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Théâtre
Le drame
Le mot drame (du grec drama = action), dans son acception la plus large, désigne toute oeuvre composée pour le théâtre et représentant une action tragique ou comique; et l'on qualifie même de dramatique, tantôt un récit, un roman, une histoire, où se déroute une action intéressante, tantôt une situation, réelle ou supposée, qui émeut plus ou moins le lecteur. En un sens plus restreint, et qui date seulement du XVIIIe siècle, le drame est une pièce de théâtre, en vers ou en prose, d'un genre mixte entre la tragédie et la comédie, et dont l'action, sérieuse, par le fond, souvent familière par la forme, admet toutes sortes de personnages, ainsi que tous les sentiments et tous les tons.

Entendu comme une oeuvre qui n'est pas précisément tragique, ni entièrement comique, le drame fut annoncé, dès le commencement du XVIIe siècle, par la tragi-comédie ou comédie héroïque, dans laquelle les personnages étaient historiques, le fond grave, mais le dénouement heureux : le Cid, Nicomède et Don Sanche d'Aragon étaient des pièces de ce genre; mais, la rigidité des distinctions classiques ayant prévalu, on leur donna aussi le nom de tragédies. Molière montra également, dans le Festin de Pierre, qu'on pouvait écrire en prose des scènes intéressantes, et égayer les plus sombres tableaux par l'intervention de riants caractères. On pourrait même rechercher les premiers rudiments du drame dans Euripide chez les Grecs, Plaute (les Captifs) et Térence chez les Romains. Au XVIIe siècle, Sedaine, La Chaussée, Mercier, Marmontel, et Diderot préconisèrent ce genre intermédiaire qui fut appelé tragédie domestique, tragédie bourgeoise, genre sérieux, comédie larmoyante, et qui se rapproche du drame tel qu'on le comprend aujourd'hui. 

"On distingue dans un objet moral, disait Diderot, un milieu et deux extrêmes : il semble donc que, toute action dramatique étant un objet moral, il devrait y avoir un genre moyen et deux genres extrêmes. Nous avons ceux-ci : c'est la comédie et la tragédie. Mais l'homme n'est pas toujours dans la douleur ou dans la joie. Il y a donc un point qui sépare la distance du genre comique au genre tragique." 
Les novateurs ajoutaient que l'art gagnerait en puissance, si, au lieu de mettre sur la scène les héros et les princes, au lieu de peindre les destinées royales, les crimes publics et les coups d'État, toutes choses qui sont peu en rapport avec les sentiments et les pensées ordinaires des spectateurs, il mettait sous leurs yeux les passions domestiques et les infortunes du peuple, l'image des vertus ou des vices des conditions communes, et s'il substituait à l'idiome mesuré et en quelque sorte surnaturel des personnages de la tragédie le langage de la vie commune, à la poésie la prose. C'était le temps où Destouches par l'abus des graves moralités et du pathétique, altérait le naturel enjoué de la comédie, et où Lamotte tentait avec si peu de succès de dépouiller la tragédie du langage et du rythme poétiques. Les partisans de l'innovation dramatique l'appuyèrent des efforts de leur zèle : mais, de tous les drames qui furent joués à cette époque, il n'en a survécu qu'un petit nombre, le Père de famille et le Fils naturel de Diderot, le Philosophe sans le savoir de Sedaine, le Déserteur de Mercier, la Mère coupable et l'Eugénie de Beaumarchais, et l'on ne se souvient plus, ni du Béverley de Saurin, ni de Nanine et de l'Enfant prodigue, que Voltaire écrivit en faveur et dans les idées du nouveau système.

Au XIXe siècle, l'école dite romantique n'a pas toujours conçu le drame de la même façon que Diderot : observant qu'il n'y a presque pas d'événement  dans la vie, si grand, si tragique qu'il soit, qui ne touche au comique par quelque point, et pas de caractère si beau ou si redoutable, qui n'ait un côté faible et ne laisse une place au rire à côté de l'admiration ou de l'épouvante, elle a prétendu donner à la littérature dramatique la vérité qui lui manquait. Pour arriver à cette représentation vraie de la vie humaine, il s'agissait, suivant cette école, de rapprocher dans les oeuvres dramatiques les oppositions qui se rencontrent à chaque instant dans la réalité, de concilier les couleurs les plus disparates, de faire figurer ensemble les hommes de toutes les classes et de toutes les conditions, de mêler le plaisant et le sérieux, Ie noble et le trivial, le beau et le laid, le sublime et le grotesque, de peindre les contrastes des caractères et des situations, et de répandre sur le tout les charmes de la poésie. 

Le manifeste de l'école fut, en 1829, la préface de Cromwell par Victor Hugo; la pièce elle-même servit comme d'exemple à côté du précepte, et peut-être même le précepte fut-il fait pour la pièce. Plusieurs autres drames, tant en prose qu'en vers, développèrent la théorie, depuis Hernani jusqu'à Ruy Blas, qui en a été l'expression la plus complète et la mieux réussie. Les romantiques s'appuyaient, d'ailleurs, sur l'exemple du théâtre anglais et du théâtre allemand, où Shakespeare, Schiller et Goethe avaient su tirer un grand parti des passions vulgaires, des rapprochements étranges pris dans le monde réel, et de l'imitation exacte de la nature. Un des caractères de la réforme romantique était encore le soin de la couleur locale, et le rejet de ce que les classiques appelaient les bienséances théâtrales. En cela, comme en d'autres points, Diderot l'avait devancée : car, ces bienséances, qui empêchaient, par exemple, de mettre sur la scène un lit, un père et une mère endormis, un crucifix, un cadavre, etc., rendaient, disait-il, les ouvrages dramatiques indécents et petits. 

Les voeux du philosophe encyclopédiste ont été largement accomplis un siècle après lui, et ses préceptes outre-passés; la mise en scène du nouveau drame a tout admis, même l'horrible, afin de produire des effets plus vigoureux. Victor Hugo eut de nombreux imitateurs : Alexandre Dumas, le plus habile de tous, Alfred de Vigny, Frédéric Soulié, Léon Gozlan, Dennery, Bouchardy, Félix Pyat, Anicet Bourgeois, Dinaux, Eugène SuePaul Foucher, etc., et leurs oeuvres trouvèrent des interprètes d'un tout autre caractère que ceux du théâtre classique, Mlle Georges, Mme Dorval, Bocage, Frédéric Lemaître, etc. Mais, entre les mains des disciples, le drame est tombé des hauteurs où l'avait élevé le maître : comme au XVIIIe siècle, il n'a guère pris ses sujets, au XIXe, que dans la vie commune, et employé d'autre langage que la prose. Voulant répondre à la consommation de théâtres nombreux, il a pris les idées toutes trouvées, les inventions toutes faites, et façonné précipitamment pour la scène les romans accueillis déjà avec intérêt par le public. Aux spectateurs avides d'émotions il a prodigué les tableaux voluptueux ou repoussants, les coups de théâtre, les surprises de la mise en scène. L'oeuvre dramatique n'a plus été un art, mais un métier. Elle a cherché l'effet sur la sensibilité physique, plus que sur la sensibilité morale. L'action a fait place aux situations, les caractères aux poses; l'écrivain a été effacé par l'acteur. (B.).

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Dictionnaire Le monde des textes
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