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L'Apocalypse

L'Apocalypse de Jean est le livre qui clôt le recueil du Nouveau Testament et qui, à ce titre, attire déjà l'attention, mais qui la retient surtout par les particularités de sa composition. Ce livre, en effet, comme l'indique le terme grec qui lui sert de titre, a la prétention d'être une révélation des choses dernières à l'usage des communautés chrétiennes.
Il est, comme le dit justement un appréciateur compétent, Sabatier, « le chef-d'oeuvre d'un genre littéraire, né, au sein du peuple juif, de ses espérances messianiques et qui a particulièrement fleuri, après l'exil (ou captivité de Babylone), aux époques de grande persécution. Après les Juifs et parallèlement avec eux, les premiers chrétiens, qui attendaient eux aussi à bref délai le retour visible et triomphant de leur maître, ne l'ont pas cultivé avec moins de succès et d'ardeur, se servant des mêmes calculs, des mêmes procédés de composition et des mêmes symboles. Aussi les trois premiers siècles virent-ils paraître un grand nombre d'apocalypses chrétiennes. Une seule, celle de saint Jean, a été admise dans le canon du Nouveau Testament. » 
On trouvera à la page sur les Apocalypses juives des renseignements sur le procédé de composition littéraire dont le livre en question est la spécimen le plus connu, en même temps que des liens vesr les pages présentant quelques livres juifs, écrits sur la même donnée générale et qui nous sont parvenus. 
« Pour bien comprendre le livre, dit encore Sabatier, il ne faut pas le séparer des autres apocalypses ni du genre spécial auquel il appartient, Ces apocalypses, avons-nous dit, apparaissaient surtout aux moments de crise et de persécution. Plus l'épreuve était terrible, plus les croyants persécutés se persuadaient que la délivrance, promise et attendue, était proche. Le triomphe de l'impiété réclamait la vengeance de Jéhova. Le Livre de Daniel avait paru au milieu des persécutions exercées par Antiochus Epiphane, l'Apocalypse d'Hénoch aux temps troublés de Jean Hyrcan; de même l'Apocalypse de Jean est sortie des convulsions qui agitèrent la Judée de l'an 67 à l'an 70 et amenèrent la destruction de Jérusalem. »
Dans les derpiers mots que nous venons de citer, se fait jour une opinion relative à l'origine du livre,  au lieu que l'opinion traditionnelle croit que cet écrit n'a vu le jour que vers la fin du Ier siècle de notre ère, aux temps de l'empereur Domitien, Nous renverrons cette discussion à un moment ultérieur, nous proposant, avant tout, de donner une analyse exacte d'un ouvrage qui, malgré de grands progrès réalisés dans son interprétation, ne laisse pas d'offrir encore de nombreuses obscurités.

Analyse du texte.
Le livre se donne pour une révélation de l'avenir, d'un avenir prochain, donnée par Dieu à Jésus-Christ et communiquée par ce dernier à son « serviteur Jean », afin d'être portée à la connaissance des fidèles. L'auteur se trouvait dans l'île de Pathmos « pour la parole de Dieu et le témoignage de Jésus-Christ », quand il a été honoré de la précieuse instruction, dont il s'empresse de communiquer le contenu aux églises chrétiennes. C'est aux sept églises de l'Asie proconsulaire qu'il s'adresse tout particulièrement, aux églises d'Ephèse, de Smyrne, de Pergame, de Thyatires, de Sardes, de Philadelphie et de Laodicée, prodiguant à chacune des avertissements, des encouragements et des réprimandes conformes à sa situation présente. Dans ceux-là on remarque particulièrement la mention d'une hérésie dite des Nicolaïtes et des allusions à la persécution subie ou à subir de la part des fidèles. Cette sorte de prologue comprend les chapitres I, II et III. Ici commence la révélation proprement dite, qui s'étend du chap. IV, 1, au chap. XXII, 5. 

« La série des visions s'ouvre par la description du trône de la majesté divine, description imitée principalement d'Ezéchiel. De même que chez ce prophète, les attributs les plus essentiels de la divinité, sagesse, puissance, toute science et création, sont ici personnifiés dans les quatre figures de l'homme, du lion, de l'aigle et du taureau qui portent le trône. Le même besoin de rendre l'idée abstraite de Dieu accessible à l'imagination ou moyen du symbole suggère à l'auteur l'image des sept flambeaux placés devant le trône et qui représentent la manifestation septuple de l'esprit divin, que la théologie judaïque avait trouvée dans Isaïe. Un choeur d'anges, des plus élevés en rang, entouré, le trône; leur nombre représente celui des 24 classes de prêtres desservant le sanctuaire terrestre (chap. IV). Devant Dieu on voit placé un livre fermé par sept sceaux : c'est la livre de l'avenir. Un seul être y parviendra : c'est Christ, à la fois le fils aîné de la création et le rejeton de David. qui se présente ici sous la figure d'un agneau, portant d'un côté les marques de son immolation, de l'autre (dans la symbole des sept cornes et des sept yeux) la sceau de la plénitude de l'esprit de Dieu résidant en lui. C'est donc Christ qui récitera l'avenir, et le prophète sera admis à contempler le spectacle de ces révélations. L'agneau saisit le livre et aussitôt les chérubins, les archanges et d'innombrables choeurs de créatures de tous les rangs et de tous les lieux entonnent des hymnes de louange (chap. V). Les quatre premiers sceaux sont ouverts successivement, et leu voit paraître les premiers signes précurseurs de la parousie, les calamités qui doivent affliger l'humanité dans les derniers temps. Ce sont quatre figures, montées sur quatre chevaux et représentant la conquête, la guerre, la famine et la peste, signalées par des attributions symboliques très faciles à déchiffrer. Ce quatre figures sont sui vies d'une autre, qui sert, pour ainsi dire, à concentrer les traits divers de ce tableau, le Hadès ou séjour des morts, personnifié, s'apprêtant à engloutir les innombrables victimes de ces quatre fléaux (chap. VI, 1 à 8). A l'ouverture du cinquième sceau, on voit paraître les martyrs, qui demandent que leur sang soit vengé. Il leur est répondu qu'ils aient à prendre patience jusqu'à ce que leurs frères, auxquels est réservé le méme sort, l'aient subi à leur tour. Les tribulations des fidèles ne sont donc pas encore à leur terme (chap. VI, 9-11). L'ouverture du sixième sceau amène des phénomènes terribles au ciel, des éclipses, des chutes d'astres. Les grands de ce monde commencent à trembler et à pressentir les effets de la colère de Dieu (chap. VI, 11-17). Le spectateur aussi attend avec anxiété l'ouverture du dernier sceau, qui doit amener l'accomplisserinent des choses; mais son attente n'est pas immédiatement satisfaite. Une scène intermédiaire, un entracte, recule le dénouement. Il se fait un solennel silence dans tout l'univers, et un ange va marquer du sceaux de Dieu les fidèles, afin qu'ils ne soient pas enveloppés dans les catastrophes que la colère du juge suprême s'apprête à faire éclater sur le monde. Ces fidèles, dont le nombre, inappréciable à l'oeil humain, est révélé par l'ange au prophète, sont le véritable peuple de Dieu, l'Israël spirituel dont les douze tribus représentent d'une manière idéale la totalité des nations dans le sein desquelles le Christ a des disciples. Dès ce moment, ils sont exempts des tribulations du monde chap. VII). Enfin le septième sceau s'ouvre; mais, au lieu de nous amener la fin directement, il nous présente une nouvelle série de scènes introduites par sept anges munis de trompettes, dont les révélations formeront, dans leur ensemble, le contenu de ce septième sceau. Les prières des saints portées devant le trône de Dieu sont brûlées devant lui en guise d'encens, elles sont aussitôt exaucées, et l'ange jette sur la terre la braise de l'encensoir, symbole des châtiments qui sont réservés aux persécuteurs (chap. VIII, 1-5). Les quatre premiers anges font retentir leurs trompettes. Ils forment, par les scènes qu'ils annoncent, un tableau d'ensemble parallèle à celui des quatre premiers sceaux. On voit des plaies semblables à celles d'Egypte frappant l'univers (terre, mer, rivières et ciel) et faisant périr le tiers des créatures. Ces quatre trompettes sont séparées de celles qui suivent et ainsi réunies plus étroitement entre elles (comme les quatre premiers sceaux) par une figure à part, celle d'un ange traversant le ciel, et annonçant les trois dernières trompettes (chap. VIII, 6-13). La cinquième et la sixième trompette amènent des châtiments plus terribles encore. Les deux fléaux particuliers à l'Orient, les sauterelles et le simoum, sont introduits dans des descriptions fantastiques, qui laissent loin derrière elles tout ce que l'imagination des anciens prophètes avait su dépeindre. Des milliers d'humains périssent par ces plaies; les autres sont en proie à des tourments sans nom, mais ils ne se convertissent pas (chap IX). 

Le monde est donc mûr pour le jugement de la septième trompette. Mais celle-ci ne retentit pas immédiatement. D'après la disposition symétrique des scènes, il suit d'abord, comme après l'ouverture du sixième sceau, un nouvel entracte. Cet entracte a un double objet. D'abord, et en vue de la grandeur des choses qui restent à révéler, le prophète est préparé à leur connaissance par une sorte d'initiation spéciale. Le lecteur partage l'impression que cette solennité imposante est destinée à produire, et son attention impatiente augmente en raison directe des retards apportés au dénouement (ch. X). En second lieu, ce temps d'arrêt est employé à préparer une retraite aux élus qui, dans le premier entracte, avaient reçu préalablement le sceau de Dieu. Cette retraite se trouve dans l'enceinte sacrée du Temple de Jérusalem, qui seule sera préservée de la conquête et de la profanation, laquelle menace le reste de la ville de la part des païens. Ces derniers en resteront maîtres durant trois ans et demi. Pendant ce temps, Moïse et Elie, les précurseurs du Messie, prêcheront au peuple, mais l'Antéchrist les tuera. Leur résurrection sera le signal du commencement de la catastrophe. La ville sera en partie détruite par un tremblement de terre, 7000 hommes périront, mais la masse des Juifs se convertira dans ce moment suprême (chap. XI). Enfin, le septième ange entonne la trompette et des chants célestes célèbrent d'avance la victoire de Dieu et de Christ dans le combat définitif qui va s'engager. Le ciel s'ouvre, et l'on y voit reparaître l'arche de l'Alliance, le symbole de la réconciliation, perdu autrefois dans l'incendie du temple de Salomon (chap. XI, 15-19). Tout ce qui suit sera donc le contenu de la septième trompette. Nous savons d'avance qu'il s'agit du combat de Christ contre les puissances ennemies de son royaume et de l'établissement victorieux de ce dernier. Mais nous n'assisterons pas immédiatement au spectacle de cette lutte sans pareille. Le dénouement est encore une fois reculé par une description préalable des ennemis et par un prélude prophétique. Cette description interrompt pour un moment l'évolution progressive des faits et doit être regardée comme parallèle aux scènes précédemment dépeintes. Les ennemis sont au nombre de trois. Le premier et le principal, c'est le Diable; il apparaît sous la figure d'un serpent, prêt à dévorer un enfant nouveau né. C'est la représentation symbolique de l'idée que le Diable est l'ennemi né de Christ et de son Eglise. Mais l'enfant est sauvé auprès de Dieu et sa mère, l'Eglise du vrai Israël, l'Eglise des croyants, est enlevée vers le désert pour y être mise à l'abri des persécutions du Diable pendant les trois ans et demi que durera encore la puissance de ce dernier. L'Eglise, elle-même est hors de danger, mais ses enfants ne cessent d'être en butte aux attaques du malin pendant cette dernière période (chap. XII, 1-17). Le deuxième ennemi apparaît du fond de l'Océan, sous la forme d'un monstre à sept têtes, dont l'une a été blessée à mort, mais est guérie actuellement. Le diable lui donne, sa puissance pour trois ans et demi encore, et le monstre est adoré par les hommes et s'acharne contre les fidèles. C'est l'empire romain avec ses sept premiers empereurs, dont l'un a été tué, mais va revivre en qualité d'Antéchrist (v. chap. XVII). Le fond des images appartient à Daniel (chap. XII, 18 - XIII, 10). Le troisième ennemi, également représenté comme un monstre, est le faux prophétisme qui séduit les humains et les engage à adorer la première bête (chap. XIII, 11-17). Dans le dernier verset (18) du chap. XIII, l'auteur signale, par une formule énig matique, le nom historique de l'Antéchrist. Ce verset est donc comme qui dirait la clef de tout le livre. La description des trois adversaires est suivie de ce que nous avons appelé le prélude prophétique du combat : d'abord, le lecteur est rassuré sur le sort des élus pendant ces luttes gigantesques. Ils se trouvent abrités en Sion, en rapport immédiat avec l'agneau et les choeurs célestes (chap. XIV, 1-5). Le prélude lui-même se compose de trois scènes. D'abord trois anges se présentent pour faire des proclamations prophétiques. Le premier annonce le jugement éternel, et c'est là comme un dernier avertissement adressé au monde. Le second prédit la chute de Rome. Le troisième enfin menace les pervers de la colère de Dieu et console les fidèles par la perspective du repos après toutes leurs tribulations (chap. XIV, 6-13). Cette triple proclamation directe est suivie en second lieu d'un triple symbole prophétique du jugement. Les figures de la serpette, de la faucille et du pressoir représentent les châtiments divins et plus particulièrement le carnage d'une bataille d'extermination (chap. XIV, 14-20). Enfin, la troisième série du prélude fait paraître sept anges, tenant sept coupes remplies des plaies de la colère divine et prêts à les verser sur le monde. La solennité de ce spectacle est encore rehaussée par un cantique préparatoire (chap. XV). Les quatre premiers anges versent leurs coupes sur les quatre parties de l'univers apocalyptique, terre, mer, rivières et ciel. Ce tableau d'ensemble est encore clos et résumé, comme celui des quatre premiers sceaux et celui des quatre premières trompettes, par la description du résultat que les plaies produisent sur les humains. On les voit persister dans leur incrédulité et dans leurs blasphèmes (chap. XVI, 1-9). Le cinquième ange verse sa coupe sur Rome, dont les tourments commencent en ce moment même. 
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Un ange apporte le livre de Jean à Laodiocée (manuscrit wisigothique).
Un ange apporte le livre de Jean à Laodiocée (manuscrit wisigothique, XIe s.).

Le sixième ange verse sa coupe sur l'Euphrate et le fait dessécher pour livrer passage aux armées de l'Orient que l'empereurantéchrist conduit contre Rome qui l'a rejeté. La symétrie constante du poème nous ramène ici un entracte, dans lequel des esprits impurs, symbolisés par la figure de trois crapauds, vont rassembler, sous les ordres du diable, de l'Antéchrist et du faux prophétisme, les rois de la Terre, afin d'engager la lutte suprême. Le rendez-vous est au mont Thabor, qui domine la plaine de Megiddo, l'ancien champ de bataille d'Israël. Après cela seulement, le septième ange verse sa coupe dans l'air, et une voix céleste annonce au monde que tout délai est passé. Le prélude est terminé. L'action commence (chap. XVI, 10-18). Cette action est encore triple; la lutte entra les deux puissances engagées, le ciel et l'enfer, qui se disputent l'empire du monde, se subdivise en trois combats ou rencontres partielles, chacune suivie d'une victoire de la bonne cause. Le premier combat se livrera contre Rome, mais le Ciel dédaigne de se souiller par un contact immédiat avec l'impure prostituée, la moderne Babylone. Elle sera châtiée par le roi qu'elle a rejeté, par Néron, devenu l'Antéchrist. Revenu avec les armées de l'Orient, il massacrera les habitants de sa capitale et la réduira en cendres (chap. XVII). 

La chute de Rome est l'objet de diverses manifestations. D'un côté, trois anges la proclament solennellement, l'un pour, dire qu'elle sera déserte, l'autre pour avertir les fidèles de ne passe laisser envelopper dans sa terrible catastrophe, le troisième pour montrer symboliquement l'éternité de sa condamnation. D'un autre côté, les humains qui avaient été les amis de Rome plaignent son sort. Il en est signalé trois classes : les rois vassaux, tenaient leur pouvoir de l'empire; les négociants, qui s étaient enrichis par le luxe de la capitale; enfin les marins et armateurs, qui faisaient le trafic avec elle (chap. XVIII). Par contre, le Ciel et les élus célèbrent la justice de Dieu et se réjouissent de ce qu'il a bien voulu, enfin, frapper le grand coup, le premier gage de l'établissement prochain de son royaume (chap. XIX, 1-10). Le second combat se livre entre l'Antéchrist et le Seigneur. Celui-ci apparaît triomphalement sur un cheval blanc, entouré des armées célestes. Son épée, c'est sa parole irrésistible et victorieuse. Un ange appelle les oiseaux de proie, qui doivent dévorer les ennemis. La victoire est si sûre et si facile que le prophète ne la décrit pas même. Le monstre et son associé sont jetés dans le gouffre de feu, leurs satellites périssent par le glaive du vainqueur (chap. XIX, 1121). A la suite de ce second combat, Satan est enchaîné pour mille ans dans l'abîme (chap. XX, 1-3). Le résultat heureux de cette seconde lutte, c'est la première résurrection, celle des martyrs, qui régneront mille ans avec le Fils de Dieu et jouiront ainsi d'un privilège, à l'exclusion de tous les autres morts (chap. XX, 4-6). 

Enfin vient le troisième et dernier combat. Après les mille ans, Satan, délivré de ses liens, va derechef ameuter les peuples contre la cité des élus. Il trouve des satellites aux extrémités de la terre, mais le feu du ciel dévore son armée et il est définitivement jeté dans l'enfer (chap. XX, 7-10). La victoire se transforme aussitôt en jugement. C'est le jugement dernier, précédé de la résurrection universelle de ceux qui n'avaient pas pris part au règne de mille ans. Leur sort est réglé d'après leurs actions, qui toutes sont consignées dans les livres de Dieu, et d'après le livre de la vie. Les uns sont réservés pour la félicité, les autres jetés dans le feu éternel (chap. XX, 11-15). Enfin commence pour les premiers la période du second âge du monde, celle du royaume de la béatitude sans fin. Un nouveau ciel, une nouvelle terre et sur celle-ci une nouvelle Jérusalem leur sont préparés, et l'imagination s'épuise dans la description de la splendeur de cette dernière, quoique les détails soient empruntés en partie aux anciens prophètes (chap. XXI-XXII, 5). » 

Cette analyse, que nous avons la bonne fortune de pouvoir emprunter à l'éminent exégète de Strasbourg, qui a si heureusement résolu quelques-unes des énigmes les plus difficiles de l'Apocalypse, à Edouard Reuss. sera complétée par un mot relatif à l'épilogue (chap. XXII, 6-21). Dans ces lignes finales, l'auteur insiste de nouveau sur l'importance de la révélation dont il déclare n'être que le fidèle interprète et adjure chacun d'en respecter la teneur. Il termine en disant que l'avenir annoncé va se dérouler incessamment.

Interprétation et commentaires.
Ce qui frappe tout d'abord le lecteur attentif de l'Apocalypse, c'est que, sous une grande variété de symboles et avec une complication d'épisodes, un enchevêtrement d'actions, de nature à inquiéter l'esprit, la matière mise en oeuvre si ingénieusement par l'écrivain se réduit, en somme, à quelques données très simples, correspondant exactement à ce que d'autres sources nous rapportent sur les espérances que nourrissaient les premières générations chrétiennes à l'endroit du retour du Christ et de l'établissement définitif de son règne. Il n'est pas besoin d'une longue étude pour voir que les sceaux , les trompettes et les coupes ne représentent pas des actes successifs du drame céleste, mais constituent des reprises; c'est le même thème qui revient sous trois formes différentes. En voici la preuve, en même temps qu'on reconnaîtra une certaine gaucherie dans l'exécution. Après le bris du sixième sceau, les fidèles sont mis à part pour échapper aux calamités annoncées et l'auteur les représente groupés devant le trône de Dieu dans le ciel (VII, 2-10). Après que la sixième trompette a retenti, les élus de nouveau obtiennent un lieu de retraite, qui est cette fois-ci le temple de Jérusalem. Recueillis dans l'enceinte sacrée, ils échapperont pendant trois ans et demi aux persécutions des païens et aux maux de toute nature déchaînés sur l'univers (XI, 1-14). Un peu plus loin, nous retrouvons les fidèles rassemblés autour de l'agneau sur la montagne de Sion (XIV;1). C'est évidemment une triple version d'un même épisode. 

Nous avons indiqué que la période de crise finale devait durer trois ans et demi; cette même donnée se retrouve dans le curieux tableau qui représente Israël donnant naissance au Messie, puis attaqué par le diable, en suite de quoi le Messie est recueilli dans le ciel et l'Eglise (Israël, selon l'esprit) se réfugie au désert pour trois ans et demi (chap. XII). Elle se rencontre une troisième fois au chap. XIII, quand on nous dit que la bête mystérieuse a reçu pour trois ans et demi le pouvoir de persécuter les saints, Il ne saurait être question de trois périodes de quarante-deux mois ou trois ans et demi (chiffre lui-même emprunté au Livre de Daniel); il est visible que l'écrivain, dans les différents passages, se propose d'indiquer une seule et même phase d'épreuve, qui doit précéder la lutte suprême. La succession des événements est donc la suivante : 

1° période finale de crise, d'une durée de trois ans et demi, marquée par une série de calamités extraordinaires et terminée par la ruine de Rome (désignée sous le nom de Babylone), la défaite de l'Antéchrist et du diable; 

2° le millénium, c.-à-d. règne du Messie pendant mille ans avec ses élus; 

3° révolte suprême du Diable et de ses alliés, qui sont vaincus; à cette crise dernière succède l'établissement définitif du royaume de Dieu. 

Si l'on fait abstraction des événements renvoyés à une date éloignée, comme le millénium et l'avènement du royaume messianique pour toujours, on voit que l'auteur se borne à annoncer à bref délai la destruction de l'empire romain et le triomphe des disciples du Christ sur les ruines de celui-ci. C'est là le fond de sa révélation : c'est là ce qui devait en faire la valeur aux yeux de son public. 

Rome est désignée sous le nom de la ville aux sept collines et avec une précision qui ne laisse aucune place au doute. Seulement, il va sans dire qu'il s'agit de la Rome impériale, la Rome d'un Néron ou d'un Domitien, persécutrice des chrétiens, et non, comme l'a inventé la polémique protestante, de la Rome de la papauté.
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Durer : Quatre Cavaliers de l'Apocalypse.
Les Quatre cavaliers de l'Apocalypse, par Abrecht Dürer (1498).

Un des traits les plus curieux du livre est l'importance donnée à un personnage représenté comme ayant exercé à Rome l'empire souverain, comme ayant succombé à une fin violente et comme devant revenir ultérieurement, à la tête d'une formidable coalition et en qualité d'Antéchrist, pour réduire Rome en cendres. Dans ce personnage, Reuss et, à sa suite, la plupart des critiques reconnaissent l'empereur Néron, et, dans l'analyse que nous avons donnée du livre, on l'a trouvé désigné nommément ainsi que Rome elle-même. Voici le passage capital sur lequel s'appuient ces auteurs :

« Les sept têtes (de la bête représentant l'empire romain) sont sept montagnes; ce sont en même temps sept rois. Les cinq premiers sont tombés; l'un est en vie; l'autre n'est pas encore venu et, quand il sera venu, il ne doit demeurer que peu de temps. Et la bête qui était et qui n'est plus est elle-même un huitième roi, en même temps qu'elle est l'un des sept premiersV » (XVII, 10-11). 
Un peu plus haut (XIII, 2 suiv.) il était question d'une blessure mortelle reçue par une des sept têtes, blessure à laquelle la bête avait miraculeusement réchappé. Par-dessus le marché, l'auteur nous dit que le nom du roi ou empereur qu'il vise particulièrement se ramène au chiffre 666. En d'autres termes , le principal personnage du grand drame qui va se jouer est un empereur ayant succombé à une fin violente , lequel va merveilleusement reprendre vie. Ce personnage ne peut être que Néron. 
« L'empire se personnifiant dans l'empereur, dit Sabatier, il ne faut pas s'étonner que le huitième empereur, l'Antéchrist attendu, soit, à son tour, représenté comme la bête elle-même. - Et la bête, dit notre auteur, qui était, qui n'est plus, sera le huitième. - Mais, ajoute-il, ce huitième empereur a été déjà l'un des sept premiers. C'est la tête qui avait été blessée à mort, et dont la blessure a été guérie. Le monstre, jeté dans l'abîme, va reparaître, au grand étonnement du monde entier, et réunira bientôt une armée de partisans. Avec les rois de l'autre côté de l'Euphrate et les dix proconsuls de l'empire qui se prononceront en sa faveur, il marchera contre Rome et se vengera d'elle en la détruisant. Est-il possible de s'y méprendre et de ne pas reconnaître Néron? Mais, dira-on, comment un homme de sens rassis a-t-il pu annoncer le retour de Néron comme huitième César, alors qu'il était du nombre des cinq premiers disparus? Que veut-il dire en le représentant comme la bête qui est blessée et qui est guérie, qui était et qui n'est plus et va bientôt remonter de l'abîme? A cette question les historiens romains nous donnent une claire réponse. Tacite et Suétone nous racontent, en effet, que le bruit se répandit surtout en Orient, sous le règne de ses successeurs, que Néron vivait encore. On disait tout bas que ses meurtriers ne l'avaient pas tué, mais seulement grièvement blessé, qu'il s'était réfugié chez les Parthes, d'où il allait bientôt revenir, suivant une antique prophétie, pour régner sur l'Orient et détruire Rome. Au moment même où Jean écrivait à Pathmos, un aventurier ressemblant de visage à Néron se faisait passer pour lui en Asie Mineure et dans les îles de l'Archipel, et y causait la plus grande agitation (Suétone, Nero, 57 et 38; Tacite, Hist., r, 2; II, 8-9; Dion Chrysostome, Orat., XXI; Livres sibyllins, V, v. 33; CIII, v. 74 ; Sulpice Sévère, Hist., II. Ce dernier écrivain, en rapportant cette légende, la met précisément en rapport avec Apocalypse, XIII, 3). L'auteur de l'Apocalypse partagea cette croyance générale en l'appropriant à ses espérances de chrétien. LEglise, en effet, avant le retour Messie, attendait la venue de l'anti-Messie (antéchrist). Quoi de plus naturel pour les chrétiens, tremblant encore de l'horrible persécution de l'année 64, que de voir cet Antéchrist dans le prince qui semblait avoir résumé dans sa personne tous les vices et toutes les cruautés, dans cet incendiaire de Rome, ce meurtrier de sa mère, ce roi de la populace, que l'enfer même n'avait pu retenir et qui ne pouvait reparaître d'une façon si prodigieuse que pour accomplir son grand rôle d'ennemi de Dieu et de l'Eglise! La dernière épreuve à laquelle cette explication reste soumise achève de la confirmer. L'auteur n'a pas donné de nom propre de l'Antéchrist; mais il l'a indiqué par un nombre, selon les procédés cabalistiques du temps : ce nombre est 666. A la fin du second siècle, la signification de ce chiffre n'était pas encore tout à fait oubliée. Quelques-uns y savaient encore lire le nom de Néron. Mais, plus tard, le sens de ce passage se perdit en même temps que celui du livre tout entier. La polémique acheva d'égarer l'exégèse. Les protestants se sont rattachés à une interprétation qui date d'Irénée et, dans le nombre 666, ont trouvé le mot Lateinos, c.-à-d. le pape. Les catholiques y ont lu par contre Lutheranos et présenté le docteur Martin Luther comme la bête de l'Apocalypse. Les piétistes anglais, allemands, suisses ont su y découvrir le nom de Bonaparte, etc. Plusieurs savants à la fois, parmi lesquels Reuss, à Strasbourg, Hitzig, à Heidelberg, Benory, à Berlin, Fritzsche, à Dalle, ont retrouvé la véritable interprétation. En écrivant en lettres hébraïques le nom de Néron César (empereur), on obtint exactement le nombre 666; n = 50, r=200; v=6; n= 50; q= 100 ; ç = 60 ; r = 200. ».
A joutons ici qu'il résulte d'un très intéressant mémoire d'Ambroise FirminDidot (Des Apocalypses figurées, Paris, 1870) que le sens primitif de l'Apocalypse, - sa double désignation de Rome comme la grande prostituée et de Néron comme l'Antéchrist, - s'est conservé en Espagne jusqu'au XIIe et, en partie même, jusqu'au XVIe siècle. En même temps le livre est rapporté, comme je le prétends moi-même, au temps de l'empereur Domitien.

Rome, persécutrice des chrétiens, Néron, leur premier et plus illustre bourreau, revenant à la vie, d'une part pour se venger de Borne qui l'a méconnu, de l'autre pour engager une lutte dernière contre le Messie, la victoire suprême de ce dernier, tous ces événements se déroulant dans le plus bref délai (ce terme si court est rendu par l'expression conventionnelle de trois ans et demi ou quarante-deux mois), voilà la matière de l'Apocalypse de saint Jean. 

Tout système d'explication du livre qui ne s'inspirera pas ne ces données fondamentales, ne pourra qu'induire le lecteur en erreur. Il n'en résulte cependant pas que toutes les questions soulevées par l'étude de cet intéressant écrit puissent être considérées comme vidées; et, au premier rang, nous citerons la question de date. La tradition place le livre au temps de la persécution de Domitien; Reuss et ceux qui adoptent son système d'interprétation, autant dire l'ensemble des écrivains qui se placent au point de vue de la critique historique, le reportent aux temps qui précèdent la ruine de Jérusalem, soit en l'an 69 environ, après la mort de Néron. Ils s'appuient à cet égard sur le passage déjà cité, qui dit que cinq des sept empereurs qui précèdent la crise finale sont morts et que le sixième vit au moment où l'au teur écrit. Les cinq empereurs tombés étant : 1° Auguste, 2° Tibère, 3° Caligula, 4° Claude et 5° Néron, on estime que l'auteur de l'Apocalypse vivait sous Galba, lequel il aurait désigné comme l'empereur occupant le trône au moment où il tenait lui-même la plume. Mais cette interprétation est fort sujette à caution. Que l'auteur ait écrit après la mort de Néron, c'est ce qui résulte clairement de la con naissance qu'il montre de la manière dont ce monarque a perdu le trône et de la rumeur qu'il accueille concernant son retour en qualité de huitième roi, ayant été l'un des sept premiers. Est-on pour cela fondé à dire qu'il désigne, comme existant actuellement, Galba, le sixième empereur? On pourrait tout aussi bien admettre qu'il laisse de côté ces sortes d'intérimaires de l'empire qui s'appellent Galba, Othon, Vitellius et considère comme sixième empereur Vespasien, sous le règne duquel il aurait alors écrit. Cependant les personnes qui placent la composition de l'Apocalypse avant 70 de l'ère chrétienne insistent sur ce qu'au chapitre XI, les fidèles sont abrités dans le sanctuaire de Jérusalem, ce qui ne s'explique, disent-elles, que si cette ville n'avait pas encore succombé aux armes de Titus. Il n'est pas difficile de faire voir que l'on exagère la portée de ce passage. Est-ce, en effet, de la Jérusalem terrestre qu'il s'agit ici? Ne serait-ce pas, tout aussi bien, de la Jérusalem céleste? Nous avons déjà relaté deux endroits du livre, où ces mêmes élus sont représentés groupés dans le ciel et près de l'Agneau aux pieds du trône de Dieu (VII, 2-10) ou réunis près de l'Agneau sur la montagne de Sion (XIV, 1). Vouloir tirer de pareils textes la démonstration que l'auteur considère la ville de Jérusalem et son temple comme encore subsistants, est abusif. Veut-on que, pour augmenter la confusion, nous rappelions que, à la même époque, on nous figure l'Eglise comme réfugiée au désert (chap. XII)? Ce sont là des images et des symboles, dont on doit rechercher l'intention et le sens général; si on les presse pour en tirer des données chronologiques ou topographiques précises, on retombera dans les contradictions de l'ancienne exégèse. Nous n'admettons donc pas qu'on puisse conclure du tableau du chap. XI à l'existence de Jérusalem à l'époque où l'auteur de l'Apocalypse tenait la plume.

Reprenons cependant la liste des empereurs; on nous annonce que le septième, celui qui est à venir, n'occupera le trône que pendant peu de temps, afin de laisser la place au terrible. Antéchrist, Néron, qui est le huitième, bien qu'ayant appartenu à la série des sept premiers. Si nous supposons que l'auteur désigne Vespasien comme le sixième, actuellement vivant, le septième sera Titus, dont le règne fut en effet très court. Quant au huitième, nous devrons nommer Domitien. Qui empêche, en effet, que l'écrivain, lié par le chiffre conventionnel de sept empereurs, ait voulu représenter Domitien, le persécuteur des chrétiens, comme un nouveau Néron, comme Néron revenu à la vie? On nous arrêtera peut-être en ce point, en nous disant: Vous avez représenté l'écrivain comme vivant sous Vespasien; comment donc est-il si au courant de ce qui concerne Titus, ou Domitien? C'est ici que les auteurs du nouveau système d'interprétation de l'Apocalypse ont négligé un point important, à savoir que le genre apocalyptique s'associe généralement à la pseudonymie ou pseudépigraphie. L'écrivain, pour donner plus de poids à sa parole, se place à une époque plus reculée que celle où il vit en réalité. Ainsi l'auteur de l'Apocalypse, vivant en réalité sous Domitien, se sera donné comme contemporain de Vespasien, soit du sixième empereur. Cette supposition explique qu'il puisse nous annoncer le court règne de Titus, lequel appartenait déjà pour lui au passé. 

Cela nous amène directement à la question d'auteur. L'écrivain se nomme Jean et, à l'insistance avec laquelle il met ce nom en avant (I, 9 ; XXII, XII, 8), on doit comprendre qu'il s'agissait là d'un personnage puissant d'un grand crédit auprès des destinataires du livre, c.-à-d. tout particulièrement des sept principales églises de l'Asie proconsulaire. La tradition voit dans ce Jean l'apôtre du même nom; il nous semble probable que l'écrivain de l'Apocalypse a eu réellement l'intention de mettre sa prophétie sous le patronage de cet apôtre, de l'un des disciples immédiats de Jésus, dont la tradition rattache l'activité à la région même de l'Asie proconsulaire qui est ici visée. Nous estimons, en conséquence, que l'Apocalypse dite de saint Jean est l'oeuvre d'un anonyme, vivant au temps de Domitien, vers la fin du ler siècle, lequel se dérobe sons la figure vénérée de l'apôtre Jean, selon l'exemple que lui donnaient les principaux écrivains apocalyptiques des derniers temps du judaïsme.

L'examen de passages nombreux et importants de l'Apocalypse fait bien voir, en effet, que la date de 69, préconisée par la critique moderne comme étant celle de la composition du livre, ne lui convient absolument pas. Dès le début du livre (I, 10) l'auteur déclara qu'il a été honoré de ses visions « le jour du Seigneur ». 

Cette expression, qui est devenue le dimanche en français, n'était certainement pas en usage trente ans après la mort de Jésus, c. -à-d. avant la ruine de Jérusalem par Titus. L'auteur s'adresse aux « anges patrons » des églises de l'Asie proconsulaire, expression qui nous éloigne également des tout premiers temps du christianisme. La description des hérésies, dont sont affligées plusieurs desdites églises, ne s'explique pas davantage si l'on suppose une date aussi proche des origines. La manière dont il est parlé des persécutions endurées par les chrétiens se comprendrait mal s'il ne s'était écoulé un temps assez long depuis celles de Néron et si celles dont Domitien prit l'initiative ne venaient d'en renouveler la mémoire. C'est sous le coup de ces mesures de violence que l'écrivain a pris la plume et, inspiré par le souvenir de ses prédécesseurs, Daniel et autres, a entrepris de rendre le courage à ses coreligionnaires en leur annonçant que la période d'épreuves serait aussi courte que terrible et qu'elle aurait pour terme prochain le triomphe du Christ et des élus. Le développement mémé de la théologie, à laquelle se rattache l'auteur, indique une période moins rapprochée des commencements que l'année 69 et réclame que nous ajoutions vingt ou trente ans à cette date. Cela résulte de l'ensemble du livre, mais est tout particulièrement visible dans certains détails, comme l'inscription des noms des douze apôtres sur les murailles de la Jérusalem nouvelle. On voit clairement que le collège apostolique est pour l'écrivain une institution fermée, appartenant au passé; c'est ce qu'on ne saurait admettre que pour la fin du Ier siècle. 

Il reste à définir l'esprit de cette composition. L'école de Tubingen, qui a rendu de si grands services à notre connaissance des commencements du christianisme en faisant ressortir l'opposition des deux principales tendances qui s'y disputaient l''influence, rattache l'Apocalypse à l'opinion judéo-chrétienne la plus étroite, la plus antilibérale. Nous ne saurions accepter ce jugement. Sans doute, l'auteur trahit à chaque ligne son origine et ses préoccupations foncièrement israélites, mais il est de ceux qui, comme l'auteur de l'Épître aux Hé-breux, tirent à eux l'Ancien Testament en cherchant dans ses images la justification du christianisme. 
 

« Ces savants, dit justement A. Sabatier, se sont trompés sur le vrai caractère de l'Apocalypse en parlant, comme ils l'ont fait, du matérialisme religieux, du fanatisme juif, des conceptions étroites et grossières de son auteur. Ils ont eu le tort de prendra à la lettre la description et les symboles apocalyptiques. Ils ont oublié que c'est là un langage qu'il faut comprendre et traduire, une rhétorique dont le propre est de cacher les idées abstraites sous des images matérielles. Si l'on veut tenir compte de cette sorte d'expression plas-tique et creuser sous les symboles, on trouvera chez notre auteur une dogmatique et un genre de piété d'un spiritualisme aussi élevé que celui de la plupart des écrits du Nouveau Testament. »
 Il est visible, d'autre part, que l'auleur pseudonyme nourrit une vive haine à l'endroit de certains représentants du christianisme, dans lesquels on a cru pouvoir reconnaître saint Paul et ses partisans; c'est à eux, a-t-en soupçonné, que s'appliqueraient les reproches concernant les Nicolaïtes on les partisans de Jézabel (II, 6, 9, 14, 20). Il y a surtout la description du faux prophète (chap. XIII), lequel ressemble à un agneau et parle comme le dragon, qui séduit les humains et les pousse à adorer la bête, c.-à-d. l'empereur. Saint Paul na t-il pas prêché l'obéissance aux pouvoirs établis (Romains, XIII, 1-6)? On a donc pu soupçonner que l'écrivain visait certaine tendance chrétienne qu'il réprouvait, par exemple, les procédés plus ou moins conciliants de l'apôtre Paul à l'endroit du paganisme. On pourra également rapprocher la description du faux prophète de l'épisode de Simon le magicien dans le Livre des Actes (IX, 9, suiv.). Il est admis très généralement, d'autre part, que, sous le masque de ce même Simon, divers écrits pseudépigraphes du IIe siècle (Homélies Clémentines, Reconnaissances, Constitutions apostoliques) décrivent une lutte diaboliquement soutenue à Rome par Paul contre l'apôtre Pierre devant l'empereur Néron lui-même. C'est là, en somme, une question assez complexe et sur laquelle il n'est pas très aisé de faire la lumière.

En résumé, nous tenons l'Apocalypse de Saint Jean pour un produit littéraire appartenant à la fin du Ier siècle et qui serait inexplicable avant la persécution exercée par l'empereur Domitien; ce livre est pseudépigraphe et l'intention très probable de son auteur a été de placer son contenu sous le patronage vénéré de l'apôtre Jean. L'ouvrage a vu la jour dans l'Asie proconsulaire. C'est, d'ailleurs, avec grande raison qu'il a été placé dans la collection des écrits sacrés du christianisme. Soit par la valeur de sa forme, soit par l'élévation ou la délicatesse de ses idées, il était digne d'y figurer. 

On excusera la longueur des développements que nous avons consacrés à une oeuvre dont le contenu a passé pendant longtemps pour la formule même de l'obscurité et de la complication. Si toutes les questions relatives au sens, à l'origine, à l'auteur et à la tendance de l'Apocalypse n'ont pas encore reçu une solution définitive, c'est toutefois une grande satisfaction de penser que le secret de la composition du livre a été pénétré et que le champ de l'inconnu s'est limité pour nous, en cette matière, à des points secondaires. En ce qui concerne cet écrit, comme maint autre de la collection de l'Ancien ou du Nouveau Testament, la sagesse recommande de ne pas compromettre les résultats obtenus en rendant le système général d'interprétation, qui est inattaquable, solidaire des explications que l'on est tenté de préférer sur des détails de plus ou moins grande importance. (Maurice Vernes).

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