|
. |
|
|
Les oeuvres littéraires
de l'ancienne Grèce,
lues dans l'ordre où elles ont été composées,
nous offrent un tableau complet et animé des doctrines religieuses
et philosophiques, des conditions de la vie sociale et de la vie privée,
des relations politiques des cités entre elles, de l'histoire, des
arts, en un mot de tous les éléments de la civilisation d'un
grand peuple, et cela pour une période qui ne comprend pas moins
de dix siècles. En poursuivant cette étude jusque dans les
siècles qui ont suivi l'introduction du christianisme
en Occident, on voit la littérature grecque renaître au souffle
de cette religion nouvelle, produire les grandes oeuvres des Pères
de l'Église d'Orient, et se continuer de siècle en siècle
jusqu'à nos jours.
Un fait domine l'histoire de la littérature hellénique, et la distingue de toutes les littératures anciennes et modernes, à l'exception de celle de l'Inde : c'est son originalité. Les Grecs ont eu des influences, mais ils n'ont pas eu de maîtres : si, dans les temps les plus anciens, ils ont eu des relations de parenté avec les populations de l'Asie centrale, et s'ils ont apporté avec eux, dans leurs migrations vers l'ouest, les chants, la langue et les traditions de leurs aïeux, il n'en est pas moins certain que, une fois fixés sur le sol hellénique, ils s'y sont développés par eux-mêmes, ont tiré de leur propre fonds leurs oeuvres de littérature et d'art, ont créé les genres, les ont développés et perfectionnés par un travail qui a été le leur. L'originalité et la perfection de leurs ouvrages en tout genre a fait d'eux les précepteurs et les modèles des peuples qui sont venus plus tard. Ceux-ci n'ont donc pu, par la force des choses, que refaire, dans des conditions et à des points de vue différents, ce que les Grecs avaient fait avant eux : les efforts des écoles appelées romantiques n'ont pas introduit, dans la littérature, des genres nouveaux, des formes nouvelles; prenant, comme les écoles classiques, les formes que les Grecs avaient créées, les romantiques des différents pays de l'Europe ont moins innové dans l'art d'écrire proprement dit que dans l'esprit même auquel ils ont demandé. leurs inspirations. On pourrait même dire que plusieurs genres créés par les Grecs et portés par eux à une suprême perfection ont été d'abord dénaturés par les Romains, puis détournés de nouveau de leur origine et de leurs conditions essentielles par les peuples modernes qui les avaient reçus de l'Italie; de sorte que ces genres n'ont plus été représentés dans les temps modernes, et demeurent, au moins dans leurs formes complètes, l'apanage de la Grèce antique. Telle est, par exemple, l'odepindarique; telles sont aussi, à bien des égards, la tragédie et l'épopée. Les oeuvres littéraires de la Grèce, et principalement la poésie, plus étroitement liée à l'art que la prose, ont toujours, pendant une période de huit ou dix siècles, emprunté à la religion ses traditions, ses figures et ses symboles. Il y a une alliance constante entre les lettres grecques et la mythologie. La première condition pour bien comprendre et sentir les oeuvres de l'Antiquité grecque, c'est de se pénétrer des croyances religieuses de ces anciens temps. Mais il ne suffit pas ici de se donner une teinture de science mythologique, et de savoir que Zeus est fils de Cronos; il est indispensable de se rendre compte de la valeur de ces conceptions symboliques, et de saisir leur signification; car c'est toujours avec leur valeur représentative que les dieux et les déesses paraissent dans la poésie et dans l'art; les actions qu'ils y accomplissent, les attributs qu'ils y reçoivent, ou sont consacrés par la tradition religieuse, ou ne sont inventés par le poète et l'artiste que conformément au symbole primitif et fondamental. Ainsi entendue, la portion mythologique des oeuvres littéraires de la Grèce s'anime d'une vie nouvelle, et tout l'art antique devient intelligible. Cette union d'une mythologie symbolique et des conceptions individuelles est si étroite en Grèce, et en même temps si nécessaire, que l'on peut dater la décadence de la littérature et des arts, dans cette contrée, du jour où les symboles, perdant leur signification et leur empire, ont cessé d'être respectés par les poètes et les sculpteurs. Jusque-là, en effet, dans chaque genre, le caractère propre de chaque auteur s'appliquait moins à créer des types nouveaux qu'à perfectionner, à polir, à rendre plus claire et plus saisissable à tous l'oeuvre créée par ses devanciers. Le mouvement général qui portait l'esprit grec vers la perfection en toutes choses se produisait donc de même dans chaque genre particulier : il s'agissait moins de faire du nouveau que de faire mieux. C'est ce qui explique pourquoi la Grèce
ancienne a rempli nos bibliothèques et nos musées des mêmes
sujets mille fois répétés. Mais on doit observer que
le fonds de la mythologie et de l'histoire héroïque est d'une
abondance et d'une richesse excessives, et offre des sujets d'une variété
infinie. Lorsque la perfection eut été atteinte dans chaque
genre, c.-à-d. lorsque l'on eut fait dire au symbole tout ce qu'il
contenait, les poètes et les artistes se trouvèrent forcés
ou de copier exactement l'oeuvre des derniers maîtres on de dénaturer
les types pour faire du nouveau. On prit ce dernier parti. Mais c'était
là une rupture ouverte avec la tradition; c'était aussi une
dégradation véritable de conceptions excellentes, que l'on
changeait, mais qui, ne pouvant plus être perfectionnées,
n'étaient modifiées qu'à leur détriment. On
peut dater de l'époque d'Euripide, vers
la fin du Ve siècle et le commencement
du IVe av. J.-C., cette sorte de révolte
contre le passé, et cette tentative d'introduire dans la poésie
et les arts des formes nouvelles et un esprit nouveau. C'est donc pendant
la période qui précède immédiatement ce poète
et à laquelle il appartient lui-même en partie, qu'il faut
placer le point de maturité et de perfection des oeuvres de l'art
et de la littérature grecs. C'est de ce temps qu'il faut dater la
décadence, lente d'abord et presque insensible, mais qui ne tardera
pas à se précipiter. La fantaisie s'introduit alors dans
les conceptions de l'esprit individuel; on s'affranchit par degrés
de la tradition; les grands genres s'épuisent; l'art et la poésie
ne sont plus qu'un jeu, et leurs oeuvres des objets de luxe payés
par les princes et par les riches particuliers.
Les hymnes.
Les épopées.
L'Iliade n'est qu'un épisode de la guerre de Troie; l'Odyssée en est un autre emprunté au même cycle héroïque. Il est hors de doute que les autres épisodes rattachés au cycle troyen avaient été chantés en vers dans tout le monde grec, et que, si le recueil de ces chants avait pu se faire avant l'époque de Pisistrate, nous posséderions des épopées grecques rivalisant d'étendue avec celles de l'Inde et les dépassant peut-être. Les aèdes épiques n'avaient plus rien de commun avec les chantres de la période des Hymnes : ceux-ci étaient des prêtres plus encore que des poètes, et leurs oeuvres, transmises dans les familles et dans les sanctuaires, ont composé la liturgie sacrée; rien de semblable pour Homère. Les aèdes de son temps et lui-même n'ont aucune autorité publique, et ne paraissent dans les cérémonies que comme simples particuliers; leurs oeuvres sont donc pour ainsi dire laïques, leur poésie est libre et sécularisée; leur génie seul donne toute leur valeur à leurs chants. On retenait, on redisait les meilleurs; leur nombre allait grossissant, et à la fin, tous les événements du grand cycle troyen se trouvant exprimés en vers, il fut possible d'en rassembler les fragments épars et de composer de véritables épopées. Les Rapsodes sont venus presque en même temps que les aèdes; mais il y en a eu longtemps après quel la poésie épique se fut éteinte. C'est grâce à ces couseurs de chants que les oeuvres épiques du temps d'Homère se sont conservées, puisqu'il est à peu près certain qu'à l'époque de ce grand poète les Grecs ne connaissaient pas l'écriture. Les Diascévastes ou distributeurs, qui, au temps de Pisistrate, donnèrent de l'Iliade et de l'Odyssée une première édition complète, ne firent que placer dans leur ordre naturel les pièces détachées que leur fournirent les rapsodes. Cette apparition tardive des épopées sous une forme systématique a soulevé dans l'Antiquité deux questions sur lesquelles les modernes sont encore partagés : Homère a-t-il existé, ou ce nom n'est-il qu'un symbole, une personnification du génie épique? S'il a existé, est-il également l'auteur de l'Iliade et de l'Odyssée? II n'y a aucune raison sérieuse de douter qu'il y ait eu un grand poète du nom d'Homère, comme il y a eu un Sömund pour l'Edda, un Vâlmiki pour le Râmâyana. Mais il est permis de croire que les épopées que l'on a sous son nom n'avaient pas la forme qu'elles ont aujourd'hui, puisque cette forme leur fut donnée au temps de Pisistrate. On ne saurait s'appuyer sur l'unité de chacune d'elles puisque les événements eux-mêmes donnent l'unité à l'épopée, et que cette unité n'est qu'un cadre d'une grandeur indéfinie où l'on peut intercaler à volonté les épisodes. C'est ainsi qu'a été composé, on le sait, le Mahâbhârata. Enfin il est permis de croire que l'Iliade et l'Odyssée ne sont l'oeuvre ni d'un même homme, ni d'un même temps, ni d'un même pays. La langue des épopées homériques n'est pas a langue grecque usuelle, Il n'y avait pas à cette époque une langue commune; chaque province ou plutôt chaque peuple avait son dialecte. Ceux des côtes d'Asie mineure étaient mieux compris et plus perfectionnés que ceux du continent, à cause de leur contact journalier avec les peuples de l'Asie. C'est l'ionien qui domine dans Homère, principalement dans l'Iliade; mais ce dialecte est loin de s'y présenter avec la même pureté que dans Hérodote, qui vivait cinq siècles plus tard (La langue grecque); d'où l'on peut conclure que les épopées sont l'oeuvre d'un homme ou de plusieurs hommes ayant séjourné dans diverses parties de la Grèce et ne parlant plus rigoureusement leur langue maternelle. Cette diversité des lieux et peut-être des temps se remarque aussi dans la grande épopée indienne. Les épopées homériques, admirables comme oeuvres littéraires, ont été le modèle primitif imité par les poètes épiques des temps postérieurs. Mais ce qui leur donne une supériorité incontestable, c'est qu'elles n'ont rien d'artificiel dans aucune de leurs parties, dans aucun récit, dans aucun tableau, et qu'elles sont l'oeuvre de la nature dans toute sa spontanéité. Elles nous offrent de plus un tableau fidèle de la société hellénique du temps, avec ses croyances religieuses, ses symboles, sa vie privée, ses souvenirs guerriers, ses courses aventureuses. Un puissant intérêt s'attache à leur lecture, parce que, outre cette curiosité continuellement éveillée en nous et à chaque instant satisfaite, elles nous offrent l'expression naïve et vraie des sentiments les plus variés de notre nature. Le nombre si grand des personnages et des situations ne laisse endormi en nous aucun de nos instincts; tous se développent et parlent à leur tour, et cela avec une convenance et un naturel qui n'ont jamais été surpassés. La poésie.
Un espace de temps considérable s'écoula entre l'époque homérique proprement dite et l'apparition des grands genres qui devaient succéder à l'Épopée. Une transition insensible s'opère durant cette période entre l'état féodal et la constitution des cités oligarchiques ou démocratiques. La poésie se développe dans des genres secondaires sur toute la surface du monde grec. En même temps que l'on continue à chanter ces fragments épiques connus sous le nom d'Hymnes homériques et à célébrer sous cette même forme les autres événements des temps héroïques, Retours des héros, Thébaïdes, Héracléides, on voit naître l'antique Élégie, caractérisée par le vers de cinq pieds nommé élégos, et dans laquelle brillèrent Callinus et Tyrtée au VIIe siècle av. J.-C. Vers le même temps florissait aussi la poésie ïambique, qui fut la satire des Grecs, et à laquelle Archiloque a attaché son nom. La poésie s'exerçait même dès lors et dans le siècle suivant sur des sujets purement moraux et philosophiques : Mimnerme, Solon, Phocylide, Théognis sont demeurés célèbres dans ce genre. Mais ce sont là des genres inférieurs, et qui le cèdent à l'ode et à la poésie dramatique. La
poésie lyrique.
Les lyriques éoliens se rattachent à Orphée par les traditions de l'école d'Antissa, et aux provinces de Phrygie et de Lydie par la nature des modes musicaux dont ils faisaient usage. Terpandre fut considéré par les Grecs comme le père de la poésie lyrique; mais il appartient à peine à l'histoire. Alcée de Mytilène mit la lyre au service de la politique dans un temps de discorde, et de la volupté dans l'île la plus dissolue des rivages d'Asie; c'est à lui qu'appartient le rythme alcaïque, si souvent imité par Horace. Sous la direction enthousiaste de Sapho, de Lesbos, l'école d'Antissa se dédoubla en quelque sorte; Sapho institua des choeurs de jeunes filles, dont les chants lyriques eurent un écho dans toute la Grèce. A cette époque les Doriens ajoutaient au lyrisme des rivages de l'Asie l'eurythmie et la sévérité des formes; Alcman à Sparte, Stésichore en Sicile, constituaient le choeur dithyrambique, créé par Arion, et le complétaient par l'épode. Les Ioniens donnèrent ensuite au fond même de l'ode ce qui lui manquait encore, une entière liberté d'allure. Elle fut à l'oeuvre à la fois chez le joyeux et populaire Anacréon et chez le savant et mélancolique Simonide. C'est l'époque des grandes théories musicales, nées sous l'influence de l'école pythagoricienne, et qui mirent entre les mains des poètes lyriques et dramatiques une puissance toute nouvelle. A ce siècle (520-400) appartient le plus grand lyrique de tous les temps, Pindare (Epinicies, Olympiques). L'ode triomphale, créée par Simonide, était chantée soit en séance après les Jeux (Les Fêtes grecques), soit en marche, soit même avec danse dans la demeure des vainqueurs. Elle à un caractère essentiellement national et populaire; elle peut être écrite dans tous les dialectes, et chantée sur tous les modes. Elle est héroïque et calme, elle ne procède pas de la passion; mais elle passe aisément des événements ordinaires aux réflexions sublimes. Elle est religieuse, comme l'occasion qui l'a fait naître : Pindare compose dans les mêmes conditions que Phidias. En somme, l'ode triomphale, dans sa perfection pindarique, est un enseignement moral appuyé sur les traditions, ayant pour motif une victoire aux grands Jeux de la Grèce, adressé aux hommes assemblés, et se fortifiant par le sentiment musical. La poésie
dramatique.
La
tragédie.
Au temps d'Eschyle, on faisait encore des tragédies ayant cette extrême simplicité, offrant des choeurs très développés, un dialogue assez court et une action presque nulle. Eschyle donna à la tragédie sa forme définitive, et nous avons de lui la plus grande oeuvre dramatique qui existe, la trilogie nommée Orestie. A cette époque Dionysos avait cessé d'être le personnage obligé de la tragédie; les sujets étaient d'ordinaire empruntés à l'histoire héroïque de la Grèce, surtout aux légendes troyennes et thébaines; mais Eschyle mettait aussi sur la scène des sujets purement mythologiques, comme son Prométhée, ou purement historiques et contemporains, comme ses Perses. II n'y avait point d'entractes; les chants du choeur en tenaient jeu. Tous les personnages portaient le masque et le cothurne, le premier, parce que les conditions et l'esprit de l'art grec n'eussent pas permis qu'un acteur avec sa figure représentât Zeus, Athéna ou Agamemnon; le second, parce que, le masque étant admis, il fallait établir les proportions du corps de l'acteur en relevant sa taille. Ces deux parties essentielles du costume tragique étaient, du reste, favorables à l'effet général dans les immenses théâtres de la Grèce. Le choeur tragique ne put parvenir à sa perfection qu'au temps d'Eschyle, lorsque tous les modes musicaux eurent été réunis dans une vaste synthèse, et que les poètes lyriques eurent conçu cet admirable ensemble mélodique connu sous le nom de strophe, antistrophe et épode. La tragédie grecque n'a jamais eu plus de puissance et d'audace que dans Eschyle. Sophocle y ajouta cette justesse des proportions, cette grâce et cette sensibilité exquise, cette action continue et progressive qui, sans nuire à la force et à la simplicité, ont fait de ses tragédies des modèles pour la postérité. L'art à cette époque atteignait en toutes choses à sa perfection; tout ce qu'il y avait de rude dans les oeuvres des précédentes générations disparaissait. C'était ce siècle, ou, pour mieux dire, cette période de Périclès, où la civilisation hellénique avait encore toutes les vertus du passé, sans avoir les vices et les défauts des temps postérieurs. Pindare, Sophocle, Phidias, Périclès lui-même, Hérodote, puis Thucydide et un grand nombre d'autres ont formé dans les arts et les lettres à la fois un ensemble qui ne se présente aussi complet à aucune autre époque de l'histoire. Euripide n'est pas un auteur de décadence, il est presque contemporain de Sophocle; mais, concevant l'art d'une autre manière, il y introduisit des usages nouveaux qui contribuèrent à l'altérer et à le perdre. La tradition n'est plus respectée au même degré; les dieux et les héros sont amoindris, pour être rendus plus humains; la dignité du langage n'est plus observée comme dans Eschyle et Sophocle; on s'adresse moins à l'intelligence du spectateur qu'à ses passions; on cherche le tragique et le pathétique, au lieu de ce calme et de cette majesté que les personnages conservaient jusque dans leurs violences. Nul auteur tragique ne remue plus profondément le coeur humain qu'Euripide; c'est lui surtout qui servait de modèle à Racine, qui a traduit du grec quelques-unes de ses scènes les plus émouvantes. La tragédie devient de plus en plus humaine; mais le niveau de l'art s'abaisse à chaque pas qu'elle fait en ce sens. Nous ne citons ici que les plus grands écrivains. Mais l'histoire nous a conservé les noms de beaucoup d'autres, et nous montre que, dans la tragédie, comme dans les autres parties de la littérature, la culture grecque a été d'une extrême fécondité. On fit des tragédies longtemps après Euripide, et l'on en faisait encore lorsque la Grèce, devenue province romaine, n'était plus que l'ombre d'elle-même. Mais la sophistique se mêla de plus en plus à la tragédie; les sentiments et les idées, trop subtilement analysés, nuisirent à l'action ;les grandes pensées disparurent avec la foi religieuse et politique, et avec les bonnes moeurs; on peut dire qu'au temps d'Alexandre la bonne tragédie était morte et ne devait pas renaître. La
comédie.
La prose.
L'histoire.
L'histoire grecque se présenta tout d'abord avec le caractère de véracité qui la distingue des oeuvres d'imagination; les accusations longtemps portées contre la bonne foi d'Hérodote tombent tour à tour devant !es découvertes modernes. Les faits qui suivirent les Guerres médiques sont d'une nature politique; la guerre du Péloponnèse a ce caractère, puisqu'il s'agissait là d'un conflit entre deux constitutions, l'oligarchie de Sparte et la démocratie d'Athènes. L'histoire qui la raconte est une histoire politique; les récits de Thucydide ne sont plus groupés sous une forme poétique ils se développent suivant l'ordre des années et des faits, comme un drame où les acteurs sont des hommes vrais, et où les scènes procèdent des caractères de chacun deux et des conditions générales ou ils sont placés. L'oeuvre de Thucydide n'a été égalée par aucun historien des temps postérieurs; car jamais des formes oligarchiques et démocratiques aussi pures n'ont été aux prises, et n'ont trouvé un homme qui ait su les approfondir et en exposer la lutte avec autant de talent que Thucydide. Cet auteur marque le point de perfection de l'histoire chez les Grecs. Xénophon, qui le continue, est loin de l'égaler : l'histoire entre ses mains est ou une simple narration, à la vérité fort intéressante, ou des mémoires, ou des récits mêlés de fantaisie et destinés à soutenir un système de philosophie politique. Nous n'avons aucun des ouvrages historiques composés dans le IVe siècle et qui faisaient suite à Thucydide et à Xénophon. L'histoire du genre ne peut être faite pour cette période que par conjecture : Ctésias, Théopompe, Éphore ne nous sont connus que par des citations et des témoignages; l'esprit de l'histoire se perd durant ce siècle, la fantaisie se mêle à la réalité. II faut descendre jusqu'à Polybe. Mais ici l'histoire change de caractère et de matière. Rome a conquis une grande partie de l'ancien monde; c'est à démêler les causes et les procédés de cet agrandissement que l'histoire s'applique; elle devient donc plus générale et en quelque façon plus philosophique et plus instructive; la vérité a repris tous ses droits; elle exige de l'écrivain le savoir, la pratique des affaires, la clarté des déductions, la justesse des jugements et leur impartialité. Polybe est demeuré dans ce genre le modèle des historiens modernes; mais il est moins politique que Thucydide. II y a une grande décadence de ce genre de Polybe à Denys d'Halicarnasse et à Diodore de Sicile. A cette époque les Grecs étaient répandus sur toute la surface du monde romain. Plutarque, au Ier siècle de notre ère, écrivait en grec dans un genre qu'il semble avoir créé, la biographie. Les Vies des hommes illustressont en histoire ce qu'en peinture est le genre du portrait; c'est l'histoire réduite à ses plus petites proportions. Il n'y a pas d'art dans les Vies de Plutarque; l'histoire mérite à peine sous cette forme de compter dans la littérature; elle est à la portée des moins habiles; c'est l'extrême décadence du genre inauguré par Hérodote. Cependant l'on continua toujours à écrire l'histoire en langue grecque sous l'Empire romain et à Constantinople; et c'est, de toutes les formes littéraires, celle qui a montré le plus de persistance. L'éloquence.
La grande éloquence se ranima sur les questions du temps : la plus importante, celle que les Guerres médiques avaient soulevée, qu'avaient, notamment, élaborée Agésilas, était la question de Perse ou d'Orient. Elle se compliqua, vers le milieu du IVe siècle, de la question du Nord ou de Macédoine. Les projets de Philippe partagèrent les orateurs en deux camps : d'une part Isocrate, Eubule, Eschine, usant d'habileté et de sophismes; de l'autre Lycurgue, Hypéride, Hégésippe, Démosthène, s'appuyant sur le sentiment de l'indépendance nationale et luttant contre Philippe avec une éloquence qui croissait comme le danger. La défaite de Chéronée et le triomphe de la Macédoine mirent fin à l'éloquence grecque, à la démocratie et à l'indépendance. La
philosophie.
De l'école de Socrate sortit toute une phalange d'écrivains philosophes, dont les plus illustres ont été Xénophon et Platon. La vie aventureuse du premier ne lui donna pas le loisir de se livrer tout entier à la composition d'ouvrages purement philosophiques; cependant plusieurs de ses écrits en ce genre sont demeurés célèbres, et offrent cette clarté de style et cet agrément dans la forme qui sont le caractère de cette école. Platon, l'un des plus féconds écrivains de la Grèce, adopta, pour exposer ses idées philosophiques, la forme du dialogue, empruntée au théâtre, et mit en scène dans ses écrits les hommes les plus distingués de son temps. II n'y a pas moins d'art dans la composition de ces dialogues que dans les comédies du temps. Quelque grave que soit le sujet, il y a un charme infini dans ces ouvrages et ce charme vient uniquement de la forme dont l'art grec, qui vit tout entier dans Platon, a su les revêtir. Les dialogues de Platon ont servi de modèles à un grand nombre d'écrivains philosophes, soit à Rome, soit chez les modernes; mais nul d'entre eux n'a pu les égaler; car cette forme du dialogue n'est admissible qu'à la condition que les interlocuteurs ne soient pas des personnages abstraits, et qu'ils aient autant de réalité que ceux de la scène. L'oeuvre de Platon est d'une diversité infinie; celle d'Aristote, son disciple et son rival, l'est également. Mais les écrits dAristote se présentent sous la forme de traités, sous la forme didactique, laquelle est beaucoup moins littéraire que celle du dialogue. Si le style des oeuvres dAristote était bien celui de la littérature philosophique de son temps, la chute que ce genre aurait faite ne serait pas moins profonde que rapide; mais on a lieu de croire que ce philosophe avait rédigé fort peu d'écrits, et que ceux qui nous sont venus sous son nom n'étaient que des notes du professeur et peut-être même de ses élèves. Son successeur fut Théophraste, plus célèbre comme botaniste que comme philosophe; il est difficile de juger de la valeur de ses écrits d'après les Caractères qui nous restent de lui; car ce ne sont que des fragments épars d'un grand ouvrage perdu; il y a dans ces morceaux plus de verve que d'art; ils ont eu le mérite d'être le point de départ de La Bruyère. A partir de cette époque les écoles philosophiques ont subordonné la théorie à la pratique, et ont produit un assez grand nombre de traités de morale, presque entièrement perdus. Épicure, Zénon, Cléanthe ont été les modèles imités par les philosopes latins. Après eux la Grèce n'a pas cessé de produire des écrits philosophiques; mais, après le régne d'Alexandre, un esprit nouveau se mêle à toutes ses productions; c'est l'esprit oriental. ( École philosophique d'Alexandrie). Développements
tardifs.
La culture grecque était alors dispersée dans tout le monde antique; elle avait ses centres partout, principalement à Alexandrie. Là se donnaient rendez-vous toutes les idées, toutes les doctrines, toutes les religions, toutes les langues. La critique et l'érudition naquirent dans cette ville, où les Ptolémées s'en firent les protecteurs et les propagateurs Le Musée, inspiré par Démétrius de Phalère à Ptolémée Sôter, vers l'an 306, réunit des savants et des professeurs de tout ordre. La flatterie inspira à des poètes des oeuvres de nulle valeur, comme les anagramme à Lycophron, les apothéoses de princes vivants à Callimaque. Le poème des Argonautiques, qui est une oeuvre d'érudition, et non une épopée, donne la mesure de ce qui se produisait alors en poésie. Il faut franchir le commencement de l'ère chrétienne pour trouver encore de véritables écrivains grecs. Mais dès lors un monde nouveau commence à naître : c'est Rome avec sa puissante organisation, c'est l'Inde et la Perse avec leur panthéisme symbolique, c'est la Judée, la Phénicie et l'Égypte, et bientôt c'est le christianisme, qui, luttant avec les idées grecques proprement dites, ou leur donnant par le mélange une nouvelle fécondité, suscitent dans un monde décrépit des tentatives littéraires animées d'un esprit nouveau. (La littérature byzantine). (Em. Burnouf). |
. |
|
|
||||||||
|