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François
de Malherbe était un gentilhomme - il y tenait -, et un poète
né à Caen en 1555, mort à
Paris le 16 octobre 1628. Son père, conseiller au présidial
de Caen, le destinait à lui succéder, comme son aîné,
dans sa charge, et peut-être est-ce pour ce motif qu'après
une éducation commencée à Caen, et continuée
à Paris, il l'envoya la compléter aux universités
de Bâle et d'Heidelberg.
Mais la magistrature n'était point le fait du jeune homme il prétendait
suivre la carrière des armes; et il n'avait guère plus de
vingt et un ans, s'il les avait, qu'il abandonnait la maison paternelle
pour s'attacher à la personne de Henri, duc d'Angoulême, grand
prieur de France, et l'accompagner, d'abord comme secrétaire, en
son gouvernement de Provence. il y faisait
la conquête d'une veuve, Madeleine de Coriolis, qu'il épousait
en 1581. C'est en Provence aussi qu'il écrivait ses premiers vers
et entre autres son imitation des Larmes de saint Pierre, de Luigi
Tansillo, le plus étendu de ses poèmes, et d'ailleurs celui
qui lui ressemble à lui-même le moins. Il s'y trouve de fort
mauvais vers, dont les «concetti» ne sont pas tous du
Tansillo, mais il s'y en trouve quelques-uns aussi d'exquis et tels que
jamais il n'en écrira de plus gracieux ni de plus élégants.
-
François
de Malherbe.
Il était de retour à Caen
en 1586, quand il y apprit la mort du grand prieur, tué en duel
par Philippe Altovitti. C'était la ruine de ses espérances;
et on ne sait trop, en effet, comment il vécut de 1586 à
1599. Nous voyons seulement qu'il ne réussit à se fixer ni
en Normandie ni en Provence; et il y a
des raisons de croire que la fortune lui fut plutôt contraire. Elle
commença de lui sourire en 1600, et l'occasion en fut l'une de ses
Odes les plus vantées : A la Reine, sur sa bienvenue en France,
dont on a voulu faire dater une «ère nouvelle» de notre
poésie, mais dont la composition et à certains égards
la facture rappellent de bien près les Odes
de Ronsard. La langue en est seulement plus «générale»
ou plus abstraite, et l'inspiration moins haute, mais plus soutenue. Les
célèbres Stances à Monsieur du Périer,
sur la mort de sa fille, sont aussi du même temps; et publiées
en feuille volante, comme l'Ode à la Reine, elles contribuèrent
sans doute à étendre sa réputation. Elle était
déjà grande, en effet, et le cardinal du Perron, poète
lui-même, comme on sait, l'avait déjà recommandé
au roi, quand, au mois. d'août de l'année 1605, en compagnie
de ses amis Peiresc et du Vair, Malherbe se décida
à venir à Paris. Henri IV, qui
ne l'avait pas oublié, « l'envoya quérir, lui commanda
de se tenir près de lui, l'assura qu'il lui ferait du bien »
et partant pour le Limousin, où il
allait tenir les grands jours, lui demanda des vers pour son retour. Le
poète, plus rapide cette fois qu'il était d'ordinaire, s'acquitta
promptement de la tâche, et quand le roi revint, il lui présenta
ses beaux vers :
La terreur
de ton nom rendra les villes fortes,
On n'en gardera
plus ni les murs ni les portes,
Les veilles cesseront
au sommet de nos tours,
Le fer mieux employé
cultivera la terre,
Et le peuple qui
tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n'est pour
danser, n'orra plus les tambours.
Celle-ci est vraiment l'une de ses cinq ou
six belles pièces, la plus belle peut-être, comme étant
moins déclamatoire et moins chargée surtout de cette «
mythologie » dont Malherbe avait aussi peu le sentiment que les poètes
de la Pléiade, et particulièrement Ronsard, en avaient en
l'intelligence profonde. Henri IV lui fit donner une pension de 1000 livres
et le nomma « gentilhomme ordinaire de la chambre ».
C'est alors que, tiré d'embarras, on vit, selon le mot de Balzac,
le « pédagogue de cour-»
se dégager du poète; et, ce qui est bien plus admirable,
un « poète lauréat », si jamais il y en eut,
trouver, dans les obligations de sa charge elle-même, la matière
de sa gloire.
-
Les Saints
Innocents
« Que je porte
d'envie à la troupe innocente
De ceux qui, massacrés
d'une main violente,
Virent dès
le matin leur beau jour accourci!
Le fer qui les tua
leur donna cette grâce
Que, si de faire
bien ils n'eurent pas l'espace,
Ils n'eurent pas
le temps de faire mal aussi.
De ces jeunes guerriers
la flotte vagabonde
Allait courre fortune
aux orages du monde,
Et déjà
pour voguer abandonnait le bord,
Quand l'aguet d'un
pirate arrêta leur voyage;
Mais leur sort fut
si bon que d'un même naufrage
Ils se virent sous
l'onde et se virent au port.
Ce furent de beaux
lis qui, mieux que la nature
Mêlant à
leur blancheur l'incarnate peinture
Que tira de leur
sein le couteau criminel,
Devant que d'un
hiver la tempête et l'orage
A leur teint délicat
pussent faire dommage,
S'en allèrent
fleurir au printemps éternel.
Le peu qu'ils ont
vécu leur fut grand avantage,
Et le trop que je
vis ne me fait que dommage.
Cruelle occasion
du souci qui me nuit!
Quand j'avais de
ma foi l'innocence première,
Si la nuit de ma
mort m'eût privé de lumière,
Je n'aurais pas
la peur d'une immortelle nuit.
Qui voudra se vanter
avec eux se compare,
D'avoir reçu
la mort par un glaive barbare,
Et d'être
allé soi-même au martyre s'offrir
L'honneur leur appartient
d'avoir ouvert la porte
A quiconque osera,
d'une âme belle et forte,
Pour vivre dans
le ciel, en la terre mourir.
O désirable
fin de leurs peines passées
Leurs pieds, qui
n'ont jamais les ordures pressées,
Un superbe plancher
des étoiles se font;
Leur salaire payé
les services précède;
Premier que d'avoir
mal, ils trouvent le remède,
Et devant le combat
ont les palmes au front.
Que d'applaudissements,
de rumeur et de presses,
Que de feux, que
de jeux, que de traits de caresses,
Quand là-haut
en ce point on les vit arriver!
Et quel plaisir
encor, à leur courage tendre,
Voyant Dieu devant
eux en ses bras les attendre,
Et pour leur faire
honneur les anges se lever!
Et vous, femmes,
trois fois, quatre fois bienheureuses,
De ces jeunes amours
les mères amoureuses;
Que faites-vous
pour eux, si vous les regrettez?
Vous fâchez
leur repos, et vous rendez coupables,
Ou de n'estimer
pas leurs trépas honorables,
Ou de porter envie
à leurs félicités.
Le soir fut avancé
de leurs belles journées ;
Mais qu'eussent-ils
gagné par un siècle d'années?
Ou que leur advint-il,
en ce vite départ,
Que laisser promptement
une basse demeure,
Qui n'a rien que
du mal, pour avoir de bonne, heure
Aux plaisirs éternels
une éternelle part? »
(Malherbe).
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Nous avons de lui, sans rien dire de ses
OEuvres en prose, cent vingt-trois pièces en tout, dont il
y en a bien la moitié qui sont assez insignifiantes, et à
peine deux ou trois qui soient vraiment d'un poète : les autres,
les meilleures, celles que l'on cite, sont d'un excellent versificateur.
Nous en ferions probablement plus de cas, si, depuis, elles n'avaient été
comme remises à leur vraie place, qui n'est ni la première
ni même la seconde en français, par les chefs-d'oeuvre des
Hugo, des Lamartine,
des Musset, des Vigny,
de quelques autres encore; et si l'un des premiers effets de cet épanouissement
du lyrisme n'avait été de rendre à Ronsard
et à son école quelque chose de leur ancien éclat.
On s'amuse quelquefois des « contradictions » de l'histoire
et de la critique; mais c'est que l'art lui-même, quoi que l'on en
dise, « évolue » s'il ne « progresse » pas;
et, d'âge en âge, des oeuvres nouvelles, jetant sur les anciennes
une nouvelle clarté, réforment et doivent réformer
nos jugements puisqu'elles modifient la nature des oeuvres elles-mêmes.
Les romans de Lesage et de Prévost,
Gil Blas
et le Doyen de Killerine, n'ont pas été rejetés
seulement du premier rang au second, mais la valeur intrinsèque
elle-même en a été modifiée par Valentine
et la Cousine Bette ou généralement par le roman de George
Sand et de Balzac. C'est justement le cas
des poésies de Malherbe. Pour quelques effets heureux qu'elles ont
d'ailleurs produits en leur temps, et en admettant qu'elles les aient produits,
elles ont « tué le lyrisme » en France. Je dis : en
admettant qu'elles les aient produits, car il conviendrait d'examiner d'un
peu près. la question. Les poésies de Malherbe, toutes ou
presque toutes imprimées de son vivant, n'ont toutefois paru que
dans des Recueils de vers où elles étaient noyées
parmi d'autres pièces, de vingt autres poètes, et lui-même
ne paraît pas s'être soucié de les réunir, ce
qui nous fait d'abord nous demander si le succès en a vraiment été
ce que l'on semble croire depuis Boileau :
Enfin, Malherbe
vint et le premier en France...
Il était mort depuis deux ans quand,
en 1630, ses amis donnèrent la première édition de
ses Oeuvres, et la première fut suivie d'une seconde en 1631,
mais la troisième se fit attendre quatre ans, jusqu'en 1635. Trois
ans plus tard, en 1638, l'Académie française, ayant été
chargée par Richelieu d' « examiner », comme elle avait
fait du Cid, la Prière pour le roi Henri le Grand, allant
en Limousin, n'en épargna que six vers sur cent vingt-six; et
cette sévérité pédantesque, si elle ne prouve
rien contre la Prière, prouve du moins contre l'autorité
prétendue de Malherbe. Il est sans doute moins étonnant,
que, de 1666 à 1698, on ne voie paraître en trente ans qu'une
seule édition nouvelle de ses Poésies, mais le fait vaut
la peine pourtant qu'on le constate. Et de tout cela nous pouvons peut-être
conclure qu'en faisant à Malherbe une espèce de crime littéraire
d' «avoir tué le lyrisme», on a raison si l'on veut
dire qu'assurément il fut du complot, mais il n'en est certes pas
le principal auteur, et de la réforme à laquelle son nom
demeure attaché je ne puis enfin voir en lui que l'un des nombreux
ouvriers.
-
Prière
pour le roi Henri le Grand
allant en Limousin
« O Dieu, dont
les bontés, de nos larmes touchées,
Ont aux vaines fureurs
les armes arrachées,
Et rangé
l'insolence aux pieds de la raison,
Puisqu'à
rien d'imparfait ta louange n'aspire,
Achève ton
ouvrage au bien de cet empire,
Et nous rends l'embonpoint
comme la guérison.
Nous sommes sous
un Roi si vaillant et si sage,
Et qui si dignement
a fait l'apprentissage
De toutes les vertus
propres à commander,
Qu'il semble que
cet heur nous impose silence,
Et qu'assurés
par lui de toute violence,
Nous n'avons plus
sujet de te rien demander.
Certes quiconque
a vu pleuvoir dessus nos têtes
Les funestes éclats
des plus grandes tempêtes
Qu'excitèrent
jamais deux contraires partis
Et n'en voit aujourd'hui
nulle marque paraître,
En ce miracle seul
il peut assez connaître
Quelle force a la
main qui nous a garantis.
Mais quoi! De quelque
soin qu'incessamment il veille,
Quelque gloire qu'il
ait à nulle autre pareille,
Et quelque excès
d'amour qu'il porte à notre bien,
Comme échapperons-nous,
en des nuits si profondes,
Parmi tant de rochers
qui lui cachent les ondes,
Si ton entendement
ne gouverne le sien?
Un malheur inconnu
glisse parmi les hommes,
Qui les rend ennemis
du repos où nous sommes
La plupart de leurs
voeux tendent au changement;
Et, comme s'ils
vivaient des misères publiques,
Pour les renouveler
ils font tant de pratiques
Que qui n'a point
de peur n'a point de jugement.
En ce fâcheux
état, ce qui nous réconforte,
C'est que la bonne
cause est toujours la plus forte,
Et qu'un bras si
puissant t'ayant pour son appui,
Quand la rébellion,
plus qu'une hydre féconde,
Aurait pour le combattre
assemblé tout le monde,
Tout le monde assemblé
s'enfuirait devant lui.
Conforme donc, Seigneur,
ta grâce à nos pensées;
Ote-nous ces objets
qui des choses passées
Ramènent
à nos yeux le triste souvenir;
Et, comme sa valeur,
maîtresse de l'orage,
A nous donner la
paix a montré son courage,
Fais luire sa prudence
à nous l'entretenir.
Il n'a point son
espoir au nombre des armées
Étant bien
assuré que ces vaines fumées
N'ajoutent que de
l'ombre à nos obscurités.
L'aide qu'il veut
avoir, c'est que tu le conseilles
Si tu le fais, Seigneur,
il fera des merveilles,
Et vaincra nos souhaits
par nos prospérités.
Les fuites des méchants,
tant soient-elles secrètes,
Quand il les poursuivra,
n'auront point de cachettes;
Aux lieux les plus
profonds ils seront éclairés;
Il verra sans effet
leur honte se produire,
Et rendra les desseins
qu'ils feront pour lui nuire,
Aussitôt confondus
comme délibérés.
La rigueur de ses
lois, après tant de licence,
Redonnera le coeur
à la faible innocence,
Que dedans la misère
on faisait envieillir.
A ceux qui l'oppressaient
il ôtera l'audace;
Et, sans distinction
de richesse ou de race,
Tous, de peur de
la peine, auront peur de faillir.
La terreur de son
nom rendra nos villes fortes;
On n'en gardera
plus ni les murs ni les portes;
Les veilles cesseront
aux sommets de nos tours;
Le fer, mieux employé,
cultivera la terre,
Et le peuple, qui
tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n'est pour
danser, n'orra plus de tambours.
Loin des moeurs de
son siècle il bannira les vices,
L'oisive nonchalance
et les molles délices
Qui nous avaient
portés jusqu'aux derniers hasards;
Les vertus reviendront
de palmes couronnées,
Et ses justes faveurs,
aux mérites données,
Feront ressusciter
l'excellence des arts.
La foi de ses aïeux,
ton amour et ta crainte,
Dont il porte dans
l'âme une éternelle empreinte,
D'actes de piété
ne pourront l'assouvir;
Il étendra
ta gloire autant que sa puissance,
Et, n'ayant rien
si cher que ton obéissance,
Où tu le
fais régner, il te fera servir.
Tu nous rendras alors
nos douces destinées;
Nous ne reverrons
plus ces fâcheuses années
Qui pour les plus
heureux n'ont produit que des pleurs.
Toute sorte de biens
comblera nos familles,
La moisson de nos
champs lassera les faucilles,
Et les fruits passeront
la promesse des fleurs.
La fin de tant d'ennuis
dont nous fûmes la proie
Nous ravira les
sens de merveille et de joie;
Et, d'autant que
le monde est ainsi composé
Qu'une bonne fortune
en craint une mauvaise,
Ton pouvoir absolu,
pour conserver notre aise,
Conservera celui
qui nous l'aura causé.
Quand un roi fainéant,
la vergogne des princes,
Laissant à
ses flatteurs le soin de ses provinces,
Entre les voluptés
indignement s'endort,
Quoi que l'on dissimule,
on n'en fait point d'estime;
Et, si la vérité
se peut dire sans crime,
C'est avecque plaisir
qu'on survit à sa mort.
Mais ce Roi, des
bons rois l'éternel exemplaire,
Qui de notre salut
est l'ange tutélaire,
L'infaillible refuge
et l'assuré secours,
Son extrême
douceur ayant dompté l'envie,
De quels jours assez
longs peut-il borner sa vie,
Que notre affection
ne les juge trop courts?
Nous voyons les esprits
nés à la tyrannie,
Ennuyés de
couver leur cruelle manie,
Tourner tous leurs
conseils à notre affliction;
Et lisons clairement
dedans leur conscience
Que, s'ils tiennent
la bride à leur impatience,
Nous n'en sommes
tenus qu'à sa protection.
Qu'il vive donc,
Seigneur, et qu'il nous fasse vivre!
Que de toutes ces
peurs nos âmes il délivre;
Et, rendant l'univers
de son heur étonné,
Ajoute chaque jour
quelque nouvelle marque
Au nom, qu'il s'est
acquis, du plus rare monarque
Que ta bonté
propice ait jamais couronné!
Cependant son Dauphin,
d'une vitesse prompte,
Des ans de sa jeunesse
accomplira le compte,
Et, suivant de l'honneur
les aimables appas.
De faits si renommés
ourdira son histoire
Que ceux qui dedans
l'ombre éternellement noire
Ignorent le soleil
ne l'ignoreront pas.
Par sa fatale main,
qui vengera nos pertes,
L'Espagne pleurera
ses provinces désertes,
Ses châteaux
abattus et ses champs déconfits;
Et, si de nos discors
l'infâme vitupère
A pu la dérober
aux victoires du père,
Nous la verrons
captive aux triomphes du fils. »
(Malherbe).
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A la vérité, son action personnelle
et en quelque sorte privée semble avoir été plus considérable
que celle de son oeuvre. Il tenait école de versification et surtout
de critique. Dans les réunions qu'il présidait, et qui avaient
déjà quelque chose d'académique, il «commentait»
Desportes et, au grand émerveillement de ses auditeurs, dont Racan
était l'un des plus assidus, il «exécutait» Ronsard.
Toutes les licences que s'étaient permises les poètes de
la Pléiade, il les proscrivait impitoyablement.
«
Il n'estimait point les Grecs, et particulièrement, il se déclarait
ennemi du galimatias de Pindare [...] Pour les
Latins, celui qu'il estimait le plus était Stace,
et après, Sénèque le tragique
[...]. Il estimait fort peu les Italiens [...]. Quand on lui demandait
son avis de quelque mot français, il renvoyait ordinairement aux
crocheteurs du Port au foin [...]. Il ne voulait pas qu'on rimât
les mots qui avaient quelque consonance, montagne et campagne, père
et mère, offense et défense [...], ni les mots qui dérivaient
les uns des autres, admettre, promettre, commettre [...] ni les noms propres
les uns contre les autres, Castille et Bastille, Alexandre et Lysandre,
Italie et Thessalie
[...]. Il voulait que les élégies eussent un sens parfait
de quatre vers en quatre vers, et même de deux en deux [...]. Il
ne voulait pas que l'on montrât en vers de ces nombres vagues, comme
mille où cent tourments [...]. Il avait adversion pour les fictions
poétiques... »
Et comme toutes ces leçons, parmi lesquelles,
s'il y en a d'excellentes il y en a de détestables, étaient
soutenues d'un ton de voix brusque et décisif; comme il avait de
l'esprit, beaucoup d'esprit au service de quelques idées, comme
il était enfin un «personnage», on l'écoutait.
Mais puisque enfin ses leçons n'ont guère produit que Maynard,
c'est sans doute qu'elles n'allaient pas loin; elles ne touchaient pas
au fond des choses; et c'est pourquoi, dans la mesure où elles ont
opéré, l'honneur n'en revient pas à lui, mais aux
circonstances.
J'ai quelque part essayé, dans un
travail sur la Réforme de Malherbe et l'Évolution des
genres, de définir quelques-unes de ces circonstances, et de
montrer comment elles tendaient toutes, par la transformation des «
genres individuels » tels que le lyrisme, en « genres communs
» tels que l'éloquence, à la formation d'une littérature
essentiellement sociale. On ne voulait plus de désordre lyrique
ni de ce que Malherbe appelait le « galimatias de Pindare
» parce que personne de nous n'a le droit d'exiger que le lecteur
ou l'auditeur prenne toute la peine pour entrer dans ce que nos sentiments
ont de plus personnel; et il faut que l'auteur lui-même fasse la
moitié du chemin. C'est un échange de bons procédés.
On était fatigué de cet étalage d'érudition,
qui d'abord avait en soi quelque chose d'assez pédantesque, ou pour
mieux dire encore, de trop « livresque », et on ne songeait
pas encore à proscrire les anciens, mais on commençait à
trouver les Grecs trop éloignés
de nous. Si quelqu'un éprouvait des sentiments très particuliers,
on commençait à exiger qu'il les vérifiât, pour
ainsi dire, et qu'il s'assurât de leur rapport avec ceux des autres.
Quelle conversation y aurait-il de possible, et quelle société,
si personne de nous ne soumettait rien de lui-même aux convenances
d'autrui? Et enfin on ne voulait plus de ces idées rares ou singulières,
par lesquelles on s'exceptait du nombre de ses semblables, mais des idées
« communes », j'entends de celles qui sont ou qui peuvent devenir
aisément communes à tous les bons esprits.
«
Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brillante, extraordinaire? dira un
jour Boileau. Ce n'est pas, comme les ignorants
se le persuadent, une pensée que personne n'a jamais eue, au contraire,
c'est une pensée que tout le monde a dû avoir, et que quelqu'un
s'avise d'exprimer le premier. »
Telles étaient les idées qui
flottaient pour ainsi dire dans l'air avant Malherbe lui-même, ou
de son temps, et auxquelles, bien loin de les avoir inventées, il
n'a fait que se conformer. S'il n'avait pas lui, Malherbe, tué le
lyrisme, ç'aurait été un autre. Les contemporains
ne l'ont pas admiré de ce qu'il apportait de nouveau, mais de ce
qu'en tout il sentait et pensait comme eux. Et puisqu'il s'agit ici de
la transformation du lyrisme en éloquence, on montrerait aisément
que le rôle d'un Balzac, par exemple, a été plus original
et plus considérable que le sien.
Nous avons encore de Malherbe un Commentaire
sur Desportes : ce sont les annotations dont il avait couvert Un exemplaire
des Poésies de Desportes; des traductions du Traité
des bienfaits de Sénèque et
des Lettres à Lucilius; et enfin
une assez volumineuse correspondance dont les Lettres à Peiresc
forment la partie la plus intéressante. On l'y voit dans son rôle
de courtisan et d' « informateur » qu'il a l'un et l'autre
consciencieusement remplis : il était de ceux qui ont des vers pour
toutes les occasions et des flatteries pour toutes les puissances. (F.
Brunetière).
-
Ode à
la reine, mère du roi,
sur les heureux
succès de sa régence
« Nymphe qui
jamais ne sommeilles,
Et dont les messagers
divers
En un moment sont
aux oreilles
Des peuples de tout
l'univers,
Vole vite, et de
la contrée
Par où le
jour fait son entrée
Jusqu'au rivage
de Calis,
Conte sur la terre
et sur l'onde
Que l'honneur unique
du monde,
C'est la Reine des
fleurs de lis.
Quand son Henri,
de qui la gloire
Fut une merveille
à nos yeux,
Loin des hommes
s'en alla boire
Le nectar avecque
les dieux,
En cette aventure
effroyable,
A qui ne semblait-il
croyable
Qu'on allait voir
une saison
Où nos brutales
perfidies
Feraient naître
des maladies
Qui n'auraient jamais
guérison?
Qui ne pensait que
les Furies
Viendraient des
abîmes d'enfer
En de nouvelles
barbaries
Employer la flamme
et le fer?
Qu'un débordement
de licence
Ferait souffrir
à l'innocence
Toutes sortes de
cruautés,
Et que nos malheurs
seraient pires
Que naguère,
sous les Busires,
Que cet Hercule
avait domptés?
Toutefois, depuis
l'infortune
De cet abominable
jour,
A peine la quatrième
lune
Achève de
faire son tour,
Et la France a les
destinées
Pour elle tellement
tournées
Contre les vents
séditieux,
Qu'au lieu de craindre
la tempête,
Il semble que jamais
sa tête
Ne fut plus voisine
des cieux.
Au delà des
bords de la Meuse,
L'Allemagne a vu
nos guerriers,
Par une conquête
fameuse,
Se couvrir le front
de lauriers.
Tout a fléchi
sous leur menace;
L'Aigle même
leur a fait place,
Et, les regardant
approcher,
Comme lions à
qui tout cède,
N'a point eu de
meilleur remède
Que de fuir et de
se cacher.
O Reine, qui, pleine
de charmes
Pour toute sorte
d'accidents,
As borné
le flux de nos larmes
En ces miracles
évidents,
Que peut la fortune
publique
Te vouer d'assez
magnifique,
Si, mise au rang
des immortels
Dont ta vertu suit
les exemples,
Tu n'as avec eux,
dans nos temples,
Des images et des
autels?
Que saurait enseigner
aux princes
Le grand démon
qui les instruit,
Dont ta sagesse
en nos provinces
Chaque jour n'épande
le fruit?
Et qui justement
ne peut dire,
A te voir régir
cet empire,
Que, si ton heur
était pareil
A tes admirables
mérites,
Tu ferais dedans
ses limites
Lever et coucher
le soleil?
Le soin qui reste
à nos pensées,
O bel astre, c'est
que toujours
Nos félicités
commencées
Puissent continuer
leur cours.
Tout nous rit, et
notre navire
A la bonace qu'il
désire;
Mais, si quelque
injure du sort
Provoquait l'ire
de Neptune,
Quel excès
d'heureuse fortune
Nous garantirait
de la mort?
Assez de funestes
batailles
Et de carnages inhumains
Ont fait en nos
propres entrailles
Rougir nos déloyales
mains;
Donne ordre que
sous ton génie
Se termine cette
manie,
Et que, las de perpétuer
Une si longue malveillance,
Nous employions
notre vaillance
Ailleurs qu'à
nous entretuer.
La Discorde, aux
crins de couleuvres,
Peste fatale aux
potentats,
Ne finit ses tragiques
oeuvres
Qu'en la fin même
des États.
D'elle naquit la
frénésie
De la Grèce
contre l'Asie,
Et d'elle prirent
le flambeau
Dont ils désolèrent
leur terre
Les deux frères
de qui la guerre
Ne cessa point dans
le tombeau.
C'est en la paix
que toutes choses
Succèdent
selon nos désirs;
Comme au printemps
naissent les roses,
En la paix naissent
les plaisirs;
Elle met les pompes
aux villes,
Donne aux champs
les moissons fertiles,
Et, de la majesté
des lois
Appuyant les pouvoirs
suprêmes,
Fait demeurer les
diadèmes
Fermes sur la tête
des rois.
Ce sera dessous cette
égide
Qu'invincible de
tous côtés
Tu verras ces peuples
sans bride
Obéir à
tes volontés;
Et, surmontant leur
espérance,
Remettras en telle
assurance
Leur salut, qui
fut déploré,
Que vivre au siècle
de Marie
Sans mensonge et
sans flatterie,
Sera vivre au siècle
doré.
Les Muses, les neuf
belles fées,
Dont les bois suivent
les chansons,
Rempliront de nouveaux
Orphees
La troupe de leurs
nourrissons
Tous leurs voeux
seront de te plaire;
Et, si ta faveur
tutélaire
Fait signe de les
avouer,
Jamais ne partit
de leurs veilles
Rien qui se compare
aux merveilles
Qu'elles feront
pour te louer.
En cette hautaine
entreprise,
Commune à
tous les beaux esprits,
Plus ardent qu'un
athlète à Pise,
Je me ferai quitter
le prix;
Et, quand j'aurai
peint ton image,
Quiconque verra
mon ouvrage
Avouera que Fontainebleau,
Le Louvre, ni les
Tuileries,
En leurs superbes
galeries,
N'ont point un si
riche tableau.
Apollon, à
portes ouvertes,
Laisse indifféremment
cueillir
Les belles feuilles
toujours vertes
Qui gardent les
noms de vieillir;
Mais l'art d'en
faire des couronnes
N'est pas su de
toutes personnes;
Et trois ou quatre
seulement,
Au nombre desquels
on me range,
Peuvent donner une
louange
Qui demeure éternellement.
»
(Malherbe).
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Éditions
anciennes - Les meilleures éditions
anciennes des oeuvres de Malherbe sont celles de Lefèvre de Saint-Marc
(1757) et de Lalanne (1862-69), laquelle renferme l'Instruction de Malherbe
à son fils, mise au jour par Ph. de Chennevières en 1846,
et les Lettres inédites publiées par G. Mancel en
1852.
En
bibliothèque - Outre les oeuvres
de Racan, Balzac, Tallemant des Réaux,
et les histoires générales de la littérature française,
voir : Roux-Alphéran, Rech. biogr. sur Malherbe et sa famille;
1840, De Gournay, Malherbe, sa vie et ses oeuvres; Caen, 1852.-
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 1855, t. VIII. Hippeau, les
Ecrivains normands au XVIIe siècle; Caen, 1858. - Laur, Malherbe
(all.); Heidelberg, 1869, Beckmann, Etude sur la langue et la versification
de Malherbe; Elberfeld,1873.- Brunot, la Doctrine de Malherbe;
Paris, 1890. - Allais, Malherbe; Paris, 1892.
En
librairie - François Malherbe,
Oeuvres poétiques, Flammarion (GF), 1993. - Poésies,
Gallimard, 1982.
R.
Lebegue, Peiresc, lettres à Malherbe,
CNRS, 2001. - Collectif, Soleil du Soleil, anthologie du sonnet français
de Marot à Malherbe, Gallimard, 2000.
- Racan, Vie de Monsieur Malherbe, Gallimard, 1991. - Francis Ponge,
Pour un Malherbe, Gallimard. |
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