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L'histoire
religieuse est, à proprement parler, la véritable histoire de l'Inde.
Elle se déroule en une série de périodes clairement enchaînées, sans
solution de continuité depuis l'aurore des invasions aryennes jusqu'au
temps présent. L'hindouisme actuel (81.3%
de la population de l'Inde s'en réclame) se prétend
issu légitimement du védisme ancien et impose à ses adeptes, comme le
dogme fondamental de l'orthodoxie, l'autorité surnaturelle des Védas.
En dépit des apparences contraires, l'hindouisme a raison : l'adorateur
des dieux védiques ne se sentirait pas dépaysé parmi les dévots de
Vishnou
et de Shiva.
L'hindouisme.
Le plus sage est
en ce cas, comme en tant d'autres, d'accepter provisoirement et sous bénéfice
d'inventaire, la tradition brahmanique plutôt que d'y substituer sans
profit des idées fondées sur d'autres préjugés. Composés en des lieux
et dans des temps divers, séparés par des intervalles considérables,
refondus, remaniés, rapiécés avant de prendre rang définitivement dans
les grandes compilations, les hymnes védiques, documents d'un état, linguistique
fort ancien, ne valent, comme témoignages religieux, que pour l'époque
de leur rédaction dernière; ils sont, sous ce point de vue, à peu près
contemporains des brahmanas qui les commentent. C'est à tort qu'on représente
la religion védique comme l'expression naïve du divin dans une société
primitive : loin de traduire les effusions ingénues de pasteurs nomades,
jaillies spontanément en présence de la nature auguste, les hymnes des
Samhitas sont le rituel d'une liturgie compliquée, inextricable, sans
études spéciales, réservée à une caste sacerdotale toute-puissante.
Les fonctions, fort délicates, sont réparties entre plusieurs catégories
de prêtres, récitants, chantres, sacrificateurs ou conjureurs. Le prétendu
naturalisme des hymnes est pure illusion; dissimulé sous d'autres symboles,
le naturalisme pénètre également les religions postérieures de l'Inde.
Une peinture murale à Varanasi (Inde). Photo : © Serge Jodra, 2011. Les deux éléments essentiels du culte, le feu et la libation de soma, indiquent une étroite parenté avec les cultes de l'Iran; des traits secondaires semblent même déceler une polémique active contre les usages iraniens : sur les confins du Penjab et de l'Afghanistan, s'opéraient alors des fusions inconscientes, comme la même région en vit tenter plus tard entre l'islam et l'hindouisme. Mais les dieux liturgiques Agni et Soma sont obligés de partager le premier rang avec un autre personnage tout différent de caractère et de figure. Indra est le souverain et le héros du ciel; son histoire est une épopée de batailles gigantesques et de monstres abattus. Sa vieille gloire doit survivre à la chute de ses rivaux. L'Hindou révère encore Indra comme le roi du ciel, immédiatement au-dessous de la Trimourti suprême. Autour d'Indra se groupent des puissances secondaires, vents, nuées, ouragans. Une autre classe de dieux, Varuna en tête, exercent surtout des fonctions morales. Mais la personnalité des dieux, vigoureusement marquée çà et là de traits précis, s'estompe et s'efface aussi pour s'absorber dans d'autres dieux ou pour les absorber. Chacun d'eux est tour à tour, au regard du dévot, le plus grand de tous. Le mot de kathénothéisme, proposé pour exprimer cette disposition religieuse des Védas, est inutile; le même phénomène se perpétue dans l'hindouisme : le Maha-Bharata célèbre tour à tour la grandeur souveraine de Shiva et de Vishnu, d'Indra et de Garuda : l'identité fondamentale des choses et des êtres, formulée avec une admirable netteté par les Upanishads, est le germe permanent de toutes ces conceptions. Les rapports du fidèle et du dieu sont, en général, pure affaire de marché; la cérémonie, choisie et accomplie en vue d'un fruit déterminé, force par sa puissance interne le consentement du dieu; irrégulière ou incomplète, elle tourne au détriment du sacrifiant. L'offrande, libation, victime ou gâteau, est nécessaire au dieu pour soutenir sa vigueur; son intérêt bien entendu le porte donc à satisfaire ses dévots pour en accroître et le nombre et le zèle. L'échange des hommages rendus par l'homme au dieu, et des services rendus par le dieu à l'humain, maintient l'ordre universel; mais la nature de ces rapports ne confère aux rites qu'une portée individuelle et de circonstance : l'autel, renouvelé à chaque cérémonie particulière, rappelle, par ses proportions, la stature du sacrifiant. L'élan spontané du coeur n'a rien à faire dans ce formalisme raffiné; le brahmane en possession d'un privilège exclusif est l'intermédiaire obligé entre le ciel et la terre. En vain la classe militaire essaye de lui disputer la prépondérance ou de forcer l'entrée de la corporation sacerdotale; elle échoue et se voit réduite au second rang de la hiérarchie, tandis que le gros du peuple forme l'agglomération des vaisyas. Les aborigènes assimilés sont groupés dans la caste des sudras; le résidu de la société est englobé dans la masse, sans devoirs et sans droits, des chandalas. Tandis que s'élabore la constitution sociale de l'Inde, la pensée prend son essor. Provoquée par la recherche des questions liturgiques ou rituelles, fécondée par le goût spéculatif des Hindous, la curiosité audacieuse aborde les problèmes de l'origine des choses, de l'ordre du monde. La doctrine de la transmigration, depuis longtemps entrevue, s'affirme comme un dogme et s'impose comme une catégorie fatale de l'esprit hindou. La littérature, encore toute sacerdotale, ne laisse transparaître qu'à peine les cultes et les dieux dédaignés des castes populaires. Dès ce moment, Vishnu et Shiva, figures pourtant bien pâles dans les Védas, ont leurs multitudes de dévots, leurs temples, leurs légendes, leur cortège de dieux. La réaction contre le « cléricalisme » védique va les faire passer au premier plan, et ce sont eux qui recueilleront les fruits d'une lutte où ils n'ont pas pris de part. Jaïnisme et bouddhisme.
Sorties de la même
inspiration, formées dans les mêmes circonstances, les deux doctrines
ont une ressemblance étrange qui provoque inévitablement le soupçon
d'un emprunt. Toutes deux repoussent l'autorité des Védas, condamnent
les rites brahmaniques, n'assignent aux dieux qu'une position précaire,
sans honneur et sans pouvoir. La toute-puissance est conférée à un agent
fatal, impersonnel, inconscient : le karman, la somme constamment modifiée
des mérites et des fautes accumulés dans l'infinité des existences antérieures.
L'effort soutenu vers le bien moral est la seule issue qui s'ouvre pour
échapper au tourbillon douloureux des perpétuelles renaissances et atteindre
aux éternelles félicités du nirvana.
La tradition des deux sectes rivales se prévaut même à l'origine des mêmes patrons royaux. Mais bientôt leurs destinées bifurquent. Le
jaïnisme.
Le
bouddhisme.
Mais tandis qu'en son expansion croissante le bouddhisme conquiert l'Asie presque tout entière, il s'affaiblit dans l'Inde. Un grand schisme a détaché de l'Eglise septentrionale l'Eglise cinghalaise avec ses colonies : la différence de leur langue canonique traduit clairement la divergence de leurs forces internes. L'Eglise de Sri Lanka, fidèle au pali, affiche son opposition à la tradition brahmanique du sanscrit; l'Eglise du Nord s'efforce, au contraire, d'imiter ce modèle et s'en rapproche par degrés au point de se confondre avec lui. Le clergé, isolé dans ses monastères, se préoccupe surtout de controverses spéculatives; des écoles se forment, qui se ramifient à leur tour. Les laïques sans direction, entraînés par les éléments d'hindouisme que le bouddhisme originel avait conservés par indifférence ou par mégarde, rejoignent graduellement les sectes nouvelles en voie de se fortifier sous l'autorité des brahmanes. Le couvent de Nalanda continue à former de savants docteurs, aptes à triompher dans les tournois de dialectique transcendantale en présence des rois et des nobles assemblés; les prédicateurs manquent pour parler aux foules. Le bouddhisme, encore enrichi de donations fréquentes jusqu'au VIIIe siècle, comme en témoignent les inscriptions, n'est plus, dès le siècle suivant, qu'un accident sur le sol de l'Inde. La pression musulmane ramène l'Inde au brahmanisme comme au symbole national. Les régions les mieux protégées par la nature ou par l'éloignement sont les derniers asiles du bouddhisme : le Cachemire, le Népal, le Bengale. Le Népal, déjà tibétain à demi, finit par en être le suprême asile. Il restait au vaincu un domaine assez grand pour le consoler de son exil; des bords de la Volga aux îles du Japon, de l'Himalaya aux rivages de l'océan Glacial, des centaines de millions de voix humaines adressent encore leur prière au Bouddha. Le bouddhisme une fois expulsé, l'oeuvre du Maître ne disparaissait pas cependant de l'Inde. Les religions populaires, qu'il avait appelées à son aide contre l'orthodoxie sacerdotale, adoptées maintenant par le brahmanisme, allaient recueillir l'héritage démarqué de l'hérésie. Après les polémiques doctrinales de Koumarila et de Sankara, chez qui la passion prend pour arme la science, vient une série ininterrompue de réformateurs formés à la même méthode scolastique, mais chez qui le sentiment devance le raisonnement. L'égalité religieuse des castes, la fraternité humaine (restreinte au monde indien), le droit de tous au salut, la proclamation d'un dieu personnel, l'inutilité des oeuvres rituelles, l'efficacité de l'amour divin sont le mot d'ordre commun des sectes vishnouites et shivaïtes. L'orthodoxie accommodante du brahmane consent à sanctionner ces innovations, satisfaite de préserver les deux dogmes essentiels : l'autorité purement nominale des Védas et les privilèges réels de la caste brahmanique. Les autres religions de l'Inde contemporaine. Les
religions tribales.
Toutes les formes
des religions tribales sont représentées en Inde : culte des esprits,
surtout des mauvais esprits, avec des rites démoniaques où domine la
fameuse « danse du diable »; culte de génies à physionomie naturaliste,
génies des eaux, des collines, de la terre; offrandes de lait, de fleurs;
holocaustes d'animaux, et même, autrefois, sacrifices humains.
Le
jaïnisme.
Le
parsisme.
Le
judaïsme.
Le
christianisme.
Un chrétien d'Alexandrie, Pantaenus, passe pour avoir visité les communautés chrétiennes de l'Inde vers 190, et les avoir trouvées en possession d'un Evangile en hébreu. Entre 520 et 530 le marchand Cosmas Indicopleustes mentionne des églises chrétiennes à Ceylan et sur la côte de Malabar, desservies par des prêtres venus de Perse. L'Inde comme la Chine et l'Asie centrale doit probablement ses premières communautés réelles à l'hérésie nestorienne, bannie de l'Occident. Séparés bientôt du monde chrétien par le progrès de l'islam, les chrétiens du Malabar reçurent l'inévitable empreinte de l'hindouisme. Dévots à saint Thomas, qu'ils allaient jusqu'à confondre avec le Christ, ils prirent le nom de chrétiens de Saint-Thomas et instituèrent en l'honneur de ce saint des pèlerinages auxquels les Hindous ne refusaient pas de s'associer. Leur organisation religieuse développa naturellement, comme plus tard chez les Sikhs du Penjab, une organisation militaire, et les chrétiens prirent rang, à l'égal des Nairs, parmi les plus hautes castes guerrières. La conquête portugaise interrompit violemment ce retour à l'hindouisme. Il ne fallut pas moins que des conflits sanglants, des autodafés et l'Inquisition pour étouffer la dissidence. Le synode de Diamper (1599) prononça la condamnation définitive : les livres sacrés furent brûlés, ainsi que les missels, les huiles saintes et les ornements. La caste des chrétiens de Saint-Thomas fut solennellement abolie. Mais la décadence de la domination portugaise et la prépondérance des Hollandais rendirent aux communautés locales leur liberté; malgré la surveillance des Portugais qui bloquaient la côte pour empêcher les prélats nestoriens de débarquer, l'évêque jacobite Mar Gregore, envoyé par le patriarche d'Antioche, put enfin rejoindre ses ouailles en 1665: l'église jacobite recueillait l'héritage du nestorianisme. L'oeuvre des jésuites en Inde commence avec saint François-Xavier (1542) et se continue avec un éclat soutenu. Robert de Nobili (mort en 1656), le fondateur de la mission du Madouré, est le premier des indianistes; son Ezour-Védam est un pastiche merveilleux de science et d'adresse. Beschi (XVIIIe siècle) prend place parmi les classiques tamouls; Pons, vers la même époque, discute en sanscrit avec les pandits et reconnaît la parenté de l'astronomie hindoue et de la science grecque. Ascètes, industriels, régisseurs, agriculteurs, professeurs, les jésuites habillent le christianisme à l'indienne, acceptent la caste, les coutumes, les préjugés locaux, et réussissent à peu près seuls à acclimater le christianisme aux Indes. Les missions protestantes n'entrent dans la lice qu'au XVIIIe siècle, avec les luthériens Ziegenbalg et Plutschau (1705); Schwartz gagne la réputation et l'autorité d'un saint dans le pays de Tanjore (1750-1798). Les baptistes Carey, Marshman, Ward) fondent la célèbre mission de Serampour (1793). L'Eglise anglicane obtient la création d'un évêché à Kolkata en 1844. L'islam.
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