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Essai

Les écrivains donnent souvent le nom d'Essais ou d'Essai à des ouvrages dont le sujet, la forme, la disposition ne permettent pas de les classer sous un titre plus précis, dans un genre mieux déterminé. Il ne faut pas entendre parce mot un ouvrage superficiel et traité légèrement, mais un ouvrage qui n'entre pas dans tous les développements que comporterait le sujet. On peut y voir aussi un sentiment de modestie chez l'auteur en face d'un sujet large et élevé, dont il n'ose se flatter d'avoir embrassé tout l'ensemble et pénétré tous les détails. En France, les recueils littéraires deu XIXe siècle présentent souvent des articles qui portent le titre d'Essai.

Les Essais de Montaigne.
Lorsque Montaigne commença ses Essais, ce livre en apparence sans suite et sans cohésion, il n'eut autre dessein que de noter ses pensées et de s'en rendre compte.

" Je veulx, dit-il, qu'on m'y veoye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice, car c'est moi que je peinds. Mes défaults s'y liront au vif, mes imperfections et ma forme naifve, autant que ma révérence publique me l'a permis."
Mais, en se représentant ainsi fidèlement lui-même, il arriva, avec son coeur honnête et généreux, son esprit délicat et modéré, à faire un livre à la fois philosophique et social, à enseigner aux hommes la tolérance en religion et en politique. Vivant au milieu des guerres religieuses, au milieu des excès qu'engendraient les sectes et les partis, il prit pour règle unique sa conscience, ne s'attacha, à aucune école philosophique et morale, et démontra l'incertitude des opinions humaines, non par des raisonnements, mais par des observations et par des exemples qu'il parait recueillir au hasard. Il en résulte un trésor de pensées, tantôt tirées du propre fonds de l'auteur, tantôt empruntées aux anciens, surtout à Plutarque et à Sénèque, ce qui forme pour le lecteur peu attentif une série de divagations toujours attrayantes, mais voilant le but et dissimulant la route prise pour y arriver.

Ce livre, où les chapitres parlent de tout, excepté de ce qu'ils annoncent, où les digressions s'enchevêtrent l'une dans l'autre, où de longues parenthèses donnent le temps d'oublier l'idée principale, où les exemples viennent à la suite d'observations auxquelles ils ne se rapportent pas, ne pouvait être désigné par un titre plus convenable, plus approprié, que par ce mot général : Essais.

L'Essai sur l'entendement humain de Locke.
Locke a intitulé Essai sur l'entendement humain l'un des plus grands textes de la philosophie moderne, qui fut pour l'Angleterre, au XVIIe siècle, ce que furent pour l'Allemagne les ouvrages de Leibniz, et pour la France ceux de Descartes et de Malebranche. C'est un traité d'idéologie, où l'auteur examine les différentes facultés de connaître qui se rencontrent dans l'humain, cherche à faire voir par quel moyen notre entendement vient à se former les idées qu'il a des choses, tâche de marquer les bornes de la certitude, celles de nos connaissances et les fondements des opinions qui règnent parmi les humains. 

L'Essai sur l'entendement humain se divise en quatre livres. 

• Dans le premier, Sur les notions innées, Locke s'efforce d'établir que les notions dites innées ne sont pas primitives, puisque les enfants ne les possèdent ni ne les comprennent; qu'elles ne sont pas universelle, puisqu'elles ne se trouvent pas dans l'esprit des sauvages et des idiots, et que n'étant ni primitives ni universelles, elles ne sont pas en conséquence innées, mais acquises. 

• Dans le second livre : Des idées, il développe cette pensée, que toutes nos idées viennent de l'expérience, laquelle a deux modes d'action : sensation et la réflexion; que la sensation, qui agit en premier lieu, nous donne les idées du blanc, du jaune, du chaud, du froid, du dur, du mou, du doux, de l'amer, et de tout ce que nous appelons les qualités sensibles; que la réflexion nous donne les idées de ce qu'on appelle percevoir, penser, douter, croire, raisonner, connaître, vouloir, et de toutes les différentes actions de notre esprit. 

• Le troisième livre, intitulé Des mots, s'occupe des rapports du langage avec la pensée, de l'imperfection et des abus du langage, ainsi que des remèdes qui peuvent être apportes ce double mal. 

• Le quatrièmne livre, De la connaissance, discute les principales questions de logique, la connaissance intuitive et la connaissance démonstrative, les divers degrés d'assentiment, le raisonnement, la distinction de la raison et de la foi, l'enthousiasme, l'erreur, etc. 

Un tel ouvrage, formant un tout si complet, si méthodique, méritait sans doute un autre titre que celui d'Essai, et l'on ne peut voir dans le choix de l'auteur qu'un sentiment de crainte et de modestie en présence des grandes questions qu'il tentait de résoudre.

Les Nouveaux Essais sur l'entendement humain  de Leibniz.
Leibniz emprunta ce titre à Locke et publia les Nouveaux Essais sur l'entendement humain. Cet ouvrage, écrit sous forme de dialogue, est, comme celui de Locke, divisé en quatre parties ayant le même objet. Leibniz s'y est proposé quelques remarques sur la philosophie de Locke; mais, ainsi qu'il le dit dans son avant-propos, il est souvent d'un autre avis que lui. Il croit à la doctrine des idées innées, à la condition toutefois qu'on l'interprète dans le sens de Descartes, et qu'on ne prétende pas que nous apportons en venant au monde certaines idées toutes constituées en notre esprit, mais seulement que nous naissons avec la faculté de les acquérir. Il n'admet pas que l'âme soit au commencement une table rase vide de tous caractères, sans aucune idée. Il imagine entre l'âme et le corps une harmonie préétablie par un artifice divin, lequel a formé chacune de ces substances d'une manière si parfaite, et réglée avec tant d'exactitude, qu'en suivant seulement ses propres lois, qu'elle a reçues avec son être, elle s'accorde partout avec l'autre, tout comme s'il y avait une influence mutuelle, ou comme si Dieu y mettait toujours la main.

L'Essai sur la critique et l'Essai sur l'homme de Pope.
Deux ouvrages remarquables de Pope portent aussi le titre d'Essai : ce sont l'Essai sur la critique et l'Essai sur l'homme. Le premier, ouvrage de jeunesse, brille par de beaux vers et par un heureux choix de préceptes. Il ne se distingue ni par la profondeur ni par l'originalité, et mérite véritablement le nom d'Essai. On y trouve, traduites en bon style et présentées avec finesse, avec esprit, des vérités connues, des remarques
faites depuis longtemps. C'est une suite d'emprunts faits à des auteurs de rhétoriques et de poétiques, à Aristote, à Horace, à Quintilien, à Vida, à Boileau. L'Essai sur l'homme se compose de quatre épîtres adressées à lord Bolingbroke, où l'on considère l'homme dans ses rapports avec l'univers, l'homme en lui-même, l'homme par rapport à la société, l'homme par rapport au bonheur. Cette oeuvre, bien conçue et exécutée avec un vrai talent de poète, mangue cependant d'invention, de nouveauté et de profondeur; le titre d'Essai lui convient aussi bien qu'à l'oeuvre précédente.

Les Essais de Macaulay.
On a donné fréquemment, en Angleterre, le titre d'Essais à des études publiées dans des recueils périodiques. Parmi les plus remarquables de ces Essais, nous citerons ceux de Macaulay, qui parurent dans la Revue d'Edimbourg. Un rare talent de style, une riche imagination, un savoir étendu distinguent les études de cet écrivain sur Machiavel, Bacon, Addison, Johnson,  Hampden, Horace Walpole, Milton, lord Chatham, Byron, William Temple, Frédéric le Grand. C'est une galerie de portraits attrayante et instructive, où les traits saillants sont mis en relief, peut-être avec trop de préoccupation du contraste et de l'antithèse, mais avec une grande variété de moyens et une savante précision. (PL).

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Dictionnaire Le monde des textes
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