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Mérimée

Jean-François Léonor 'Mérimée est un peintre et chimiste né à Broglie (Eure) le 8 septembre 1757, mort le 27 septembre 1836. Sa vie se divise en deux parties bien distinctes : la première consacrée à la peinture, la seconde aux arts industriels. Élève de G.-F. Doyen et de Fr.-A. Vincent, il obtint un second prix à l'Académie royale de peinture avec la Mort de Tatius. Avant de se rendre en Italie, il fit un voyage en Hollande pour étudier les procédés matériels de la peinture à l'huile depuis Van Eyck; le résultat de ses recherches ne fut publié par lui qu'en 1830 sous le titre de : De la Peinture à l'huile ou des procédés matériels employés dans ce genre de peinture depuis Hubert et Jean Van Eyck jusqu'à nos jours.

De la Hollande, L. Mérimée passa en Italie où, pendant son séjour à Rome et à Florence, il peignit : Chasseurs trouvant dans une forêt le squelette de Milon de Crotone (1790); l'Innocence nourrissant un serpent(1791); Bacchante jouant avec un petit satyre (1795); Vertumne et Pomone (1796); Venus qui s'est blessée en touchant les flèches de l'Amour (1799). Puis, à son retour à Paris, un plafond pour le Louvre : Hippolyte ressuscité par Esculape

A dater de 1802, il se consacra presque exclusivement à la chimie industrielle. Membre de la commission chargée d'examiner les objets admis à l'Exposition des produits de l'industrie française (1802), puis secrétaire perpétuel de l'École des beaux-arts (24 janvier 1807), il publia, jusqu'à sa mort, une suite considérable de rapports et de mémoires sur les manufactures, les procédés de fabrication, l'enseignement du dessin, enfin, sur tout ce qui touche à l'art industriel et décoratif.

Prosper Mérimée est un romancier et critique né à Paris le 27 septembre 1803, mort à Cannes le 23 septembre 1870, fils du précédent, arrière-petit-fils d'un avocat au Parlement de Normandie, devenu intendant du maréchal de Broglie. Il fait des études ordinaires au collège Henri IV d'où il sort à dix-huit ans. Il montre un certain goût pour la peinture. Mais son père, averti sans doute par son expérience personnelle, le détourne de l'art et lui conseille le droit. Il s'y livre peu et se préoccupe surtout de littérature. Il se lie avec Stendhal, déjà connu et qui avait vingt ans de plus que lui, et Ampère; il fréquente le salon Stapfer où il rencontre Viollet-Le-Duc, Étienne Délécluze, Victor Cousin, Sainte-Beuve, Charles de Rémusat, Saint-Marc Girardin, Adrien de Jussieu, etc. Reçu avocat, il entre au ministère du commerce où des loisirs lui permettent de travailler à ses premières oeuvres. 

Après quelques essais de théâtre, drames, comédies qu'il lit à ses amis, il fait paraître en 1825 le Théâtre de Clara Gazul, qu'il donne comme étant d'une actrice espagnole; dans une préface signée Joseph L'Estrange, il s'annonce modestement comme le traducteur et l'éditeur de l'oeuvre. Le livre eut un médiocre succès de vente, mais fit connaître du coup l'auteur qu'on fêta bientôt dans les salons à la mode, chez Mme Récamier entre autres, et chez Mme Pasta. En 1827, Prosper Mérimée renouvelle sous le titre: La Guzla, anagramme de Gazul, la même mystification, qui, de nouveau, trompe tout le monde. Cette fois, il se fait passer pour un Italien réfugié, et présente la Guzla comme un recueil de chants populaires illyriens. Le succès de ces ballades qu'il écrivit en quinze jours à l'aide de quelques mots illyriens et de deux ou trois livres où il trouva de la "couleur locale", fut immense. On les traduisit en allemand. Pouchkine lui-même en traduisit plusieurs en russe, s'extasiant sur la saveur originale et étrange de ces chants. Suivent en 1828 la Jacquerie, trente-six scènes dramatiques sur l'insurrection des paysans dans le Beauvaisis au XIVe siècle (La Guerre de Cent Ans), la Famille de Carvajal, une histoire d'inceste dans l'Amérique du Sud, sans grand intérêt. La Chronique du règne de Charles IX date de 1829. Elle ajouta à sa renommée, mais elle ne contribuera pas à sa gloire : c'est une oeuvre ambitieuse et manquée qu'on peut d'ailleurs placer à côté des meilleures de Walter Scott et de Dumas père.

La même année, Prosper Mérimée publia dans la Revue de Paris et dans la Revue française deux petites comédies : l'Occasion et le Carrosse du Saint-Sacrement et quelques nouvelles : Mateo Falcone, Vision de Charles IX, l'Enlèvement de la Redoute, le Vase étrusque, Tamango, Federizo et la Perle de Tolède, qui, beaucoup mieux que ses oeuvres précédentes, donnent dès à présent la mesure exacte de son talent. Il ne dépassera même jamais dans la suite l'imagination sobre et la précision de ces courtes pages.
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Pendu vivant

« L'Amiral [Coligny] vous a fait pendre! s'écria Mergy; vous êtes bien gaillard pour un pendu.

- Oui, sacrament! il m'a fait pendre; mais je ne suis pas rancunier, et buvons à sa santé!

Avant que Mergy pût renouveler ses questions, le capitaine avait rempli tous les verres, ôté son chapeau et ordonné à ses cavaliers de pousser trois hourras. Les verres vidés et le tumulte apaisé, Mergy reprit :

- Pourquoi donc avez-vous été pendu, capitaine?

- Pour une bagatelle : un méchant couvent de Saintonge pillé, puis brûlé par hasard. Cependant l'Amiral, le croiriezvous? l'Amiral s'en fâcha tout de bon; il me fit arrêter, et, sans plus de cérémonie, son grand prévôt jeta son dévolu sur moi. Alors tous ses gentilshommes et tous les seigneurs qui l'entouraient, jusqu'à M. de Lanoue, qui, comme on le sait, n'est pas tendre pour le soldat (car Lanoue, disent-ils, noue et ne dénoue pas), tous les capitaines le prièrent de me pardonner, mais lui refusa tout net. Ventre de loup! comme il était en colère! Il mâchait son cure-dent de rage; et vous savez le proverbe Dieu nous garde des patenôtres de M, de Montmorency et du cure-dent de M. l'Amiral ! - «-Dieu m'absolve! disait-il, il faut tuer la picorée tandis qu'elle n'est .encore que petite fille; si nous la laissons devenir grande dame, c'est elle qui nous tuera.-»  Là-dessus arrive le ministre, son livre sous le bras; on nous mène tous deux sous un certain chêne... il me semble que je le vois encore, avec une branche en avant, qui avait l'air d'avoir poussé là tout exprès; on m'attache la corde au cou... Toutes les fois que je pense à cette corde-là, mon gosier devient sec comme de l'amadou.

- Voici pour l'humecter, dit Mila, et elle remplit jusqu'au bord le verre du narrateur.

Le capitaine le vida d'un seul trait et poursuivit de la sorte : - Je ne me regardais déjà ni plus ni moins qu'un gland de chêne, quand je m'avisai de dire à l'Amiral : « Eh! Monseigneur, est-ce qu'on pend ainsi un homme qui a commandé les Enfants-Perdus à Dreux? » Je le vis cracher son cure-dent et en prendre un neuf. Je me dis : - Bon! c'est bon signe. Il appela le capitaine Cormier et lui parla bas; puis il dit au prévôt : « Allons! qu'on me hisse cet homme. » Et là-dessus il tourne les talons. On me hissa tout de bon, mais le brave Cormier mit l'épée à la main et coupa aussitôt la corde, de sorte que je tombai de ma branche, rouge comme une écrevisse cuite. L'Amiral fit semblant d'être fort en colère contre Cormier; mais tout cela était une farce jouée entre eux deux. Pour moi, je fus longtemps à la suite de l'armée, n'osant jamais me montrer devant l'Amiral; enfin, au siège de Longnac, il me découvrit dans la tranchée et il me dit : « Dietrich, mon ami, puisque tu n'es pas pendu, va te faire arquebuser ». Et il me montrait la brèche; je compris ce qu'il voulait dire, je montai bravement à l'assaut et je me présentai à lui le lendemain, dans la grande rue, tenant à la main mon chapeau percé d'une arquebusade : « Monseigneur, lui dis-je, j'ai été arquebusé comme j'ai été pendu. » Il sourit et me donna sa bourse en disant : - « Voilà pour t'avoir un chapeau neuf». Depuis ce temps nous avons toujours été bons amis. »
 

(P. Mérimée, extrait de la Chronique du règne de Charles IX, 
chap. I, les Reitres).

Prosper Mérimée part pour un voyage en Espagne où il se lie d'amitié avec la comtesse de Montijo. A son retour, les Bourbons étaient chassés de France, et il devient, grâce à la protection de la famille de Broglie, chef de cabinet du comte d'Argout au ministère de la marins, puis au commerce, puis à l'intérieur. Lorsque son protecteur quitta le Cabinet (1833), il le fit nommer inspecteur général des monuments historiques à la place de Vitet. Rendu aux lettres en 1833, il fait paraître la Double Méprise, petite nouvelle amusante et délicate, mais d'une psychologie à peine esquissée, et les Ames du Purgatoire (1835), histoire railleuse et mystique de Don Juan de Marana. A partir de cette époque, Mérimée, sans cesser d'écrire, se consacre particulièrement à ses fonctions d'inspecteur des monuments historiques auquel il prend goût. Il y trouve l'occasion d'exercer là son sens critique, et la science qu'il a acquise en archéologie et en architecture. Il voyage à travers la France et réussit à sauver de la ruine définitive nombre de monuments et de morceaux historiques de valeur. 

En 1837, Prosper Mérimée publie encore six nouvelles sous le titre de la Vénus d'Ille, et en 1840, Colomba, qui passe pour son chef-d'oeuvre. Il va en Espagne, en Grèce et en Turquie (1840-42). Ses Études sur L'histoire romaine et les Monuments helléniques datent de cette époque. L'Architecture au moyen âge est de 1843. Mérimée entre alors à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, stage pour l'Académie française où il est reçu l'année suivante (1844), prenant place au fauteuil de Charles Nodier dont il a un mal incroyable à faire l'éloge. Il est reçu par son ami Ampère. En 1846, il publie Carmen (suivi d'Arsène Guillot et de l'Abbé Aubain) . Son Histoire de don Phèdre, roi de Castille, date de 1848, les Faux Démétrius de 1852, les Deux héritages de 1853. Il s'était mis à étudier la langue russe, lui qui savait déjà l'anglais, l'italien et l'espagnol, et à traduire Gogol et Pouchkine. C'est donc à lui, non à d'autres qui s'en sont vantés depuis, que revient l'honneur d'avoir répandu en France le goût de la littérature slave.

Le 14 mai 1850, il laisse jouer à la Comédie-Française le Carrosse du Saint-Sacrement, par Augustin Broham, et on le siffle outrageusement. Dans le numéro de la Revue des Deux Mondes du 15 avril 1852, il défend son ami l'Italien Libri, accusé de vols de volumes précieux, on le poursuit pour injures à la magistrature, et il est condamné à quinze jours de prison et à 1000 F d'amende. Il subit sa peine à la Conciergerie. Prosper Mérimée recommence alors ses tournées d'inspection. De 1853 à 1860, il paraît délaisser la littérature pure pour se livrer tout entier à ses études de critique et d'histoire et à ses traductions du russe. Il est nommé sénateur en 1853. Il voyage en Angleterre; en Écosse, en Suisse, en Italie. Et, entre temps, comme la fille de son amie la comtesse de Montijo est devenue impératrice des Français, il est devenu le familier des souverains, et l'impresario des plaisirs de la cour. Jusqu'à sa mort, il n'écrira plus que des études sur Jules César, qui serviront plus tard à Napoléon III, sur les Cosaques d'autrefois, des rapports, des portraits, des traductions, la Chambre bleue (1866) et Lokis (1868).

Prosper Mérimée revient à la mode par périodes. Il a au départ bénéficié d'un remous de la réaction critique contre le romantisme. L'abus des images et de la couleur donne chaque fois un regain de vogue à l'écrivain sobre jusqu'à la sécheresse, et la fécondité naturaliste sert de repoussoir à son assez mince bagage littéraire (nous ne parlons pas du tas énorme de ses mémoires et de ses rapports). Quand ses admirateurs ont vanté le goût, le tact, la précision, et la netteté classiques de l'oeuvre de Mérimée, son ironie en demi-teinte, sa discrétion et sa retenue, ils ont à peu près tout dit des éloges qu'il mérite. Il est serré, mais étriqué, il est distingué mais souvent banal, il imagine plus qu'il n'observe; à force de réagir contre ce qu'il appelait la sensiblerie de Rousseau, la fumée et les vapeurs romantiques, il n'a jamais d'émotion sincère, et son oeuvre est terne et grise. Même quand il écrit ses Lettres, ses fameuses lettres à une inconnue, il a l'air de s'être relu à la loupe avant de cacheter sa missive, et à coup sûr, il écrivait ses lettres sur brouillon. Ses amis objectent qu'il n'était pas expansif, et que sa sensibilité était interne. Il refoulait! Réponse trop facile. Il faut plutôt croire que sa vie et ses oeuvres ont été en conformité avec sa nature et ses goûts : coeur sec, il se refusait sans contrainte à l'émotion; ou bien égoïste profond, il fuyait avec adresse les occasions d'être ému. On a parlé de l'influence qu'a eue Stendhal sur son esprit. Elle est probable. Mais cette influence n'a pu être que négative. Stendhal, tout en se raillant lui-même, confessait les petites hypocrisies de sa sentimentalité, et jusqu'à certains coins de naïveté de son esprit; Mérimée n'a jamais de ces cynismes : il semble toujours campé devant son miroir, occupé à rentrer sous sa redingote boutonnée les bouts de sa cravate et de ses sentiments.

Ces réserves faites, il faut reconnaître que Mérimée fût un esprit très droit, très honnête, sans méchanceté, très complaisant même. Il a dû souffrir de la sécheresse de sa nature. Cette phrase est de lui :

« Il vaut mieux trop aimer que pas assez ».
Si son esprit critique est pauvre, si ses portraits littéraires n'apprennent rien d'important ni sur les oeuvres ni sur les auteurs qu'il a le mieux connus, comme historien Sainte-Beuve le vante. (Jules Huret).
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