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Le roman

Le mot roman n'a pas d'équivalent en grec et en latin; il servait au Moyen âge à désigner des ouvrages profanes de poésie ou de prose écrits en langue populaire, la langue romane, c.-à-d. selon la région où l'on se trouvait en langue d'oc ou en langue d'oil, par opposition avec les chroniques, histoires bibliques, légendes ecclésiastiques, écrites en latin, langue de l'école et de l'église. Le mot roman s'appliquait surtout aux compositions qui avaient un caractère narratif. C'est ainsi que certaines grandes épopées, véritables chansons de geste, ont porté le nom de Roman de Thèbes, Roman de Troie, etc., et que des poèmes satiriques en 20 000 vers se sont appelés Roman de la Rose, Roman de Renart, etc. L'étude de ces romans d'une espèce toute particulière ne saurait trouver place ici. Ce qu'il s'agit d'examiner avec attention, c'est le roman tel que l'a fort bien défini le Dictionnaire de l'Académie, c.-à-d. une histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche à exciter l'intérêt, soit par le développement des passions, soit par la peinture des moeurs, soit par la singularité des aventures. Ainsi compris, le roman est un genre littéraire très particulier, tout à fait distinct de ceux qui paraissent lui ressembler, du Conte, de la Nouvelle et de la Fable.

Le roman peut en effet emprunter ses données à l'histoire, sauf à le dénaturer plus ou moins, comme dans la Cyropédie, dans Quentin Durward ou dans les Trois mousquetaires. Il exige un certain développement, si bien que l'on n'oserait pas appeler roman le Jeannot et Colin ou le Micromégas de Voltaire; c'est à peine si ce nom convient aux épisodes d'Atala ou de René. Enfin l'objet principal du roman n'est pas de moraliser, comme doit toujours le faire la Fable ou Apologue.

De la définition qui vient d'être donnée d'après l'Académie, il résulte que l'on peut concevoir trois espèces de romans : les romans passionnels, comme on dit, les romans de moeurs et les romans d'aventure. Ajoutons qu'il faut distinguer en outre, suivant la manière dont les sujets sont traités, les romans historiques, les romans philosophiques, politiques et sociaux, qui sont en général des romans à thèses, les romans idéalistes, les romans réalistes ou naturalistes, les romans psychologiques, les romans lyriques, etc. Mais quelle que soit la forme particulière d'un roman, le fond est toujours identique; un roman, c'est toujours un récit, une narration, et toujours l'auteur se propose de nous intéresser à la destinée d'un ou de plusieurs personnages. C'est en cela que le roman se rapproche du drame; les analogies sont même si grandes que l'on voit tous les jours les romans en vogue donner naissance à des pièces de théâtre, et Diderot affirmait que tout bon drame doit pouvoir faire un excellent roman.

De tous les genres littéraires, le roman est celui qui est le moins soumis à des règles précises, et cela sans doute parce qu'il n'a pour ainsi dire pas été connu de l'Antiquité classique. Aristote et ses successeurs ne l'ont donc pas codifié, et les auteurs de romans modernes ne sont pas astreints, comme les orateurs, les historiens et les poètes dramatiques, soit à marcher péniblement dans le sentier battu, soit à se frayer audacieusement des routes nouvelles. Un auteur de roman peut à son gré annoncer le dénouement dès la première page, ou suspendre l'intérêt jusqu'au dernier chapitre de son livre; il n'est pas tenu de respecter, comme le poète épique, l'unité de temps et l'unité d'action; il peut donner à son récit une allure poétique, ou adopter la façon de narrer des historiens, ou enfin présenter les événements sous forme de journal, de mémoire, de correspondance même; en un mot, il est libre et absolument indépendant. Ainsi s'explique l'énorme quantité de romans qu'ont produits, depuis la fin du XVIe siècle, toutes les littératures occidentales.

Le roman existe chez tous les peuples; en Chine il date du XIIIe siècle et compte de très nombreux exemplaires sous les trois formes, historique, fantastique et bourgeoise. La littérature du roman au Japon a suivi de près l'évolution chinoise. Chez les Arabes, le roman est au moins aussi ancien que l'Islam. Le sujet en est emprunté presque exclusivement aux légendes nationales et à l'histoire religieuse ou profane. Les Iraniens ont eu une littérature de roman (en prose) singulièrement pauvre et peu originale auprès de la floraison de l'épopée.

Le roman en Europe jusqu'à la fin du XIXe siècle

Le roman tel que nous le connaissons est la forme très moderne d'une chose fort ancienne; la feinte qui le constitue essentiellement était l'âme de l'apologue, de l'histoire légendaire, de l'épopée, et même du drame. Que faudrait-il changer à l'Odyssée pour en faire un roman d'aventures? et ne serait-il pas bien facile de transformer en romans, à la manière de Télémaque, plusieurs des tragédies d'Euripide? Mais le roman proprement dit étant toujours une oeuvre en prose, il faut aller jusqu'au siècle de Périclès pour trouver le premier roman connu, la Cyropédie de Xénophon. L'auteur si exact de la Retraite des dix mille a pris les plus grandes libertés avec l'histoire de Cyrus; ce curieux traité d'éducation est un roman dans toute la force du terme. Le grand succès de la Cyropédie n'a pourtant pas donné lieu, comme on serait tenté de le croire, à des imitations nombreuses; durant plusieurs siècles on ne trouve pas un seul roman dans la littérature grecque. Ce n'est qu'au Ier siècle après J.-C. que le roman devint une littérature spéciale en Grèce, au temps des seconds sophistes : l'un des premiers est celui d'Antonius Diogène (les Choses incroyables qu'on voit au delà de Thulé), modèle des romans suivants, qui consistent surtout en une fable érotique traversée d'une foule d'aventures fantastiques : c'était si bien alors le genre du roman que les romanciers grecs étaient désignés sous le nom d'Érotiques (du IIe au Ve siècle après J.-C.). 

C'est près de cinq cents ans après Xénophon que le roman grec renaît avec Lucien, auteur de Lucius ou l'Ane et de l'Histoire véritable, Xénophon d'Ephèse, Héliodore, auteur de Théagène et Chariclée, Longus, auteur de Daphnis et Chloé, Achille Tatios, Chariton d'Aphrodisie, auteur des Amours de Chaereas et Callirhoé, etc. La plupart des romans de cette époque ne sont qu'une succession d'aventures extravagantes accumulées sans aucun art : les amoureux sont séparés en général par des brigands et, après mille traverses, après avoir été réduits en esclavage dans les pays les plus étranges, finissent par être heureusement réunis. A l'époque byzantine; de pareils drames (nom qu'ils portaient alors) forment le fond de romans très nombreux, tels que le Drame d'Hysmène et d'Hysménias d'Eustathios; la Vie d'Esope, du moine byzantin Planude, est comme un dernier souvenir des romans grecs de l'époque impériale.

La littérature romaine ne compte pour ainsi dire pas de romans : une des seules productions originales que l'on y relève est le roman satirique de Pétrone, le Satiricon, qui date du milieu du Ier siècle après J.-C. Les Métamorphoses d'Apulée, que les nouvelles intercalées de l'Ane d'or et de Psyché ont rendues célèbres, présentent aussi le plus vif intérêt pour l'histoire des mœurs de son temps (IIe siècle). Enfin il  faut citer encore l'Histoire merveilleuse d'Apollonius de Tyr (adaptation d'un roman grec), qui fit fureur au Moyen âge et fut traduite dans toutes les langues.

Le roman en France
Le Moyen âge, qui nous a transmis le mot roman, n'a pas laissé une seule oeuvre auquel on puisse l'appliquer pleinement. Depuis la fin du XIIe siècle, les romans en prose du cycle d'Arthur, adaptations pour la plupart d'anciens poèmes, représentent seuls l'art du roman jusqu'au XVe siècle, époque où les meilleures de ces proses furent répandues par l'imprimerie dans la Bibliothèque bleue. Le roman en prose original n'a remplacé réellement le roman en vers qu'au XVe siècle avec le Petit Jehan de Saintré de La Salle; en même temps, sous l'influence italienne, les nouvelles eurent une grande vogue, comme le prouve le livre des Cent Nouvelles nouvelles. Au XVIe siècle on ne relève, en dehors du Gargantua de Rabelais et de quelques recueils de nouvelles. Rien de bien marquant. Ensuite viennent les Aventures du baron de Foeneste par Agrippa d'Aubigné; mais ce n'est un roman que d'apparence; à vrai dire, c'est un pamphlet politique.

D'Espagne nous vint l'Amadis, dernier écho des romans du cycle d'Arthur. Puis le goût des bergeries passa d'Italie en France à la cour de Henri IV, où il fit fureur : les moutons de l'Astrée de d'Urfé (1610) ne sont que des courtisans déguisés de l'entourage du roi; ce livre inaugure l'interminable série des grands romans du XVIIe siècle : il mit à la mode les romans à clef, qui sous des habits étrangers, des déguisements à la romaine, représentent, en réalité, au naturel, des personnages vivants connus de tous et que l'on s'amusait à retrouver sous leur costume d'emprunt : tels sont la Polexandre de Gomberville, le Grand Cyrus et la Clélie de Madeleine de Scudéry, le Faramond et le Cléopâtre de La Calprenède, et tant d'autres dont la galanterie subtilisée faisait l'admiration de Mme de Sévigné et de presque tout son siècle. Telle était la vogue de ces romans en 8 et 10 volumes qu'on en tirait aussitôt des tragédies à grand succès : la Mort de Cyrus de Quinault, et surtout le Timocrate de Thomas Corneille. En vain des auteurs de bon sens comme Charles Sorel, auteur du Berger extravagant, et Boileau, auteur du charmant Dialogue sur les héros de romans, faisaient ressortir la fadeur de ces compositions; en vain Scarron avec le Roman comique, Furetière avec le Roman bourgeois, et Mme de La Fayette avec la Princesse de Clèves et Zaïde, donnaient des modèles d'un tout autre genre : la franche gaieté, la vivacité quelque peu brutale ou l'exquise délicatesse psychologique de ces romans-là n'empêchaient pas de goûter les autres, et il en fut de mérite durant tout le règne de Louis XIV, qui vit naître en outre un roman mythologique de La Fontaine, les Amours de Psyché, et un grand roman d'éducation, le Télémaque de Fénelon.

Le XVIIIe siècle.
Le XVIIIe siècle, si différent du précédent à bien des égards, lui emprunta ses principaux genres littéraires, et le roman fut du nombre. Lesage, qui avait commencé par traduire Don Quichotte, se rendit célèbre par la publication de deux romans de moeurs, le Diable boiteux et Gil Blas, inspirés des fripons du roman espagnol. Montesquieu préluda aux attaques de la philosophie avec un roman satirique, les Lettres persanes, et presque tous les grands écrivains du siècle de Louis XV ont fait imprimer des romans. Voltaire a donné sur le tard l'Ingénu, Candide, Zadig et plusieurs autres; Rousseau a publié la Nouvelle Héloïse, roman passionné sous forme de lettres, qui, par ses peintures des souffrances du coeur et l'amour passionné de la nature, a eu une influence capitale sur le roman français; il écrivait presque en même temps Emile ou de l'Education. Diderot, qui s'inspira du roman de famille anglais, est l'auteur de Jacques le Fataliste, de la Religieuse, du Neveu de Rameau; Marmontel est devenu célèbre grâce à son Bélisaire et à ses Incas. L'abbé Prévost, qui a signé plus de cent volumes illisibles, a trouvé le chemin de la gloire en insérant dans les Mémoires d'un homme de qualité le roman de Manon Lescaut; Bernardin de Saint-Pierre enfin, sous l'influence de Rousseau, a su enchâsser dans les Etudes de la nature le petit chef-d'oeuvre qui s'appelle Paul et Virginie. A côté de ces romanciers illustres, il s'en trouva d'autres qui cherchèrent la réputation par des moyens peu honorables, et comme ils vivaient au milieu d'une société très dépravée, ils flattèrent le goût public en composant des romans libertins. Ainsi procédèrent Crébillon fils, Louvet, et d'autres qu'il n'est pas nécessaire de nommer.

Le XIXe siècle.
Le XIXe siècle, qu'on appelle parfois le siècle de l'histoire, pourrait, à plus juste titre, se nommer le siècle du roman. Chateaubriand, avec Atala et René (en attendant les Martyrs, les Natchez, le Dernier des Abencérages), et Mme de Staël préparèrent le romantisme que Victor Hugo devait illustrer et ériger en théorie littéraire. Alfred de Vigny compose le premier roman historique de valeur avec Cinq-Mars. Mérimée donne le type le plus parfait de la nouvelle. Balzac, tout imprégné de romantisme, crée la Comédie humaine, d'un réalisme si profond et d'une psychologie presque prophétique. En même temps, Alexandre Dumas père et Eugène Sue lancent leurs romans d'aventures qui trouvent un public d'autant plus nombreux que l'art littéraire y est moins raffiné. Beyle (Stendhal), qui n'obtint pas de son vivant toute la gloire qu'il eut plus tard, crée le roman psychologique et donne quelque aperçu de ce que sera le naturalisme. Flaubert écrit un des meilleurs romans réalistes qui existent, Mme Bovary (1838) : cette voie est suivie par les deux frères Goncourt et Zola qui la poussent jusqu'au naturalisme, dont Maupassant donne les types les plus classiques. Le roman idéaliste avait été mis en grand honneur par les oeuvres de George Sand, qui tenta aussi le roman social. Dans une autre voie, Octave Feuillet publiait des romans aristocratiques et mondains, et Georges Ohnet des romans platement bourgeois, qui obtenaient un grand succès; Paul Bourget et Marcel Prévost, réagissant contre le naturalisme, s'attachent aux analyses psychologiques, etc.

Le roman en Italie.
En Italie, le roman remonte au XIIIe siècle, époque où l'on trouve des traductions en prose italienne de romans d'aventures. En 1340, Boccace écrit le long roman de Filocolo (d'après l'histoire de Flor et Blancheflor); en 1341, l'histoire idyllique et allégorique de Ameto, puis Fiammetta. Au XVe siècle, il suffit de citer il Paradiso degli Alberti de Giovanni da Prato, roman qui reste inachevé, et le roman pastoral de Sannazar, Arcadia (1489), qui trouvera beaucoup d'imitateurs. Les romans sont plus nombreux au XVIe siècle : ce sont des romans érotiques, dont quelques-uns très légers, tels que ceux de Pascoli (Cortigiano disperato), de Caviceo (Peregrino), de Franco (Filena); des romans moraux très lus, tels que ceux de Selva (Metamorfosi del Virtuoso), le Brancaleone attribué à Besozzi, le Compassionevoli avvenimenti di Erasto, d'un auteur anonyme, etc. Au XVIIe siècle, le roman est le genre littéraire à la mode : on copie d'Urfé et La Calprenède. Un des meilleurs romans galants de cette époque est le Calloandro de Marini; d'autres auteurs cherchent à réagir contre l'imitation française et écrivent des romans de moeurs (Brusoni), moraux (Mancini, qui écrit le célèbre Principe Altomiro), historiques, politiques (Pallavicini). Les auteurs italiens du XVIIe et du XVIIe siècle sont oubliés, et il faut arriver au commencement du XIXe siècle, en 1802, pour trouver un bon roman italien (imité d'ailleurs de Werther) : Ultime lettere di Jacopo Ortis de Ugo Foscolo. Le roman historique, qui obtint tant de succès avec Walter Scott, a inspiré Promessi Sposi de Manzoni (1827), qui eut de nombreux adeptes (Grossi, d'Azeglio, Guerrazzi, Nieve). Les romanciers italiens du XIXe, siècle n'ont pas une originalité très marquée, et l'on pourrait presque, chez chacun, retrouver l'influence de la littérature française dans les romans à la mode, psychologiques ou sociaux de Ciampoli, d'Annunzio, Farina, Fogazzaro, de Amicis, Rovetta, etc.

Le roman en Espagne et au Portugal.
En Espagne et au Portugal, les auteurs commencèrent vers le XIVesiècle à puiser dans les romans français, dans les légendes classiques et chrétiennes, le sujet. de leurs oeuvres, en grande partie traduite ou adaptées. El conde Lucanor, de l'infant don Juan Manuel, est un des premiers recueils de nouvelles présentant quelque originalité. C'est au Portugal que l'on doit le célèbre roman de chevalerie, Amadis (XIVe siècle), qui ne tarda pas à se répandre en Espagne : ce n'est qu'à la fin du XVe siècle (1490) que, sous une forme plus moderne et développée, il donna naissance dans la péninsule aux romans de chevalerie dont la vogue dura jusqu'au Don Quichotte de Cervantes (1605), qui leur donna le coup de grâce; il faut citer au PortugalPalmeirim de lnglaterra (1545), le meilleur des romans de ce genre, et en Catalogne Tirant lo Blanch (1460). 

Quelques écrivains se sont essayés, au XVe siècle, à composer les romans de sentiments à côté des romans d'aventures ce sont : Rodriguez del Padron, avec son allégorique Siervo libre de Amor (1450); Diego de San Pedro, avec le Carcel de Amor; Aeneas Piccolomini, avec la nouvelle Eurialo y Lucrecia. Au milieu du XVIe siècle: les romans de bergeries avaient envahi l'Espagne et le Portugal. et l'on trouve à citer une oeuvre mi-bergerie mi-roman de chevalerie, d'une grande sensibilité, Menina e moça, du Portugais Bernardim Ribeiro, après laquelle vinrent l'Arcadia de Sannazzaro et la Diana de Jorge de Montemor (en portugais), qui donna naissance à une longue suite de romans galants. 

Après les romans de chevalerie et les bergeries, l'Espagne produisit un genre original qui lui est propre et que l'on a appelé la littérature et le style picaresques: ces romans mettant en scène avec une vie, un humour et un réalisme très particuliers, un monde de fripons et de mendiants; les oeuvres les plus célèbres de cet ordre sont : Lazarillo de Tormes de Mendoza (1553). Guzman de Alfarache de Mateo Aleman (1599), Marcos de Obregon, etc. L'art des nouvelles en Espagne est inspiré entièrement de la littérature italienne; à la fin du XVIe et au XVIIe siècle, on en trouve de très nombreux recueils, tels que les Novelas Exemplares de Cervantes (1613). Au XVIIIe et au XIXe siècle, les maîtres des romanciers espagnols ont été les romanciers français et anglais.

Le roman en Angleterre.
En Angleterre, le roman date du XVe siècle et procède, à ses débuts, des poèmes de chevalerie en vers : tels sont, en 1489, les Histories of King Arthur de Malory. Après cette littérature héroïque, on trouve, au XVIe siècle, à la fois les romans de bergeries, tels que l'Arcadie de Sidney et les romans d'aventures (Unfortunate traveller de Nash) : les deux genres viennent d'Espagne; à la même époque, apparaît une production nationale, qui a trouvé en Angleterre aux différentes époques ses représentants les plus originaux : la peinture des voyages sur mer (Voyages de Hakluyt, en 1582). 

Au XVIIe siècle, on trouve surtout des essayistes qui perfectionnent la littérature anglaise d'après les modèles français. Au XVIIIe siècle, les histoires de navigateurs reparaissent avec le Robinson Crusoë de Daniel Defoe (1719), qui inspira de nombreuses peintures de la vie de mer; une autre lignée, celle des romans sentimentaux, procède dans ce même siècle de la Pamela de Samuel Richardson (1741); réagissant contre ce genre, Fielding importa le roman humoristique d'après les Espagnols et les Français (Joseph Andrews, 1741, et Tom Jones, 1749). Smollet reprit ce genre, en y mêlant la bizarrerie et le romantisme. 

A la fin du XVIIIe siècle, une nouvelle tendance se manifesta avec Castle of Otranto (1765) de Walpole, roman de chevalerie avec des effets de terreur. Maria Edgeworth s'attacha à peindre les caractères nationaux, principalement ceux de l'Irlande. Au début du XIXe siècle, Walter Scott créa le roman historique : son premier livre, Waverley, date de 1814. Un autre genre national est le roman de la vie bourgeoise dont Goldsmith est le créateur avec son Vicar of Wakefield (1766) et dont Charles Dickens a été le maître : son premier roman est Oliver Twist (1838). Walter Scott et Dickens ont eu d'innombrables continuateurs dont Bulwer-Lytton et George Eliot sont les plus marquants. Le réalisme naturaliste de Zola n'a pas fait école en Angleterre, et les romanciers de cette époque s'attachent volontiers aux questions politiques, religieuses et sociales. On peut citer Looking backward de Bellamy, Robert Elesmere de Humpfrey Ward, Story of an African farm d'Olive Schreiner, et les oeuvres de Rudyard Kipling dont les tendances impérialistes ont décuplé la renommée, etc.

Le roman en Allemagne.
En Allemagne, le roman proprement dit ne date que de la fin du Moyen âge. il consiste essentiellement en adaptations en prose de légendes déjà chantées dans des poèmes épiques. Au XVIe siècle, les trois principaux thèmes sont Eulenspiegel, Faust et Die Schildbürger. Jorg Wickram est le premier dont les romans marquent une véritable originalité. Mais, pendant de longues années encore, la littérature allemande reste tributaire des romans étrangers, soit des romans de chevalerie comme Amadis, soit des bergeries comme Diana. Fichart a montré une véritable personnalité dans son adaptation de Gargantua. Au XVIIesiècle, à côté des romans fantastiques, on goûte surtout les romans humoristiques et picaresques : le plus original de cette époque est le Simplicissimus de Grimmelshausen, qui a eu de nombreux imitateurs. A la fin du siècle, les romans héroïques et galants foisonnent, tels sont ceux d'Anton Ulrich von Braunsrhweig, l'Arminius de Lohenstein, l'Asiatische Banise de Ziegler, etc. Les romans satiriques de Hunold et de Chr. Reuter datent aussi de la fin du XVIIe siècle. 

Au siècle suivant, les imitations des romans anglais, spécialement de Robinson Crusoe, sont très nombreuses (on peut citer, en particulier, Insel Felsenburg de Schnabel); Hermes, Hippel, Thummel, Nicolai, etc., s'inspirent du sentimentalisme de Richardson ou de l'humour de Fielding. Vient ensuite la grande période de la littérature romanesque allemande avec les chefs-d'oeuvre de Wieland (Agathon et Abderiten), de Goethe (Werther, Wilhelm Meister, Wahlverwandtschaften) et les romans de Klinger, Heinse, F.-H. Jacobi. Un des plus grands poètes de cette époque, Jean Paul, a pris presque constamment la forme du roman. Le romantisme allemand a produit Novalis et Tieck. La littérature contemporaine du roman en Allemagne compte de nombreux représentants dans ses formes variées sociales, imaginatives, philosophiques, historiques, bourgeoises; il suffira de citer les noms de Gutzkow, Spielhagen Freytag, G. Keller, P. Heyse, W. Alexis, Scheffel, Ebers, Auerbach, etc.

Le roman dans les pays slaves.
La Russie a, au XIXe siècle, pris une place importante dans le roman, depuis Gogol; ses principaux auteurs, qui sont connus dans le monde cultivé, sont des adeptes de l'école réaliste et naturaliste : A. Herzen, I. Tourgueniev, I. Gonçarov, F. Dostoievski et L. Tolstoï, le plus grand de tous; ils ont pour disciples et continuateurs A. Pissemski, D. Grigorowitsch, A. Drushinin, M. Sollogub, N. Chwoschtschinskaia, etc. Le roman villageois est plus spécialement cultivé chez eux par F. Reschetnikov, E. Markov, P. Melnikov, E. Salias; le roman historique est plus spécialement l'oeuvre de N. Kostomarov, D. Mordowzev, A. Tolstoï, G. Danilewski, etc.

La Pologne a eu, au début du XIXe siècle, des romanciers célèbres; les premiers romans sont des imitations des romans historiques de Walter Scott : tels sont ceux de L-G. Niemcewicz, F. Bernatowicz et F. Skarbek. Le romancier polonais le plus fécond et le plus varié est L-l. Kraszewski et, après lui, M. Grabowski, M. Czaikowski, H. Rzewuski, Ig. Chodzko, I. Korzeniowski, Z.Kackowski, Z. Milkowski. C'est de nos jours que la littérature romanesque polonaise a produit les oeuvres les plus appréciées en Europe, dues surtout à H. Sienkiewicz dont le Quo vadis a fait le tour du monde, traduit dans toutes les langues, et E.Orzeszkowa.

Enfin, parmi les auteurs dans d'autres langues slaves, les Tchèques ont eu depuis longtemps des romans historiques, tels que ceux de J.-J. Marek, P. Chocholousek, J.-K. Tyl. Plus récemment, on trouve encore des romans historiques (ceux de Janda-Eidlinsky, de V. Vlcek, I.-I. Sankowsky), et des romans sociaux intéressants dus à K. Svetla, G. PflegerMorawsky, Sv. Eech, Z. Podlipska, V. Vleek, A. Jirasek, etc.

Valeur du genre romanesque (l'appréciation classique)

On a souvent discuté sur la valeur morale du roman, sa supériorité ou son infériorité par rapport à l'histoire, etc. Sa raison d'être, sa nécessité même, seraient déjà suffisamment prouvés par le goût universel : mais il est aisé de voir qu'il correspond à une disposition naturelle de l'esprit humain; par cette indépendance qui, selon Bacon, constitue au témoignage de la force et de la dignité de notre être, nous aimons à nous soustraire au cours ordinaire des choses, pour nous créer un ordre imaginaire d'événements où nos facultés trouvent un plus libre exercice. C'est le penchant involontaire de toute intelligence; si simple qu'elle soit elle aime à se transporter par le rêve dans un monde idéal qui la fait échapper à la vie réelle. Le roman tient de la nature un charme universel qui opère aussi bien sur la gravité des vieillards que sur l'imagination de la jeunesse. Il doit à la fois présenter au lecteur une expression fidèle de ses passions, de ses vertus et de ses vices, et, sous l'apparence variable des moeurs, les traits inaltérables de la nature humaine : la vérité et la fiction sont les deux conditions premières du roman, comme de l'art; il doit offrir à la fois à la raison la représentation de ce qui est, et transporter l'imagination au delà des limites étroites du réel.

Le roman chez les peuples orientaux eut sans doute d'abord la forme de l'apologue et de l'allégorie; se proposant connue but une leçon morale, les Orientaux cherchent pourtant dans l'agrément de la fiction le principal intérêt de leurs récits. Les Grecs n'ont connu le roman qu'à l'époque de leur décadence : des ouvrages destinés à distraire les heures de loisir' ne pouvaient trouver place dans cette littérature vivante que la parole répandait dans les temples, sur les théâtres, dans les jeux, dans les festins, à la tribune publique et dans les écoles de philosophes et des rhéteurs. La vie, privée était soustraite au roman qui ne pouvait s'occuper que de ces désordres que la morale facile des Grecs tolérait, des aventures d'esclaves et de courtisanes, répétition indéfinie de peintures sans grand intérêt. La naïveté un peu factice de Longus, la froide élégance d'Héliodore qui charma pourtant la jeunesse de Racine, ont à peine relevé le caractère de ces ouvrages licencieux, par lesquels la Grèce esclave amusait la vieillesse dissolue de l'empire romain. La littérature du Moyen âge fit sortir des moeurs chevaleresques une littérature plus originale et naturelle : ses paladins, ses dames, ses enchanteurs même avaient eu plus d'un modèle et ne manquaient pas entièrement de réalité. Malheureusement, les romans de chevalerie ne passèrent pas en même temps que les moeurs chevaleresques : ils se multiplièrent après eux, n'en gardant plus que le ridicule outré et flétri. C'est alors que Cervantes mit gaiement aux prises avec le bon sens et la facile raison les extravagances banales de la chevalerie errante, dans ses deux figures si passionnantes de Sancho Pança et Don Quichotte

La défaite du mauvais goût ne fut pas immédiate ni complète; le chevalier se réfugia dans la bergerie; la fadeur de la pastorale remplaça les folies de la chevalerie errante et créa une lignée de héros langoureux et fondateurs : les Artamène succédèrent aux Amadis. Il fallut l'effort de trois grands talents pour ramener le roman à la réalité. Mme de La Fayette et Scarron empruntèrent à un modèle commun, la vérité, ces traits, d'une délicatesse exquise chez l'une, d'une vérité grossière chez l'autre, qui distinguent la Princesse de Clèveset le Roman comique. Le Sage peignit un sujet plus vaste et d'un intérêt plus général : il créa le roman de moeurs, dont ses ouvrages offrent le plus parfait modèle. On vit alors partout le roman se renouveler aux sources de la vérité et de la nature, accueillant à la fois les méditations du philosophe et les conceptions du poète, tantôt retraçant les progrès naturels des passions dans une série de scènes fidèlement imitées du cours naturel de la vie, ou faisant naître une intrigue du développement et de l'opposition des caractères, tantôt ranimant la froide poussière du passé à l'aide de personnages et d'événements supposés. 

On ne saurait suivre le roman dans toutes les directions qu'il a prises à partir du XIXe siècle, car il s'est multiplié et répandu dans le monde entier. Quant au point de savoir si le roman doit avoir ou non une portée morale, présenter un enseignement et proposer des exemples, les avis peuvent différer : mais il faut remarquer que les romanciers les plus illustres se sont efforcés de composer des oeuvres d'art, sans se préoccuper de moraliser. (A. Gazier et Ph. B.).



En librairie - Roland Barthes, La préparation du roman I et II (texte établi par Nathalie Léger), Le Seuil, 2003; Philippe Forest, Le roman, le réel (un roman est-il encore possible?), Plein Feux, 1999; du même, Le roman, le je, Pleins feux, 2001; Béatrice Bonhomme, Le roman au XXe siècle à travers dix auteurs (de Proust au Nouveau roman), Ellipses, 1998; Fausta Garavini, La maison des jeux (science du roman et roman de la science au XVIIe siècle), Honoré Champion, 1998; Georges Molinie, Du roman grec au roman baroque, un art majeur du genre narratif en France sous Louis XIII, Presses universitaires du Mirail, 1995; Marthe Robert, Roman des Origines et origines du roman, Grasset et Fasquelle, 1988.

Aimé Petit, L'anachronisme dans les romans antiques du XIIe siècle (Le roman de Thèbes, le roman d'Enéas, le roman de Troie, le roman d'Alexandre), Honoré Champion, 2002; Daniel-Henri Pageaux et Jean Bessiere, Formes et imaginaire du roman, perspectives sur le roman antique médiéval, Honoré Champion, 1998; Yasmina Foehr-Janssens, Le Temps des fables (Le roman des Sept sages  ou l'autre voie du roman), Honoré Champion, 1994; Francine Mora-Lebrun, L'Enéide médiévale et la Chanson de geste, Honoré Champion, 1994; de la même, L'Enéide médiévale et la naissance du roman, PUF, 1992.

Virginie Douglas, Perspectives contemporaines du roman pour la jeunesse, L'Harmattan, 2004; Raymond Perrot, Mots et clichés du roman policier, In Octavo, 2003; Dumais, Frontière du roman (le roman réaliste et ses personnages), Presses universitaires de Vincennes, 2002; J. Wiswanathan, Spectacles de l'esprit du roman dramatique au roman théâtre, Presses de l'Université de Laval, 2002; Alice M. Killen, Le roman terrifiant ou roman noir, de Walpole à Anne Radcliffe (et son influence sur la littérature française jusqu'en 1840), Slatkine, 2000; Ellen Constans et Erich Lessing, Parlez-moi d'amour (le roman sentimental - des romans grecs aux collections de l'an 2000), Presses universitaires de Grenoble, 1999; A. et O. Virmaux, Du film à l'écrit (du roman cinéma, au roman cinéoptique), Institut Jean Vigo, 1998; P.C. Ilboudo, Nouveau roman et roman africain d'expression française, Presses universitaires du Septentrion, 1996; Jacques van Herp, Panorama de la science-fiction (les thèmes, les genres, les écoles, les auteurs), Ananké / Le francq, rééd. 1999. 

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