.
-

Sully-Prudhomme

René-François-Armand Prudhomme, dit Sully-Prudhomme est un poète français, né à Paris le 16 mars 1839, mort  à Châtenay-Malabry le 6 septembre 1907. 

La vie et l'oeuvre de Sully Prudhomme.
Fils d'un négociant, qui lui laissa de la fortune, élevé au lycée Bonaparte, il essaya d'abord de l'industrie, et fut quelque peu ingénieur au Creusot, s'en dégoûta; tâta du droit, travailla comme clerc chez un notaire, ce qui devait encore moins le satisfaire. Mais ces tâtonnements n'avaient pas été perdus pour lui : ils avaient mûri son esprit et donné à sa pensée quelque chose de plus grave, de plus philosophique.

Il avait vingt-six ans quand il publia son premier recueil de vers : Stances et Poèmes (Paris, 1865, in-46), dont, dans une préface à L. Bernard-Derosne, il indique ainsi le sentiment qui y domine : 

« Tu me sauras gré d'avoir toujours été sincère. Je voudrais que cette liberté fût discrète et n'offensât aucune foi, mais le doute est violent comme toute angoisse, et la conviction n'est pas souple. J'ai dit tout ce qui m'est venu au coeur ».
Ce qu'on remarqua surtout dans ce volume fut une forme d'une précision merveilleuse à exprimer les nuances les plus délicates, les plus fugitives de la pensée. On en retint surtout la pièce célèbre du Vase brisé.

Les recueils qui suivirent ajoutèrent encore à sa réputation : les Epreuves (Paris. 1866), où l'on remarquait des Croquis italiens que lui avait inspirés un voyage en Italie en 1866; les Solitudes (ibid., 1869, in-16), où dominait de plus en plus le caractère philosophique qui, la même année, s'affirma hautement par la traduction en vers du premier livre de Lucrèce; la Nature des choses (ibid., 1869, in-16, avec une ample préface, oeuvre philosophique de haute valeur).

La guerre de 1870 lui inspira à la même époque quelques vers vengeurs sous le titre : Impressions de guerre (ibid., 1870, in-16). Après les Destins (ibid., 1872, in-16), le poète revint à la poésie plus intime; plus vécue, dans les Vaines tendresses (ibid., 1875, in-16). Mais avec la Révolte des fleurs commença à apparaître une préciosité de la forme, qui nous reporte parfois aux Dorat et aux Delille, et jure avec une pensée toute moderne.

La belle ordonnance et la belle précision philosophique reparaissent heureusement dans la Justice (ibid., 1878, in-16), poème qui est comme un pendant à celui de la Nature des choses. Le Prisme (ibid., 1886), mais surtout le Bonheur (ibid., 1888, in-16), sont empreints du même caractère, mais ce dernier avec moins de simplicité et beaucoup de cette préciosité de forme dont le défaut se marque davantage. 

En 1881, Sully-Prudhomme (8 décembre) avait été reçu à l'Académie française et en 1901 il a reçu le prix Nobel de littérature.

Indépendamment de ces recueils de poésie, Sully-Prudhomme a publié en prose : De l'Expression dans les beaux-arts (Paris, 1884, in-8), oeuvre d'esthétique profonde; Réflexions sur l'art des vers (Paris, 1892); et enfin des articles remarquables sur Pascal, dans la Revue des Deux Mondes (1895).
-

Le vase brisé

« Le vase où meurt cette verveine 
D'un coup d'éventail fut fêlé; 
Le coup dut effleurer à peine 
Aucun bruit ne l'a révélé.

Mais la légère meurtrissure, 
Mordant le cristal chaque jour, 
D'une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.

Son eau fraîche a fui goutte à goutte, 
Le suc des fleurs s'est épuisé;
Personne encore ne s'en doute 
N'y touchez pas, il est brisé.

Souvent aussi la main qu'on aime, 
Effleurant le coeur, le meurtrit; 
Puis le coeur se fend de lui-même, 
La fleur de son amour périt;

Toujours intact aux yeux du monde, 
Il sent croître et pleurer tout bas 
Sa blessure fine et profonde: 
Il est brisé, n'y touchez pas. »

(Sully-Prudhomme, Stances et Poèmes).

La poésie de Sully-Prudhomme.
Sous l'influence de Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme s'essaya, lui aussi, à la poésie descriptive (Le Cygne, Le Lion, Croquis italiens). Il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il observait mieux le monde intérieur.

La poésie d'analyse morale.
Pour beaucoup il fut et il resta le poète du Vase brisé, c'est-à-dire le chantre délicat des tristesses intimes. Son analyse déliée nous rend compte de nos joies fugitives (Les solitudes : Joies sans cause), de nos mélancolies nées d'un rien :

Une larme, un chant triste, un seul mot dans un livre,
Nuage au ciel limpide ou je me plais à vivre,
Me fait sentir au cceur la dent des vieux chagrins. 
(Les Epreuves : Les Blessures).
Sa poésie s'apitoie sur les, enfants tristes (Les Solitudes : Première Solitude). Et pourtant le poète n'est ni un morose ni un pessimiste, car l'amour de l'idéal vit dans son coeur. Il ose chérir la vertu (Les Vaines tendresses : La Vertu, Le Temps perdu). Il respecte le devoir social et vénère la patrie (Les Épreuves : Homo Sum, La Patrie, Un Songe; Les vaines Tendresses : la France).

La poésie philosophique.
Mais Sully Prudhomme veut aller plus loin :

« J'ai plus d'ambition pour mon art : il me semble qu'il n'y a, dans le domaine entier de la pensée, rien de si haut ni de si profond, à quoi le poète n'ait mission d'intéresser le coeur. » (Dédicace de la Justice).
De la poésie psychologique (La Vie intérieure : L'Habitude, La Mémoire;
Mélanges : le Passé) il s'éleva jusqu'à la poésie métaphysique dans deux grands poèmes : La Justice et le Bonheur.

La Justice est divisée en veilles où alternent, dans un dialogue entre le Chercheur et une Voix, un sonnet et quatre strophes de quatre vers. Le Chercheur part à la découverte de la justice « avec le seul flambeau de la science ». Il ne la découvre, ni sur la terre dans les espèces et dans les états, ni dans l'univers régi par des lois physiques. Mais à défaut de la raison impuissante, la conscience lui enjoint « d'être homme et de respecter l'homme » (9e veille). « Il n'y a pas de justice hors de la sympathie, et c'est la conscience et la science qui développent la sympathie. » La justice est une union du coeur et de la raison :

La justice est l'amour guidé par la lumière. (11e veille).
Le Bonheur a une forme plus dramatique. - Faustus a retrouvé dans une autre vie Stella qu'il aimait. Il connaîtrait la félicité suprême, s'il n'était avide de déchiffrer l'énigme du monde. Il interroge les philosophes, mais leurs réponses sont incomplètes; les savants, mais leur science s'arrête an bord de l'infini où se trouve le pourquoi des choses. Il finirait par se résigner à son ignorance et à sa faiblesse, s'il n'entendait monter vers lui les gémissements de l'humanité plongée dans les ténèbres. Il décide Stella à quitter avec lui leur séjour élyséen pour apporter aux hommes le secours de la vérité. Ils rencontrent alors dans leur sacrifice et leur dévouement le bonheur parfait.

L'art de Sully Prudhomme. Le poète reprend avec plus d'audace et de succès les tentatives de Voltaire et de Chénier pour constituer en France la poésie philosophique.
-

Sully-Prudhomme : A Pasteur.
A Pasteur, poème manuscrit de Sully-Prudhomme.

Le prosaïsme. 
Son art n'évite pourtant pas l'écueil du prosaïsme. Son exposé des différents systèmes a quelque chose de sec et de didactique. La périphrase reparaît quand il s'agit de désigner les découvertes scientifiques, telle celle-ci pour le télégraphe :

Ampère fait d'elle [la foudre] un aimant, 
Et dans sa vitesse fidèle
Prépare à la pensée une aile
Qui ceint la terre en un moment. (Le Bonheur, VII).
 La finesse. 
Ces taches ne doivent pas faire méconnaître la grandeur de l'inspiration, ni la valeur poétique de nombreux passages (voir notamment Le Bonheur, 1re partie, Les Ivresses). Si Sully Prudhomme n'a pas l'imagination assez puissante pour animer un long poème, il sait, dans de courtes poésies, donner la vie à la pensée philosophique par la personnification (voir par exemple l'Habitude, le Passé, le Rendez-vous, les Danaïdes) :
Mais je ne prends pas garde
Que tout en souriant mon Passé me regarde
D'un oeil terne, immobile, où je sens qu'il est mort. (Le Passé).
Il n'a pas son égal pour trouver l'expression délicate et juste qui rend un état d'âme : la solitude de la jeune fille laide :
Et c'est un collégien, que, dans les bals de noce,
On charge de tirer cette enfant de son coin. (La Laide).
L'amertume d'un amour incompris :
Mais il croit que son âme est assez généreuse,
En m'honorant de sa pitié. (Fleur sans soleil).
Sully Prudhomme reste plus spécialement le poète du coeur, non pas dans ses passions orageuses, mais dans ses tristesses intimes et délicates. Il séduit par sa pitié discrète et chaude, par la noblesse de son idéal. (E. Asse / E. Abry).
.


Dictionnaire biographique
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2019 - 2020. - Reproduction interdite.