Jalons |
Continuation
de l'influence de Platon et d'Aristote
Il ne faudrait pas croire que les philosophes
proprement dits de la Renaissance aient
secoué le joug de toute autorité philosophique. Jusque chez ceux-lÃ
même qui font sonner le plus haut leur affranchissement, les survivances
du platonisme ou de l'aristotélisme
sont très frappantes.
«
Quiconque, dit E. Saisset, dépouillera les conceptions de ces ardents
génies de certaines formes bizarres qui leur prêtent une apparente originalité,
s'assurera qu'il n'en est pas un seul qui n'ait sa source prochaine ou
éloignée dans les deux grandes écoles de la Grèce, celle d'Aristote
et celle de Platon. On a beau s'exalter à Florence et à Rome, on a beau
raffiner à Bologne et à Padoue; on a beau courir le monde et les Universités,
faire retentir Genève, Paris, Oxford, Wittemberg de ses protestations
contre la routine et l'Antiquité; cette Antiquité sainte dont on dissipe
le prestige, c'est par une autre Antiquité qu'on veut la remplacer. Le
platonisme et l'aristotélisme, telles sont les deux machines de guerre
dont on se sert pour miner et abattre la scolastique. »
Un grand nombre de doctrines, il est vrai,
sont remises en honneur pendant la Renaissance, mais, ce sont, en effet,
celles de Platon et d'Aristote
qui exercèrent la plus grande influence sur les philosophes de cette époque.
L'influence d'Aristote fut prépondérante dans l'école de Padoue
et dans celle de Bologne ,
celle de Platon dans l'école de Florence.
Le renouvellement
du platonisme et du pythagorisme.
Le platonisme
et le pythagorisme sont renouvelés, en
Allemagne ,
par le cardinal Nicolas de Cues (XVe
siècle), précurseur en astronomie de
Copernic; en Italie ,
par Marsile Ficin, par Pic
de la Mirandole et par Patrizzi . Ramus,
en France ,
oppose Platon à Aristote.
Nicolas
de Cues (1401-1464).
Le cardinal Nicolas
de Cues, né en Allemagne, combine la philosophie de Platon avec la
théorie pythagoricienne des nombres. Il croit que Dieu
se révèle par des symboles mathématiques, tout en demeurant inaccessible
en lui-même. Il admet le Dieu-unité de Pythagore
et la coïncidence des contradictoires.
«
Ce maximum de grandeur (Dieu), c'est aussi l'absolu, l'Un-tout, ce qui
est en tout et a tout en lui, le plus grand et le plus petit; car rien
ne peut lui être opposé; bien plus l'ètre et le non-ètre. » (De
doct. ignor., I, ii) .
Nicolas de Cues conçoit
la nature, avec Aristote, comme une aspiration
universelle et spontanée au meilleur.
«
Par l'effet d'un don divin, dit-il profondément, chaque chose porte en
elle un certain désir naturel d'arriver à l'état le meilleur que sa
nature comporte, et d'agir en mettant en oeuvre les instruments nécessaires
à cette fin [...]. Ainsi, par le poids de sa propre nature, elle atteint
le repos dans le sein de l'objet aimé. »
De là il déduisait
non moins profondément la règle de l'évidence comme signe de la vérité,
et il voyait dans cette évidence le repos de l'amour dans l'objet aimé
:
«
Toute intelligence saine et libre, remplie du désir de voir et de parcourir,
embrassera donc amoureusement la vérité trouvée ; car nous ne doutons
pas qu'une chose ne soit parfaitement vraie lorsque aucun entendement sain
ne peut s'empêcher de la reconnaître. Dans toute investigation, nous
comparons ce qui est supposé certain avec ce qui est incertain, et, par
la proportion, nous jugeons du dernier. » Ibid.
Les
nouveaux cabbalistes.
Le platonisme
est favorisé en Italie
par les Médicis, comme une philosophie soeur
du christianisme. Marsile
Ficin traduit, commente et admire Platon.
Cosme de Médicis fonde en 1460
une académie platonicienne. Pic
de la Mirandole, le Pascal de son siècle,
combine Platon avec Moïse et avec la Cabbale.
Agé de dix-neuf ans, il propose à tous les savants une sorte de carrousel
philosophique à Rome, et se déclare prêt
à soutenir neuf cents thèses, de omni re scibili.
-
Pic
de la Mirandole.
Le médecin Paracelse,
le grand mathématicien Cardan, associent au mysticisme
'néo-platonicien
la théurgie et la magie,
fondée sur ce principe que, le monde étant une hiérarchie de forces
divines, il suffit de s'assimiler les forces supérieures pour commander
aux forces inférieures. Les découvertes scientifiques, comme la règle
de Cardan pour la solution des équations du troisième degré, se mêlent
aux extravagances de la Cabbale et de la théosophie.
Giordano
Bruno (1548-1600).
Giordano
Bruno naquit à Nole près de Naples.
Jeune encore il entra dans l'ordre des Dominicains,
mais il en sortit bientôt pour mener une vie errante et très agitée.
Il parcourut l'Italie ,
la Suisse ,
la France ,
l'Angleterre ,
l'Allemagne ,
prêchant partout ses doctrines, mais avec peu de succès, aussi bien auprès
des protestants qu'auprès des catholiques.
Revenu en Italie, il fut livré à l'Inquisition
qui le condamna comme apostat et hérétique à être brûlé. Il avait
écrit un grand nombre d'ouvrages, la plupart en langue
italienne, dont les principaux sont : de la Cause, du Principe et
de l'un, de l'Univers infini et des mondes, de la Monade, du Nombre et
de la figure.
Deux idées dominent
toute la philosophie de Bruno, celles de l'infinité
et de l'unité des mondes. Il adopte un des premiers
le système de Copernic, pour qui la Terre
n'est plus le centre immobile du monde, mais se meut comme les autres planètes
autour du Soleil .
Le soleil lui-même pour Bruno n'est qu'un centre partiel, et notre système
solaire
qu'un monde parmi d'autres innombrables. Avec quel enthousiasme il célèbre
ces myriades d'astres et de mondes, ces conciles d'étoiles, comme il s'exprime,
ces conclaves de soleils dont la pensée ravit et transporte son imagination.
Cet univers illimité est le trône de Dieu ,
ou plutôt c'est Dieu lui-même, car Dieu est l'âme, la forme et la vie
des choses, partout présente, partout agissante, dont les forces
qui s'agitent dans le monde ne sont que des manifestations diverses. Il
ne faut voir dans nos âmes et dans nos corps que « des effluves divins,
fulguration éphémère de la substance cosmique. » Dieu, la monade
des monades, est donc tout à la fois le minimum et le maximum, le minimum
puisque tout sort de lui, le maximum puisque tout est en lui. La doctrine
de Bruno, comme on le voit, est un panthéisme
mystique, qui n'est pas sans analogie avec celui des Alexandrins.
«
Lorsqu'on lit Bruno avec quelque attention, dit Bartholmess, on s'aperçoit
bien vite qu'il s'était nourri et pénétré des Ennéades, autant et
plus que de certains dialogues platoniciens. A l'entendre, Plotin est le
prince du platonisme, il principe. »
Ramus
(1515-1572).
C'est l'Italie
qui fournit les principaux philosophes de la Renaissance.
Toutefois, il en est un en France
qu'il est impossible de passer sous silence à cause de l'influence qu'il
exerça sur les esprits de son époque; ce philosophe est Pierre
la Raméeou Ramus, le premier antagoniste
d'Aristote à l'université de Paris.
Né en Picardie
d'une famille très pauvre, en 1515,
il se rend à pied à Paris, presque enfant encore, pour y étudier; il
se fait domestique d'un écolier au collège
de Navarre, sert son maître pendant la journée et passe la moitié
des nuits dans la lecture, à la lumière gratuite de la lune. Après trois
ans et demi d'études sur Aristote, il découvre qu'il n'a rien appris.
Platon lui révèle une méthode
de libre dialectique qui l'enchante.
«
Quid plura? caepi egomet sic mecum cogitare : hem! quid vetat paulisper
socratizein? »
A l'âge de 21 ans,
pour obtenir le grade de maître ès arts, il soutint dans une thèse publique,
au sein de l'Université la plus péripatéticienne,
que l'enseignement d'Aristote n'était qu'un mensonge. Son livre est brûlé
par arrêt du roi, et des feux de joie accueillent cet arrêt.
A partir de ce moment,
Ramus n'eut qu'une pensée; comme c'était en grande partie par la logique
que régnait Aristote, c'est sur ce terrain
qu'il entreprit de le combattre. Il composa dans ce but deux ouvrages intitulés,
l'un : Remarques sur Aristote, l'autre : Institutions dialectiques,
qui soulevèrent contre lui des oppositions passionnées. Pour rendre populaires
ses idées logiques, il écrivit même quatre-vingts ans avant le Discours
de la Méthode ,
une dialectique en langue française,
qu'il dédia au cardinal Charles de Lorraine. Il avait obtenu une chaire
de philosophie au Collège de France
récemment fondé par François Ier;
on l'en déposséda. Il abjura le catholicismepour
se faire calviniste. Cette abjuration lui
valut des sympathies dans le monde protestant, mais augmenta le nombre
de ses adversaires à Paris. Obligé de quitter
cette ville, il y rentra et s'y trouva pendant les massacres de la Saint-Barthélemy.
Il tomba, Ã la fois comme protestant
et platonicien, sous les coups d'une bande
d'assassins excités contre lui, a-t-on dit, par un fanatique partisan
d'Aristote, Charpentier, un de ses collègues
au Collège de France. Que penser de la réforme de Ramus?
«
Il faut bien reconnaître aujourd'hui, dit avec raison F. Bouillier, que
ses attaques contre la logique, la physique et la métaphysique d'Aristote,
sont plus passionnées que profondes, qu'il n'a rien laissé qui pût prendre
la place de ce qu'il attaquait, et que sa réforme est plutôt littéraire
et morale que philosophique. »
Néanmoins Ramus eut
de nombreux partisans non seulement en France, mais dans les pays voisins,
surtout parmi ceux qu'on a appelés les humanistes. On opposa assez longtemps
la logique de Ramus à celle d'Aristote, et il se constitua deux partis
bien tranchés parmi les dialecticiens de l'époque : les ramistes et les
aristotéliciens.
L'école sensualiste
péripatéticienne.
En même temps qu'on
opposait à Aristote Platon,
on opposait aussi Aristote à lui-même. La scolastique,
en effet, n'avait connu qu'un faux Aristote, qu'elle avait concilié plus
ou moins artificiellement avec le christianisme. On en appela de l'Aristote
mal compris à l'Aristote authentique, étudié dans les textes mêmes.
Les nouveaux interprètes se divisèrent en deux camps, les uns qui interprétaient
Aristote dans le sens panthéiste d'Averroès,
les autres, dans le sens déiste du commentateur
ancien Alexandre d'Aphrodise. Les
uns et les autres niaient l'immortalité individuelle et la possibilité
des miracles.
Pomponace
(1462-1526).
L'école de Padoue,
ayant à sa tête Pomponace (Pietro Pomponazzi),
montre que les vraies doctrines d'Aristote, accepté par l'Église
comme autorité infaillible, sont en désaccord avec l'Église. Dans son
traité de l'Immortalité de l'âme, il montre qu'Aristote
n'a pas admis l'immortalité personnelle, et il justifie cette opinion
même, principalement au point de vue moral, comme plus favorable à l'absolu
désintéressement de la vertu. Si le peuple a besoin de croire à l'enfer
pour s'abstenir du crime, c'est que ses idées morales sont encore dans
l'enfance : la vraie vertu a sa récompense essentielle en elle-même,
et toutes les autres récompenses ne sont qu'accidentelles.
Vanini
(1585-1619).
Disciple de Pomponace,
Vanini fit ses études à Naples
et à Padoue. Après une vie errante, il vint
s'établir à Toulouse où il eut d'abord
beaucoup de succès. Dans un premier ouvrage : l'Amphithéâtre de la
divine Providence, il parut se poser en défenseur du dogme chrétien.
Dans un second : des secrets admirables de la nature reine et déesse des
mortels, il fit profession formelle d'impiété et tourna en ridicule toutes
les institutions religieuses.
«
Avec la même sincérité que nous avons absous le précédent écrit,
dit V. Cousin, nous déclarons celui-ci coupable
: coupable envers le christianisme, envers Dieu, envers la morale [...].
Les deux ouvrages sont évidemment du même auteur qui tantôt a mis un
masque, tantôt paraît à visage découvert. »
Vanini interprète Aristote
à la façon d'Averroès qu'il qualifie de «
grand pontife de la sagesse, dictateur suprême de la science, oracle vénérable
de la nature. » Il admet avec Aristote l'éternité de la matière
douée par elle-même de mouvement, et l'immanence de Dieu au monde comme
substance universelle et universelle pensée. Par ailleurs, ill rejette
la morale traditionnelle en mettant la conduite de l'humain sous la dépendance
absolue de son tempérament et du milieu où il vit.
Accusé d'athéisme
en 1619, il répond à ses accusateurs que le brin d'herbe qu'il tient
dans sa main est pour lui une preuve de l'existence de Dieu. Malgré ses
explications, il est condamné à mort par le parlement de Toulouse
comme blasphémateur, athée et hérétique.
«
Avant qu'on mît le feu au bûcher, on lui ordonna de présenter sa langue
pour être coupée; il la refusa; le bourreau ne put l'avoir qu'avec des
tenailles, dont il se servit pour la saisir et pour la couper; on n'a jamais
entendu un cri plus horrible. Le reste de son corps fut consumé au feu
et ses cendres jetées au vent. » (Grammond, Historia Gall. ab
Henric. IV).
Césalpini.
Césalpini,
grand naturaliste, interprète aussi Aristote dans le sens d'Averroès,
et lui aussi considère Dieu ,
non comme la cause, mais comme la substance
du monde.
Les francs-tireurs.
Telesio
(1508-1588).
Né à Cosenza ,
Telesio non content de se consacrer lui-même
à l'étude de la nature, fonda à Naples
pour encourager ces recherches une académie
télésienne, à l'imitation de l'académie platonicienne. il combattit
l'hylémorphisme d'Aristote avec un acharnement
qui le fit surnommer « l'égorgeur de la philosophie péripatéticienne
», pour y substituer une doctrine qui rappelle celle des physiciens de
Milet
( L'Ecole
ionienne). Il attribue en effet tous les phénomènes
de la nature à la lutte de deux principes opposés, le chaud et le froid,
causes, l'un du mouvement, l'autre du repos. Bien qu'il admette une âme
spirituelle créée de Dieu, les tendances de sa psychologie
sont empiriques et même matérialistes.
Campanella
(1563-1639).
Né en Calabre ,
Thomas Campanella fit ses études à Cosenza
et devint un ardent disciple de Telesio. Il entra jeune encore dans l'ordre
des Dominicains, mais sa vie n'en fut pas
moins remplie d'étranges vissicitudes. Accusé d'avoir tramé une conjuration
pour affranchir son pays de la domination espagnole, il fut condamné par
l'Inquisition, et retenu en captivité pendant
27 ans. Délivré par l'intervention du pape, il se réfugia en France,
et c'est à Paris qu'il mourut.
Il composa un grand
nombre d'ouvrages, la plupart pendant sa captivité. Les deux principaux
sont : la Philosophie rationnelle et réelle qui contient tout un
système de métaphysique, et la Cité
du soleil
qui offre beaucoup d'analogie avec la République
de Platon et l'Utopie
de Thomas More.
Il y a, selon Campanella,
deux principes de toutes choses l'être et le non
être. L'être se manifeste par trois attributs
essentiels : la force, la sagesse
et l'amour. En Dieu seul on trouve l'être et ses
attributs sans mélange de non être. Les créatures sont un mélange d'être
et de non être, force, sagesse, et amour dans la mesure où elles participent
de l'être; impuissance, ignorance et haine dans la mesure où elles participent
du néant. Campanella croit comme les stoïciens
à l'existence d'une âme universelle du monde; les astres sont animés,
et il compare les rayons qu'ils s'envoient à un langage sublime dans lequel
ils échangent entre eux leurs pensées.
C'est l'idéal d'une
société parfaite que Campanella entreprend de décrire dans la Cité
du soleil.
«
Il y reproduit en les aggravant, dit Espinas, les conceptions les plus
bizarres de la République de Platon, tout en reconnaissant qu'il
est téméraire de chercher en dehors du christianisme des sociétés parfaites.
Il proscrit la propriété sinon la famille, érige en principe l'égalité
universelle, impose indistinctement le travail à tous les citoyens et
réglemente les plus petits détails de la vie quotidienne. Il organise
la société sur le modèle de l'univers. Dans les trois ministres qui
assistent le chef suprême de la cité, on retrouve les trois attributs
qui président au gouvernement du monde : l'un qui répond à la puissance
dirige l'emploi des forces, l'autre qui répond à l'intelligence est préposé
aux sciences, le troisième qui répond à l'amour est chargé de maintenir
l'union sociale. Bref, Campanella est un ancêtre du saint-simonisme.
»
Mouvement
produit par la Réforme religieuse
.
En même temps que
l'autorité était battue en brèche dans le domaine de la philosophie ,
la réforme religieuse introduisait la division dans la théologie.
C'est cependant d'une manière indirecte que le protestantisme
a servi la cause du libre examen et de la tolérance, car, à l'origine,
les doctrines des théologiens protestants n'étaient pas plus libérales
que celles des théologiens catholiques. Luther
est ennemi de la raison et du libre
arbitre : selon lui, nous ne sommes pas libres, et la grâce seule
peut opérer le bien en nous ; aussi est-ce la foi qui justifie, plutôt
que les oeuvres. Mélanchthon s'efforce de
réconcilier le protestantisme avec la science de l'époque et avec le
culte de l'Antiquité ;
mais, bien qu'il soit le plus modéré des protestants, il démontre dans
ses écrits le droit de punir les hérétiques. Calvin
use de ce droit contre Servet, et cette conduite
est justifiée dans un traité de Théodore de Bèze.
Le libre examen ne
fut pas le but du protestantisme, mais seulement un moyen qui, Ã l'origine,
lui était nécessaire ; là où il fut victorieux, il refusa aux autres
la liberté qu'il avait prise pour lui. Il n'en
renfermait pas moins en lui-même des germes de liberté politique et religieuse;
et après avoir soutenu la politique absolutiste, il dut soutenir, pour
le besoin de sa propre cause, la politique démocratique
et libérale. Le protestant Hubert
Languet, dans ses Vindiciae contra tyrannos, fait reposer la
société politique sur un contrat. La Réforme n'amena pas une transformation
immédiate de l'enseignement philosophique et théologique; cependant elle
participa au mouvement dirigé contre Aristote,
et produisit quelques philosophes originaux, principalement dans le mysticisme.
Le principal est Jacob Boehm, un des précurseurs
de la métaphysique allemande. Le
mysticisme est également représenté par Marsile
Ficin, les Pic, Nicolas de Cues, Reuchlin,
Agrippa de Netteisheim, Paracelse,
Robert Fludd et Van Helmont
(certains de ces noms pouvant se trouver au confluent de plusieurs courants
de pensée).
Hubert
Languet (1518-1581).
Languet
entra en relation avec Mélanchthon, dont
il fut bien accueilli à Wittemberg (1549).
II se rendit à Paris (1561)
et plaida devant Charles IX la cause des protestants
Après la Saint-Barthélemy, il retourna à Vienne,
comme chargé d'affaires de l'électeur de Saxe .
En 1549, il se retira à Anvers ,
où il mourut. Son principal ouvrage (Vindiciae contra tyrannos, sive
de principis in populum, populi in principem legitima potestate, qui
parut en 1579
sous le pseudonyme de Junius Brutus) est écrit dans un esprit démocratique
et est plein de théories audacieuses sur l'inviolabilité de la conscience
et de la pensée, sur la liberté
individuelle et le droit des peuples contre les rois. Il considère le
gouvernement comme un contrat entre Dieu, le roi et le peuple; contrat
qui devient nul pour le peuple lorsque le roi le viole lui-même. Cette
idée importante du contrat, dont Languet déduit les conséquences par
la méthode géométrique des jurisconsultes, se retrouvera dans Hobbes
et dans Rousseau. La supériorité du peuple
sur le roi et celle de la conscience individuelle sur l'autorité religieuse,
sont les deux idées originales du XVIe
siècle, dont la Réforme a été l'occasion.
Jacob
Boehm (1575-1624).
Boehm
est des principaux représentants du mysticisme
moderne. Ses parents étaient de pauvres paysans; il reçut quelques leçons
à l'école du village, puis fut mis en apprentissage chez un cordonnier;
il exerça cette profession jusqu'à la fin de sa vie. La Bible et
les écrits du pasteur saxon Weigel, un mystique, lui sont pourtant familiers.
Il devine que « les choses visibles récèlent un grand mystère », et
tente de le connaître. De bonne heure il avait eu des visions. Dans
trois révélations successives, Dieu, prétend-il,
lui montre « le centre intime de la mystérieuse nature ».
Le fond des choses est une dualité constante, tendresse et violence, douceur
et amertume, bien et mal; tout ce qui est vivant renferme ce duel; ce qui
est indifférent, ni doux ni amer, ni chaud ni froid, ni bon ni mauvais,
est mort. Dieu le père, ou la force, sans le fils ou l'idée, est une
volonté sans objet, un centre sans circonférence, un soleil sans rayon.
Le fils est le corps du père, qui ne fait qu'un avec le monde ; et l'esprit
est l'identification de toutes choses avec Dieu. Chose étrange chez un
illettré, on trouve dans les écrits de Boehm de nombreuses analogies
avec les théories philosophiques de l'Allemagne
du XIXe
s, et il peut aussi être considéré
comme un précurseur de Spinoza, de Schelling,
de Hegel.
Les
sceptiques, les libre-penseurs, les conciliateurs
Les sceptiques,
les libres penseurs et enfin les esprits indépendants, animés du désir
de conciliation, contribuent, pour leur part, à l'émancipation de la
pensée moderne. Rabelais mêle des éclairs
de vérité à ses bouffonneries. Montaigne
s'en tient au « Que sais je? ». Charron, son
disciple, réduit le doute en système. Parmi les sceptiques, on rencontre
aussi F. Sanchez. En Italie, le premier
résultat du scepticisme fut l'immoralité et la politique de la force.
La morale,
au Moyen âge, avait été absorbée dans
la religion : en rejetant la religion, on rejeta aussi la morale. De même
la politique, asservie d'abord à la religion, s'affranchit à la fois
de toute religion et de toute morale : ce premier effet du libre examen
porté dans les matières politiques explique l'oeuvre de Machiavel.
Dans le livre du Prince ,
Machiavel expose des doctrines politiques odieuses et, par là , fonde la
science politique moderne en y introduisant la liberté, l'esprit historique
et critique, la méthode d'observation et
d'expérience. Plus rien de scolastique,
plus de théories a priori, plus de principes empruntés soit à la théologie,
soit à la morale; rien que des faits, analysés avec pénétration, finesse
et fermeté.
Une observation plus
attentive des faits mêmes et de leurs lois naturelles devait bientôt
faire comprendre que, si la politique est indépendante de la religion
et de la morale théologique, elle n'est pas pour cela indépendante de
la morale naturelle et du droit
naturel.
En opposition Ã
la politique empirique et positiviste des Machiavel,
des Fra Paolo, des Gabriel Naudé, se développe
parmi les libres penseurs français une politique toute différente, fondée
sur des principes, animée par un sentiment profond du droit, doctrinaire
et républicaine. La Boétie et son traité de
la Servitude volontaire ,
où il s'élève avec hardiesse contre les abus du pouvoir absolu. Michel
de l'Hôpital, dans son livre sur le But de la guerre et de la paix,
montre que la liberté de conscience est la principale des libertés. Le
jurisconsulte Bodin d'Angers écrit de profonds
ouvrages sur la politique.
Nicolas
Machiavel (1469-1527).
D'une antique famille
patricienne, mais qui était déchue, Machiavel,
fut nommé en 1498
chancelier du conseil des seigneurs, puis secrétaire d'État. Il garda
quinze ans cette haute fonction. Il était chargé de la correspondance
politique, de l'enregistrement des délibérations du conseil qui constituait
le pouvoir exécutif de Florence, de la
rédaction des traités et de la plus grande partie des relations diplomatiques.
Dans cet intervalle, il accepta vingt-trois missions à l'étranger, notamment
en France ,
auprès de Louis XII. Il avait entrepris d'assurer
l'indépendance des Florentins, et, pour y arriver, il tenta de créer
des milices nationales, afin de délivrer sa patrie des condottieri. Absorbé
jusque-là par ses travaux politiques, il n'avait publié que des poésies
de jeunesse, et ses Légations.
Ce fut alors que
le pape et l'empereur, victorieux de la France, alliée de Florence, firent
rentrer dans cette ville les Médicis, qui proscrivirent
Machiavel (1512).
On doit à cet exil la plupart des ouvrages qui ont immortalisé le nom
de Machiavel. Il écrivit, en 1515,
le plus célèbre de tous, celui qu'une erreur singulière fait appeler
le Prince ,
et qu'il avait intitulé : Opuscule dei principati [Opuscule
des gouvernements]; la même année, bien probablement, il composa
son Traité de l'art de la guerre, Les Discours sur Tite Live sont
de 1516 et les Histoires florentines de 1525.
Machiavel vécut ainsi à San-Casciano, près de Florence, jusqu'à la
mort de Laurent de Médicis. A cette époque
Léon X, qui déjà l'avait fait comprendre dans
l'amnistie promulguée à son avènement, le consulta sur diverses réformes
à appliquer à Florence, puis le chargea de faire reconstruire les fortifications
de cette ville; enfin, d'organiser l'armée de la ligue formée contre
Charles-Quint. Mais Machiavel mourut peu
après, peut-être empoisonné.
Pendant quatre cents
ans, le nom de Machiavel a été synonyme de ruse, de duplicité, de cruauté
froide et calculée. L'auteur du Prince
fut, plus vraisemblablement, un ardent patriote, qui gémissait sur la
décadence de l'Italie
et qui voulait la replacer au rang des nations, fût-ce même en constituant
un puissant despotisme, assez fort pour dominer
toutes les tyrannies locales et chasser les
étrangers. Ses doctrines, s'accordaient d'ailleurs avec le droit public
du temps. Historien puissant qui unit l'érudition, la profondeur et la
gravité au charme et à l'intérêt des récits, Machiavel reste un des
plus grands écrivains de l'Italie.
Etienne
de La Boétie (1530 -1533).
La
Boétie se fit remarquer par sa précocité : à seize ans il avait
traduit plusieurs ouvrages grecs. Il fut nommé conseiller au parlement
de Bordeaux dès l'âge de 22 ans. Il mourut
jeune. Montaigne, dont il avait gagné l'amitié, a fait son éloge dans
son chapitre de l'Amitié (Essais ,
I, 27), et a publié plusieurs de ses écrits. Son ouvrage le plus remarquable,
celui qui lui valut l'amitié de Montaigne,
c'est son Discours, sur la servitude volontaire, ou Contr'un.
Les cruautés de
Montmorency contre la Guyenne
rebelle (1548)
en furent l'occasion; il circula sous le manteau, puis parut, en 1576,
dans un recueil de pamphlets protestants.
Ce fait, que les protestants s'en servirent
comme d'une arme, prouve qu'il n'est pas une déclamation
sans portée. L'ami de Montaigne n'est ni un protestant ni un catholique;
c'est un jeune philosophe qui revendique au nom de la raison le respect
des droits naturels.
«
Certes, dit-il dans sa Servitude volontaire ou le Contre-un, s'il
y a rien de clair et d'apparent dans la Nature, c'est que Nature, le ministre
de Dieu, la gouvernante des hommes, nous a tous faits de même forme, et,
comme il semble, à même moule, afin de nous entreconnaître tous pour
compagnons ou plutôt frères [...] Puis donc que cette bonne mère nous
a donné à tous la terre pour demeure, [...] nous a tous donné en communn
ce grand présent de la voix et de la parole, pour nous accointer et fraterniser
davantage, [...] il ne faut pas faire doute que nous ne soyons tous naturellement
libres, puisque nous sommes tous compagnons; et ne peut tomber en l'entendement
de personne que Nature ait mis aucuns en servitude, nous ayant tous mis
en compagnie. »
Après avoir ainsi prouvé
que les hommes naissent libres et égaux, La Boétie
montre que, s'ils sont esclaves, c'est qu'ils le veulent bien, car le tyran
est seul, et ils sont tous contre un. Il suffirait donc, pour s'affranchir,
de le vouloir.
«
Pour avoir la liberté, il ne lui faut que la désirer. S'il n'a besoin
que d'un simple vouloir, se trouvera-t-il nation au monde qui l'estime
trop chère, la pouvant gagner d'un seul souhait?-»
Sans doute, l'ouvrage
ne s'adresse à aucun tyran personnellement et ne contient pas de système
politique lié, mais il est animé d'une passion très vive contre la tyrannie
et nourri des plus belles idées antiques sur la liberté. La logique en
est entraînante et sûre, le style chaud et nerveux, les images neuves
et expressives, la phrase bien organisée, faite souvent à la façon latine,
et par suite très propre à traduire les beaux lieux communs. Aussi le
Contr'un a-t-il vulgarisé les grandes idées politiques
de l'Antiquité
et montré comment la culture classique pouvait favoriser l'esprit républicain.
Le nom de La Boétie restera, comme on l'a dit, étroitement uni aux mots
immortels d'amitié et de liberté.
Michel
de L'Hospital (1505-1573).
Un autre Français,
esprit de conciliation et de mesure, le chancelier Michel
de L'Hospital (ou de L'Hôpital), dans son livre sur le but de la guerre
et de la paix (1510),
montre que la liberté de conscience
«
est la plus pure et la plus grande des libertés; car c'est la liberté
de l'esprit et de sa plus divine partie, la piété. [...] Il est nécessaire,
ajoute-t-il admirablement, de laisser en paix les esprits et consciences
des hommes, comme ne pouvant être ployés par le fer et par la flamme,
mais seulement par la raison, qui domine les âmes. »
Au poste qu'il occupait,
L'Hôpital mit en application autant qu'il le put ses conceptions exigeantes.
Il réprima une foule d'abus et se signala par son intégrité et sa sévérité.
Ami de la tolérance, il fit tous ses efforts pour prévenir les querelles
religieuses et pour rapprocher les Catholiques
et les Protestants; il empêcha l'établissement
de l'inquisition en France, et fit proclamer
la liberté de conscience; mais, après plusieurs années de lutte, voyant
tous ses efforts échouer contre le fanatisme des partis, et connaissant
d'ailleurs les projets sanguinaires de Catherine
de Médicis et de Charles IX, il résigna
les sceaux et se retira dans sa terre de Vignay près d'Etampes (1568).
Signalé comme favorable aux Protestants, il faillit être atteint dans
sa retraite par les massacres de la Saint-Barthélemy (1572);
il mourut peu de temps après, de douleur. Ce magistrat intègre ne laissa
aucune fortune. Pendant sa magistrature, il fit rendre de sages ordonnances,
qui le placent au nombre des premiers législateurs français. Ainsi
se faisait jour, principalement en France ,
l'idée d'un droit naturel auquel la politique demeure subordonnée en
même temps qu'elle s'affranchit de la religion positive.
Jean
Bodin (1520-1596).
Cette introduction
du droit dans la politique,
le grand jurisconsulte Jean Bodin d'Angers s'efforce
de la réaliser dans son traité de la République .
C'est l'oeuvre politique la plus importante du siècle après celle de
Machiavel. Bodin reproche avec
raison aux anciens
philosophes d'avoir cru que, pour réaliser le gouvernement tempéré,
il fallait mélanger les diverses formes de gouvernement; non, ce qu'il
faut réunir et concilier, ce sont les divers principes de gouvernement
: l'unité qui est le principe de la monarchie,
la liberté qui est le principe de la démocratie,
la proportionnalité qui est le principe de l'aristocratie.
Malgré cette théorie neuve et profonde, Bodin n'arrive pas à dégager
entièrement les principes des diverses formes gouvernementales, et Ã
reconnaître que l'unité vraie, la vraie liberté,
la vraie proportionnalité sont inhérentes au seul gouvernement de droit,
celui de tous par tous. Il s'arrête encore à un mélange de monarchie
et de démocratie. Il n'en a pas moins l'honneur d'avoir le premier appliqué
la jurisprudence à la politique, oeuvre que devait plus tard reprendre
Montesquieu. C'est la France, on le voit,
qui a fondé scientifiquement la politique de principes, la politique de
droit.
-
Jean
Bodin.
Méthodes
et découvertes scientifiques
Nous avons dit qu'un
grand mouvement scientifique se produisit à cette époque. A côté des
philosophes qui manquent d'originalité, il y eut de vrais savants qui
intéressent d'autant plus l'histoire de la philosophie, que beaucoup d'entre
eux furent non seulement des praticiens, mais des théoriciens de la science.
Les sciences de la
nature sollicitèrent plus particulièrement la curiosité des esprits,
mais dans toutes les branches du savoir humain la Renaissance
se signala par des vues fécondes et d'importantes initiatives.
C'est surtout l'esprit
scientifique et la vraie méthode qui avaient
fait défaut au Moyen âge. On expliquait
trop souvent les faits par des actions extraordinaires sans conditions
déterminées; on voyait partout des puissances, facultés ou vertus assez
semblables aux nôtres :
«
C'étaient de petits lutins de facultés, paraissant
à propos comme les dieux de théâtre ou comme les fées
de l'Amadis ,
et faisant au besoin tout ce que voulait un philosophe, sans façon et
sans outils. »
On prenait, comme l'a
dit Leibniz, « la paille des termes pour le
grain des choses, » et on aboutissait à l'art de Raymond
Lulle, le Grand art, « qui enseignait, dit Descartes,
à parler de tout, sans rien savoir. » Les grands initiateurs de la Renaissance
comprirent qu'il ne suffit pas de tenir les mots pour tenir les choses,
et qu'il faut en appeler à la réalité même.
Léonard
de Vinci (1452-1519).
Dans ce mouvement
scientifique de la Renaissance, il faut faire une place à part à Léonard
de Vinci. L'immortel peintre de la Cène
et de la Joconde
ne fut pas seulement un grand artiste, il fut un savant de premier ordre.
Il excita les sciences à l'amour et à l'observation de la nature.
«
L'expérience, disait-il, est seule interprète de la Nature; il faut donc
la consulter toujours et la varier de mille façons, jusqu'à ce qu'on
en ait tiré les lois universelles; et elle seule peut nous donner de telles
lois. »
Au précepte Léonard
de Vinci joint l'exemple. Ses travaux scientifiques furent nombreux, et
il a fait ou soupçonné un grand nombre de découvertes. On a même conclu
de certains passages de ses manuscrits qu'il connaissait avant Copernic
le mouvement de la Terre .
Ses observations sur la circulation du sang ,
sur la capillarité, ses études de physiologie et de géologie le mettent
au rang des naturalistes les plus distingués. Il découvrit la chambre
obscure et l'hygromètre. Il avait des connaissances très étendues en
mathématiques ,
et se préoccupait surtout de les appliquer à l'industrie. La mécanique
était pour lui « le paradis des sciences mathématiques ». On a trouvé
dans ses dessins toutes sortes de machines ingénieuses pour laminer, dévider,
raboter, creuser, etc. Le plan de son fameux canon (architonnerre) prouve
qu'il avait l'idée d'employer la vapeur comme agent de propulsion; les
oiseaux mécaniques qu'il avait construits semblent indiquer qu'il était
tourmenté, du rêve de la navigation aérienne. Enfin et surtout ses manuscrits
établissent qu'il s'était fait une conception très nette de la méthode
des différentes sciences et particulièrement des procédés de la méthode
expérimentale.
H.
Taine résume bien dans les lignes suivantes les caractères principaux
de ce génie compréhensif.
«
Léonard de Vinci, dit-il, est le premier maître accompli de la Renaissance,
l'homme en qui se trouve exprimé pour la première fois d'une manière
complète ce système d'idées, cet ensemble de dispositions que l'on peut
désigner sous le nom de naturalisme. C'est un génie complet qui a le
goût et l'amour de la nature dans ses diversités innombrables; et de
plus c'est un génie extraordinairement délicat, chercheur du raffiné
et de l'exquis [...]. Cette délicatesse l'a conduit aux observations morales;
il a découvert la psychologie des têtes. Il a été le premier peintre
qui ait observé l'effet des passions humaines sur le visage et sur le
corps. Auparavant on connaissait très bien un corps et un caractère,
mais on ne savait pas rendre la transformation fugitive des traits du visage
que produit une émotion. Léonard a profondément étudié cette partie
de son art; ses études à cet égard sont innombrables [...]. De tous
les peintres anciens Léonard est le plus moderne; du premier coup d'oeil
il a été jusqu'au bout du naturalisme; nul n'a compris plus profondément
la complexité et la délicatesse de la nature; nul ne l'a rendue avec
une technique plus savante et des procédés plus complets. De même que
dans ses oeuvres scientifiques il a devancé son temps, possédé des méthodes,
pressenti des vérités, entrevu un système que nous démêlons à peine
aujourd'hui; de même dans la structure de ses corps et de ses têtes,
dans la finesse et la mobilité de ses physionomies, dans l'étrange et
maladive beauté de ses expressions, il a découvert d'avance ces sentiments
complets et sublimes, raffinés et délicieux, que les poètes exquis de
notre siècle sont parvenus à exprimer Ce sont ces intuitions qui remplissent
les figures de Léonard de Vinci; ni Michel-Ange, ni Corrège, ni Raphaël
n'iront au delà . »
Sciences astronomiques.
Trois grands noms
se succèdent dans les sciences astronomiques : Copernic,
Galilée et Képler.
Copernic
(1473-1543).
En tête du mouvement
scientifique dans l'astronomie se place le
chanoine Copernic. Né à Thorn, sur la Vistule,
il fit ses études en Italie ,
et vint ensuite près de Koenigsberg (Kaliningrad)
à Frauenbourg, où il étudia de très près tous les anciens systèmes
d'astronomie .
C'est l'année même de sa mort qu'il publia en le dédiant au pape son
ouvrage sur les Révolutions des globes célestes (de orbium
coelestium revolutionibus). Il y exposa le système du monde héliocentrique,
celui qui a reçu son nom. L'auteur en avait puisé l'idée dans Philolaüs
et les Pythagoriciens, et dans Aristarque
de Samos. Mais, soit qu'il lui fût resté des doutes sur l'héliocentrisme,
soit prudence pour ne pas heurter les préjugés de son temps, il le présente
modestement comme une hypothèse. (Giordano
Bruno sera le premier à comprendre que pour dépasser le stade de
l'hypothèse le système de Copernic devra s'adosser à une physique :
au-delà de l'apparence des mouvements (cinématique),
il est nécessaire d'élucider les causes des mouvements
(dynamique)).
Galilée
(1564-1642).
Galilée,
natif de Pise ,
applique avec rigueur les méthodes scientifiques, telles que les conçoivent
les modernes : il observe, il soumet à la balance tout ce qui est pondérable,
au calcul tout ce qui est numérable, au dessin
tout ce qui est figurable. Point d'hypothèses métaphysiques,
mais la précision et la netteté d'un esprit éminemment positif. Il introduit
les mathématiques
dans la physique ,
découvre les lois de la chute des corps, l'isochronisme des oscillations
du pendule, le thermomètre. Il invente une seconde fois la lunette astronomique,
explore le ciel, aperçoit les satellites de Jupiter ,
observe les taches du Soleil ,
les montagnes de la lune ,
les phases de Vénus ,
et résout la voie lactée
en un amas d'étoiles. Il publie ses découvertes sous le titre de Nuntius
sidereus, le Messager des astres. En même temps qu'on découvrait
les merveilles du ciel, des étoiles nouvelles y apparaissaient comme pour
donner raison à la science contre Aristote,
qui avait cru que le ciel est inaltérable. En 1572,
une étoile inconnue se montra dans Cassiopée ;
une autre en 1600
dans la poitrine du Cygne ;
une autre, en 1604,
dans le pied d'Ophiucchus ;
celle-ci, qui était de première magnitude, resta visible pendant plusieurs
années et ensuite disparut ( Novae
et Supernovae ).
Galiléevulgarisa
et démontra avec plus de rigueur le système de Copernic.
Cette astronomie nouvelle, en même temps qu'elle renversait les doctrines
d'Aristote, semblait contredire les conceptions bibliques : la Terre
n'est plus au milieu d'un monde fini, avec le soleil se mouvant autour
d'elle; l'humain n'est plus le centre de l'univers, on ne peut plus dire
que tous les mondes ont été faits pour lui. En 1616,
l'inquisition romaine condamna une première
fois l'opinion de Copernic comme contraire tout ensemble à la Bible
et à la raison. Plus tard, Galilée est condamné à son tour, emprisonné,
soumis à la torture morale, menacé de la torture physique et séquestré
pour le reste de ses jours.
Képler
(1570-1630).
Képler
eut à souffrir plus que Galilée des tracasseries
de ses coreligionnaires et d'autres épreuves; et il mérite une place
particulière dans l'histoire de la philosophie
à cause de l'esprit philosophique de tous ses travaux scientifiques. Né
dans le duché de Wurtemberg, il fit ses études à l'Université de Tubingen.
On le destinait d'abord à la théologie, mais il eut la bonne fortune
de rencontrer un maître, tout à la fois mathématicien et astronome,
qui découvrit ses aptitudes scientifiques, et le dirigea dans l'étude
des sciences. Devenu professeur de géométrie, Képler publia son Prodrome
ou Mystère cosmographique, qui sans la protection du duc de Wurtemberg
lui aurait attiré les foudres des théologiens protestants de Tubingen.
Appelé à Prague par l'empereur Rodolphe
II, pour travailler aux Tables rodolphines ,
il y eut toutes sortes de déboires. Retiré au collège de Linz,
il fut persécuté pour n'avoir pas voulu entrer dans une association contre
les calvinistes. Peu de temps après il mourut.
après avoir mené toute sa vie une existence besogneuse.
Outre le Prodome,
Képler composa un grand nombre d'ouvrages dont
les deux principaux sont : I'Astronomie nouvelle (1609) où il expose
les trois lois du mouvement des planètes
qui contiennent en germe la gravitation universelle,
et l'Harmonie du monde.
Képler n'est pas
seulement observateur; il est persuadé qu'on peut et qu'on doit, autant
qu'il est possible, construire la science a priori
par la déduction rationnelle, avec l'expérience
pour contrôle. Aussi mêle-t-il des hypothèses métaphysiques,
néoplatoniciennes et chrétiennes,
à ses raisonnements mathématiques. S'il
n'a pas toujours été heureux dans ses suppositions, il n'en a pas moins
le mérite d'avoir compris la fécondité de l'hypothèse
et de la déduction dans les sciences.
Ame profondément
religieuse, il fait de la science une hymne à la Providence,
et veut que toute connaissance se tourne en prière. Voici celle qui conclut
l'Harmonie du monde; elle est révélatrice de l'état d'esprit
qui animait son oeuvre.
«
Avant de quitter cette table, où j'ai fait toutes mes recherches, ce qui
me reste à faire, c'est d'élever les yeux et les mains vers le ciel et
d'adresser avec humilité ma prière à l'auteur de toute vérité. Ô
toi qui, répandant la lumière sur toute la nature, élèves nos désirs
jusqu'à la divine lumière de la grâce, afin de nous transporter un jour
dans la lumière éternelle de la gloire, je te rends grâces, Seigneur
et Créateur, de toutes les extases que j'ai éprouvées dans la contemplation
de tes oeuvres. J'ai terminé ce livre qui contient le fruit de mes travaux,
et dans la composition, j'ai mis toute l'intelligence que tu m'as donnée.
J'ai proclamé devant les hommes la grandeur de tes ouvrages. Je leur en
ai expliqué les témoignages dans la mesure de mon intelligence. J'ai
fait tous mes efforts pour m'élever par la philosophie jusqu'à la vérité,
et si à moi, méprisable vermisseau conçu et nourri dans le péché,
il m'était arrivé de rien dire d'indigne de toi, fais-le moi connaître,
afin que je puisse l'effacer. N'ai-je pas cédé aux séductions de l'orgueil
devant la merveille de tes oeuvres? Ne me suis-je pas proposé ma propre
renommée parmi les hommes, en élevant ce monument qui devait être consacré
tout entier à ta gloire? Oh! s'il en était ainsi, reçois-moi dans ta
clémence et dans ta miséricorde, et accorde-moi cette grâce que mon
ouvrage ne produise jamais le mal, mais que pour ta gloire, il serve au
salut des âmes. Louez le Seigneur, harmonies célestes, et vous qui comprenez
les harmonies célestes. Que mon âme loue mon Créateur durant toute ma
vie. C'est par lui et en lui que tout existe, le monde matériel comme
le monde spirituel, tout ce que nous savons et tout ce que nous ne savons
pas encore, car il nous reste beaucoup à faire, que nous avons laissé
sans achèvement. »
Sciences naturelles.
Dans les sciences
naturelles et médicales, il faut citer les noms de Paracelse,
van Helmont, Michel Servet
et Vésale.
Paracelse
(1493-1541).
Né à Einsiedeln
près de Zurich, Paracelse
parcourut un grand nombre de contrées pour se mettre à l'école des médecins
les plus célèbres. Il composa plusieurs ouvrages sur la médecine
et l'alchimie, où il prétend substituer Ã
l'autorité de Galien et des médecins de l'Antiquité
et du Moyen âge, l'union féconde de
l'expérience et du raisonnement. Il attribue une grande influence aux
astres sur le cerveau humain, et en conséquence sur la personnalité morale,
tout en maintenant le libre arbitre. Il
n'en fait pas moins profession de christianisme, mais d'un christianisme
étrange et mêlé de superstitions. Cet ensemble d'idées constitue ce
qu'on a appelé la philosophie hermétique
qui a rencontré des adeptes à toutes les époques de l'humanité.
Paracelse est donc
un illuminé autant qu'un savant. Qu'on en juge par sa théorie du rêve
:
«
Dans le rêve, dit-il, l'homme vit comme les plantes, seulement de la vie
soit du corps élémentaire, soit du corps sidérique, sans l'action de
son esprit particulier comme homme. Si le corps sidérique domine, alors
insensible à la vie élémentaire qui sommeille, il a commerce avec les
étoiles ; dans ce cas les rêves se composent de manifestations venues
des astres, remplies de science mystérieuse et d'inspirations. Si au contraire,
le corps élémentaire domine, alors repose le corps sidérique, et les
songes ont lieu selon les convoitises de la chair. »
Ajoutons que Paracelse
fut un des précurseurs de l'homéopathie. Selon lui, les semblables sont
guéris par les semblables.
Van
Helmont (1577-1644).
Van
Helmont naquit à Bruxelles .
Il reprit les idées de Paracelse, et s'efforça
de concilier dans sa méthode l'illuminisme
et l'expérience. La science, selon lui, commence
par l'expérience; elle s'achève par la révélation ou l'extase. Bien
que distincte de Dieu ,
la nature tout entière est animée, et toutes
les réalités qui la composent résultent des combinaisons variées de
cinq principes qui sont : les éléments, les
archées, les ferments, les blas (souffles)
et les âmes. Nous ne nous arrêterons pas à décrire ces combinaisons
fantaisistes. Dans la physique
proprement dite et dans la chimie ,
Van Helmont fait davantage oeuvre de savant. On lui doit plusieurs inventions
ou découvertes, par exemple, celle du thermomètre à eau, de l'acide
carbonique, de l'acide sulfurique, de l'acide nitrique, etc.
Michel
Servet (1509-1543).
Né en Aragon ,
après avoir fait des études de droit à Toulouse
et de médecine
à Paris, Michel Servet
parcourut une grande partie de l'Europe ,
l'esprit inquiet et avide de connaissances. Mais il eut le tort de discuter
maladroitement les mystères de la religion, et de soutenir une sorte de
panthéisme émanatiste à la façon des Alexandrins,
ce qui indisposa contre lui catholiques
et protestants. S'étant réfugié Ã
Genève, il y fut brûlé par les ordres de
Calvin. Il eut l'idée de la circulation du sang ,
et soupçonna les véritables fonctions des poumons
et des ventricules du coeur .
C'était ruiner par la base toute la médecine antique .
Vésale
(1514-1533).
Originaire de Bruxelles ,
Vésale étudia la médecine à Louvain
puis à Paris. Il se rendit ensuite en Italie
où il enseigna l'anatomie
à Pavie ,
à Bologne
et à Pise
avec un succès toujours croissant. Sa renommée lui valut la place de
premier médecin à la cour de Charles-Quint
et de Philippe Il. Des envieux l'accusèrent
d'avoir ouvert le corps d'un gentilhomme qu'on avait cru mort et qui ne
l'était pas, et l'Inquisition demanda sa
mort. Grâce à l'intervention de Philippe Il, il en fut quitte pour un
pèlerinage en Terre Sainte. A son retour il échoua dans l'île de Zante
où il mourut. Il a laissé un grand ouvrage en sept livres sur la Structure
du corps humain. Vésale brava les préjugés du temps qui regardaient
la dissection comme une impiété, et fut vraiment le créateur de l'anatomie.
Sciences mathématiques.
Les sciences mathématiques
n'avaient pas à modifier radicalement leurs méthodes comme les sciences
de la nature; elles n'en firent pas moins à cette époque de grands progrès
avec Tartaglia, Cardan
et Viète.
Tartaglia.
Tartaglia,
géomètre italien naquit au commencement du XVIe
siècle. Véritable autodidacte, après
avoir étudié seul les sciences mathématiques ,
il devint l'un des plus grands mathématiciens de son temps, et enseigna
à Vérone ,
à Vicence et à Brescia .
Il écrivit plusieurs ouvrages sur les mathématiques et leurs applications
à l'art militaire, et découvrit la résolution de l'équation
du troisième degré (1545).
Cardan
(1501-1575).
Cardan
naquit à Pavie ,
y suivit les cours de l'Université, et ses études faites, enseigna les
mathématiques, puis la médecine à Milanet
à Bologne .
Après avoir écrit de nombreux ouvrages où le charlatanisme eut une grande
part, il vint vivre à Rome d'une pension du
pape. On ne peut lire l'étrange livre qu'il a composé sur sa propre vie,
mélange des plus hautes prétentions scientifiques et des plus extravagantes
superstitions, sans le supposer quelque
peu atteint de folie. Ses ouvrages philosophiques n'ont pas grande valeur,
mais il a fait dans les sciences de précieuses découvertes. La formule
pour la résolution des équations cubiques, connue sous le nom de formule
de Cardan est en réalité de Tartaglia, qui
en avait fait la confidence à Cardan. Celui-ci a d'autres titres de célébrité.
Il remarqua la relation qui existe entre la racine d'une équation et le
coefficient de son second terme, la multiplicité des valeurs de l'inconnue,
et leur distinction en valeurs positives et valeurs négatives. Il connut
les racines imaginaires. En chimie il
expliqua la coloration des flammes par les métaux, et donna de la poudre
à canon une analyse qui ne diffère guère de celle qu'on adopte aujourd'hui.
En astronomie
il attribua la scintillation des étoiles
à l'agitation de l'air, etc.
Viète
(1540-1603).
Viète
naquit à Fontenay-le-Comte
et mourut à Paris. On ne sait rien de sa vie
sinon qu'il fut l'ami de l'historien de Thou, et
qu'il occupa une charge de maître des requêtes. On le considère généralement
comme le second inventeur de l'algèbre. Le premier
il out l'idée de représenter les quantités connues par des lettres et
par suite de donner à l'algèbre toute sa généralité. Appliquant sa
méthode à la géométrie, il préparait la
grande découverte de Descartes. Il perfectionna
sur plusieurs points la théorie des équations, et on trouve dans ses
ouvrages l'origine du procédé de résolution des équations des premiers
degrés par l'emploi des lignes trigonométriques.
(E. Durand / A19 / NLI).
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Ernst Bloch, La
philosophie de la Renaissance, Payot , rééd. 2007. - La
Renaissance, c'est bien sûr le renouveau
des arts plastiques, la redécouverte du monde antique, mais c'est aussi
une époque d'intense activité philosophique. Une nouvelle représentation
du monde se construit, mais également une autre conception de l'homme,
et une autre société. En étudiant les grandes figures de penseurs de
la Renaissance, Ernst Bloch (1885-1977) analyse la naissance de cette société
bourgeoise et montre qu'elle s'accompagne d'un renouveau de la philosophie.
Il montre aussi que les frontières entre les savoirs ne sont pas étanches
et qu'à cette époque on peut être philosophe tout en s'intéressant
à la mystique comme Boehme,
à l'alchimie comme Paracelse,
à l'astronomie comme Galilée
et Kepler, Ã la politique comme Machiavel
et Hobbes, au droit comme Bodin
et Grotius, ou encore à l'aventure utopiste
comme Campanella. (couv.).
Ernst
Carrirer, Individu
et cosmos dans la philosophie de la Renaissance, Les Editions
de Minuit, 1983.
Léopold
Mabilleau, Etude
Historique sur La philosophie de la Renaissance en Italie,
Nabu Press, 2010.
Margolin
Matton, Alchimie
et philosophie à la Renaissance, Librairie Philosophique Vrin,
2000.
Bernard Vergely, Philosophes
de la Renaissance et du Moyen Âge, Milan (Jeunesse), 2005.
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