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Tacite

Tacite, C. Cornelius Tacitus, est le plus célèbre des historiens latins. La biographie de Tacite est peu et mal connue. Pendant longtemps, on ne savait même pas quel était son prénom. Une inscription grecque, trouvée en Asie, l'a finalement révélé. Tacite s'appelait Publius Cornelius Tacitus. On ne sait pas exactement en quelle année ni où il naquit. D'après Nipperdey, Tacite naquit en 54 ap., J.-C.; d'après Urlichs et Teuffel, en 55 ou 56. Quant au lieu de sa naissance, on a cru que c'était la ville italienne d'Interamna (auj. Terni), en Ombrie. Mais cette opinion repose uniquement sur la prétention qu'avait l'empereur Tacite de descendre de Tacite l'historien. Comme Tacite l'empereur était originaire d'Interamna, on a voulu en conclure, sans raison aucune, que l'historien était né dans la même ville. En réalité, on ignore totalement où il naquit. 
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Tacite (portrait imaginaire).

Tacite appartenait à une famille aisée et considérée. Son père était peut-être chevalier romain. Tacite reçut une éducation très soignée. Il se prépara à la carrière d'avocat. Il suivit avec attention les grands procès, où les premiers orateurs de son temps, Marcus Aper et Julius Secundus, faisaient assaut d'éloquence. Il profita de leurs leçons ; il devint lui-même un orateur éloquent et garda toujours dans son style un tour oratoire. Mais il ne se consacra pas tout entier au barreau. Il entra très jeune dans la carrière des honneurs; sa fortune politique, commencée par Vespasien, favorisée par Titus, devint plus brillante encore sous Domitien. Malheureusement, les renseignements précis nous font défaut sur les diverses étapes de son cursus honorum : on a supposé que Tacite avait été tribun militaire sous Vespasien, questeur sous Titus soit en 79, soit en 81, tribun de la plèbe ou édile sous Domitien en 82 ou 84. En 88, l'année même où Domitien célébra des jeux séculaires, Tacite était préteur et quindecemvir sacris faciundis : nous lui devons ce renseignement à lui-même (Annal., XI, 11). Après avoir géré sa préture, Tacite quitta Rome pendant quelques années : son absence dura trois ans d'après les uns, de 90 à 93, six ans d'après les autres, de 90 à 96. 

On ne sait pas ce qu'il fit pendant ces années. On a supposé, mais sans raison sérieuse, qu'il fut alors, soit légat de légion à l'armée du Rhin, soit légat propréteur de la Gaule Belgique. Rien ne nous autorise à admettre ces hypothèses. De retour à Rome, il fut consul suffect en 97 ou 98, sous le règne de Nerva. Pendant son consulat, il prononça l'éloge funèbre de T. Verginins Rufus. L'année suivante, il fut chargé par les habitants de l'Afrique proconsulaire, en même temps que son ami Pline le Jeune, d'accuser le proconsul Marius Priscus, qui sortait de charge et qui s'était rendu coupable de nombreuses malversations au détriment des Africains. Tacite et Pline s'acquittèrent avec éclat de la mission qui leur avait été confiée. Marius Priscus fut condamné à l'exil par le Sénat. Tacite fut peut-être proconsul d'Asie vers l'année 110 ap. J.-C. (Bulletin de correspondance hellénique, ann. 1890, p. 621; R. Cagnat, l'Année épigraphique, 1890, n° 110).

On ne sait rien des dernières années de sa vie. Il est vraisemblable qu'il vivait encore à l'avènement d'Hadrien; il mourut entre les années 117 et 120, peut-être en 119. Sa carrière politique fut brillante. Il fut l'ami de Pline le Jeune et des principaux écrivains de son temps. En 78, il avait épousé la fille de C. Julius Agricola. Il joua donc un rôle assez important dans la société romaine de la fin du Ier siècle et du commencement du second. Mais ce n'est pas à ce titre qu'il est connu; sa véritable gloire, il la doit à ses oeuvres, à son talent historique et littéraire.

Les ouvrages de Tacite.
Des ouvrages qui nous sont parvenus sous le nom de Tacite, il en est quatre dont l'attribution n'a jamais soulevé la moindre discussion : ce sont la Vie d'Agricola, la Germanie, les Histoires et les Annales. Un cinquième ouvrage, le Dialogue des orateurs, a, au contraire, donné lieu à de nombreuses controverses. On l'a attribué à Quintilien, à Pline le Jeune, à Suétone. On a fait remarquer qu'il y avait une grande diversité de style entre cet opuscule et les autres ouvrages de Tacite. Mais  les meilleurs critiques sont d'accord pour compter le Dialogue des orateurs parmi les oeuvres de l'historien; ce fut son premier essai, à l'âge où il sortait à peine de l'école, et c'est là ce qui explique pourquoi son style n'avait pas encore l'originalité puissante qu'il acquit plus tard. Nous nous rangeons à cette opinion et nous citerons ici le Dialogue des orateurs au même titre que les autres écrits de l'historien.

Tacite avait l'intention d'écrire également l'histoire des règnes de Nerva et de Trajan (Historiae, I, 1); il n'eut probablement pas le temps de mettre ce projet à exécution. Il se proposait aussi de raconter l'histoire d'Auguste (Annal., III, 24). Nous ignorons d'autre part s'il publia ses discours. Pline le Jeune fait le plus grand éloge de son éloquence : il cite en particulier l'oraison funèbre de Verginius Rufus et le réquisitoire contre Marius Priscus. Pour caractériser cette dernière harangue, il emploie le mot grec semnôs. Nous pouvons en conclure que l'éloquence de Tacite était plutôt grave, imposante et majestueuse qu'enjouée et souriante.

Le Dialogue des Orateurs, la Vie d'Agricole, la Germanie nous sont parvenus au complet. Il n'en est pas de même, malheureusement, pour les deux oeuvres capitales de Tacite : les Histoires et les Annales.

Le Dialogue des orateurs.
Dans l'opuscule, connu sous le nom de Dialogue des Orateurs (Dialogus de Oratoribus), Tacite essaie de montrer pour quelles causes l'art oratoire est tombé en décadence depuis l'établissement de l'Empire. Il met en scène plusieurs écrivains et orateurs, contemporains de Vespasien, le poète Curiatius Maternus, les orateurs Marcus Aper, Julius Secundus, Vipstanus Messala. L'orateur Aper, que Tacite semble avoir pris surtout pour interprète de ses idées, est un fervent de l'art oratoire; mais il ne veut pas que cet art se borne à imiter les Anciens et il attaque très vivement l'école cicéronienne. Un autre interlocuteur, Messala, s'en prend à la rhétorique et aux écoles de déclamation; il montre finement combien de telles habitudes sont funestes à la véritable éloquence. L'intérêt historique du Dialogue des Orateurs ne le cède en rien à sa valeur littéraire. On ne sait pas à quelle époque précise Tacite l'écrivit; mais il place en 75 ap. J.-C. la conversation qu'il prétend rapporter.

La Vie d'Agricola.
La Vie d'Agricola (De Vita et Moribus Julii Agricolae) fut écrite ou du moins publiée en 98 ap. J.-C. Il faut y voir surtout un hommage sincère rendu par Tacite à la mémoire de son beau-père. L'auteur n'a pas non plus laissé échapper l'occasion d'attaquer, à propos d'Agricola, la mémoire de Domitien. Cet ouvrage, dans lequel nous sont retracés quelques-uns des épisodes les plus importants de la conquête de la Bretagne par les Romains, est sans doute précieux pour l'historien : mais la rhétorique n'en est pas complètement bannie et l'impartialité pourrait bien souvent en être contestée.

La Germanie.
La Germanie (De Germania) fut écrite par Tacite en 98 d'après les uns, entre 98 et 100 d'après les autres. Le titre de cet ouvrage varie suivant les manuscrits : De origine et situ Germanorum; De origine, situ, moribus ac populis Germanorum. De nombreuses hypothèses ont été faites à propos de cet opuscule. On a supposé, par exemple, que Tacite avait visité les parties de la Germanie voisines de la frontière romaine, soit au début de sa carrière comme tribun des soldats, soit plus tard pendant son prétendu commandement d'une légion sur les bords du Rhin. Aucun fait précis ne justifie de telles hypothèses. Tacite semble assez bien renseigné; mais il a pu puiser ses renseignements dans le grand ouvrage, aujourd'hui perdu, de Pline le Jeune sur les guerres de Germanie, ou les recueillir de la bouche de soldats ou de prisonniers germains. Il n'y a pas non plus lieu de croire que Tacite ait eu surtout l'intention d'écrire un pamphlet contre ses contemporains. Il est vrai qu'il y a dans la Germanie des allusions et des comparaisons défavorables aux Romains de son temps; mais ce n'est certainement pas pour ces allusions et ces comparaisons que l'ouvrage entier a été composé.

Les Histoires.
Dans les Histoires (Historiae), Tacite racontait l'histoire de son temps, les événements auxquels il avait assisté, auxquels même il avait été mêlé. L'ouvrage commençait à la mort de Néron, comprenait les règnes de Galba, d'Othon, de Vitellius, de Vespasien, de Titus et de Domitien. Il se composait probablement de douze livres, peut-être de quatorze. Nous n'en possédons que les quatre premiers et une partie du cinquième, qui racontent l'histoire des années 69 et 70. Tacite écrivit les Histoires sous le règne de Trajan. On ne sait quand elles furent terminées et publiées.

Les Annales.
Les Annales, qui sont intitulées dans les manuscrits Ab excessu divi Augusti, comprenaient toute la période qui s'étend entre la mort d'Auguste et celle de Néron. Si donc les Histoires et les Annales s'étaient conservées intactes, nous aurions, de la main de Tacite, une histoire suivie des empereurs romains de l'an 14 à l'an 96 ap. J.-C. Les Annales, dans lesquelles, comme l'indique le nom même donné à l'ouvrage, les événements sont exposés année par année, étaient divisés an moins en seize livres, et peut-être en dix-huit. Nous en possédons aujourd'hui les quatre premiers complets, des parties du Ve et du VIe, les livres XI-XV intacts, le livre XVI incomplet. Il nous manque tout le règne de Caligula, le début du règne de Claude jusqu'en l'année 47, les deux dernières années (66-68) du règne de Néron. Les Annales furent écrites entre les années 115 et 117; on admet qu'elles furent publiées en 116 ou pendant les premiers mois de 117.
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L'armée de Germanicus rend les honneurs funèbres 
aux restes des légions de Varus.

[Les restes des légions de Varus avaient été abandonnés dans les forêts de la Germanie.]

« Un désir religieux pénètre l'âme du prince de rendre les derniers devoirs aux légions et à leur chef, et une égale pitié pénètre l'armée présente, au souvenir de tant de proches et d'amis, des hasards de la guerre et de la destinée des hommes. Cécina est envoyé devant pour sonder la profondeur des bois et jeter des ponts sur les marais et des digues sur les terrains fangeux; le reste des soldats s'avance dans ces lieux désolés, dont l'aspect funèbre réveille tant de tristes souvenirs.

D'abord, le camp de Varus, avec sa large étendue et ses dimensions, montrait la place des trois légions. Ensuite, le retranchement renversé, le fossé presque comblé, indiquaient le lieu où l'armée, déjà détruite, avait fait une dernière résistance. Au milieu, paraissaient des ossements blanchis, dispersés ou entassés, suivant que les bataillons avaient fui ou avaient résisté; on voyait de même des débris de traits, des membres de chevaux, des têtes humaines attachées au tronc des arbres; dans les bois voisins s'élevaient les restes des autels barbares, où avaient été immolés les tribuns et les premiers centurions.

Et ceux qui avaient survécu à ce désastre ou qui avaient rompu leurs chaînes marquaient les lieux où les lieutenants avaient succombé, où les aigles avaient été enlevées. Ici Varus avait reçu une première blessure; là, de sa main malheureuse, il avait trouvé la mort par un coup fatal. Sur ce tribunal, Arminius avait harangué ses soldats : en cet endroit, il avait fait dresser les instruments du supplice des captifs; en cet autre, il avait creusé des fosses profondes; ailleurs il avait traîné nos drapeaux et nos aigles, ajoutant l'outrage à la victoire.
Ainsi l'armée, six ans après cette sanglante défaite, rendait les derniers honneurs aux ossements des trois légions, et comme personne ne reconnaissait dans ces misérables restes les cadavres des Romains ou des Barbares, les soldats, émus de rage et de douleur, confiaient à la terre tous ces ossements, comme si tous eussent été ceux de leurs frères ou de leurs compagnons, et s'encourageaient à la vengeance contre leurs ennemis. » (Tacite, Annales.)

Une appréciation de l'oeuvre.
C'est l'historien qu'il convient surtout d'étudier chez Tacite. Tacite puisa à des sources abondantes et variées les matériaux de ses ouvrages historiques. Il consulta les documents officiels; il compulsa les historiens et les annalistes antérieurs; il recueillit un grand nombre de traditions orales et se fit même quelquefois l'écho de simples bruits qui couraient dans la société romaine. Parmi les documents officiels, il recourut aux Acta populi ou Acta diurna, chronique officielle de Rome, aux Acta senatus, procès-verbaux officiels des séances du Sénat romain, aux Commentarii des empereurs, registres où étaient mentionnés les principaux actes des souverains. Il signale aussi le parti qu'il tira des Mémoires d'Agrippine (Agrippinae Commentarii). Comme historiens ou annalistes dans lesquels il a puisé, Tacite mentionne Pline l'Ancien (C. Plinius), Vipstanus Messala, Cluvius, Fabius Rusticus. Sisenna. Outre ces indications précises, il se réfère souvent aux Scriptores annalium, auctores, etc. Enfin; il n'a garde de dédaigner ce qu'il a appris oralement dans les conversations qu'il a eues avec ses amis. Ayant été fonctionnaire public et magistrat, ayant parcouru jusqu'au consulat la carrière des honneurs, ayant vécu à la cour de Domitien, ayant vu de très près la haute société romaine, il savait certainement beaucoup de choses qui n'avaient été nulle part consignées par écrit; il était au courant de tous les bruits, de toute la chronique mondaine et scandaleuse de la Rome impériale. Que Tacite ait eu à sa disposition les documents les plus abondants et les plus variés, depuis les actes officiels jusqu'aux médisances les plus secrètes, voilà qui ne fait guère de doute. Mais il s'agit de savoir comment il usa de ces matériaux, et s'il n'usa que d'eux seuls.

Il est aujourd'hui prouvé que Tacite n'hésitait pas à prendre des libertés avec les documents les plus précis. La comparaison entre le texte qu'il a donné du discours prononcé par l'empereur Claude dans le Sénat en faveur des notables de la Gaule chevelue (Annal., XI, 24) et le texte officiel de ce même discours, tel qu'il nous a été conservé en partie sur une plaque de bronze trouvée à Lyon, démontre que Tacite a refait ce discours. Il est d'autre part à peu près certain qu'il a entièrement composé le discours placé dans la bouche du chef breton Galgacus (Agricol., 39-32). Tacite a donc suivi, en cette matière, une méthode analogue à celle de Tite Live. Il a écrit l'histoire en orateur, en écrivain plus qu'en véritable historien. Il n'a pas su non plus observer et raconter les événements avec une impartialité suffisante. La biographie d'Agricola est à coup sûr d'une sincérité parfaite; Tacite n'a pas inventé les exploits de son beau-père, ni ses talents de général, ni l'habileté de sa politique envers les Bretons. Mais il a forcé la note; comme on l'a dit, d'un brave capitaine et d'un administrateur assez adroit, il a fait un héros; il a élevé une statue en pied à qui méritait un simple médaillon. 

Enfin, il ne faut pas oublier que Tacite appartenait, sinon de naissance, du moins par goût, par relations, par tendance, à cette aristocratie romaine qui fit aux empereurs du Ier siècle une sourde et incessante opposition, qui ne sut pas oublier ses intérêts personnels, somme toute, assez mesquins, pour reconnaître les avantages du nouveau régime institué par Auguste, et qui, impuissante à réformer les abus dont souffrit la République romaine pendant le dernier siècle de son existence refusa longtemps de pardonner aux empereurs les mesures qu'ils prirent pour y mettre un terme. Nous n'avons certes pas l'intention de prendre contre Tacite la défense d'un Claude, d'un Néron, d'un Vitellius, mais justice a été déjà faite de plusieurs accusations portées par lui contre Tibère; les documents et les textes, étudiés de près par les historiens modernes, ont permis d'en appeler des jugements passionnés de Tacite sur cet empereur et sur Domitien à la science mieux informée et vraiment impartiale.

Ce n'est pas à dire pourtant que Tacite fût un ennemi intransigeant du régime impérial. Il fut un des fonctionnaires de ce régime; il exerça, sous Domitien peut-être l'édilité ou le tribunat de la plèbe, certainement la préture; il vécut dans les cercles officiels, dans le monde de la cour. Lui-même a résumé, en une de ces formules qu'il aimait, sa politique générale, lorsqu'il a écrit (Vie d'Agricola, 3) : 

« L'avènement de Nerva a uni deux choses jadis impossibles à allier, le principat et la liberté » (res olim dissociabiles miscuit, principatum ac libertatem).
Il acceptait le régime créé par Auguste, à condition que l'empereur respectât les libertés nécessaires. Mais, même sur ce terrain, son horizon était très borné. Il ne songeait pas aux provinces, qui constituaient alors la partie de beaucoup la plus importante du monde romain. Il se préoccupait uniquement de cette aristocratie romaine, plus frondeuse que vraiment éprise de liberté, et qui en tout cas, comme elle l'avait montré depuis la fin des guerres puniques jusqu'à la dictature de César, ne réclamait la liberté que pour elle seule et pour en abuser contre les autres. Il partageait les préjugés de son temps contre les juifs, les chrétiens, les barbares.

Le sens historique a manqué à Tacite. Il est moins un historien, au sens où nous entendons ce mot aujourd'hui, qu'un psychologue et un moraliste. Il a vu dans les événements qu'il racontait des actions individuelles; c'est dans la psychologie des empereurs, de leurs favoris, de leurs conseillers, de leurs adversaires, de leurs généraux, de leurs fonctionnaires qu'il a cherché les causes de ces événements, il a ignoré ou négligé tout ce qui n'était pas, dans l'histoire, l'action de l'homme, même l'action de l'individu. Il a profondément et admirablement scruté la psychologie humaine; il a fouillé impitoyablement au plus profond des cerveaux et des cours pour y découvrir les pensées justes ou fausses, les passions bonnes ou mauvaises qui faisaient agir les personnages; non seulement il les a mises à nu les unes et les autres, mais il les a jugées, il en a apprécié la valeur morale. Et c'est en ce sens qu'il a bien été, suivant le mot de Racine, le plus grand peintre de l'Antiquité. En outre, son passage à la cour, son contact prolongé avec la société en général hypocrite et corrompue qui vivait à Rome de son temps, sa connaissance approfondie du monde officiel en firent un juge défiant, pessimiste, porté à chercher le mal partout et toujours même sous des apparences favorables. 

« Tacite, a dit Nisard, ne calomnie pas; mais il est prévenu. »
C'est un psychologue pessimiste, un moraliste sévère et morose. Nous devons à ce caractère de Tacite des pages admirables, auxquelles le lettré prendra toujours un plaisir infini et qui lui procureront une émotion profonde, mais dont l'historien, soucieux avant tout de découvrir la vérité, devra peser avec le plus grand soin et contrôler minutieusement toutes les lignes, tous les termes.

Tacite est un des plus grands écrivains de Rome. L'originalité de son style est puissante. Elle l'est d'autant plus que Tacite se créa son style à lui-même à force de travail et de volonté. Il est facile d'en suivre les progrès depuis le Dialogue des orateurs jusqu'aux Histoires et aux Annales. Dans le Dialogue des orateurs, on sent encore l'influence de l'école. La phrase s'y déroule avec ampleur, inspirée par la période cicéronienne; déjà pourtant des images vigoureuses, des expressions concises et comme ramassées sur elles-mêmes, annoncent le maître futur. Dans la Vie d'Agricola et dans la Germanie, l'influence de Cicéron est à peu près complètement écartée; mais on sent celle de Salluste, dont le style avait plus d'affinités avec le talent sobre et nerveux de Tacite. C'est dans les Histoires et les Annales que Tacite se révèle vraiment comme un grand écrivain. 
« Les muscles et les nerfs, a-t-on dit justement, y dominent plus que la grâce. »
Les qualités essentielles en sont la vigueur, le coloris, la sobriété. Chaque mot porte. Les images y sont frappantes.

La pensée est concentrée en phrases courtes, sans ornements fleuris, sans ambages inutiles. Il n'y a pas là de superflu; à peine quelquefois y trouve-t-on le nécessaire. Le style de Tacite est souvent obscur, à force de concision. Si l'on devine l'énigme, on est émerveillé de la puissance de l'écrivain, qui a fondu en un seul mot toute une phrase; mais il n'est pas toujours facile de la deviner. La lecture de Tacite exige une attention soutenue, un réel travail; mais pour qui peut sentir toutes les nuances de cette langue âpre et forte, il y a là une source abondante de sincère et profonde émotion esthétique.
(J. Toutain).



Editions anciennes - La 1re édition de Tacite est de Venise, 1469; les meilleures sont celles d'Ernesti, Leipz., 1752; de Brottier, 1772, avec des Suppléments estimés; de Leipz., 1801, due à Oberlin, et reproduite, avec Notes de Naudet, dans les Classiques latins de Lemaire; de Doederlin, Halle, 1841-47; d'Orelli, Zurich, 1848. Cet auteur a été traduit dans toutes les langues; les principaux traducteurs français sont : Perrot d'Ablancourt Amelot de la Houssaye, avec notes historiques et politiques, La Bletterie, Dotteville, Dureau de la Malle, 1780, Burnouf (1827 et ann. suiv., 6 vol. in-8, avec le texte et de savantes notes); Panckoucke (1830-38, 7 vol. in-8); Ch. Louandre (dans la collection Charpentier) : la trad. la plus estimée est celle de Burnouf.
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