demanderait volontiers de quel côté il commence et de quel côté il finit. Il faut qu'un rameau de saule, dont l'orage de la veille lui a confié les débris, flotte un moment sous vos yeux pour vous faire reconnaître l'endroit vers lequel son penchant l'entraîne.

Demain, le fleuve qui l'attend à quelques pas l'aura emporté avec lui, et ce sera pour jamais.

Tous les intermédiaires s'effacent ainsi dans les souvenirs de la vieillesse, reposée des passions orageuses et des espérances déçues, quand les longs voyages de la pensée ramènent l'homme, de circuits en circuits, parmi la verdure et les fleurs de son riant berceau. Cette volupté est une des plus vives de l'âme, mais elle dure peu; et c'est la seule d'ailleurs que puissent envier à ceux qui ont le malheur de vivre longtemps ceux qui ont le bonheur de mourir jeunes. »
 

(Ch. Nodier, Souvenirs de jeunesse; Séraphins).

Le mouvement romantique s'incarna ainsi dans quatre grands poètes : Lamartine, qui fut un révolutionnaire sans le savoir, simplement parce que sa nature le rendait antipathique à la versification sèche et fade de ses devanciers; A. de Vigny, qui donne à la poésie romantique sa forme philosophique et symbolique; Victor Hugo, esprit fougueux et exclusif, qui se posa en réformateur ardent et entreprit de tout renouveler, le vers et la langue; Alfred de Musset, le poète de la fantaisie, l'écrivain aimé des jeunes gens et des femmes, unissant à un égal degré l'esprit et la passion. Après ces grands maîtres, qui symbolisent admirablement leur génération à la fois rêveuse et enthousiaste, viennent se placer Auguste Barbier, Brizeux, Théophile Gautier, Sainte-Beuve, etc.

Au théâtre, la période romantique, annoncée par Cromwell (1827), commence réellement avec le Henri III et sa Cour d'Alexandre Dumas père (1829) et le More de Venise d'A. de Vigny (même année), a pour date culminante la représentation d'Hernani (25 février 1830) et s'étend jusqu'à celle des Burgraves (1843), et cette période d'une quinzaine d'années fut remplie par les grands drames de Victor Hugo, par ceux d'Alexandre Dumas, inférieurs comme style, mais plus habilement construits, par le Chatterton (1835) d'Alfred de Vigny, par les délicieuses comédies et les spintuels proverbes de Musset. Les romantiques dédaignèrent généralement la comédie, dont le grand « fournisseur » fut Eugène Scribe. La chute retentissante des Burgraves marqua la fin du romantisme au théâtre, la faveur de Ponsard et d'Émile Augier.

Le roman est le genre dominant de la période : Adolphe, Notre-Dame de Paris et les Misérables, la Chronique de Charles IX, Cinq-Mars, les romans si divers de George Sand et d'Alexandre Dumas donnent une idée suffisante des qualités et des faiblesses de l'école. Déjà le roman de moeurs, avec Honoré de Balzac, prépare l'avènement du réalisme.

L'histoire bénéficia du mouvement littéraire et artistique, les études historiques prirent un remarquable essor avec Guizot, Tocqueville, Michelet et Augustin Thierry. Ce dernier est l'historien romantique par excellence; il introduisit la vie et le mouvement dans l'exposé des origines nationales françaises.

Si, vers le milieu du XIXe siècle, l'esprit positiviste, succédant à l'esprit romantique, détermina une réaction, c'est que le romantisme, ayant exalté tous les aspects de la sensibilité humaine, fut vite dévoré par ses ardeurs et ses transports. Mais il serait facile de retrouver son influence chez ceux-là mêmes que l'on considère à juste titre comme les initiateurs et les maîtres du réalisme, non seulement chez des poètes tels que Leconte de Lisle et Sully-Prudhomme, mais chez des historiens tels que Renan, chez des romanciers tels que Gustave Flaubert et Emile Zola. (NLI).

Philosophie, théologie, politique.
Les idéologues.
Le sensualisme ou, comme on disait sous l'Empire, l'idéologie, fait place à un spiritualisme mitigé, dont les principaux représentants s'appellent Maine de Biran (1766-1824), Royer-Collard (1764-1843) et Jouffroy (1796-1842). 

Victor Cousin.
Le chef de l'école éclectique, Victor Cousin (1792-1867), maître précoce, commence par enseigner en Sorbonne la psychologie écossaise; mais sa jeunesse évolue dans le rayonnement de Mme de Staël et deux voyages d'enquête outre-Rhin le convertissent à l'idéalisme allemand. Ceux qui ne connaissent que le Cousin de 1850, docteur gourmé de l'éclectisme officiel, se figurent mal le brillant professeur de la Restauration, audacieux jusqu'à paraître inquiétant, alliant au spiritualisme reçu un panthéisme interdit et prônant en un langage d'hiérophante les manifestations de la raison impersonnelle dans l'histoire. C'est le cours de 1818, retouché, qui devint le livre : du Vrai, du Beau et du Bien, resté longtemps une Bible universitaire. Plus ou moins directement, son spiritualisme peu cohérent agit sur Lamartine, sur Hugo, sur Michelet, sur Quinet, sur toute une époque avide d'une large aération.

En dehors de la bataille presque sereine des systèmes philosophiques, cette époque voit aux prises, dans l'éloquence, l'essai, le pamphlet, le journal, les deux grandes forces contraires : la Révolution et la Tradition. En France, ou du moins en français, la Tradition a pour elle Joseph de Maistre et Lamennais.

Joseph de Maistre.
Plus papiste que monarchiste, Joseph de Maistre (1752-1821), qui fut ministre du roi de Sardaigne à la cour de Russie, a donné l'essentiel de sa doctrine dans les Soirées de Saint-Pétersbourg, dont le sous-titre : Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, dit assez l'esprit. Tempérament de révolutionnaire au service des puissances de réaction, apologiste du passé qui s'avère le plus profond des voyants, «-l'impeccable de Maistre-», comme l'appelle Baudelaire, se rend vite à charge aux causes qu'il soutient et meurt à temps pour n'être pas frappé des foudres qu'il a replacées dans les mains du pouvoir spirituel.

Lamennais.
Féli Lamennais (1782-1854) n'évita pas ce destin. Compatriote de Chateaubriand et, comme lui, au début, champion de l'autorité avec la même inaptitude à subir une discipline, il combat, dans l'Essai sur l'indifférence en matière de religion, l'athéisme, le protestantisme, le déisme. Mais il vient rapidement au catholicisme libéral. Dans la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, il dénonce l'asservissement de Rome à la monarchie. En 1828, il fonde avec Lacordaire, Montalembert et l'abbé Gerbet le journal l'Avenir pour la défense d'une sorte de théocratie populaire. Quatre ans plus tard, il publie les Paroles d'un croyant, première affirmation - toute lyrique - du socialisme chrétien : l'encyclique Singulari vos le condamne expressément et il rompt, cette fois, définitivement avec Rome.

Chateaubriand, Mme de Staël, Benjamin Constant
Une évolution analogue, sur le plan de la politique, dans l'oeuvre de Chateaubriand, entre la Monarchie selon la Charte (1816) et les dernières pages des Mémoires d'outre-tombe. A lui s'opposent, plus francs du collier, Mme de Staël, avec ses Considérations sur la Révolution française (1817), et son ami Benjamin Constant, avec les Mélanges de littérature et de politique (1829). On peut ranger à leur suite deux écrivains, l'un de haute valeur littéraire, l'autre de grande importance sociale : Paul-Louis Courier et Henri de Saint-Simon.

P.-L. Courier.
Ex-officier de l'Empire, devenu vigneron tourangeau, Paul-Louis Courier (1772-1825), qui mourut assassiné par ses serviteurs, a pendant les neuf dernières années de sa vie harcelé le gouvernement légitismiste de ses pamphlets. Classique de goût, libéral d'opinion, c'était, de surcroît, un helléniste zélé, à qui nous devons une délicieuse traduction de Daphnis et Chloé.

H. de Saint-Simon.
Le comte de Saint-Simon(1760-1825) est un héritier direct des philosophes du XVIIIe siècle. Rêvant au bonheur universel et industrialisant en rêve la coopération des activités humaines, il est le vrai fondateur du socialisme, non seulement en France, mais en Europe et, par Auguste Comte, qu'il eut pour disciple, le précurseur d'un nouvel âge de la pensée. Sur le terrain propre de la sociologie, il prépare Fourier (1772-1837), le chef des phalanstériens, et Proudhon (1809-1862), dont les deux célèbres mémoires sur la Propriété datent de 1840 et 1841.

L'érudition, l'histoire.
L'histoire, durant cette période, connaît des jours glorieux. L'esprit romantique l'anime, et la personne des historiens, si scrupuleuses que soient leurs investigations, ne se tient pas à l'écart de leurs oeuvres. On trouve dans l'Histoire de la civilisation, d'ailleurs si savante et si probe, de Guizot (1789-1874); l'influence discrète de Mme de Staël. Le libéralisme d'Augustin Thierry (1795-1856), qui affirme avoir dû sa vocation à Chateaubriand et à Walter Scott, n'apparaît pas seulement dans l'Essai sur le tiers État, mais jusque dans les plus pittoresques de ses Lettres sur l'histoire de France, dans les pages plus colorées que savantes de la Conquête de l'Angleterre par les Normands, dans les plus dramatiques Récits des temps mérovingiens, où il s'inspire surtout de Grégoire de Tours

H. Martin, Mignet, Tocqueville.
Henri Martin (1810-1883) est sincère, mais sans profondeur, et attaché à une idée contestable, à savoir la persistance constante du fonds celtique dans la formation et l'évolution de la patrie française. Thiers (1797-1877) est superficiel dans son Histoire de la Révolution française, très inférieure à son Histoire du Consulat et de l'Empire, où se retrouvent sa naturelle pondération bourgeoise et sa sûreté de jugement. Mêmes qualités avec un plus grand souci du style dans les divers écrits de son ami Mignet (1796-1884), représentant comme lui de l'école narrative. Si l'on admire un bel effort d'objectivité dans la magistrale étude d'Alexis de Tocqueville (1805-1859) sur l'Ancien Régime et la Révolution et dans ses vivantes observations sur la Démocratie en Amérique, par contre c'est de la poésie et de la politique que l'Histoire des Girondins de Lamartine.

J. Michelet.
Jules Michelet (1798-1874), sorti du peuple et du Paris révolutionnaire, aperçoit la France à la lueur de  l« l'éclair de Juillet »; il la voit « comme une âme et une personne-», qu'il veut étudier dans sa complexité réelle. « La résurrection de la vie intégrale du passé », tel est son but. Les six premiers volumes de son Histoire, qui suffiraient à asseoir sa réputation, y répondent pleinement (1833-1844). Puis il interrompt sa tâche d'historien pour entreprendre cette série de publications ardentes que sont : le Prêtre, la Femme et la Famille (1845), le Peuple (1846), de ces essais d'un naturalisme lyrique qui ont nom : l'Insecte, l'Amour, la Mer, la Montagne, où il y a peut-être plus de son épouse que de lui-même. Après quoi il revient à l'histoire de France, mais désormais la passion politique imprègne ses oeuvres; il traite les faits et les individus en symboles; son style admirable, qui se rythme sur la sensation même, est le modèle le plus exemplaire (avec quelques ouvrages de Carlyle, en Angleterre) de l'histoire satirique, lyrique et, pour dire le mot, romantique; mais s'il a la fougue d'un apôtre et d'un voyant, sa pensée est toujours haute et généreuse.

E. Quinet.
Pour Edgar Quinet (1803-1875), l'histoire confine à la philosophie à la politique, au prophétisme. Ses Révolutions d'Italie, sa Révolution ont prolongé dans ce domaine l'ère romantique, à laquelle appartenaient, par les dates comme par les tendances, ces grandes fresques symboliques : Ahasvérus, Prométhée, Merlin l'Enchanteur. Plus clairvoyant sur ce point que Michelet, après des années de germanophilie enthousiaste il a dénoncé, dans Allemagne et Italie (1839), la collectivité réaliste que la Prusse dressait, par la haine, à l'écrasement de la France.

L'histoire des lettres. La critique.
En France, la critique de combat a pour organes l'éphémère Muse française, le Globe, qui veut être impartial, des préfaces et des manifestes : tels le Racine et Shakespeare, de Stendhal (1823); la Guerre en temps de paix, d'Émile Deschamps (1824); la préface de Cromwell, de Victor Hugo (1827) et, dans le ton de l'histoire littéraire, le Tableau de la poésie française au XVIe siècle, de Sainte-Beuve (1828). 

Nisard.
Le classicisme se défend par une contre-offensive avec Désiré Nisard (1806-1888) qui, dans les Poètes latins de la décadence, attaque Victor Hugo et ses émules à travers Sénèque, Stace et Lucain, publie en 1833 son Manifeste contre la littérature facile (entendez la littérature romantique) et aborde en 1844 son Histoire de la littérature française, où il essaie de donner un fond solide au mot classique en le faisant à peu près synonyme de français.

Villemain.
Avec plus de sérénité Villemain (1790-1870), professeur disert et brillant que sollicite l'esprit nouveau, est le premier, dans son Cours de la Littérature française, à appliquer en France les méthodes de la critique historique et de la littérature comparée.

Sainte-Beuve.
Ch. A. de Sainte-Beuve (1804-1869), tant qu'il fut également romancier et poète, fut en critique l'un des champions du romantisme. C'est l'époque de sa collaboration au Globe et à la Revue de Paris, de ses débuts à la Revue des Deux Mondes, que Buloz venait de fonder et qui était d'abord une manière de « Journal des Voyages ». Peu à peu il se replie, sans se retirer tout à fait, et quand paraît, en 1840, le premier volume de son Port-Royal, l'évolution est terminée. Il n'est plus tout à fait un romantique et il n'est pas davantage un néoclassique, au sens qu'on donne alors à ces mots, mais simplement un réaliste, une des lumières de l'âge nouveau. Sans le dominer autant que Nisard, le XVIIe siècle l'a affranchi de la tyrannie de l'actualité; le critique des Portraits est devenu celui des Lundis. Ses études sont « une série d'expériences de physiologie morale par lesquelles il s'essaie à déterminer les lois de formation des familles intellectuelles et à constituer une sorte d'histoire naturelle des esprits ». A ce titre, cet « amateur d'âmes » est le maître de Taine, avec moins d'esprit de système, plus de nuances dans l'observation.

La poésie.
La poésie - ou, pour mieux dire, le lyrisme - est la spécialité romantique par excellence. L'avènement du lyrisme fut plus tardif qu'en Allemagne et en Angleterre, malgré des antécédents non moins anciens, parce que la tradition classique y était plus forte et que l'Empire l'avait encore raffermie; mais, dès que les Méditations de Lamartine ont vu le jour, le romantisme va de conquête en conquête. 

Lamartine.
Alphonse de Lamartine (1790-1869) ne se pose pas, tout d'abord, en adversaire de la tradition, ni en chef d'école soucieux d'accorder sa doctrine et son exemple, et certaines élégances apprises le rattachent au XVIIIe siècle. Mais, disciple de Jean-Jacques, de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, d'Ossian, et aussi de Parny, il prend surtout conseil de ses propres émotions et de la campagne mâconnaise, où il vit jusqu'à trente ans, avec des échappées en Dauphiné, en Savoie, en Italie. Élégiaque et lyrique dans les Méditations et les Nouvelles Méditations, dans les Harmonies, dans les Recueillements, il va de l'épopée rustique à l'épopée cosmique dans Jocelyn et la Chute d'un ange, pour revenir, avec la Vigne et la Maison, qui est son chant du cygne, au lyrisme le plus pur et le plus simplement magnifique. Nul mieux que lui n'a exprimé le surcroît d'émotion que l'amour reçoit de la splendeur des choses, ni ce qu'il a dans le souvenir de délicieuse langueur ou de mélancolie dans l'espérance. Son sentiment, aussi dégagé que possible des circonstances de lieu et de temps, dresse un corps de poésie chaste et presque immatérielle. C'est un joueur de harpe qui précipite ses notes avec une divine facilité, parfois avec une négligence seigneuriale. C'est aussi, par moments, un orateur en vers, qu'on sent prêt à devenir effectivement un tribun.

Deux ans après les Méditations paraissaient les Poèmes d'Alfred de Vigny et les Odes de Victor Hugo.

A. de Vigny.
L'oeuvre poétique de Vigny (1797-1863) est courte, mais de qualité rare, et il pouvait en dire, sans trop d'inexactitude, qu'elle avait « devancé en France toutes celles du même genre dans lesquelles une pensée philosophique est présentée sous une forme épique ou dramatique ». Elle exprime le plus sombre pessimisme, uni au culte le plus fervent de la poésie, au respect le plus déférent pour le nom de poète. L'homme, selon Vigny, est isolé dans la nature indifférente ou hostile; la femme est une compagne peu sûre; Dieu est trop loin, si tant est qu'il soit; le juste se partage entre la pitié pour ses frères et un désespoir calme; seule la science nous offre son réconfort austère. Tels sont les principaux thèmes du Livre mystique, du Livre antique, du Livre moderne et des Destinées. Vigny ne les a pas developpés avec un art toujours égal, toujours sûr; mais, en ses réussites, il obtient une plénitude et une suavité uniques. Sa technique annonce tantôt le Parnasse et tantôt le symbolisme.

V. Hugo.
Victor Hugo (1802-1885) fut en quelque sorte le pape du romantisme, son représentant le plus somptueux, sinon le plus original. Il a revêtu d'images splendides et de musique admirablement orchestrée la pensée dont il fut le témoin attentif. Il s'est défini lui-même un « écho sonore » et, de fait, il renvoie le son amplifié. Lyrique, il ne s'est pas détaché de son temps; s'il a pris l'attitude du contemplateur, c'est surtout pour en traduire les tendances successives, les grands mouvements d'opinion. Catholique et royaliste dans les Odes, moyenâgeux dans les Ballades, philhellène dans les Orientales, napoléonien de sentiment dans les Feuilles d'automne et les Chants du crépuscule, sans refuser son souvenir à la légitimité ni un salut à la branche cadette, prêtant tour à tour sa voix éclatante au Progrès et à la Tradition, il devint à la fin démocrate et libre penseur, mêlant la satire au lyrisme, à l'épopée, dans les Châtiments, la Légende des siècles et la plupart des recueils qui suivirent. D'ailleurs, toute son oeuvre lyrique - notamment les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres, les Contemplations, l'Art d'être grand-père - fait une place importante aux intimités, et moins à celles le l'amour qu'à celles de la famille. Populaire encore par l'abondance et le bonheur de cette poésie filiale ou paternelle, il le fut enfin par l'évidence même de ses procédés techniques et par une habileté verbale prodigieuse.
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Le Pain sec

« Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture, 
Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture 
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité, 
Repose le salut de la société,
S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :
- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce; 
Je ne me ferai plus griffer par le minet. »
Mais on s'est récrié : - Cette enfant vous connaît; 
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche. 
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche. 
Pas de gouvernement possible. A chaque instant 
L'ordre est troublé par vous; le pouvoir se détend; 
Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête. 
Vous démolissez tout. - Et j'ai baissé la tête, 
Et j'ai dit : - Je n'ai rien à répondre à cela, 
J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là 
Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe, 
On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir, 
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité des douces créatures 
- Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures. »
 

(V. Hugo, L'Art d'être grand-père, 1877).

A. de Musset.
A la fin de 1829, Alfred de Musset, âgé de dix-neuf ans (1810-1857), publia son premier recueil. Il devint très vite l'enfant gâté du siècle. Le pittoresque de son décor, emprunté à une Espagne, à une Italie, à un Moyen âge plus fantaisistes que réels, la grâce impertinente de la forme, un mélange de dandysme et de libertinage avaient séduit le public. Musset était déjà le chérubin du romantisme, lorsque Rolla déchaîna l'enthousiasme. Pour nous, il est surtout le poète qu'a renouvelé la crise de sa liaison tapageuse avec George Sand (1833-1834), celui des Nuits, de la Lettre à Lamartine, des Stances à la Malibran, de l'Espoir en Dieu, du Souvenir. Pur romantique par son individualisme sans restriction, par le culte du coeur, - source unique, dit-il, du génie, - il possède quelques-unes des qualités les plus classiques : la netteté, l'esprit, l'ingéniosité, le goût, et il ne ménage pas, sur le tard, son admiration à quelques maîtres d'autrefois : Mathurin Régnier, La Fontaine, Molière, Racine même et Corneille, tels qu'ils apparaissent à travers le jeu de Rachel.

P. Borel, A. Bertrand. G. de Nerval.
L'extrême romantisme est représenté par des poètes moins considérables, tels que Pétrus Borel et Aloysius Bertrand. Il faut mettre à part et plus haut Gérard de Nerval (1808-1855), un des rares poètes germanisants qui font la liaison entre le romantisme d'outre-Rhin et le symbolisme français. C'est seulement dans les premières années du XXe siècle qu'on s'est avisé de découvrir, sous le clair-obscur de l'expression, les concordances secrètes qu'il établissait entre les choses. 

Et les autres...
Moins hermétique, poète qui n'est qu'une âme, âme qui n'est que souffrance, l'élégiaque Marceline Desbordes-Valmore (1785-1859) a gardé jusqu'à nous des fidèles qui passent sur les insuffisances fréquentes de la forme, le «-lâché-» de ses poèmes, pour n'en retenir que l'accent douloureux. 

On revient au fatalisme maladif ou macabre avec les Poésies de  Joseph Delorme, qui sont de Sainte-Beuve, et avec les premières oeuvres de Théophile Gautier, Albertus, la Comédie de la mort, España, encore que ces deux derniers recueils annoncent une orientation vers un art parnassien qui s'affirmera dans Émaux et camées (1852). Et Sainte-Beuve, dans les Consolations et les Pensées d'août, dépouille ses premières outrances, vise a la poésie simplement analytique. 

Le romantisme est plus sensible d'abord chez Auguste Barbier (1805-1882), l'auteur des Iambes, et s'affirme dans ses autres formes jusqu'à la fadeur; mais il est, dès l'origine, mesuré et comme canalisé chez le Breton Auguste Brizeux (18061858), qui peut passer, avec sa délicieuse Marie (1831), pour le père de la poésie régionaliste en France.

Seule, la chanson reste toute classique avec Béranger (1780-1857), le représentant le plus populaire en poésie, et non seulement en France, mais à l'étranger, de la Révolution dans sa lutte contre le régime instauré par la Sainte-Alliance.

Le théâtre.
En France, où la tragédie pseudo-classique elle-même s'orientait vers la formule du drame avec Pierre Lebrun, Guiraud, Soumet, surtout avec Casimir Delavigne (1794-1843), poète de transition, mais constructeur habile, creusant ses personnages sans défigurer la réalité (les Vêpres siciliennes, Marino Faliero, Louis XI, les Enfants d'Édouard), le véritable drame romantique, irrégulier, pittoresque, frénétique, tout rutilant de « couleur locale » qu'il prend pour la couleur de l'histoire, s'empare de la scène en 1839 avec le Henri III et sa cour d'Alexandre Dumas et l'Othello d'Alfred de Vigny.

Chez Dumas (1803-1870), le drame incline au mélodrame, aux effets de gros pathétique, dont Antony offre le parfait modèle; avec tous ses défauts, Dumas a pourtant la science innée de la scène; les personnages, peu compliqués, donnent l'illusion de la vie, et la charpente de l'oeuvre, chez lui comme chez Scribe, est toujours de main d'ouvrier.

En 1830, Hernani, de Victor Hugo, déchaîne une bataille restée célèbre. Les drames les plus célèbres de Victor Hugo sont établis sur des antithèses violentes et simplistes, pleins de tirades romantiques et de monologues déclamatoires, mais ils sont riches de lyrisme, ils ont l'incomparable musique de leurs vers d'amour. Et les Burgraves eux-mêmes rendent à la lecture un son d'épopée.

Chatterton (1835) est probablement le chef-d'oeuvre du théâtre romantique, à coup sûr l'un de ses plus beaux succès. Mais c'est aussi, dans la forme, la moins romantique de toutes ces pièces, la plus sobre, la plus nourrie, la plus vigoureusement et simplement pathétique. Elle dramatise le conflit, tel que le voyait Vigny, entre le poète et la société.

Qu'est-ce, près de ce modèle hautain, que le drame vaudevillesque de Scribe (1791-1851)? Mais il est si merveilleusement cuisiné que tous les palais en raffolent, et cette génération ne s'aperçoit pas qu'elle possède dans Alfred de Musset un génie charmant, capable d'unir à la fantaisie la plus libre, au modernisme le plus avéré, un sens très parisien du dialogue. Il faut qu'une comédienne émigrée, Mme Allan Despréaux, les rapporte de Saint-Pétersbourg, pour que : un Caprice, Fantasio, Carmosine, le Chandelier, soient enfin, et seulement après 1847, joués à Paris. Mais déjà le pur romantisme avait fait son temps sur la scène. L'échec des Burgraves en 1843, le succès de la Lucrèce, de Ponsard, la même année, clôturent un règne d'à peine quinze ans.

Le roman.
Si, dans presque toutes les littératures européennes du XIXe siècle, la fortune du roman apparaît extraordinaire, c'est qu'on ne l'entend plus comme au XVIe, au XVIIe et au XVIIIe siècles; il n'est plus un simple genre; il est tous les genres à la fois. 
C'est  un roman d'analyse qui, en 1816, ouvre pour la France cette période féconde,
l'Adolphe de Benjamin Constant (1767-1830), oeuvre romantique,traitée à la manière classique, sans autre préoccupation que l'exactitude de l'anatomie mentale. 

Ch. Nodier.
Mais presque aussitôt Charles Nodier (17831844), qui avait fait ses débuts en 1802, donne aux « jeune France » les modèles du roman frénétique avec Jean Sbogar (1818), de la nouvelle fantastique avec Smarra, Trilby, Iñès de las Sierras. Fantastique et frénésie tempérés de malice, romantisme d'imagination plus que d'expression : Nodier a trop d'esprit pour être sa propre dupe.

A. de Vigny.
Le romantisme est plus franc dans le roman historique, dont Vigny a exposé la théorie dans la préface de la dixième édition de Cinq-Mars. Pour lui, si le rôle de l'historien consiste à ramasser le butin toujours incomplet des documents, celui du romancier consiste à ranimer, intuitivement, les grandes figures disparues. Théorie séduisante, mais qui laisse toute place à l'arbitraire. Ce qui fait encore aujourd'hui la valeur de Cinq-Mars (1826), davantage celle de Stello, mais surtout de Servitude et grandeur militaires, celle aussi de Daphné, roman posthume (1913), c'en est moins la véracité que le symbolisme, le parti pris de traiter l'anecdote non pour elle-même, mais comme soutien, une pensée très haute et très désespérée.

V. Hugo.
Victor Hugo a débuté par le roman d'aventures étrange et fantastique avec Han d'Islande et Bug Jargal, puis il a connu le succès éclatant avec Notre-Dame de Paris (1831), un roman historique qui renferme toutes les beautés et toutes les horreurs, toutes les réussites et toutes les invraisemblances dont le genre est susceptible. Au vrai, tous les romans de Victor Hugo, comme tout son théâtre, les Misérables ou l'Homme qui rit, les Travailleurs de la mer'ou Quatre-vingt-treize, qu'ils soient historiques ou sociaux, manifestent la même personnalité, les mêmes effets de contraste. Ce qui est déshérité ou difforme y représente une vertu ou un génie; ce qui passe pour noble ou sacré, un vice ou un ridicule. Et cela a peut-être fait pour la diffusion de ses romans autant que la grandeur épique de certains épisodes et la richesse du vocabulaire.
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Cosette et la nuit

[C'est la nuit. Cosette, fillette de huit ans, va chercher de l'eau pour la méchante Thénardier...]

« Quand elle eut passé l'angle de la dernière maison, Cosette s'arrêta. Aller au-delà de la dernière boutique, cela avait été difficile; aller plus loin que la dernière maison, cela devenait impossible. Elle posa le seau à terre, plongea sa main dans ses cheveux et se mit à se gratter lentement la tête, geste propre aux enfants terrifiés et indécis. Ce n'était plus Montfermeil, c'étaient les champs. L'espace noir et désert était devant elle. Elle regarda avec désespoir cette obscurité où il n'y avait plus personne, où il y avait des bêtes, où il y avait peut-être des revenarts. Elle regarda
 bien, et elle entendit les bêtes qui marchaient dans l'herbe, et elle vit distinctement les revenants qui remuaient dans les arbres. Alors elle ressaisit le seau, la peur lui donna de l'audace : - Bah! dit-elle, je lui dira qu'il n'y avait plus d'eau! - Et elle rentra résolument dans Montfermeil.

A peine eut-elle fait cent pas qu'elle s'arrêta encore, et se remit à se gratter la tête. Maintenant, c'était la Thénardier qui lui apparaissait; la Thénardier hideuse avec sa bouche d'hyène et la colère flamboyante dans les yeux. L'enfant jeta un regard lamentable en avant et en arrière. Que faire? Que devenir? Où aller? Devant, le spectre de la Thénardier; derrière, tous les fantômes de la nuit et des bois. Ce fut devant la Thénardier qu'elle recula. Elle reprit le chemin de la source et se mit à courir. Elle sortit du village en courant, elle entra dans le bois en courant, ne regardant plus rien, n'écoutant plus rien. Elle n'arrêta sa course que lorsque la respiration lui manqua, mais elle n'interrompit pas sa marche. Elle allait devant elle, éperdue. »
 

(V. Hugo, extrait des Misérables, III, chap. V).

A. Dumas.
L'art n'est pas le premier souci d'Alexandre Dumas, dans ses romans dits historiques, qui, à partir de 1836, et à l'aide de collaborations discrètes, notamment celle d'Auguste Maquet (1813-1888), firent de lui un Walter Scott français, également populaire, mais sensiblement inférieur, truquant la vérité avec innocence, par une aptitude rare à revêtir ses propres fictions du caractère de l'authenticité.

Mérimée.
Prosper Mérimée (1803-1870) avait au contraire commencé, dans le drame et la poésie, par la mystification la plus consciente, avec ces jeux d'artistes que sont le Théâtre de Clara Gazul et la Guzla. Le même goût du pastiche se retrouve dans son amusante Chronique du règne de Charles IX (1829). Il passe bientôt de l'histoire à l'exotisme, utilisant tour à tour le décor italien, espagnol, polonais, corse, pour écrire des récits violents et pittoresques, mais d'un pittoresque étudié, d'une violence sans déclamation, d'un style sobre, comme Colomba et Carmen, qui sont les modèles du genre dépouillé.

Les romans autobiographiques.
Le roman autobiographique n'avait pas épuisé sa sève avec René, Corinne, Obermann et Adolphe. C'est un roman autobiographique que Volupté (1834), qui nous présente la crise de Sainte-Beuve, mystique, romantique et amoureux, souffrant tout ensemble dans sa foi littéraire, sa foi religieuse et sa foi sentimentale, avant de se tremper de scepticisme pour la vie. 

Romans autobiographiques encore, l'Arthur d'Ulric Guttinguer, auquel Sainte-Beuve projeta de collaborer;  la Confession d'un enfant du siècle (1836), récit dramatisé d'une illustre aventure d'amour à laquelle Musset donna un portique d'épopée; les Confidences et les Nouvelles Confidences (1849-1851), où Lamartine projetait sur le plan de la prose le dessin de ses idéales Méditations.

George Sand.
L'autobiographie est plus dissimulée peut-être, sans en être plus absente, dans les romans de jeunesse d'une George Sand (18041876), Indiana, Valentine, Lélia, contemporains de sa liaison avec Musset; mais les thèmes lyriques, sentimentaux et révolutionnaires y abondent déjà : thème de la passion éducatrice et des droits du coeur, thème de la mélancolie, thème du doute, thème de la désespérance, tous développés dans un sens favorable à l'individu et particulièrement à la femme, victime d'une société oppressive. 

De là l'auteur passe naturellement, avec l'aide de ses nouveaux amis, Michel de Bourges, Pierre Leroux, au romantisme humanitaire et au roman politico-social (Consuelo, le Compagnon du tour de France, le Meunier d'Angibault). Ensuite, ou simultanément, pour s'être un moment retrempée, à Nohant, dans l'air natal, elle aborde le roman rustique et c'est alors qu'elle va donner ses chefs-d'oeuvre : François le Champi, la Mare au Diable, la Petite Fadette, les Maîtres sonneurs (1844-1852). 

Après quoi, ce sont encore des romans à thèse, des romans psychologiques, voire des romans historiques, comme les Beaux Messieurs de Bois-Doré, ou, enfin, des romans tout court, où elle est uniquement soucieuse de plaire et d'émouvoir, comme le Marquis de Villemer. La mort seule lui fait tomber la plume des mains. En exaltant l'individualisme, elle a exercé, surtout hors des frontières, une influence profonde. Mais elle est aussi celle qui a montré en France la noblesse des vieilles disciplines paysannes et réveillé l'âme de la province.

G. de Nerval, M. de Guérin, Topffer, X. de Maistre.
Mentionnons ici Gérard de Nerval (1808-1855), pour ses Filles du feu, où tant de poésie se mêle au récit et tant de romantisme allemand à l'air du Valois; Maurice de Guérin (1810-1839), pour le Centaure, un petit roman lyrique qui est un grand chef-d'oeuvre; le Génevois Topffer (1799-1846), pour ses Voyages en zigzag, qui, à mi-chemin de la nouvelle et de l'essai, continuent un genre déjà illustré par le Voyage sentimental de l'Anglais Sterne; et le Voyage autour de ma chambre du Savoyard Xavier de Maistre.

Stendhal.
Vers 1835, en pleine vogue du romantisme, on voit, non sans surprise, le roman s'orienter subitement vers le réalisme. En France, Henri Beyle, plus connu sous son pseudonyme de Stendhal (1783-1842), fait d'abord figure d'isolé. C'est seulement en 1882, quand déjà Taine l'avait signalé et que Tolstoï avait appris de lui à peindre les batailles, que Paul Bourget lui donne sa vraie place dans l'histoire de la sensibilité française. Ancien officier de l'Empire et italianophile résolu, qui se plaît dans les salons parisiens a être bien « atroce », parrain de « l'égotisme », du « tourisme » et, naturellement, du « beylisme », Stendhal, dans le Rouge et le Noir, dans la Chartreuse de Parme, dans les Chroniques italiennes, a développé sous une apparente sécheresse de style le culte de la passion et de l'énergie. « Barrésien » avant l'heure, il voyait dans Napoléonle plus admirable professeur de cette vertu. Il lui a donné d'inoubliables disciples, Julien Sorel (Le Rouge et le Noir) et Fabrice del Dongo (La Chartreuse de Parme).

Balzac.
Honoré de Balzac (1799-1850), qui fut le premier à remarquer l'originalité de Stendhal, commença, sans gloire, par le roman pseudo-historique, mais fut réaliste dans toute la série de la Comédie humaine. Malgré ce nom de « comédie », il est, comme historien des moeurs de son temps, matérialiste et déterministe dans l'application, quoique catholique en théorie. Estimant qu'il existe « des espèces sociales comme il y a des espèces zoologiques », Balzac fait du roman ce que Sainte-Beuve faillit faire de la critique : une dépendance de l'histoire naturelle. Son tableau de la société n'est pas édifiant, mais l'auteur dégage sa responsabilité, qui est tout juste celle d'un enregistreur. Ce n'est pas sa faute, explique-t-il lui-même, s'il y a dans ses romans plus de barons Hulot, de Gobsek et de cousines Bette que d'Eugénie Grandet et de cousins Pons. Il n'a pas impunément vécu, cependant, au temps du romantisme : des personnages démesurés comme Vautrin, ou chimériques comme le Raphaël de la Peau de chagrin, en sont le témoignage. S'il lui manque parfois la finesse de l'homme de goût et les délicatesses du pur artiste, du moins est-il le plus étonnant créateur d'hommes qui soit venu après Shakespeare.

L'époque réaliste et naturaliste

En littérature (et dans les beaux-arts) on appelle réalisme tout système qui consiste à reproduire la nature telle qu'elle est, ou telle qu'on croit la voir, avec ce qu'elle peut avoir de laid ou de vulgaire. Si aucun théoricien réaliste n'a jamais soutenu que l'art dût être une transcription telle quelle de la réalité, il n'y a pas eu non plus d'école digne de ce nom, en tout cas pas avant le XXe siècle, qui non seulement ne prenne la réalité pour point de départ, mais ne propose à l'artiste d'en rendre une image fidèle. Seulement, il faut, dans chaque école, compter avec les conventions et les préjugés contemporains. Ces préjugés et ces conventions masquent souvent le réel; et de là vient que, les classiques, puis les romantiques, s'étant également réclamés de la nature, on n'en a pas moins vu soit les romantiques reprocher aux classiques ce qu'ils voyaient de factice dans leur art, soit les réalistes modernes opposer aux romantiques cette nature au nom de laquelle ceux-ci s'étaient insurgés contre les classiques. 

L'école proprement réaliste est celle qui, vers 1850, prétendit ramener l'art à l'observation directe du réel. Même dans la première moitié du XIXe siècle, quelques écrivains peuvent être déjà considérés, du moins à certains égards, comme des réalistes. Stendhal par exemple, Mérimée, surtout Balzac. Mais, lorsque le romantisme eut été dévoré par ses ardeurs, à une littérature essentiellement lyrique, qui procédait de l'imagination et de la sensibilité, en succéda une autre, toute positive, laquelle s'imposait de reproduire la vie ambiante, sans autres modifications que celles dont les lois mêmes de l'art font à l'artiste une nécessité. Tous les genres furent alors renouvelés : la critique, l'histoire, voire la poésie, et surtout les deux genres prédominants, roman et théâtre. Ce qui s'appela d'abord réalisme prit un peu plus tard le nom de naturalisme. Et, du reste, naturalisme et réalisme sont des termes à peu près équivalents. Mais le premier fait entendre, outre certains procédés d'art, une doctrine philosophique et morale fondée sur la science. 

Le nom de naturalisme s'applique plus spécialement à l'école littéraire dont Emile Zola est le chef, et qui se propose de reproduire la nature, la réalité, aussi exactement que possible. Le naturalisme a lancé le théâtre dans une voie nouvelle en le rapprochant le plus possible de la vie, en le libérant de toutes les conventions qui ne sont pas inhérentes au genre : là, son principal représentant fut Henry Becque, l'auteur des Corbeaux (1882). Mais c'est surtout le roman que cultivèrent les naturalistes, Il ne faut pas ranger parmi eux des romanciers tels que les Goncourt et Alphonse Daudet, dont l'impressionnisme est directement contraire au naturalisme. Zola lui-même, qui défini la méthode naturaliste, ne s'y est jamais astreint : son imagination incoercible, son tempérament de poète et de visionnaire déforment la nature. Guy de Maupassant est sans doute, parmi tous les romanciers de ce siècle, celui qui mérite le mieux le nom de «-naturaliste », parce qu'aucune théorie, aucun système, aucune sollicitation philosophique et morale n'altèrent en son « moi », les images de la réalité. Si l'on voulait définir le naturalisme aussi brièvement que possible, on pourrait le ramener tout entier à l'application des procédés scientifiques dans l'oeuvre littéraire. 

Pour en exposer la discipline, Zola n'a guère fait, lui-même le déclare, que transcrire l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (texte en ligne), de Claude Bernard, en substituant au mot de médecin celui d'artiste. Et, sans doute, il ne saurait y avoir de naturalisme absolu, car ce qui fait la différence de la nature et, de l'art, c'est justement la modification que l'art imprime à la nature. Mais un écrivain est plus ou moins naturaliste, suivant qu'il reproduit les choses avec plus ou moins d'exactitude. Nous devons dégager le naturalisme de violences et de crudités gratuites, d'un matérialisme et d'un pessimisme systématiques, qui lui cachèrent trop souvent une moitié de la vie, une moitié de l'Humain. Quand on parle de sa « banqueroute », il ne s'agit que de l'école naturaliste. A la chute de l'école, survit ce que le naturalisme avait en soi de bon et de sain, ce qui assura jadis sa victoire contre un « idéalisme » conventionnel. (NLI).

Philosophie, théologie, sociologie.
A. Comte.
En pleine fièvre romantique, l'ancienne logique expérimentale ressuscite sous des traits nouveaux avec Auguste Comte (17981857), dont le Cours de philosophie positive se développe entre 1831 et 1842. Comte, qui distingue dans l'histoire de l'humanité trois états successifs - théologique, métaphysique et scientifique - croit commencée l'ère du troisième et n'admet plus que l'étude des faits, sans mélange d'aucun finalisme conception dont il est lui-même sorti en déclarant que « le sentiment doit toujours dominer l'intelligence », mais qui avait l'avantage de restaurer les droits de la vérité objective et de la raison. Sa philosophie se répandit non seulement en France, où Émile Littré (1801-1881) fut son disciple le plus exclusif, mais aussi au dehors.

Au positivisme d'Auguste Comte, de ses disciples et de ses exemples, on rattachera l'oeuvre de Renan et de Taine. 

H. Taine.
Ennemi de la philosophie officielle, comme il ressort de son Étude sur les philosophes français du XIXe siècle (1857), Hippolyte Taine (1828-1893) se conforme aux leçons de Comte, fonde la « physique sociale », assimilant les lois du monde moral à celles du monde matériel, et déclarant : « Le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol et le sucre. » Son oeuvre, si diverse, applique cette analogie de principe à la psychologie (De l'intelligence), à l'esthétique (Philosophie de l'art), à l'histoire littéraire (La Fontaine et ses Fables, Essai sur Tite-Live, Histoire de la littérature anglaise), à l'histoire politique (Origines de la France contemporaine). Sa théorie de « la faculté maîtresse » et des trois grands facteurs primordiaux - race, milieu, moment - ne pouvait pas lui livrer le secret de l'individu supérieur, le quid proprium du génie. Mais la rigueur de sa logique, qui se traduit dans un style volontairement tendu, éclatant, fut la principale raison de sa grande influence. A ceux même qui le combattent, il a fourni une méthode et ouvert des chemins.

Renan.
Breton évadé du séminaire, Ernest Renan (1823-1892) ne s'est consolé d'aller de la piété à l'incrédulité que par une adhésion quasi religieuse à la puissance de la raison humaine. Dans l'Avenir de la science, publié en 1890, mais achevé en 1849, il montre l'ardeur juvénile de son positivisme. L'exégète des Origines du christianisme, l'historien du Peuple d'Israël et d'Averroès, le philologue du Corpus inscriptionum semiticarum est, avant tout, un savant. Mais, dans ses Essais de morale et de critique, ses Dialogues philosophiques, ses Drames philosophiques, dans les morceaux d'autobiographie idéalisée dont se composent les Souvenirs d'enfance et de jeunesse et les Feuilles détachées, on le voit allier à son rationalisme une poétique réserve de rêves, d'illusions, de subtile métaphysique et même de mysticisme, en un style qui n'a pas d'égal pour le naturel, le nuancé, la souplesse enveloppante, la fine pointe d'ironie, et qui a singulièrement fortifié son empire sur la génération symboliste. Admirateur de l'Allemagne jusqu'en 1870, Renan lui doit en partie son savoir en philologie, « la science exacte de l'esprit », disait-il, son dilettantisme, dont Goethe lui offrait le partait modèle, l'intuition de devenir et un esprit de synthèse qui concilie les contradictoires selon la formule hégélienne. Sa complexion ondoyante se trouvait naturellement à l'aise dans l'hégélianisme.

Taine et Renan, tout en rendant un culte à la science, ont été des artistes; car, si le scientisme est le caractère le plus apparent de cette époque, l'esthétisme en est un autre.

F. Le Play
En sociologie, l'esprit positiviste est représenté avec force en Europe par Karl Marx. En France, Frédéric Le Play (1806-1882) est à l'antipode de Karl Marx, mais il exclut, comme lui, toute considération de sentiment. Dans les Ouvriers européens, dans la Réforme sociale en France, il se pose en adversaire déterminé de l'égalitarisme dogmatique et, sans croire inéluctable l'antagonisme du capital et du travail, il fonde l'économie sociale sur le respect de la famille, de la religion et de la propriété.

Gobineau.
Il faudrait ici placer le comte de Gobineau (1816-1882), diplomate et voyageur, théoricien du racisme, esprit hardi et paradoxal qui s'est répandu en des écrits très variés, puisqu'ils vont de la poésie à l'ethnographie. Mais Gobineau, comme Nietzsche, n'est devenu illustre qu'après sa mort, et tout d'abord en Allemagne, où le servirent à la fois l'amitié de Wagner et le profit que le pangermanisme crut tirer du gobinisme, en interprétant au mieux de ses intérêts l'infâme Essai sur l'inégalité des races humaines (1855).

Fustel de Coulanges.
Le savant qui, à cette époque, représente le mieux, en France, l'esprit d'objectivité, d'impartialité et de soumission aux textes, sans être le moins du monde réfractaire aux vues d'ensemble, est Fustel de Coulanges (1830-1889). Dans la Cité antique, s'il s'est placé à un point de vue exclusif; il a eu l'originalité d'affirmer, à partir des méthodes les plus positives, que la force morale - la religion en l'espèce - est supérieure à la force matérielle pour la formation et l'évolution des sociétés; dans son Histoire des institutions politiques de l'ancienne France, il a défendu l'idée que les assises du régime qui s'est fondé sur les ruines de l'Empire d'Occident ne sont pas essentiellement germaniques.

L'éloquence : Prévost-Paradol, Veuillot.
Le barreau, la tribune, la chaire, la presse offrent de beaux noms à cette époque, surtout dans les pays parlementaires. Sauf un Prévost-Paradol, et davantage un Louis Veuillot, ils ne s'incorporent pas dans l'histoire générale des lettres. Si Prévost-Paradol a des parties de moraliste et un art classique des nuances, l'écrivain dru, solide, sorti de la rude matrice populaire et qui, sur le plan de la défense et souvent de l'attaque ultramontaine, prolongera jusqu'au XXe siècle la tradition des écrivains de la pure lignée gauloise, c'est ce Veuillot, dont l'oeuvre énorme et d'un seul jet, joviale et douloureuse, incisive et puissante, rappelle les cariatides de Puget.

L. Ménard.
Chimiste, helléniste et poète, Louis Ménard (1822-1901), qui se définissait « un païen mystique », n'a peut-être pas exercé sur son temps la part d'influence qui lui revenait, mais il reste pour nous l'une des figures les plus représentatives de cet âge essentiellement positiviste et artiste.

La critique.
Le goût de l'information exacte, qui souvent fait défaut au romantisme, favorisa les travaux de la critique. Sous sa forme littéraire, elle est particulièrement brillante en France, où Taine lui applique sa méthode, tandis qu'avec plus de souplesse, Sainte-Beuve, ayant à peu près dépouillé l'homme du Cénacle, se voue entièrement à l'étude des esprits de tous les temps.

A la critique d'art revient principalement le mérite d'avoir, dans un âge entre tous positif, assuré le respect et le goût de la beauté. En France, Taine, outre sa Philosophie de l'Art, a écrit un Voyage en Italie, qui est surtout un voyage dans les musées italiens. Il y a moins de doctrine et plus de technique dans les Maîtres d'autrefois d'Eugène Fromentin (1820-1876), un de ceux qui ont créé le vocabulaire de la critique d'art. 

La littérature de voyage (on l'a vu pour Taine) est toute proche de la littérature d'art, si proche qu'elle se confond parfois avec elle. C'est le cas de Flaubert, que son ami Maxime du Camp promène en Bretagne et en Égypte; de Théophile Gautier, qui demande des visions neuves à l'Espagne et à la Russie.

La poésie.
Ni Lamartine, ni Vigny n'ont encore abdiqué, et Hugo publie ses trois chefs-d'oeuvre : les Châtiments, les Contemplations, la Légende des Siècles. Ces grands poètes se sont depuis longtemps affranchis de ce que le romantisme avait d'étroit. 

Gautier. Banville.
Théophile Gautier (1811-1872), qui fut peintre avant d'être poète, et qui reste un visuel, un sensuel « pour qui le monde extérieur existe », exprime, dans Émaux et Camées (1852), son culte de l'art difficile et de la perfection formelle. 

Concurremment, Théodore de Banville (1823-1891) unit à la fantaisie romantique les virtuosités du pur artiste dans les Cariatides, les Stalactites, les Odelettes et les Odes funambulesques, où la poésie, affranchie des contingences de l'espace et du temps, n'obéit plus qu'aux lois de son mécanisme intérieur; où le poète, ne voulant découvrir aux choses aucun sens spirituel, se contente de déployer à leur égard ses magnifiques orfèvreries.

Baudelaire.
Charles Baudelaire (1821-1867), qui n'a pas été moins encensé que vilipendé, se sépare violemment du romantisme, quoiqu'il y tienne par son satanisme, son fantastique et son goût du macabre, auquel l'admiration d'Edgar Poe a sensiblement contribué. Dans son recueil de vers, les Fleurs du mal (1857), la poésie est un sanctuaire aménagé en boudoir et les voluptés y ont une odeur de sacrilège. Chrétien déchu, il fut moins, dit Anatole France, « le poète du vice que celui du péché ». Sa forme laborieuse est parfois toute classique. Avec Vigny et Nerval, et d'une façon plus insistante, il a enseigné à la génération qui montait le sens des correspondances secrètes entre les âmes et les choses. Son influence, très limitée d'abord, s'élargit ensuite progessivement : peut-être est-il venu trop tôt .

Leconte de Lisle.
Par sa doctrine comme par son génie, et Victor Hugo mis à part, Leconte de Lisle (1818-1894) est le représentant le plus autorisé de la poésie française à cette époque. Ennemi de la poésie confidentielle et tout près de traiter Baudelaire de petit garçon, il veut remonter aux sources pures de l'hellénisme, où Louis Ménard, avant lui, avait bu à longs traits. Impassibilité et beauté sont sa règle et son credo tout sculptural. Présentant à la file, dans les Poèmes antiques, barbares, tragiques, les dieux de l'Olympe, ceux de l'Égypte, de l'Inde, de la Germanie et de la Scandinavie primitives, son oeuvre est une manière de musée des religions, donnant sur un vestibule décoré de figures symboliques. Au pessimisme douloureux de sa contemporaine Louise Ackermann (1813-1890) correspond son nihilisme hautain; détaché des vaines agitations, réfugié en artiste dans le passé et dans l'exotisme (il était né à la Réunion, de souche bretonne), c'est un Vigny réalisé et parvenu au stade suprême du renoncement bouddhique ou stoïcien, comme à la parfaite expression plastique de sa pensée.

Les Panassiens.
Sous l'autorité de son nom, et grâce aux efforts combinés de l'éditeur Lemerre, des poètes Xavier de Ricard et Catulle Mendès, se fonda le groupe du Parnasse, dont les membres communiaient dans le culte de la forme précise, du rythme vigoureux et de la rime riche. Les principaux d'entre eux furent Sully Prudhomme (1839-1909), qui restaura l'élégie par la double vertu de l'expression et de la généralisation philosophique; François Coppée (1842-1908) qui, ayant commencé par être, avec une sobriété analogue, le poète des intimités, s'orienta ensuite vers la poésie à mi-côte où s'était essayé Sainte-Beuve, et devint le poète familier des humbles; José-Maria de Hérédia (1842-1905), artiste impeccable, à l'éclat dur, qui a illustré splendidement, en des sonnets d'une perfection unique, réunis sous le nom des Trophées (1893), quelques brillantes étapes de l'histoire humaine; Léon Valade (1854-1884), dont certains petits poèmes égalent les lieder de Heine; Catulle Mendès (1841-1909), poète de reflet, original seulement dans les petits genres libertins.

Les littératures régionales.
On ne saurait oublier, dans ce tableau d'ensemble, la poésie des Félibres. La résurrection littéraire de certaines langues régionales est, en France, un des effets intéressants du régionalisme. Hersart de Villemarqué avait donné l'exemple avec son recueil bas breton Barzas-Breiz. Le poème de Mireille (1859), bientôt suivi de Calendal et du Poème du Rhône, valut à Frédéric Mistral (1830-1914), après le salut de Lamartine, une réputation mondiale, et Théodore Aubanel (1829-1886), dans la Grenade entr'ouverte, fut le poète élégiaque de la Provence, dont Mistral avait écrit l'épopée familière et agreste. Quelles que soient les destinées du félibrige, de tels chefs-d'oeuvre suffisent à justifier l'initiative d'un Jasmin et d'un Roumanille.

Le Théâtre.
Après la chute des Burgraves et le succès de Lucrèce, un auteur d'une autre taille que Ponsard (1814-1867) aurait peut-être restauré la tragédie. Il ne réussit qu'à rafraîchir un peu la manière de Casimir Delavigne; si médiocre que fût l'instrument, Henri de Bornier (1822-1901) en tira d'assez beaux accents patriotiques dans sa Fille de Roland (1875), comme François Coppée dans le Passant, Severo Torelli, Pour la couronne. La fantaisie ailée de Banville sauva ses pièces du naufrage.

Le vrai théâtre de cette époque réaliste, c'est la comédie de moeurs, initiée par Scribe et telle que l'ont entendue avec des principes et des idées différentes, Émile Augier et Alexandre Dumas fils. 

Émile Augier.
Augier (18201889) avait débuté par des pièces en vers ; dans la prose souple et résistante qui est le meilleur vêtement de sa pensée, en des actions solidement construites, l'auteur du Gendre de Monsieur Poirier (écrit en collaboration avec Jules Sandeau), du Mariage d'Olympe, des Lionnes pauvres, des Effrontés, a, sans jamais convertir la scène en tribune, stigmatisé la plupart des vices de son temps, la vanité du bourgeois parvenu, les calculs du gentilhomme ruiné, le culte de l'argent, l'ironie dissolvante, la fausse respectabilité, la laide politique. C'est de l'excellente satire dialoguée et quelquefois de l'excellente étude de caractère.

A. Dumas Fils.
Alexandre Dumas fils (1824-1893), après des drames dont les thèmes sont parfois très personnels, tels que la Dame aux Camélias, le Fils naturel, Un père prodigue, suivis d'un silence de six ans, inaugure en 1864, avec l'Ami des femmes, le régime des pièces à thèse, où, s'attribuant le rôle de directeur de conscience, il combat la décomposition sociale avec une logique parfois déclamatoire et raide, mais toujours puissante (Francillon, Denise).

V. Sardou.
Victorien Sardou (1831-1908) n'est pas seulement l'heureux continuateur de Scribe, le prodigieux représentant du mélodrame et de la comédie historique dans Patrie, Fédora, Théodora, la Tosca, Madame Sans-Gêne. Il avait commencé par se faire un nom avec des comédies d'une dextérité remarquable, telles que la Famille Benoîton, Nos bons Villageois, et son Rabagas reste encore, avec la Popularité de Casimir Delavigne, la meilleure des comédies politiques du temps.

H. Meilhac. L. Halévy. É. Pailleron. Th. Barrière
Henri Meilhac (1831-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908), qui triomphèrent dans l'opéra-bouffe avec Orphée aux Enfers et la Belle Hélène, ont donné dans Froufrou le chef-d'oeuvre de leur répertoire léger, spirituel et subversif. Édouard Pailleron (1834-1899) a donné le sien dans le Monde où l'on s'ennuie, fine caricature des salons littéraires. Le nom de Théodore Barrière (1823-1877) est attaché à deux pièces-: les Faux Bonhommes et les Filles de marbre, restées célèbres parce qu'il y a créé un type de raisonneur, Desgenais. 

E. Labiche.
Au demeurant, le plus assuré de survivre, dans la foule des auteurs qui approvisionnèrent le théâtre sous le Second Empire, est assurément Eugène Labiche (1816-1888), qui, mieux que l'esprit, que l'ironie ou que son succédané, la blague, eut le don par excellence - qu'avait Molière et dont héritera Courteline - le comique franc et naturel qui jaillit des situations : Monsieur Perrichon n'est pas si loin de Monsieur Jourdain et fait la chaîne avec Boubouroche.

Le roman.
Le positivisme n'est peut-être pas très favorable à un certain romanesque. Mais le roman d'observation et de documentation n'en est pas gêné, et le fait est qu'il se développe brillamment, en France, en Angleterre (Dickens, Thackeray, G. Meredith), en Russie (Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï). En France, on a vu, dès la période romantique, se préciser le réalisme de Stendhal, de Balzac, de Mérimée.

Gustave Flaubert.
Le type achevé du roman réaliste, c'est cette Madame Bovary, qui parut en 1857, la même année que les Fleurs du mal, et ne fit pas moins scandale. Son auteur, Gustave Flaubert (1821-1880), n'était peut-être pas exclusivement réaliste de tempérament; il ne cessa d'osciller entre le romantisme, dont procèdent surtout Salammbô, deux des Trois Contes, la Tentation de saint Antoine, et le réalisme, qui domine dans Madame Bovary, l'Éducation sentimentale, Bouvard et Pécuchet. D'une part le pittoresque, l'histoire, l'exotisme, l'étrange, voire le monstrueux; d'autre part, la médiocrité, la platitude de certaines vies. Dans les deux cas, un culte exaspéré de la forme, un style châtié, laborieux, forgé, modelé, damasquiné, une dévotion entière à l'oeuvre d'art. Aussi bien, la misanthropie de l'observateur, voilée sous des airs d'impassibilité, explique toutes les fugues de son imagination.

Les Goncourt.
Les frères Goncourt, Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870), annexèrent au réalisme l'impressionnisme. Modeler le style sur l'impression, tel est le but. Le résultat, c'est « l'écriture artiste », toute en frissons, violente et précieuse à la fois, suprême refuge pour la sensibilité et la nervosité d'écrivains théoriquement impersonnels comme la vérité.

A. Daudet.
Avec Alphonse Daudet (1840-1897), le réalisme est plus libre, plus aéré, plus imprégné de sentiment, et peut-être, au bout du compte, plus véridique. En dépit d'une esthétique entièrement fondée sur l'observation, Daudet a réussi à émouvoir et à charmer, tout en créant des types comme Sapho, Delobelle, Numa Roumestan et l'immortel Tartarin.

É. Zola et le courant naturaliste.
Émile Zola (1840-1902), au contraire, a encore accusé la formule du réalisme en y introduisant une biologie inspirée de Taine, de Darwin, de Claude Bernard, et ce fut le naturalisme. Ses Rougon-Macquart (1871-1893), « histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire », ne seraient d'ailleurs, sous des dehors documentaires, qu'une oeuvre chimérique, sans la puissance du tempérament épique qui les anime, sans le mysticisme à rebours de l'auteur, sans sa divination géniale de l'âme des foules.

Autour de lui, le naturalisme groupe de nombreux talents : Guy de Maupassant (1850-1893), excellent conteur, le plus naturellement réaliste de tous; J.-K. Huysmans (1848-1907), qui conduisit le naturalisme, par des voies imprévues, au mysticisme catholique, et le Belge Camille Lemonnier (1845-1913), truculent, coloré, déclamatoire, qui le ramène sans trop de difficulté au romantisme.
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Comment écrire?

« Il faut être bien fou, bien audacieux, bien outrecuidant ou bien sot, pour écrire encore aujourd'hui! Après tant de maîtres aux natures si variées, au génie si multiple, que reste-t-il à faire qui n'ait été fait, que reste-t-il à dire qui n'ait été dit? Qui peut se vanter, parmi nous, d'avoir écrit une page, une phrase, qui ne se trouve déjà, à peu près pareille, quelque part. Quand nous lisons, nous, si saturés d'écriture française que notre corps entier nous donne l'impression d'être une pâte faite avec des mots, trouvons-nous jamais une ligne, une pensée qui ne nous soit familière, dont nous n'ayons eu, au moins, le confus pressentiment? »
 

(G. de Maupassant, extrait de la préface de Pierre et Jean).

Encore des romanciers et des romans...
Les récits à l'éclat sombre de Barbey d'Aurevilly (1808-1889) mêlent le dandysme, le satanisme, le régionalisme, et deux ou trois d'entre eux sont des chefs-d'oeuvre (le Chevalier des Touches, Une vieille maîtresse). L'esprit romantique qui les anime se retrouve dans les romans satiriques, politiques, anarchistes de Jules Vallès (1830-1870). Il faut noter le succès, à la même époque, des Misérables de Victor Hugo, roman romantique s'il en fut, démesuré et inégalable, et celui des romans mondains et quelquefois raciniens d'Octave Feuillet (1821-1890). De la même époque est le Dominique (1862) de Fromentin, roman d'analyse, tout subjectif, baigné d'une tiède atmosphère saintongeoise, l'oeuvre la plus délicate du genre après Adolphe.

L'époque symboliste

Le symbolisme fut une réaction contre l'art des Parnassiens, art tout représentatif, qui consiste soit dans la reproduction des formes et des couleurs, soit dans la transcription logique des idées. Telle que la conçurent les nouveaux poètes, la poésie devait traduire ce que l'âme recèle de plus profond et presque d'inconscient. Le symbole est fondé sur une correspondance entre deux objets dont l'un, généralement, appartient au monde physique, et l'autre au monde moral. D'ailleurs, le symbolisme ne consiste pas à faire des symboles en forme, suivis et longuement développés. Pour être symboliste, il suffit d'exprimer les secrètes affinités des choses avec nos émotions. 

Si l'école parnassienne se rattachait au réalisme, si son art était une représentation directe, le symbolisme s'y oppose comme étant une sorte d'évocation. La poésie des symbolistes ressemble à la musique par son objet, cet objet étant de rendre les sentiments et les émotions qui échappent à l'analyse, par ses moyens, les rythmes et les sons. Parallèlement, les symbolistes revendiquèrent de grandes libertés dans la forme : libertés avec la syntaxe, avec le vocabulaire, avec la rime, qu'ils s'attachèrent à atténuer, et surtout avec la métrique : leur vers libre, dont la longueur dépasse parfois celle de l'alexandrin, se distingue souvent à peine de la prose.

Si l'on considère l'histoire du mouvement symboliste, on peut constater que les littératures allemande et anglaise, la musique wagnérienne, le préraphaelisme ne furent pas sans influence sur son développement. Mais il eut en France des précurseurs dans Alfred de Vigny et surtout dans Charles Baudelaire. L'initiateur et le législateur de l'école fut Stéphane Mallarmé. Le maître dont elle se réclamait est Paul Verlaine, dont l'inspiration originale et sincère dépasse, à vrai dire, l'esthétique du groupe. H.enri de Régnier ne fit qu'y passer. Sorti de l'école symboliste, Jean Moréas l'abandonna pour fonder l'école romane. Parmi les poètes symbolistes, citons encore Gustave Kahn, Jules Laforgue, et un certain nombre de poètes d'origine étrangère, tels que Viélé-Griffin, Rodenbach, Verhaeren. (NLI).

Philosophie. Sociologie.
Vers 1880, une réaction se produit non contre l'observation, non contre les sciences, mais contre les abus du naturalisme et du scientisme. Déjà, chez Renan, le rationalisme incline à l'idéalisme, et les influences wagnérienne, ibsénienne, tolstoïenne s'ajoutent à celle de Renan. C'est aussi le temps où le Génevois Frédéric Amiel (1821-1881) est révélé par la publication posthume et fragmentaire de son Journal intime (1883), dont la sensibilité maladive et anxieuse contribuera à accroître le malaise dont souffrent les intellectuels.

Tandis que Charles Renouvier (1815-1903) rajeunissait la philosophie de Kant en fondant le néo-criticisme, Alfred Fouillée(1858-1912) se faisait le théoricien du volontarisme et de l'idée-force, et Émile Boutroux (1845-1921), par son livre De la contingence des lois de la nature, se classait parmi les défenseurs de l'idéalisme métaphysique, en réaction contre les doctrines déterministes.

Puis Henri Bergson, né en 1859, éclectique à la façon de Leibniz, non de Cousin, tenta, comme il l'a dit lui-même, de « porter la métaphysique sur le terrain de l'expérience » en faisant appel à la science et à la conscience, en développant la faculté d'intuition. Il a exposé les principes de sa « métaphysique expérimentale » dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience (1889). Il distingue deux mondes : celui de la durée intuitivement saisie, qui est toute réalité, toute qualité, toute liberté, et celui de l'espace, de la quantité, de la géométrie, de l'idéologie, du langage. Une telle doctrine, servie par le plus beau style, devait séduire les champions d'un art de pure spontanéité et l'on devine tout le parti qu'allait en tirer le néo-romantisme.

Bergson est un pur philosophe; Charles Maurras (né en 1868) est un politique méditerranéen épris de raison et d'ordre. Pur et vigoureux écrivain, monarchiste par positivisme, il a exprimé l'essentiel de son système dans l'Enquête sur la monarchie et dans l'Avenir de l'Intelligence. Il n'a pas seulement fondé une école, mais un parti (d'extrême droite).

La critique.
Qu'elle se dise impressionniste ou subjective avec Jules Lemaître (1853-1914) et Anatole France (1844-1924); qu'elle se montre, avec Paul Bourget, soucieuse d'objectivité et d'analyse; qu'elle soit plus dogmatique avec Ferdinand Brunetière (1849-1907), qui applique aux faits littéraires la théorie darwinienne de l'évolution; qu'elle tende à la lecture commentée avec Emile Faguet (1847-1916), à la leçon de goût avec René Doumic et Gustave Lanson, ou qu'elle soit poussée par l'esprit de la découverte avec Melchior de Vogüé, André Chevrillon et André Bellessort, la critique française, même si elle prétend jouir, se donne surtout pour mission de comprendre, mais elle ne s'interdit pas toute liaison avec une poétique ou une doctrine générale, avec Paul Souday, l'abbé Henri Brémond, Pierre Lasserre, Henri Massis. Et l'on pourrait encore citer, sous cette rubrique, Léon Bloy (1846-1917), « très humble, très ingénu vociférateur ».

L'histoire.
Après le renouveau que provoqua le romantisme dans l'étude du passé, l'histoire s'organisa scientifiquement, entendit rester objective et cessa d'être un genre proprement littéraire. Il conviendrait cependant, parmi tant de travaux et pour s'en tenir à la France, de mentionner quelques oeuvres qui ne sont pas de pure érudition, où le souci de la forme s'unit à la solidité du fond : celles de Gaston Maspero, de Victor Duruy, de Gaston Boissier, de Camille Jullian, de Pierre Imbart de la Tour, de Gabriel Hanotaux, de Mgr Baudrillart, du duc Albert de Broglie, de Pierre de Nolhac, d'Aulard, de Pierre de la Gorce, d'Albert Sorel, de Frédéric Masson, d'Albert Vandal, de Henri Houssaye, de Paul Thureau-Dangin, de Rodolphe Dareste.

La tendance générale des historiens fut pendant longtemps à la monographie, mais à l'ère des grandes synthèses, qui paraissait à peu près close, semble se rouvrir, sous la forme collective, avec l'Histoire de France d'Ernest Lavisse, l'Histoire de la nation française de Gabriel Hanotaux, l'Évolution de l'humanité de Henri Berr, l'Histoire du monde de Godefroy Cavaignac, l'Histoire universelle de Glotz, Peuples et civilisations de Louis Halphen et Henri Sagnac.

La poésie.
Ce qui, après 1880, caractérise un peu partout le mouvement poétique, c'est son subjectivisme de plus en plus hardi et hautain. Comme l'art, et sous les noms simultanés de symbolisme, d'esthétisme, de décadentisme, d'impressionnisme, en attendant ceux de futurisme, d'imagisme, d'expressionnisme, d'ultraïsme, de dadaïsme, de surréalisme, qui appartiennent en propre au XXe siècle, la poésie tend à donner le pas, dans l'exécution de l'oeuvre, aux forces obscures de l'âme, et non plus seulement au sentiment, mais à l'instinct sur la raison.

Cette tendance a contre elle les écoles de tradition, qui, d'ailleurs, ne s'entendent pas toujours : derniers Parnassiens, poètes hors groupe - les plus nombreux -, tenants d'un classicisme rajeuni et exclusif, comme l'École romane en France. Entre la révolution et la réaction, on démêlerait des échanges nombreux, curieux, imprévus. L'interpénétration va quelquefois jusqu'à la confusion.

Corbière, Rimbaud, Verlaine, Lautréamont.
Victor Hugo, dont l'ombre planait encore sur le Parnasse, a été délogé par Baudelaire. L'impatience du joug parnassien se trahissait, au lendemain de la guerre franco-allemande de 1870, par les révoltes d'un Tristan Corbière (1845-1875), le spleenétique et tout celtique auteur des Amours jaunes, et par celles d'un Arthur Rimbaud (1854-1891), le poète précoce, brutal et raffiné d'Une saison en enfer, le technifantaisiste du sonnet des Voyelles

Déjà, son aîné et ami Paul Verlaine (1844-1896) avait écrit les Poèmes saturniens, les Fêtes galantes et la Bonne Chanson; acclamé « prince des poètes » à la mort de Leconte de Lisle, il connut, dans ses dernières années, une gloire qui le vengea des dédains officiels. Poète de l'instinct avec le goût de la mysticité, ami de la nuance plus que de la couleur, de l'atmosphère plus que du contour, moins soucieux de décrire que de suggérer, d'analyser que de deviner, il fut un artiste assez subtil pour se créer une prosodie personnelle en disloquant tous les rythmes sans sortir de la tradition métrique. 
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Il pleure dans mon coeur

« Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville; 
Quelle est cette langueur 
Qui pénètre mon coeur?

Un bruit doux de la pluie 
Par terre et sur Ie toits!
Pour un coeur qui s'ennuie 
Ô le chant de la pluie!

Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure;
Quoi! nulle trahison?... 
Ce deuil est sanjs raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine 
Mon coeur a tant de peine! »
 

(P. Verlaine, Romances sans paroles : 
Ariettes oubliées, 1874.).

L'énigmatique Isidore Ducasse (1846-1870) publie en 1868, sous le pseudonyme de Lautréamont, les Chants de Maldoror, en 1869, singulière épopée en prose, inaperçue de son temps et que redécouvriront les surréalistes.

Mallarmé.
Afin de faire de la poésie la langue de toute synthèse, Stéphane Mallarmé (1842-1898) voulut « donner un sens plus pur aux mots de la tribu » et n'atteignit qu'à l'indéchiffrable, qui est peut-être, après tout, une forme de l'ineffable, mais en restant, lui aussi, et plus strictement encore que Verlaine, fidèle à la versification usuelle. 

J. Laforgue.
Tout change avec Jules Laforgue (1860-1887). Cet humoriste sensationnel, « Breton né sous les Tropiques, » tire du vers libéré, en accord avec les rythmes populaires, des effets d'ironie transcendante. Autant que d'Arthur Rimbaud et plus que de Tristan Corbière, c'est de lui que les nouvelles écoles se réclament; il forme avec eux la trinité secondaire immédiatement placée dans leur culte au-dessous de Baudelaire, et, dans une zone plus nébuleuse, de Nerval et de Mallarmé, parce que, nourri de la philosophie d'Hartmann, il a le premier signalé l'immense domaine que l'inconscient ouvrait à la poésie, les ressources illimitées qu'elle pouvait trouver dans ces « forêts vierges » de l'âme.

Kahn, Viélé-Griffin, Merrill, Régnier.
Dans le groupe qui se forme et qui n'obéit encore que faiblement à ses directions, l'histoire littéraire distingue les noms de Gustave Kahn (1859-1936), métricien consommé et le premier inventeur du vers libre proprement dit; de Viélé-Griffin (1864-1937) et de Stuart Merrill (1863-1915), tous deux nés en Amérique : l'un, d'une sensibilité raffinée, créateur ou rénovateur de beaux mythes antiques et moyenâgeux; l'autre, moins puissant et mal dégagé encore des bandelettes hérédiennes; de Henri de Régnier (1864 -1936 ) surtout, qui, du vers libre, passera progressivement à une foi moins exclusive, conciliant le Parnasse expirant et le symbolisme dans les poèmes de sa maturité.

L'École romane et les indépendants.
Jean Moréas (1856-1910) a décrit une courbe encore plus longue, mieux dessinée aussi, pour aboutir aux Stances (1900), le chef-d'oeuvre et I'oeuvre-type de cette École romane, dont Charles Maurras fut le Du Bellay, et qui comprenait à l'origine, outre les poètes précédents, Raymond de la Tailhède, Maurice du Plessys, Ernest Raynaud.

Petite par le nombre, grande par l'influence qu'elle exercera même sur les dissidents, l'École romane, restauratrice des grands principes essentiels de la poésie, fera de brillantes recrues en Joachim Gasquet (1873-1921), Fernand Mazade, Jean-Marc Bernard, Xavier de Magallon, André Thérive, Lucien Dubech, Paul Alibert, Henry Charpentier, mais elle ne tentera ni Charles Péguy (1873-1914), figure de voyant et d'apôtre, homme de la glèbe, d'où il peine à faire jaillir une poésie lourde, puissante et informe; ni Francis Jammes (1868-1938), Virgile béarnais, chantant la vie rustique en vers ingénus et subtils, qui sentent le froment, la résine et l'encens pascal; ni Paul Claudel (1868-1955), mystique et lyrique jusque sur la scène, parfois obscur, parfois sublime, spécialiste des versets assonancés qui sont un moyen terme entre les libertés de la prose et les exigences du vers; ni le Champenois Paul Fort (1872-1960), dont les Ballades françaises sont pétries de grâce et de malice, au point de prendre la figure typographique de la prose pour tromper le lecteur non averti; ni Valéry Larbaud, dont on commence à s'apercevoir que le Barnabooth (1908) fut une date, et qui découvrit à ses contemporains la poésie des transatlantiques et de l'Orient-Express. Larbaud est déjà un «-Européen-».

Toutes les traditions helléno-latines en France s'accordent, au contraire, chez Auguste Angelier, lyre dorienne, qu'on voudrait seulement parfois un peu moins souple; chez Frédéric Plessis (1851-1942), poète citoyen, humaniste et croyant, de forme toujours parfaite; chez son émule Pierre de Nolhac (1859-1936), que l'Auvergne et Rome se disputent et qui les honore également; chez Charles Guérin (1873-1907), âme inquiète, venue des brouillards germaniques à l'appel du dogme chrétien; chez Louis Le Cardonnel (1862-1936), pour qui semble avoir été créé le mot « séraphique  », dévot, comme un des Renaissants de sa chère Italie, à Virgile et à Platon presque autant qu'à Jésus.
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Réminiscences

« Je sens confusément, l'hiver, quand le soir tombe, 
Que jadis, animal ou plante, j'ai souffert, 
Lorsqu'Adonis saignant dormait pâle en sa tombe; 
Et mon coeur reverdit quand tout redevient vert.

Certains jours, en errant dans les forêts natales,
Je ressens dans ma chair les frissons d'autrefois,
Quand, la nuit grandissant les formes végétales, 
Sauvage, halluciné, je rampais sous les bois.

Dans le sol primitif nos racines sont prises;
Notre âme, comme un arbre, a grandi lentement;
Ma pensée est un temple aux antiques assises,
Où l'ombre des dieux morts vient errer par moment.

Mon âme a trop dormi dans la nuit maternelle. 
Pour atteindre le jour, qu'il m'a fallu d'efforts! 
Je voudrais être pur : la honte originelle,
Le vieux sang de la bête est resté dans mon corps.

Et je voudrais pourtant t'affranchir, ô mon âme, 
Des liens d'un passé qui ne veut pas mourir;
Je voudrais oublier mon origine infâme 
Et les siècles très longs que tu mis à grandir.

Mais c'est en vain : toujours en moi vivra ce monde 
De rêves, de pensers, de souvenirs confus,
Me rappelant ainsi ma naissance profonde, 
Et l'ombre d'où je sors, et le peu que je fus;

Et que j'ai transmigré dans des formes sans nombre,
Et que mon âme était, sous tous ces corps divers, 
La conscience, et l'âme aussi, splendide ou sombre,
Qui rêve et se tourmente au fond de l'univers. »

(J. Lahor, L'Illusion)

L'exemple d'une même fidélité, sinon à la tradition helléno-latine, du moins à la langue et au vers traditionnel, est donné par Jean Lahor (1840-1909), bouddhiste et grand poète du néant, dans l'Illusion; par Léon Dierx (1830-1912), né à l'île de la Réunion comme Leconte de Lisle et que les porte-lyre élurent pour leur prince au décès de Paul Verlaine; par Jean Richepin (1849-1926), le « touranien » à l'éloquence débridée et rutilante, à la langue plantureuse, à la versification éclatante et sonore; par Raoul Ponchon (1848-1947), dyonisiaque et léger comme un fils de Pan; par Maurice Bouchor (1855-1929), dont la muse adolescente baignait dans le clair de lune shakespearien; par Edmond Haraucourt (1857-1941), qui, après l'Ecclésiaste, dénonce la misère et la solitude de l'homme; par Albert Samain (1859-1900), tout en demi-teintes dans son Jardin de l'Infante, poète de la pénombre et du clair-obscur de l'âme: par Jules Tellier (1863-1887), mort à vingt-six ans et qui mieux que dans ses vers, s'est livré avec tout son pathétique amer dans ses « Proses » sombres, cadencées et puissantes. La comtesse Anne de Noailles (1876-1933) est la plus célèbre des muses du temps. Romantique au lyrisme jaillissant dans le Coeur innombrable (1900) et dans ses autres recueils, il semble qu'elle se soit repliée sur elle-même à partir la Grande Guerre, qu'elle soit devenue plus soucieuse d'intellectualiser l'émotion en des vers plus sobres, plus condensés, plus classiques.

Traditionalistes encore (et comment ne le seraient-ils pas ?) sont les poètes qu'inspirèrent les petites patries : Maurice Rollinat (1846-1903 ), chantre du Berry; François Fabié (1846-1928), chantre du Rouergue; Gabriel Vicaire (1848-1900), chantre de la Bresse; Anatole Le Braz (1859-1926), chantre de la Bretagne.

Mais en Belgique, et sauf chez George Rodenbach (1855-1898), le fil est rompu, et ce sont de purs symbolistes qu'Émile Verhaeren (1855-1916) et Maurice Maeterlinck (1862-1949) : l'un, poète visionnaire et tumultueux des « campagnes hallucinées », des « villes tentaculaires », de la guerre moderne à forme industrielle; l'autre, poète du mystère, expert à rajeunir la figure du Destin, à livrer la faiblesse humaine au jeu des grandes forces ténébreuses qui mènent le monde. 

Un autre animateur de la jeune poésie, celui qui a le plus orienté le lyrisme cubiste et dadaïste vers l'humour, la bizarrerie, la mystification, Guillaume Apollinaire (1880-1918), était d'origine slave.

Le travail de désagrégation auquel les Romances sans paroles de Verlaine avaient donné l'expression la plus accessible et la plus touchante, d'autre part l'effort de construction et de condensation, l'espèce de géométrie poétique dont l'École romane offrit l'exemple, semblent avoir trouvé leur accord dans les poèmes de Paul Valéry (1871-1945), représentant depuis longtemps consacré - après un long silence où il se recueillait - de la « poésie pure », entendue comme une métaphysique sous forme de chant.

Le roman.
La vogue du roman n'a pas diminué, bien au contraire, si difficile qu'il parût d'innover
après les romantiques et les réalistes. Les deux pays qui, au début XXe comme au XIXe siècle, ont le plus fourni au genre, sont la France et l'Angleterre.

En France, le roman naturaliste se prolonge en se diversifiant, et c'est encore lui qu'on reconnaît sans trop de peine sous la plume d'Octave Mirbeau, de Lucien Descaves, des frères Margueritte, de Barbusse. Mettons à part le naturalisme condensé et ironique de Jules Renard (1864-1910). Mais d'autres voies ont été ouvertes par Villiers de l'Isle-Adam (1838-1889), le romancier du rêve, de la féerie, de l'idéal, du sarcasme et du paradoxe, sans parler d'un esthétisme verbal qui fait penser à Oscar Wilde. A la même époque, Paul Bourget (1852-1935), après s'être essayé comme critique, donne coup sur coup les romans d'analyse psychologique qui l'imposent comme un Stendhal modernisé (Mensonges, Cruelle énigme, Notre coeur et surtout le Disciple). Sans renoncer à sa méthode, il fait hommage des suivants à la tradition catholique et sociale, telle qu'on la trouve « concrétisée » dans l'Étape et le Démon de Midi.

Non moins traditionalistes sont René Bazin (1853-1932), le meilleur peintre et le plus fin observateur de la vie provinciale (la Terre qui meurt), et Henry Bordeaux (1870-1963) qui, fondant sur le foyer sa théorie de la cité (la Croisée des chemins, les Roquevillart), atteint au grand pathéthique dans la Maison morte. Tous deux sont également régionalistes : le premier pour l'Anjou, le second pour la Savoie, comme Émile Pouvillon pour le Quercy, Erckmann-Chatrian pour l'Alsace, Ferdinand Fabre pour le Languedoc, René Boylesve pour la Touraine, Lucie Delarue-Mardrus pour la Normandie, Georges Lecomte pour la Bourgogne, Henri Pourrat pour l'Auvergne, Anatole Le Braz pour la Bretagne. Francis Carco excelle à restituer les bas-fonds parisiens, d'un trait sobre, presque classique.

Une autre façon de sortir du naturalisme, c'est d'emporter l'imagination en pays lointain. Pierre Loti (1850-1923) a satisfait mieux que personne cette disposition nouvelle : il n'est guère de pays ou de mer où il n'ait conduit son lecteur. Romantique peu objectif, sauf dans Pêcheurs d'Islande et Ramuntcho, il est le principal personnage de ses récits. Mais de quel clavier, de quels nerfs il dispose et quelle musique en tire ce prodigieux sensitif!

Voyageurs aussi, mais plus préoccupés du document, plus soucieux d'une vérité objective sont Claude Farrère (1876-1957), marin comme Loti et dont la Bataille a tout le caractère d'un chef-d'oeuvre; Louis Bertrand (1866-1941), épris de vie forte et de civilisation latine; les frères Tharaud, Jérôme (1874-53) et Jean (1877-1952), spécialistes de l'enquête romanesque à travers les pays et les âges, conduite dans un style ferme qui épouse directement la pensée; Louis Hémon (1880-1913), dont il suffit de citer Maria Chapdelaine.

La manière de Pierre Louÿs (1870-1925) confine à l'esthétisme ; celle de Paul Adam (1862-1920) est pénétrée de nietzschéisme. Les écrivaines, notamment Colette (1873-1954) et Gérard d'Houville (Marie de Heredia, 1875-1963), font d'indiscrets appels à l'autobiographie: confidences charmantes, ailées et quelquefois profondes. Le roman romanesque est la spécialité de Marcel Prévost (1872-1941), dont l'oeuvre contient, malgré des apparences parfois contraires, d'excellentes leçons de sagesse bourgeoise; d'Abel Hermant, observateur pénétrant, écrivain subtil et spirituel; de Marcelle Tinayre (1872-1948), dont la Maison du péché est l'oeuvre la plus profonde, et, dans la note humoristique, de Georges Courteline (1860-1929) et de Henri Duvernois (1875-1937). Henri Lavedan (1859-1940), après avoir mis en scène sous la forme dialoguée, la société parisienne, avec les cinq volumes de son Chemin du salut, a écrit de nouveaux Misérables

Les frères Boex (J.-H. Rosny aîné, 1856-1940, et J.-H. Rosny jeune, 1859-1948), longtemps collaborateurs, ont montré une belle ardeur de sensualité, une rare fraîcheur de naturel, un sens singulier du merveilleux dans leurs romans réalistes, primitifs ou d'anticipation. Édouard Estaunié (1862-1942) s'avère dans l'Empreinte, le Ferment, l'Infirme aux mains de lumièreun analyste aigu de la vie secrète. Et Jean Giraudoux (1882-1944) s'ingénie à « styliser chaque acte, chaque passage, chaque émotion » de ses personnages en leur appliquant une formule neuve, inattendue et qui fait école.

Forme indéfiniment malléable, le roman devient le genre d'élection dans une époque qui confond tous les genres, et il s'est prêté à l'expression des idées, selon une tradition d'ailleurs vénérable et abondamment illustrée par Voltaire et Diderot. Touché par l'esprit de Renan, Anatole France (1844-1924), lettré supérieur et d'une constance unique dans la perfection, esprit souple et complexe, est avant tout un dilettante aux curiosités érudites ou doctrinales, avec tendance progressive à remplacer le scepticisme ou l'épicurisme de Sylvestre Bonnard ou de Jérôme Coignard par le socialisme de Monsieur Bergeret et de Crainquebille, non sans allumer, en passant, la flamme de passion qui brûle dans Thaïs et le Lys rouge

Renanien émancipé, Maurice Barrès (1862-1923), après avoir exprimé un égotisme absolu dans ses « romans idéologiques » et discipliné sous une Minerve intérieure toutes les puissances du romantisme, se laissa conduire par une logique qui lui appartenait à l'égoïsme sacré de la patrie, qui lui paraissait la seule fraternité possible, et devint un organisateur d'intelligences, un conducteur d'hommes. Son idéologie d'extrême droite allait être très active dans la société de l'entre-deux guerres.

Parmi ceux qui combinent également la fiction et l'idéologie, nous citerons Marcel Schwob (1867-1905), essayiste et humaniste; Charles Maurras, avec son Anthinéa et ses beaux mythes du Chemin du Paradis; Rémy de Gourmont (1858-1915), autre essayiste un peu égaré dans le roman; Romain Rolland (1868-1944), le puissant auteur de Jean-Christophe, analyste subtil, cultivant les antinomies comme des fleurs rares dans le jardin secret de son moi, un de ceux dont l'inquiétude intellectuelle et le style dépouillé ont le plus agi sur la jeune génération, rêvant - à la veille de la tragédie de 1914 - d'une Europe où se fondraient passionnément les qualités foncières de la France, de l'Italie et de l'Allemagne. 

Après lui, Marcel Proust (1871-1922) s'est surtout appliqué à éclairer le travail subsconscient de l'esprit, grâce à sa lucidité de malade et à des sens suraigus. Mais cette littérature, aboutissant à une abondance minutieuse et souvent fastidieuse, ramena par réaction la vogue du roman d'aventures, dont Pierre Benoît a donné les plus attirants spécimens.

De la Grande Guerre cependant, toute la littérature semble avoir sombré, sauf les épiques Croix de bois de Roland Dorgelès, les Martyrs de Georges Duhamel, et, en Bretagne, les lais celtiques du barde Calloc'h. 

Le théâtre.
En France, selon une tradition bien établie, le théâtre est toujours le plus florissant. Le naturalisme n'y aurait eu qu'un succès mitigé, avec les Goncourt et Zola, si un homme de métier n'avait donné figure de vie à cette formule; le succès de Henri Becque (1837-1899), avec les Corbeaux et la Parisienne, précéda de peu l'effort d'Antoine dans le sens du réel, du jeu vrai, de la diction familière. Le Théâtre-Libre (1887-1894) s'ouvrit largement aux auteurs étrangers (Ibsen, Bjoernson, Strinbderg, Tolstoï, Verga, Hauptmann), et le théâtre de Oeuvre, sous Lugné-Poé, poursuit le même effort d'art.

Cependant la tradition créée par Émile Augier et Dumas fils se perpétuait, avec des rajeunissements, dans la comédie de moeurs. A force d'ingéniosité et d'élégance, Jules Lemaître (1853-1914) tenait la gageure de rester dilettante, tout en présentant des conflits du coeur et des conflits de classes. Paul Hervieu (1857-1915) écrivait d'un style sec des tragédies en prose, dont les Tenailles resteront le type. Eugène Brieux (1858-1932) s'attaquait, dans ses pièces-conférences, à certaines tares sociales. Henri Lavedan (1859-1940), après avoir été le moraliste léger du Vieux Marcheur, s'élevait progressivement à la noblesse cornélienne du Duel et de Servir. Alfred Capus (1858-1922), sur un mode plus familier, montrait qu'avec de l'intelligence, et surtout de l'indulgence, « tout s'arrange » en ce monde, surtout à Paris. Robert de Flers (1872-1927), en collaboration avec Arman de Caillavet (1869-1915), puis avec Francis de Croisset (1877-1937), se partageait avec un égal bonheur entre la comédie de sentiment et le vaudeville satirique.

Le théâtre d'amour, toujours populaire en France, fut spécialement représenté par George de Porto-Riche (1849), le Racine du sensualisme, chez qui l'observation fine et profonde s'allie à un fourmillement de mots spirituels d'une vérité un peu amère. Dans la voie ouverte par ce maître ont marché Pierre Wolff, Romain Coolus, Henry Bataille (1872-1922), dont l'oeuvre tout entière est un beau cri d'angoisse amoureuse. Chez Henri Bernstein (1876), le conflit s'exaspère, tous les vieux instincts sont déchaînés : c'est la lutte pour la proie, comme aux premiers âges du monde.

Maurice Donnay (1860-1945), spirituel, malicieux et tendre, établit, en des pieces comme Amants, le passage de la tradition française à ce théâtre tout physiologique.

En 1910, le symbolisme apparaît sur la scène avec l'Intruse de Maeterlinck, une pièce d'atmosphère et de fatalisme, suivie des Aveugles et de Pelléas et Mélisande. Le Voile de Rodenbach relève de la même technique. Combiné avec le réalisme, le symbolisme aboutit au théâtre de François de Curel (1854-1928), théâtre viril, sans complaisance, dédaigneux de l'habileté et auréolé de poésie. Au symbolisme encore peuvent se rattacher les pièces mystiques et lyriques de Paul Claudel, sauf l'Otage, conçu dans la formule courante.

Le théâtre en vers a été cultivé avec succès par François Coppée, Jean Richepin, François Porché, surtout par Edmond Rostand (1868-1918), qui connut le grand triomphe avec Cyrano de Bergerac (1897). Les pièces de Rostand ne sont pas toutes de la même veine heureuse, une école d'héroïsme chevaleresque et précieux, exaltant l'honneur, le sacrifice, la bravoure spirituelle à la gasconne; c'est du théâtre selon la formule empanachée des prédécesseurs de Corneille, et Cyrano lui-même est une sorte de prototype du Cid.

Parmi les comiques purs, Georges Courteline (1860-1929) nous présente dans Boubouroche, le Gendarme est sans pitié, la Conversion d'Alceste, les plus savoureuses combinaisons de misanthropie et d'humour, une largeur d'observation et un sens du ridicule qui rappellent Molière; Jules Renard (1864-1910) a la verve plus acidulée dans Poil de Carotte et le Plaisir de rompre. Tristan Bernard (1866-1947), délicieux d'ironie dans l'Anglais tel qu'on le parle, excelle à mettre en scène des types d'ahuris. (Ch. Le Goffic, A. Dupouy).

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